PAN PAN chez les ORQUES
Passer de la Méditerranée à l’Atlantique se mérite!
9 avril 22: Tentative 1
Après avoir attendu 6 jours avec PICOTA la fenêtre météo, récité pour la énième fois le tableau de rotation des courants du détroit de Gibraltar, nous nous élançons vers le goulet.
- Quid de Tanger? Le jeudi 7 avril 22 dernier, Pedro Sanchez, président du gouvernement espagnol a rencontré le roi Mohamed VI pour signer la fin de leur brouille qui dure depuis plus de 2 ans sur fond entre autre de drogues, de migrants.
- La normalisation de la circulation des personnes et des marchandises est largement commentée dans la presse et sur les ondes. « Sans aucune restriction ». Et comme voyager implique les contraintes géopolitiques, nous suivons cela de près ainsi que Laurence, une amie de Yoga, qui nous attend fermement à Essaouira! Notre patience semble récompensée: nous allons pouvoir passer du bon temps au Maroc.
Donc les 3 monocoques et PICOTA qui patientaient dans la marina d’Alcaidesa hissent les voiles, suivis un peu plus tard par CROIX du SUD.
Le ciel est bleu et un petit 10 noeuds de vent titille les écoutes. Avec étonnement nous croisons tout ce beau monde qui rebrousse chemin.
Arrivé à la cardinale EST qui marque l’entrée dans le chenal, nous comprenons: CROIX du SUD encaisse des rafales à 25-30 noeuds d’OUEST. La mer est devenu un chaudron salé bouillonnant d’écume.
Je vais au pied de mât prendre 2 ris pour réduire la voilure. Ça secoue! Vent contre courant : ce n’est pas la peine de jouer. Nous allons nous faire brasser des heures. Demi tour!
La mésaventure a comme conséquence favorable de nous faire découvrir, nichée au pied des montagnes verdoyantes d’ouest, un petit paradis où je finis l’avant dernière aventure médiévale de mon cher Cadfael…si vous ne connaissez pas les 21 polars d’Ellis PETERS, je vous recommande!
Lundi 11 avril tentative 2
Ce matin là, nous aurions dû consulter les astres…
- L’ample dépression qui a affectée l’Europe et… méritée d’être étudiée avec des tutos de l’ECOLE Nationale de voile (que nous avons reçu) semble remontée par notre cher anticyclone des Acores, encore un faiblard cependant.
Cette fois ci, le vent d’EST poussera vers l’Atlantique tout au moins jusqu’à 17 heures. Les courants seront aussi favorables à nos deux catamarans.Il y a d’ailleurs par mal de voiliers autour de nous pour tenter le passage vers l’Océan.
- Départ mouvementé: notre mouillage s’est entouré par 2 fois autour d’un gros câble métallique, notre radar tout neuf n’a pas aimé la pluie d’argile de la tempête Célia, l’AIS se plante…Nous sortons un peu tendus de la baie d’ALGECIRAS.
- Patrick se régale vite à jouer avec les courants cotiers et malgré le peu de vent CROIX du SUD gagne TARIFA en avance sur nos prévisions. La sérénité revient à bord.
Ça y est, nous sommes en Atlantique! Quel bonheur! Nous traversons le rail en croisant seulement 5 tankers qui se détournent aimablement.
- Devant nous dans la brume tiède, TANGER.
Etrange présage: aux jumelles, aucun mât ne dépasse de la digue, côté plaisance et côté ferry, c’est aussi le vide absolu.
Nous sommes cueillis par le zodiac de la gendarmerie côtière qui nous annonce que tout l’espace maritime marocain est encore fermé. ?! Nous invoquons les beaux accords diplomatiques de jeudi dernier, en vain! Même pas l’autorisation de mouiller sur la plage pour la nuit sans descendre à terre.
Dépités, nous hissons les voiles pour les Canaries. 3 jours et demi.
Certes, nous avions anticipé: fichiers météo téléchargés pour l’éventualité où nous serions hors réseaux dans les jours à venir, nos avitaillements adéquats, mais nous espérions notre escale marocaine pour nous dépayser après notre hiver andalou.
Nous devons d’abord nous éloigner de la côte marocaine en taillant plein Ouest, au près bâbord amure pendant la nuit puis au petit matin virer vers le Sud. Le routage de weather 4D nous prévoit après une descente de 2 jours à 14-16 noeuds de vent, une arrivée aux Canaries plus musclée à 21-22 noeuds pendant 1 journée car cela souffle à terre comme souvent devant Essaouira.
La nuit va venir vite. D’ici 2 petites heures car le temps est gris, avec de beaux rayons intermittents.
La fonction régulateur d’allure du pilote est mise à 48 degré du vent.
Le vent est plus fort que prévu 21 noeuds au lieu de 15, et comme la dépression est toujours mouvante nous prenons 2 ris pour la nuit, capelons gilets et harnais. La houle s’allonge, confortable : c’est l’Atlantique. Croix du Sud marche à 7 noeuds.
- 16.30 Le bateau s’immobilise sans choc apparent et se met à tourner sur lui même. La barre ne répond plus. Pendant que j’essaie de maintenir le bateau face au vent , en vain, puisque la roue tourne dans le vide, Patrick vérifie alternativement les deux verrins de barre et met en évidence un blocage des safrans.
- 17.05 Par VHF, Nous demandons à TANGER à 32 MN, la possibilité de venir réparer. Nouveau refus: « Désolés.Bonne navigation! »
- 18.05 Nous poursuivons diverses manœuvres pour les redresser jusqu’à se mettre à plat ventre pour les repousser avec la gaffe ou à la main dans l’axe du navire. Chacun pointe dans la direction opposée de l’autre. Comme si chaque coque voulait partir de son côté ! Absurde!
PICOTA se détourne et envisage de nous remorquer … jusqu’où? Pour où?
CROIX DU SUD tourne toujours en rond.
- 20.10 Le foc, à force, commence à se désendrailler par son point d’amure, et comme « jamais 2 sans 3 », le cabestan électrique disjoncte quand nous étarquons et roulons notre voile d’avant pour la protéger.
Nous affalons aussi la GV le plus proprement possible: A la voile seule et même avec le soutien des moteurs, le bateau est non manœuvrant sans ses safrans.
Même si la dépression remonte doucement, sa bordure basse n’est pas si loin et la houle atlantique enfle doucement: 3 bons mètres qui laissent présager des conditions difficiles de remorquage. Philippe et Patrick se concertent.
- 20.30 Patrick la mort dans l’âme se résigne à appeler les secours sur le canal 16 de la VHF : un PAN PAN qui est l’indicatif d’une demande d’assistance SANS dommage aux personnes.
PAN PAN, PAN PAN, PAN PAN
Position 35°52’82 Nord 006°01’02 WEST
signal damage rudders (safrans)
2 persons on bord,
from CROIX DU SUD catamaran 13 meters,
MMSI 227 691010
OVER
Deux canaux VHF répondent immédiatement.
Le premier nous demande de passer sur le canal 83 mais la liaison est mauvaise.
Le 2ème s’identifie clairement. TARIFA. On libère le 16 et passons sur le 72. On nous propose un remorquage sur la côte Sud Ouest espagnole BARBATE au sud de CADIX…. Ironie du sort: Le port attitré pour les safrans mangés par les orques…
Nous acceptons: la communication doit être enregistrée et a valeur de contrat. Il est 20H40.
La nuit tombe.
- 21.30 dans le lointain, se rapprochent TRÈS vite des projecteurs d’une puissance rapidement aveuglante.
- 21.45 Avec une facilité déconcertante, un remorqueur orange des SALVAMENTO MARITIMO (secours maritimes) qui me semble flambant neuf fait un beau dérapage contrôlé devant les étraves de Croix du Sud. Un homme et une femme, à l’aise, indifférents à la houle, sont à l’arrière.
- 21.47 Pendant que le pilote contrôle le recul impressionnant du remorqueur vers nos étraves, à grand renfort de rugissement et de bouillonnement des turbines, la femme marineros envoie sur notre trampoline une balle orange (version moderne de la pomme de touline) relié à un long bout fin flottant orange en polypropylène.
- C’est léger, facile à tirer.
A son extrémité deux aussières liées entre elles, chacune terminée par une grande boucle.
Patrick frappe une des boucles sur le taquet de l’étrave tribord pendant que je désolidarise la deuxième.
Il fixe la deuxième sur le taquet de l’étrave bâbord.
Prudemment, chacun de notre côté, nous vérifions que les deux s’étirent doucement en passant librement devant les étraves.
Et nous nous éloignons vite, craignant une secousse au moment de la tension de la remorque. Même pas.
Tout cela a pris moins de 2 minutes.
- 21.50 Il nous font signe de rester à l’arrière et le remorquage débute… en crabe! Les safrans sont vraiment bien bloqués. La remorque mesure 200 m, ce qui évite les à coups (avec au moins un train de houle, une ondulation, pour absorber les variations de tension).
Sur l’AIS, nos adorables PICOTA veillent à 1,5 NM. Quel magnifique soutien!
- Il faudra 5.30H de sauvetage et 39 Nautical Miles (72 km) pour gagner le port de BARBATE.
Passer à l’amarrage à couple pour y entrer est plus compliqué car ils ignorent l’utilisation des gardes montantes et descendantes pour plaquer les coques. Très calmes, méthodiques, ils, 3 hommes et elle s’appliquent cependant à ne pas abîmer le bateau, avec des beaux sourires rassurants.
Bien saucissonné, ils nous déposent en douceur sur leur quai des urgences. Quelques formalités jusqu’ à 2.45H …
Puis s’endormir est bien difficile!
- Est ce une atteinte des orques? Nous étions juste à l’entrée de leur domaine qui s’étend du banc de Trafalgar au banc de Majuan-Spartel. Les sauveteurs l’affirment.
- Quelles avaries allons nous découvrir? A bord de PICOTA, on est monitrice et moniteur de plongée. Hélène inspecte demain les safrans.
- Le moteur bâbord a surchauffé, la culasse est-elle atteinte?
- Combien vont être facturées ces 5H30 de sauvetage. Les assurances seront elles bien aux RDV? Devrons nous encore attendre des mois le passage très administratif d’un expert espagnol??? Et quelles conséquences ultérieures sur les primes?
Rejoignez nous avec « Seniors des Flots », notre journal de bord hébergé chez POLARSTEPS pour …la suite de nos aventures! Amitiés Croisées du Sud!
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