la traversée retour vers les Açores - première semaine

la traversée retour vers les Açores - première semaine

Posté par : Joel
04 Juin 2014 à 20h
Dernière mise à jour 20 Novembre 2014 à 08h
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Jeudi 15 mai 2014. Jour 1 de la traversée du retour – Flores à 2430 miles

Hier, il s’est passé un truc bizarre : au dernier Skype (sans caméra) avec Annie (ma tendre et chère épouse), elle me demande si je n’avais pas mal quelque part, au dos (c’est fréquent), à l’épaule ? Je mens un franc et massif non. Mais en réalité, il y a 3 semaines, je descendais dans ma cabine par le hublot sans me rendre compte de l’espace. Mes pieds ne touchaient pas encore le lit que j’avais l’épaule gauche coincée sur le pont avec tout le poids du corps en chute. Déchirure musculaire dans un muscle du dos et distension des ligaments de l’épaule. Ça aurait peut-être pu être pire. Bras en écharpe à la Djamel. Ça commence tout juste à aller mieux mais je ne peux pas me retenir dans le bateau du bras gauche. Juste un peu d’organisation et d’anticipation. Comment a-t-elle pu deviner ? Mystère, je lui avais toujours caché cette blessure pour qu’elle ne s’inquiète pas et la voilà qui s’inquiète quand même.

Comme on avait mêlé la drisse de GV et la balancine de GV et qu’on ne s’en était aperçu qu’en hissant la GV hier, Pierre Henri va inspecter les réas en tête de mât avant le départ. Le réa de GV est intact, ce qui était notre principal souci.

Ensuite tout s’enchaîne : levée de l’ancre à 9h15, franchissement du reef à 10h15, déjà 2 ris et trinquette. On file à 7 nœuds dans 18 nœuds de vent au bon plein mais un peu trop nord, le vent n’a pas encore fini sa bascule au sud. La mer n’est pas très formée, les vagues atteignent rarement 2 mètres, elle est plutôt déformée et un peu vicieuse avec sa houle croisée, ça cogne, ça arrose, ça gîte. Une centaine de poissons volants nous accompagnent quelques minutes, adieu des Bahamas. Un bateau de pêche près du reef, un cargo qui longe l’archipel des Bahamas un peu plus au large : c’en est fini de la présence humaine pour un moment.

Bernard s’impose comme marmiton : poulet braisé, caviar d’aubergine et riz suivi d’une pomme. L’estomac tolère tout cela très bien mais avec la soirée mon teint verdi. Un peu de purée pour moi accompagnée d’œufs et bananes pour les 2 autres. On prend un troisième ris pour une nuit calme. Le vent monte à 22 nœuds et on file encore à 6 nœuds vers l’est. Ça cogne, ça gîte et ça arrose mais on est content de faire route comme ça. On en a pour 48 heures, après ce sera une navigation plus problématique avec peu de vent de direction incertaine.

Navigation et météo :

Voile : 2 ris + trinquette puis 3 ris et trinquette à 21h - vent apparent : 16 à 20 nœuds – cap entre 50 et 80 M bon plein

Le bateau peut remonter à 35 degrés du vent apparent sur mer plate. Sur cette mer agitée en tous sens 50 degrés est un maximum avec la gîte et l’inconfort qui vont avec. Pour ménager le bateau et l’équipage de sexagénaires (et parce qu’on n’est pas des bœufs en régate), on se limite à 60/65 degrés du vent apparent quand on peut. Le bateau va plus vite et en VMG (vitesse de mangeurs de grenouilles) ça ne change pas grand-chose

 

Vendredi 16 mai 2014. Jour 2 de la traversée – Flores à 2301 miles.

On a déjà perdu 2 degrés de température d’eau. Le ciel est en partie couvert. Rien à voir avec la canicule suffocante d’hier. Cette nuit dans le cockpit pendant mon quart, Kway et emmitouflé dans une couverture, je chassais les courants d’air.

Depuis ce matin le vent chute régulièrement. On renvoie de la toile pour maintenir un SOG (Suivi Opportuniste de la Girouette ou plus court : Stop O Glandus) au-dessus de 6 nœuds.

J’abuse encore de Bernard que j’envoie aux fourneaux : côte de porc, pommes de terre en robe des champs, fruits, thé. Ce soir je m’y mets. Ça va être riz/crevettes, je ne sais pas encore si je leur fait à la chinoise ou à l’indienne (Christian, tu as un conseil ?).

Je dors comme un loir, j’ai allongé (c’est le cas de le dire) plus de 15 heures depuis le départ. Ce n’est pas le cas de mes deux coéquipiers qui se contentent des doigts d’une main. Je vais faire attention à les ménager surtout cette nuit.  Heureusement la météo est clémente, ça devrait aller.

Navigation et météo :

Voile : 3 ris + trinquette, 2 ris + trinquette à 10h, 1 ris + trinquette à 12h, 1 ris + solent à 13h, 1 ris + trinquette à 20h – vent apparent : 12 à 20 nœuds – cap entre 60 et 93 M bon plein

Qui veut voyager loin ménage sa monture. C’est plus que vrai en bateau de grande croisière, ça s'applique au bateau et à l’équipage. Dès que le vent dépasse les 15 nœuds (réel ou apparent, le plus fort des deux), on a tendance à être une configuration de voile en dessous de l’optimum, c’est à dire sous-toilé. Pour la nuit, en fonction de la météo et du ciel observé, ça peut être 2 niveaux en dessous. On n’est pas au milieu de l’atlantique (ou de tout autre océan) pour déchirer des voiles ou casser du matériel. La conséquence, c’est qu’en moyenne on est 1 ou 2 nœuds en dessous de la polaire de vitesse du bateau en grande traversée. Pour les vents faibles, c’est aussi en partie vraie car le bateau est surchargé par rapport aux conditions de calcul de la polaire. Si la mer agitée s’en mêle, cela peut être 2 à 3 nœuds en dessous de la polaire dont il faut tenir compte lors du routage.

 

samedi 17 mai 2014. Jour 3 de la traversée. Flores à 2159 miles

Tout est moite et humide. Grains et vents variant de 0 à 18 nœuds sur 360 degrés, mais surtout 5 nœuds. Empannages et virements lof pour lof s’enchaînent, pas tous volontaires. Le bateau craque, cogne, grince, geint de tous les côtés. Seul avantage, on peut rouvrir les hublots entre 2 averses, pas arrivé depuis le départ. Mais entre 1 ou 2 nœuds de VMG, il va nous falloir entre 1000 et 2000 heures pour arriver à Flora, c’est à dire 50 à 100 jours. Une bonne opportunité pour enfin vider les coffres de bouffe.

On a presque réussi à remettre à l’eau notre passager clandestin. Comme un passager clandestin, il se cache, attend que l’on quitte le port, puis la côte de vue et là il se montre et il cause. « Si j’étais toi, j’irais pas aux toilettes, tu vas t’y sentir mal ». «  La voile bat, tu la reborderas plus tard ». « Tu ferais mieux de ne pas manger, ça ne va pas passer ». « Qu’est-ce que tu fous ici, tu es tout vert, pourquoi tu as quitté le port ? » etc…». Une longue litanie de moqueries, de culpabilisation et d’encouragement à la procrastination. Heureusement, il nous laisse un peu tranquille lorsque l’on s’allonge les yeux fermés, il n’est pas imprimé à l’intérieur des paupières. Petit à petit, sa voix perd de sa force, il est presque parti, on ne le sait pas encore, on n’ose pas déjà. Puis on teste les limites,  parfois un peu trop. Et, lui, goguenard, le doigt vengeur qu’il envoie un grand coup dans l’estomac. On sent que c’est son chant du cygne mais ça fait mal quand même. Il agonit et hop un grand coup de pied au cul le voilà à l’eau. Ouf, on va enfin pouvoir commencer vraiment la traversée. Et puis arrive un calme plat, le bateau bouchonne, il a nagé vite réapparait, « tu croyais être quitte ? » Sarcastique, il n’a pas dit son dernier mot notre passager clandestin.

On ne prend pas les fichiers pluies, dommage, le niveau doit être impressionnant pour aujourd’hui. J’ai sorti le pantalon de ciré. Un pli de voile s’est chargé de plus de 50l d’eau qu’il a fallu vider à l’écope. On a profité de cette douche céleste pour sortir le shampoing, ça faisait déjà 5 jours depuis la dernière grande toilette. Le bateau baigne dans l’eau à l’extérieur et à l’intérieur.

Navigation et météo :

Voile : 1 ris + trinquette, 1 ris + solent à 3h, zéro voileà 12h, 1 ris + solent à 13h, zéro voile à 18h– vent apparent : 1 à 15 nœuds – cap 17 à 172 M travers à bon plein

Deux bons jours de vent de secteur sud-est à sud puis une grande molle devant nous. Pas moyen de la contourner au sud, le vent ne le permettait pas. Contournement au nord mais pas trop car il y a un front de nord qui doit tourner nord-est et c’est pas bon. On va viser entre les deux, mais plutôt du nord. C'était le plan mais ça a un peu loupé car on a chopé la grande molle plus tôt que prévu. Comme les météo américaine et française ne coïncident pas, ça n’aide pas.

Ce que c’est que d’écrire en direct : on se prend la molle vers 7h, à 11h on baisse toutes les voiles, barre attachée, on prévoit le bain de l’après-midi. 13h, le vent rentre de nord 10 à 12 nœuds. D’après les fichiers ça paraît gagné. Fausse joie, on retombe dans un blanc total à 17h. Entre temps, on a un peu avancé. On devrait retoucher du vent cette nuit pour faire de l’est.

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Pierre Henri, en quart, procède à l'enregistrement horaire des conditions de navigation

 

dimanche 18 mai 2014. Jour 4 de la traversée. Flores à 2083 miles

Le vent est rentré à 1h, 12 nœuds d’abord, puis ça grimpe jusqu’à 20 nœuds. La mer hachée et courte maltraite le bateau et à nouveau nos estomacs. Le soleil est de retour, ça c’est bon pour le moral. 3 ris, 2 tours de trinquette, c’est sous-toilé mais toujours inconfortable. 3 trains de vagues qui se croisent, témoin des 3 dernières directions du vent, une période très courte de 5 à 6 secondes, des murs abrupts qui se terminent en pyramides, pas plus de 2 mètres de haut mais ça suffit pour chahuter le bateau. Hier on avait dessalé le bateau grâce aux pluies abondantes, aujourd’hui les embruns le shampouinent à nouveau, tout est à refaire.

Ce midi, poulet/pommes de terre, seul Bernard en a profité. Je me nourris aux verres d’eau qui ont du mal à passer. Pierre Henri fait baisser la réserve de petits gâteaux. Le soir, spaghettis, jambon cru, ça passe mieux. Surtout le jambon espagnol.

Un tour de l’atlantique comme on l’a fait, c’est du tribord amure presque tout le temps et c’est bien pour la cuisine. Depuis 2 jours, on est au près babord amure. Tous les calages sont à reprendre mais aussi les précautions en ouvrant les placards de la cuisine. Bernard qui voulait présélectionner les spaghettis (c’est encore lui de cuisine) en les mettant dans un tupperware avant de les mettre dans l’eau bouillante (!) s’est pris toute l’armoire mal calée sur les pieds, tupperwares et couvercles dans tous les sens. Me trouvant un peu trop souriant à ce moment-là, Bernard me soupçonne de simuler le mal de mer pour déléguer la cuisine. Demain je prends des médics et je m’y remets.

Navigation et météo :

Voile : zéro voile, 2 ris + trinquette à 2h, 3 ris + trinquette à6h, 3 ris + trinquette 2 tours à 11h, 2 ris + trinquette à 15h, 3 ris + trinquette 2 tours à 18h, 3 ris +trinquette 5 tours à 19h, 3 ris + trinquette entière à 21h– vent apparent : 5 à 23 nœuds – cap 70 à 93 M bon plein

Pour l’instant, tout se déroule selon les prévisions. 12 heures de molle pour changer de système, ça va bien. On aurait pu mettre le moteur pour diviser cette durée par 2 mais comme on est au début de la croisière, on préfère économiser le carburant. On pourrait en avoir besoin si on rencontre le fameux anticyclone des Açores stable sur notre route. Encore 3 jours de nord avec la gîte et l’inconfort qui vont avec et puis enfin du portant qui je l’espère nous poussera jusqu’aux Açores. En attendant, le bateau avance assez lentement malgré le vent, sous-toilé et victime de la mer un peu anarchique.

 

Lundi 19 mai 2014. Jour 5 de la traversée. Flores à 1978 miles (6 h GMT)

On est passé en dessous des 2000 miles. Chaque distance est une date qui nous rappelle des événements de plus en plus lointains.

La mer s’est calmée avec le vent. Grande houle de période de 12 secondes. On commence à prendre le rythme. Pour la première fois on se retrouve tous les 3 ensemble à 18h pour une bière-dominos, premier alcool de la traversée aussi.

Je me suis remis à la cuisine. Salade de tomate/céleri puis saucisse/pommes de terre sautées, fruits frais et thé. Ce soir, ce sera crevettes et riz cantonais suivi d’une salade de romaine et de fruits. Je sens que je vais même préparer un riz au lait pour Pierre Henri et Bernard.

Navigation et météo :

Voile : 3 ris + trinquette, 2 ris + trinquette à 2h, 1 ris + solent à 7h, 0 ris + solent à 16h– vent apparent ; 9 à 20 nœuds  – cap 74 à 111 M, virement à 14h30, cap 342 à 10 M bon plein

La configuration évolue de façon peu favorable. Le vent de sud ne devrait pas nous toucher avant vendredi au lieu de mercredi. 2 jours de près de plus. En plus 24h de est-nord-est prévus pour demain qui vont sans doute nous obliger à remonter plein nord sans nous rapprocher de notre cible. Nous avons donc viré ce début d’après-midi et maintenant nous nous éloignons de notre cible. Dur, dur. On aurait pu faire plus de nord les 2 premiers jours mais c’était aller vers des vents de nord forts. On a préféré faire de l’est et le front de nord a été bien assez fort pour nous sans en rajouter quelques nœuds. L’objectif est d’atteindre le 38ème nord pour des courants favorables. C’est à dire 500 miles au nord.

 

Mardi 20 mai 2014. Jour 6 de la traversée. Flores à 1935 miles

Un cargo passe à moins d’un mile. Je lui souhaite good morning à la VHF. Pas de réponse. J’aurais peut-être dû essayer en malais. Je range ma cabine, j’ai enfin l’impression d’être amariné.

Demain c’est l’anniversaire de Myriam. Comme on envoie notre mail journalier un peu tard pour l’heure française, Bernard va faire un SMS ce soir (notre heure) et un mail demain avec la météo. Myriam, tu as le choix d’éteindre ton téléphone ou de te faire réveiller en milieu de nuit par le message de ton petit mari chéri. Enfin si ça marche, car avec l’Iridium, c’est parfois un peu capricieux. Pour être sûr, moi, je te le souhaite dès maintenant. J’espère que tu as prévu une belle teuf avec les copines. Nous on a décidé de prendre l’apéro pour fêter ça.

Le froid s’installe. La température de l’eau est passée de 27,7 degrés à Marsh Harbour à 23,4 degrés aujourd’hui. Le vent du nord est vraiment glacial. On va ressortir les pantalons pour le quart de nuit, les polaires c’est déjà fait.

Navigation et météo :

Voile : GV + solent, 2 ris + trinquette à 13h, 1 ris + solent 14h, 2 ris + solent à 19h – vent apparent : 8 à 18 nœuds  – cap 340 à 27 M, virement à 15h15, cap 72 à 93 M bon plein.

Du vent est-nord-est ne nous laisse pas de choix pour notre cap. Nous nous repositionnons toujours plus nord mais en faisant un peu d’ouest, en s’éloignant même parfois de notre cible. Surprise en milieu de journée, le vent passe nord plus tôt que prévu, ce qui nous permet de remonter cap au 60, beaucoup plus satisfaisant pour le moral. La bonne bascule de sud-ouest doit avoir lieu jeudi avec 4 jours de vent fort mais portant. Après Annie nous annonce une bulle anticyclonique. Il faudra voir si on peut la contourner par le nord ou si on devra attendre qu’elle se déplace.

 

Mercredi 21 mai 2014. Jour 7 de la traversée. Bon anniversaire Myriam. Flores à 1849 miles.

Le SMS pour l’anniversaire de Myriam est bien parti à minuit zéro cinq, heure de France.

Bernard y est allé de son bonnet pour son quart de nuit. Malgré le beau ciel étoilé, nous avons passé nos quarts de nuit emmitouflés à l’intérieur du bateau. Ce matin à peine 22 degrés dans la carré, je ne me croyais pas si près du Groenland. Bon vent, beau ciel mais 7ème jour de gite. 4 petits poissons volants se sont suicidés sur le pont, déjà tous secs, ils retournent à l’eau.

On met un peu de moteur pour gonfler les batteries (à l’arrivée, je ferai un bilan de l’éolienne et j’essaierai de comparer à ce qu’aurait pu donner un hydrogénérateur) mais aussi pour produire de l’eau chaude. Douche générale. Ça caille en plein vent mais le jet chaud procure un vrai plaisir.

On pensait faire un repas de confit de canard pour fêter l’anniversaire de Myriam mais le poulet commence à faisander. Je vais le faire à l’indienne avec bien du curry et du piment. Le confit, ce sera pour dimanche. Apéro pour tout le monde cependant.

Navigation et météo :

Voile : 2 ris + solent, 1 ris + solent à 1h, GV 1 ris seule à 23h– vent apparent : 9 à 15 nœuds – cap apparent 48 à 103, bon plein, empannage à 23h, cap 102, grand largue.

Le dilemme actuel est le suivant : au sud du 37ème parallèle les courants marins nous sont contraires dans une route directe vers les Açores. Vers le 40ème, ils nous sont très favorable (Flores est à 39°37’). Pour les 4 jours prochains, la météo nous annonce un vent très fort au nord du … 32 ou du 33ème selon les fichiers. Nous sommes actuellement au 32ème parallèle. Après un début plein est, nous avons opté pour nord-est. En effet dès le coup de vent de sud-ouest arrivé, nous allons le prendre tribord amure et faire au mieux de l’est. Si on trouve le vent trop fort, on mettra un peu de sud dans notre est pour aller vers des vents plus faibles. Le vent est rentré bien fort vers 23h. Ca y est, c’est parti pour 4 jours au portant avec vent fort. Mais au moins on fait de la route.

 

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ça creuse dans le sillage de Tri Martolod

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