PETITE PHILOSOPHIE DES 200 JOURS
Vous êtes vous déjà demandé ce que vous apportait le Voyage… après le voyage.
Notre première traversée en octobre 2021 allait de la Camargue aux Baléares. Escargots que nous sommes, voici donc la deuxième achevée 6 mois plus tard!
Avec cette 2ème, BARBATE (Espagne) LA GRACIOSA (Canaries): la conscience du Présent a pris une nouvelle couleur. Forcément!
Je vous raconte:
Balancée par les mouvements des coques qui négocient la houle, je m’étais installée un fauteuil confortable et mobile (intérieur extérieur) pour admirer les flots et les cieux…. Veille visuelle qui engendre la conversion du regard de l’âme.
Et que me racontait-elle mon âme? Que chaque moment est unique et ne se reproduira pas.
Évident vous dites-vous!
Ce que j’ose partager, c’est l’infusion de ce Présent là, absorbé pendant 98 heures et 620 milles nautiques, tel le gingembre de nos jolies gourdes transparentes qui distillait sa couleur, son parfum et son goût à notre eau.
L’affichage sur les instruments de la latitude qui décroissait au fur et à mesure de notre descente vers le Sud, de la longitude qui croissait au fur et à mesure de notre avancée vers l’Ouest, les points au crayon sur la carte, tout contribuait à la conscience de l’éphémère.
Goûter l’ Instant présent, nous dit ECKHART TOLLÉ Mais l’égrenage du Temps va si vite et l’Espace à goûter est si vaste!
Et ce mental qui se projette déjà dans la manœuvre à venir, celle qu’il va falloir exécuter si jamais le vent adonne ou refuse, tombe ou forcit. Qu’est ce que ce Présent là ? Comment le saisir avant même de le goûter!
Une espèce d’alchimie, renforcée par le manque de sommeil, finissait par trouver du sens aux récentes émotions:
-le symbole de Croix du Sud qui tournait sur lui même après l’attaque des Orques: un retournement
-les entrailles canariennes remontées à la lumière, là devant: un autre retournement
Après le voyage, le retournement prend sens: c’est l’Anti Voyage.
Plutôt que de se projeter vers la destination suivante, le secret est de se réjouir du “maintenant”, du “Sur place” Et de le construire en nous pour qu’il soit ainsi.Tel un voyage autour de sa chambre” (m’ont susurré des âmes bienfaisantes, qui se reconnaîtront).
La recette apporte une jubilation qui infuse jusqu’au plus profond de nos cellules.
Cerise sur le bateau: Ensemble.
Car le partage à deux décuple l’Instant.
C’est aussi ce retournement joyeux qui fut partagé dans nos visages, fatigués mais illuminés, au petit matin de l’arrivée.
Nous avions veillé l’un sur l’autre. Nous avions eu peur l’un pour l’autre. Nous avions touché, vécu ce que l’intellect croyait savoir: la présence de l’autre est vitale quand on n’est que deux à bord.
C’est notre pépite de cette simple traversée, que des dizaines d’autres font chaque année.
Imbiber (ou simplement bercer) notre mental du plaisir de l’instant unique. Nous avons utilisé nos 6 sens pour cela et rendu grâce de la Joie d’en être conscient ensemble.
Et puis nous sommes arrivés.
Partageons avec vous, ce que nos 5 sens et le 6ème l’intuition du Cœur ont découvert à la Graciosa.
28 km2 (7km x 4km) de sable… blanc et fin, d’où émergent les roches ocres, rouges, noires de 5 petits volcans endormis depuis 20 millions d’année.
Une conjugaison géologique du sable, de la lave, des végétaux ras aux couleurs enchanteresses qui lui donne un charme étrange.
Ici un village de 611 âmes vit avec l’absence de hauts sommets pour retenir les nuages et la pluie. L’eau, jadis amené en bateau-citerne, arrive désormais de Lanzarote par un pipe line à 10m de fond, là où le détroit (emprunté par Croix du Sud!) ne mesure que 1000m.
Un tourisme contraint permet à la Graciosa de garder son label UNESCO de réserve mondiale de la biosphère.
Ici pas d’hôtels, quelques gîtes, des tentes autorisées dans une lande dédiée.
Ici marche et vélo (et rares 4/4 avec chauffeur obligé sur quelques pistes de sable).
Les days charters ou les bateaux à fond transparents arrivent en milieu de matinée et repartent en milieu d’AM pour une 60aine d’euros.
En voiliers, privilégiés, nous pouvons rester dans les criques autorisées à l’ancrage et contribuer volontiers à préserver ainsi les autres du raguage de nos mouillages sur les fonds.
Les déchets repartant sur Lanzarote, nous organisons différemment notre tri à bord pour les déposer nous même là-bas, dans quelques jours, minimisés.
D’abord, nous avons exploré la partie commerçante du village: 1 boulangerie, 3 supérettes dont une seule véritablement approvisionnée, La boîte à lettres, La boutique de souvenir, L’artiste de bijoux, quelques bars- restaurants ombragées par des toiles, les quelques loueurs de vélos ou de 4/4…j’ai même déniché le dispensaire et l’ambulance derrière le square de jeux et Patrick, le terrain de hand-ball encaissé entre quatre hauts murs l’abritant du vent dominant de Nord-Nord-est, et l’école.
Face au vent du Nord quasi permanent, l’humain s’est implanté au Sud. La caractéristique de son habitat, ici, est dans la mitoyenneté blanche, à toit plat et dans les rues sans asphalte balayées par les trombes de sable…il ne manque plus que la musique d’Ennio Morricone. La végétation est rare et précieuse. Même si le pipe line d’eau et les 17000 euros de fond européen ont fait miroiter un eldorado agricole, les parcelles cultivée dans la lave sont rares.
Les nouvelles maisons, que l’on croirait de loin partiellement enfouies dans le sable, sont agencées souvent par 4: 2 donnant sur le chemin de sable de devant 2 donnant sur le chemin de sable de derrière. Vue du ciel des petits cailloux géométriques.
Les anciennes habitations de pêcheurs sont toutes transformées en gîtes astucieusement décorés de cactées ou de succulentes entrelaçant les vieux objets métalliques difficilement évacuables.
Pour se chouchouter, nous commençons la semaine par le restaurant de poissons. La pêche est (théoriquement) interdite dans la réserve naturelle. Les pêcheurs professionnels vont donc un peu plus loin.
Puis courageusement, glissant sur les éboulis de pierres volcaniques, nous grimpons les 172 m de « notre » Montaña Amarilla (montagne jaune). Là haut, nous bravons l’agressivité des mouettes furieuses, d’être délogées de leur territoire de lave. Quelle belle vue sur notre Croix du Sud!
Enfin nous goûtons tranquillement baignades, ballades, pique niques…et le surtout plaisir d’être au mouillage…à ne presque rien faire.
A bord, les palans de mise à l’eau de l’annexe sont améliorés ainsi que l’aération des réfrigérateurs qui consomment trop.
Patrick se bat avec une fuite du dessalinisateur…Le parquet de Croix du Sud s’éclaire d’une bande de leds pourpres collée sous les banquettes…
Voilà donc comment nous avons passé le cap de nos 200 jours de Croisés du Sud, SDF, Seniors Des Flots!
Nous vous embrassons.
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