Naviguer seul. Décembre 2020.
Après avoir beaucoup lu Moitessier et Antoine, j'ai du commencer à rêver à la navigation en solitaire il y a plus de quarante ans.
Avec le temps, n'éprouvant pas de plaisir particulier a être seul et étant de moins en moins jeune, j'en étais arrivé à la conclusion qu'il était plus raisonnable de naviguer à deux, sécurité oblige.
Mais toujours avec l'arrière pensée, vieille de 40 ans , que naviguer tout seul doit être une expérience bien particulière et peut-être la quintescence de ce que la liberté sur un voilier peut nous apporter sur cette terre bien contrainte.
C'est donc sans trop d'hésitations que j'ai accepté de faire cette traversée Cadiz - Lanzarote tout seul, mes candidats équipiers ayant tous déclaré forfait devant le confinement français du mois de novembre, que je trouve, soit dit en passant, largement trop pénalisant pour l'économie française et infantilisant pour la population. De ce point de vue, j'ai largement apprécié les politiques sanitaires espagnoles beaucoup plus raisonnables et respectueuses des besoins des gens.
Ceci étant dit, et pour revenir à notre sujet, entre y penser et le faire, il y a le même espace que celui que j'avais éprouvé quand mon instructeur de pilotage d'avion avait quitté sa place de passager pour me laisser faire mes preuves de pilote tout seul, je m'étais tout d'un coup senti bien seul et petit dans cette cabine de pilotage devenu bizarement bien trop large.
Se retrouver seul change bien des choses et de nombreuses questions viennent rapidement à l'esprit.
La première, la plus importante et inquiétante est celle du sommeil.
Est-ce que je vais arriver à dormir suffisamment sans sacrifier la sécurité de la veille?
Afin de ne pas réinventer le fil à couper le beurre, plongeons nous tout de suite dans les dernières connaissances sur le sujet: les coureurs du Vendée Globe sont entrainés à dormir par tranches de 40 mn, 3 de jours et 6 de nuit.
Pour moi qui dort "normalement" entre 9 et 10 heures , le coup est dur..... et on va faire en sorte qu'il ne dure pas trop longtemps, 4 jours pour 600 milles seront bien suffisants.....
C'est donc parti pour des séances de 40 mn, dès que c'est possible, en espérant que le sommeil vienne. Il faudra attendre 5 heures du matin , le lendemain du départ pour le trouver , environ 2 heures et demi en trois séances.
La journée qui suit se déroule sans fermer l'oeil et je change de tactique en me disant que 40 mn c'est trop court et passe à 90 mn, après vérification à l'AIS qu'il n'y a rien d'inquiétant autour.
Je dormirai ainsi 3 heures la deuxième nuit, 1 heure la deuxième journée, 4 heures la troisième nuit, le tout sans se sentir particulièrement fatigué.
La troisième journée, pas de sommeil, l'arrivée est prévue le lendemain et les conditions s'agitent à partir de midi. La quatrième nuit se passe en réglages permanents et arrivé à 30 milles de Lanzarote, je me dis que si je veux dormir c'est maintenant ou jamais.
Sommeil vite trouvé pendant trois quart d'heure car même si j'ai du me forcer à aller me coucher, la fatigue était là.
Sur la petite centaine d' heures de la traversée, j'aurais dormi 10 heures de nuit et une de jour. J'ai l'impression qu'avec l'habitude, j'aurais facilement dormi de plus en plus.
Enfin , j'avais quand même les oreilles bourdonnantes à l'arrivée et la tête un peu en vrac.....
Et la sécurité de la veille dans tout ça, me direz-vous?
Sur Teranga, on fait beaucoup confiance à l'AIS: on y "voit" normalement à plus de 40 milles et ceux qui l'ont, à l'exception des pêcheurs , sont en général plus rapides et se détournent pour passer à plus d'un mille.
J'ai l'impression cependant que certains bateaux n'allument pas leur AIS en permanence, notamment deux pêcheurs que je n'avais pas repérés avant d'aller dormir, et qui au réveil n'était plus qu'à quelques milles, tout ça à plus de 100 milles des côtes.
Si je suis inquiet je donne un coup de radar, mais cette précaution ne m'a jamais donné de nouvelles cibles . J'ai l'impression que les navires de moins de trente mètres ne sont que rarement détectés au radar à plus de 5 milles.
Pour conclure je rappellerais l'avis d'Antoine qui dans les années 1980 disait "ma conviction est qu'au grand large, en dehors des routes habituelles des cargos, le risque de voir deux trajectoires se couper exactement est vraiment très faible". Il reste à chacun de savoir où commence le grand large pour se permettre les longs quart de sommeil.
Quand aux autres questions qui m'ont interrogées avant ce départ bien particulier, il s'agissait de voir comment je pouvais mettre en oeuvre le tangon tout seul, répétition donc de rigueur en imaginant que les conditions dans les vagues ne sont celles de la marina. Révision non testé en conditions réelles , le vent arrière n'étant pas au rendez-vous.
Ensuite les prises de ris et là j'ai pu vérifier que les ris automatiques sont bien sécurisants, surtout quand on arrive au troisième en pleine nuit. Il faut ajuster la surface du génois pour arriver à une allure travers confortable que le pilote automatique pourra tenir sans difficulté pendant la manoeuvre.
On réalise alors que seul et sans pilote, les manoeuvres deviendraient vite très compliquées, voire scabreuses. L'idée d'avoir un pilote de secours germe alors et l'Hydrovane offre une solution facile avec son deuxième safran.
Teranga sera donc équipé dans le futur d'un petit pilote de barre franche qui en prime permettra de garder un cap par rapport au vent , ce que mon pilote principal ne permet pas.
Naviguer seul est donc une vrai aventure qui conduit à réfléchir sur la sécurité de la conduite du bateau et à améliorer, toujours.......
Et avec l'âge s'avançant, je me dis qu'une manivelle à winch électrique peut être aussi un précieux secours, des solutions à base de perceuse sans fil (beaucoup moins onéreuse que le matériel dédié) étant en gestation grâce à mon préparateur préféré, soit BMS à Saint Raphael qui suit Teranga depuis sa naissance.
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serge
6 Janvier 2021 - 5:09pm
Bravo pour avoir osé cette
Olivier
12 Janvier 2021 - 12:17pm
sympa ce récit
olivier
21 Janvier 2021 - 7:25pm
olivier - tyfon
Teranga
3 Février 2021 - 4:18am
Merci pour tes commentaires