PLUIES DE SANG
D’abord du sable jaune…
« Finalement j’arrête, ça ne sert à rien! » Patrick qui interrompt le nettoyage du bateau, c’est du jamais vu!
Il est 14H, ce jeudi 24 mars 22; la mer est d’huile. Nos invités sont repartis après un trop bref séjour. Nous quittons la marina d’Alcaidesa pour -une nouvelle fois- mouiller à proximité.
Mars pluvieux laisse maintenant place à une brume humide de plus en plus sablonneuse qui se dépose sur ce que mon homme vient d’arroser.
Les bateaux se couvrent d’une pellicule jaune et les équipages échangent des regards déconfits: quand on paye la place de port, avec l’eau courante; c’est entre autre, pour faire une beauté à nos bateaux! Loupé!
…puis de l’argile rouge!
17 H… Par l’Est, le ciel devient rouge, dense. Toujours dans un silence impressionnant, le manteau sablonneux jaune laisse la place à un autre, d’abord orangé puis franchement rouge. Il pleut…de l’argile rouge.
Elle s’étire en gouttes épaisses sur l’eau devant, autour et sur notre catamaran. Ébahis, incrédules, nous finissons le mouillage tandis que sans bruit, elle recouvre nos vêtements.
Le spectacle est sublime, totalement irréaliste.
La lumière inonde tout d’une couleur corail. Il fait nuit sans faire nuit. Il fait rouge.
A l’intérieur, la lumière est très douce filtrée par les hublots désormais opaques. Le poids de l’argile finit par y tracer des sillons de sang: les hublots saignent!
Calima, des poussières du Sahara poussées à des milliers de kilomètres
A l’origine de ce phénomène météorologique: Calima. Cette poussière saharienne s’élève régulièrement des zones désertiques lors des températures élevées associées aux basses pressions. Elle est alors transportées à 1, 2 voire 3 km d’altitude tantôt vers l’Atlantique : les îles Canaries et le Cap-Vert, atteignant parfois l'Amérique centrale, les Caraïbes tantôt vers la Méditerranée: touchant régulièrement l'Espagne, l'Italie et la Grèce.
Plus ou moins fort, plus ou moins dense.
Cette fois-ci, Croix du Sud semble avoir vécu avec la tempête Célia, le déplacement de la plus grande quantité de sable, d’argile, de gypse, calcite (et autres minéraux) de ces dix dernières années: une grosse Calima!
…des effets positifs sur les sols et les végétaux
Calima, quelle que soit sa beauté et ses potentiels impacts négatifs tels qu'une visibilité réduite affectant le trafic aérien ou la pollution de l’air, garde cependant un impact très positif sur les écosystèmes naturels de la Terre.
Cette poussière contient en effet une grande quantité de nutriments qui contribuent à la fertilité des sols, comme la charge de phosphore que possède la poussière saharienne qui contribue aux cycles biogéochimiques, notamment à la croissance des espèces végétales.
Découverte de La Linéa de la Concepcion (province de Grenade)
Frontalière avec Gibraltar, pure produit de l’économie souterraine qui sévit en contrebas du Rocher, la commune s’est « installée » en 1913. En contrebas derrière le rempart des immeubles du bord de plage et du palais des congrès, nous avons découvert un dédale de charmantes rues piétonnes propices à la filmographie. « Les garçons et Guillaume à table », par exemple: la scène où Guillaume apprend à danser la sévillane comme une femme.
Faire les courses y est un plaisir, pour le porte-monnaie avec des prix défiant toute concurrence, et pour le palais avec la quantité et la qualité de produits frais dans les petites échoppes.
Quel contraste avec les supermarchés que j’ai arpenté la veille, (une nouvelle fois avec la voiture de Pierre en villégiature andalouse avec son père) qui retirent perversement tout le frais de leurs rayons…(vu de mes yeux vus! Et ça râlait dur chez les clients!) pour les stocker (et faire ultérieurement monter les prix) au nom de la grève des transporteurs.
Ici pas de pénurie!
Les travaux à bord s’orientent de plus en plus vers les préparations à la navigation.
- Grande joie! La remise en état de notre cabestan électrique.
Un Andersen 46. C’est un winch gros, puissant, cher (5600 euros neuf). Une merveille pour hisser les 3 X 17,50m ( car passent 3 fois dans le mat soit 55 m au total) de drisse de GrandVoile. Essentiel pour la sécurité des manoeuvres de ris en pied de mât.
Victime de la corrosion l’été 2020, il a subi au fil des mois des bilans de santé multiples. Patrick n’a pas ménagé sa peine, le déposant le démontant et le nettoyant totalement. Une première après 17 années de bons et loyaux services.
Tout propre, remonté(14 rivets pop), il ne restait plus qu’à parier sur la corrosion du relais et/ou de l’interrupteur. Pari gagnant: les pièces neuves salvatrices sont arrivées de la maison mère au Danemark, enfin déconfinée, pendant notre long séjour à SOTOGRANDE.
- Installations des bloqueurs d’écoutes de Spi : On y croit!
Pour matelotter de superbes manilles textiles, Patrick se régale à réactiver ses compétences apprises à la voilerie Tonnerre de Lorient.
Et tant qu’à faire joli et léger, les ridoirs et manilles sur les filières sont remplacés aussi par du textile fait maison.
- Avisés! Protection des zones de ragage de la Grand-Voile avec du tissu à voile autocollant (insignia), vérification des coulisseaux de GV, changements de leurs rondelles.
- Pratique! Il nous reste à placer une 2ème écoute/contre écoute sur le Gennaker pour ne pas avoir à la changer de bord à chaque empannage. Nous attendons un moment sans vent pour hisser le Gennaker et définir in situ la bonne longueur à couper dans notre bobineau.
Voilà donc les coulisses de la semaine. Mars pluvieux rempli enfin les nappes phréatiques espagnoles. La météo ne nous permet pas encore de nous élancer vers le Sud . Nous apprivoisons notre vie de Séniors des Flots. Il y a tant à découvrir, à apprendre… à défaut de maîtriser.
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