traversée Açores - Cherbourg - première semaine

traversée Açores - Cherbourg - première semaine

Posté par : Joel
11 Juillet 2014 à 23h
Dernière mise à jour 20 Novembre 2014 à 08h
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jeudi 26 juin 2014. Le départ.

 

 

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On a donc un 4ème équipier mais on ne change rien au rythme de quart. Il y en a 7 par jours, donc la rotation est assurée, souhait de l’équipage. On a sorti la checklist de formation d’un équipier pour Eric, on lui a trouvé un gilet de sauvetage et un harnais. Il ne fait pas de quart de nuit les 2 premières nuits. Pas trop de soucis pour son intégration.

 

 

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Temps calme et rapidement ensoleillé le long de Sao Miguel sous geenacker et GV. C’est le début de la dernière longue étape de notre périple, la troisième en longueur, 1103 miles jusqu’aux Scillies, cible hypothétique fonction de la météo.

 

 

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La météo justement n’est pas géniale. Pour caricaturer : une journée plein vent arrière (bof), une journée au près serré (berk) et une journée de pétole (pfff) et ça recommence comme un cycle infernal. Pour l’instant, c’est vent de sud-ouest et on navigue au nord de la route directe en prévision des vents de nord à venir. On a préparé un premier routage qui nous amène aux Scillies le samedi 5 juillet. Mais comme nous a dit Marc (de Black Niboune) la météo à plus de 3 jours, ça a la valeur des promesses électorales.

 

Partis à 10h, à 19h30 Sao Miguel disparait dans notre arrière. Le ciel se couvre, les vagues de travers déstabilisent le bateau. A 20h30, tout le monde au lit sauf moi dont c’est le quart.

 

 

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ça, c'est les T.M. profitant du soleil des Açores

 

 

vendredi 27 juin 2014. Deuxième jour. Reste 973 miles.

 

Un partie de l’équipage n’est pas trop bien depuis que le vent est de secteur nord et que l’on navigue au près. On sous-toile un peu plus pour leur permettre de récupérer. A la cuisine, je n’ai pas beaucoup de clients. Ça devrait aller mieux demain.

 

 

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La météo n’est pas fameuse : dans 60 heures environ une grosse dépression très creuse se crée sur notre chemin. Elle va ensuite s’évacuer très vite vers le sud-est en se comblant. Il faudrait être plus ouest que là où on est maintenant et pas très nord. Une raison de plus pour ne pas aller vite. En attendant, on va avoir du vent de secteur nord puis un peu de pétole (ça va permettre de faire de l’ouest au moteur si on veut) avant que le vent ne rentre du sud-ouest avec cette fameuse dépression. La principale inquiétude vient de la variation du bulletin météo en 12 heures : à la météo de ce matin, on avait repérer cette dépression avec 35 nœuds près du centre pour lundi matin. On reprend une météo ce soir pour confirmer : le phénomène est 12 heures plus tôt avec des 50 nœuds au centre(ça veut dire rafales à 70 nœuds environ). On s’en rapproche lentement et avec circonspection. Une telle force de vent est plutôt anormale en cette saison et en ces lieux.

 Sinon, c’est la routine des bords de près : ça grince, ça cogne, vaisselle et cuisine sont des concours d’équilibristes, on prend quelques paquets d’eau dont une fois par une dorade que l’on avait oublié de fermer.

 

 Samedi 28 juin 2014. Troisième journée. Reste 884 miles

 On a donc peu avancé et l’équipage va mieux. Temps moins uniformément gris, quelques belles éclaircies mais un froid saisissant. Eau à 18°5, au départ de Ponta Delgada, elle était à 21°5. Vent du nord frisquet. Humidité du bord de près. Tous les ingrédients sont là pour justifier polaires et vestes de quart.

 

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tout le monde à l'intérieur!

La météo confirme la position et la date de la dépression. On est suffisamment sud pour ne rien craindre. On va se repositionner un peu à l’ouest pour ne pas jouer avec  l’épaisseur du trait de crayon du météorologue. La mer me semble moins hachée que celle entre les Bahamas et les Açores. Mais c’est juste une question de perception. Le membre un peu vert de l’équipage qui a connu les 2 bords (anonymat respecté) n’était pas de cet avis. Aujourd’hui de toute façon la mer est mieux ordonnée, la fréquence des vagues plus longue, le vent plus faible.

 

Justement, on profite du vent faible pour se repositionner plus à l’ouest au moteur. On descend la grand-voile qui se bloque à mi-hauteur. Deux chariots sont désolidarisés de la GV. Quelques va-et-vient pour débloquer les chariots et ils descendent. 30 minutes de discussion sur la façon de réparer, 10 minutes d’exécution. Essai de hissage. Impec, ça marche, ça paraît réparé. L’origine ? Un chariot sur 2 est attaché à la voile par un élastique. L’autre chariot est vissé, fer dans caoutchouc, à la latte. Comme cela nous est déjà arrivé, l’élastique a cédé. La tension sur le chariot supérieur vissé dans la latte a été trop forte et la vis est sortie en force de son pas de vis caoutchouté. On a remplacé l’élastique par un bout sur un des chariots et on a revissé l’autre chariot dans sa latte après l’avoir démonté. Le plus gros de l’organisation a été de décider des précautions à prendre pour ne pas faire tomber la moindre pièce à l’eau. On n’a pas de rechange.

 

Cet après-midi, le soleil est là. Profitant d’un bateau plus stable au moteur, on aère enfin le carré, l’humidité diminue. Ça reste frais dehors mais la douche est bienvenue avec l'eau chaude grâce au moteur.

 

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un beau coucher de soleil, il y en a eu quelques uns

Éric repère 2 baleines qui se laissent approcher à 200 ou 300 mètres. Cela ressemblait à une mère énorme et son petit que l’on laisse vite tranquille.

 

Dimanche 29 juin 2014. Quatrième jour. Reste 851m.

 Tous les fichiers confirment une vilaine dépression pile poil dans notre axe et on n’arrivera pas à l’éviter par l’ouest. Une seule solution, ralentir (oui, on n’est pas en régate). Le bateau sous trinquette à 6 tours redevient d’un calme étonnant. On file à 2 nœuds quand même. Enfin, la météo du soir nous propose une ouverture en faisant une route plein est lundi avant de remettre du nord dans notre étrave à partir de mardi. On remet de la toile, le vent est tombé mais on file à 4 nœuds dans presque la bonne direction. En deux jours, on s’est rapproché de 80 miles de la cible alors que le vent est resté soutenu. C’est un peu frustrant. Maintenant on a mis le clignotant à droite. I’m going home (Aftermath, Rolling Stones, 1966, rock lent vers l’infini de 11’30, nous ça durera un peu plus longtemps, il faut dire que Mick parlait de rentrer en avion).

 

Dimanche apéro domino suivis d’une tagine de poulet à la semoule. Les appétits reviennent mais timidement, il y a des restes. Heureusement l’après-midi hyper-calme sous son petit morceau de trinquette a permis à chacun de bien se reposer. Même si on espère éviter le plus gros du mauvais temps, on risque d’avoir une mer passablement agitée ces prochaines 48 heures.

 

Etrange VHF, à trois reprises dans un intervalle de 3 heures on entend une jeune enfant appeler sa mère dans une langue que l’on n’a pas réussi à identifier. Nos appels en français et en anglais n’ont reçu aucune réponse. Pas d’identification visuelle ou radar d’un bateau. Pourtant le dernier appel était assez proche mais le petit crachin breton  a réduit la visibilité à moins d’un mile.

 

 

 

lundi 30 juin 2014. Cinquième jour, reste 774 m.

 

Le bateau sent l’écurie comme un vieux cheval (pas qu’il pue… quoique), il file entre les vagues sans cogner, tout en souplesse. Juste une vague de temps en temps nettoie le pont. Une plus ambitieuse vient visiter la carré. On éponge en révisant la hiérarchie des éponges selon Bernard. Celles dans le coffre dehors sont pour les produits chimiques (fuel, huile,  égouttures), celle sous l’évier pour les sols sales, sur l’évier, 3 éponges empilées avec celle du dessous pour les sols propres, celle du dessus pour la vaisselle et celle du milieu pour la gazinière. On n’insiste jamais assez sur le plan de carrière d’une éponge.

 

 

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démonstration de l'utilisation de l'éponge "vaisselle"

 

On retrouve les habitudes du tronçon Bahamas – Bermudes, le près bon plein avec la gîte qui va avec et les déplacements dans le bateau à coordonner avec les vagues, l’humidité permanente car il n’est pas vraiment question d’aérer le bateau, les vestes de quart et les pantalons qui restent humides d’un quart sur l’autre. Deux différences : l’eau est à 17°5, donc il fait nettement plus froid et l’autre c’est que l’on avance vers la cible à bonne vitesse enfin, 140m ces dernières 24 heures malgré une pause déjeuner (on avait affalé la GV pour déjeuner plus confortablement et on avait gardé cette configuration pour la vaisselle et le début de la sieste. Sous trinquette seule, on faisait quand même du 4 nœuds).

 

 mardi 1er juillet 2014. Sixième jour. Reste 634 m.

 On trace la route. On est à la hauteur de Dax, à la hauteur de Bordeaux dans 24h, j’ai l’impression qu’il y un bouchon sur la nationale 10.

 L’arrivée est encore loin mais l’équipage a changé de mentalité, on a mangé avec le bateau gité un max à midi pour ne pas ralentir. Ça change d’hier. Peut-être le grand beau temps enfin revenu.

 15h, je finis un lavage au gant plutôt acrobatique dans l’exiguïté de la salle de bain, quelques bleus à la clé. Savonnez-vous les pieds et cherchez votre équilibre. Shampouiner-vous la tête dans un lavabo à peine plus large que celle-ci en recueillant toute l’eau dans ce dernier. Gite de 20° à mouvement pendulaire alterné aléatoire.  Eau froide bien sûr. Mais quel bien-être ensuite.

 

 

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Pierre Henri a lutté contre le spleen et trouvé une solution

 

Pour la nuit, on a mis de la toile en plus, on file un bon 7 nœuds bon plein. La mer s’est calmée et on ne cogne plus.

 

mercredi 2 juillet 2014. Septième jour. Reste 498 m.

 Comme prévu le vent tombe et on se retrouve au moteur à 8h. On tombe la GV qui refuse de tomber. Plusieurs courtes remontées de drisse suivies d’un lâcher et enfin elle descend. Pierre Henri inspecte la têtière : plus de billes dans le chariot du haut de la têtière. Le gros pépin car ça veut dire plus de GV avant un mouillage calme où on pourra inspecter tout cela et tenter de réparer. En effet, le chariot du haut n’est plus solidaire du rail. La dernière fois que cela nous est arrivé (car cela nous est déjà arrivé !) on ne s’en est pas aperçu tout de suite et on a plié la têtière en deux et abîmé le rail. L’expérience servant à reconnaître ses erreurs plus vite, on va s’arrêter avant d’en ré-arriver à ce stade.

 

Il reste plus de 500 miles à faire au moteur ou avec la seule voile d’avant. On a connu cela au Belize mais les circonstances étaient un peu différentes et les distances plus courtes. La date d’arrivée recule de plusieurs jours. Le moral aussi. Le crachin breton nous accompagne de sa folle gaité. Les tournois de dominos vont devenir de plus en plus longs.

 

 

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Bernard à qui on annonce que la bière est proche

 

Pow-pow de l’équipage (ou réunion du soviet suprême si vous préférez). Changement de stratégie. Scillies abandonnées à leur joyeux sort (pour la troisième fois de l’histoire de cet équipage). On va viser une marina avec ponton pour monter au mat sur une mer calme et diagnostiquer l’état du rail de GV et la réparabilité (c’est mieux que la réparabilitude) de l’ensemble. Aber Wrach, le retour, on a des pots de confitures vides pour Maguy. C’est sur la route de Cherbourg de toute façon et ça permettra de refaire un plein de gasoil si nécessaire. Si nos amis Le Gac sont là, on aura un support logistique et, si non, au moins on se refera une santé (il y a de très bons restaurants dont j’ai un souvenir ému) et une beauté (ça, c’est plus discutable).

 

Le point positif colatéral, c’est que le spi est devenu la voile de référence. Sous le crachin, on grée le hale-bas, la balancine, les 2 bras et les 2 écoutes sans s’emmêler avec les 2 écoutes de solent et celles de trinquette, les 2 bastaques et les harnais de nos gilets et en passant du bon côté des filières, du tangon, du va et vient de la chaussette de spi et des haubans, on n'a pas vraiment réussi tout ça du premier coup mais au bout d'un moment, c'est tout bon.  Avec un soleil sous brume revenu, le spi nous hâle enfin à plus de 4 nœuds pour 5 nœuds de vent apparent au 170° du vent réel sur la route directe Aber Wrach. L’équipage n’est pas chaud pour garder le spi cette nuit et moi pour passer une nuit blanche à le surveiller, donc ça sera diesel avec la redistribution des couchettes qui va avec. Les couchettes avant qui étaient fuies durant le bord de près redeviennent très attrayantes pendant le bord diesel.

 

Comme on ne sait pas de quoi demain sera fait (la sagesse vient avec les miles parcourus), on va mettre le moteur à 1400t/mn pour économiser le carburant et être sûr d’en avoir assez pour rejoindre l’Aber Wrach au moteur si pépin sur les voiles d’avant. A 18h, il restait 515 miles jusqu’au ponton de l’Aber Wrach, on a changé le way-point. Il reste plus de 500 litres de gasoil, ça va le faire sans problème surtout avec la météo qui prévoit un vent d’ouest.

 

 

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reste 514,7 miles jusqu'à l'Aber Wrach

 

 Pow pow (suite) pour analyser la cause de cette deuxième défaillance de la têtière en un an. Pierre Henri a sans doute fourni la bonne explication. Suite à des lectures et à des discussions avec d’autres skippers toutes concordantes, nous nous mettions à environ 60/70° du vent apparent voile fasseyante pour prendre nos ris (ou les larguer) au lieu d’être bout au vent selon la procédure en cours quand j’étais jeune. C’était beaucoup plus rapide car on gardait la voile d’avant établie et on n’avait pas besoin de démarrer le moteur. Depuis le départ des Bahamas, on a pris ou largué plus d’une cinquantaine de ris de cette façon, le programme de 5 à 10 ans d’utilisation d’un bateau standard dans un port quelconque français. De plus on a été en permanence bâbord amure, donc plutôt 10 à 20 ans d’utilisation standard d’un côté du chariot et du rail. Avec cette procédure de prise de ris et malgré toutes les précautions, on pense que l’on doit créer plus de contraintes sur les chariots et le rail que dans la procédure classique et ces contraintes sont des contraintes d’arrachement du chariot au rail. Le recouvrement entre le chariot et le guide du rail est très faible, de l’ordre du millimètre, alu sur alu, donc un métal pas très résistant. De plus, on a remarqué que les billes qui assurent le roulement des chariots s’érodent assez facilement au frottement et c’est leur encombrement stérique qui assure la tenue du chariot sur le rail. Une fois disparues ou bien érodées, on peut retirer le chariot du rail sans effort.

 

 

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Pierre Henri reconsidérant la stratégie météo

 

Je vous approuve pour votre critique. c'est un vrai charge d'écriture. Poursuivez

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