775 miles, cap 218 (Joël)

775 miles, cap 218 (Joël)

Posté par : Joel
22 Octobre 2012 à 23h
Dernière mise à jour 20 Novembre 2014 à 08h
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775 miles, cap 218 magnétique, c’est l'indication du GPS traceur quand je place mon waypoint à quelques miles à l’ouest de Sal, notre point d’entrée dans l’archipel des îles du Cap Vert.

15h, le samedi 13 octobre, nous quittons notre mouillage après un déjeuner à base de curry, noix de coco, poulet et riz devant Pasito Blanco.

La météo nous annonce du 10 à 20 nœuds NNE à NE pendant la semaine à venir. Pile poil vent arrière ce qui n’est pas tout à fait génial. Pour gagner en vitesse et en stabilité, nous avons choisi de naviguer à pas moins de 25 à 30 degrés du vent arrière. Cela rallonge une hypothétique route directe de 15% mais fait gagner plus de 20% en vitesse et plus encore en confort. Pour quitter les Canaries, il faut d’abord se sortir des dévents des îles principales. Pour nous, c’est une heure de moteur vers l’est avant de prendre la survente à 20/25 nœuds au large de Gran Canaria avec la mer qui va avec, en un petit peu plus croisée.  Sous solent seul, c’est grand confort à plus de 8 nœuds en surf sur les vagues. Pour mieux dormir, on passe sous trinquette pour la nuit. Le pilote ne marche pas bien en mode vent avec cette force de vent et cette mer hachée mais très correctement en auto. Il ne nous reste qu’à accompagner les sautes de vent. Ça permet d’occuper les quarts.

L’amarinage ? Juste dire que j’ai pris un seau dans ma cabine en allant me coucher… je n’avais même pas fait ça dans le golfe de Gascogne. Les saucisses et pommes de terre sautées du samedi soir ont eu beaucoup de mal à passer par le chemin classique, mais à force d’obstination, ça l’a fait. Pierre Henri a été mieux que moi et Bernard, impérial comme d’habitude.

La nuit, un bateau au loin, une voie lactée magnifique, Orion majestueux, Cassiopée immense, la polaire cachée dans les lueurs de Gran Canaria qui nous poursuivaient à plus de 100 miles. Mais ce qui frappe le plus dans ces allures de portant sur mer pas mal agitée, ce sont les mugissements, grincements, entrechoquements sourds du bateau. Comme si le bateau vous parlait dans une langue inconnue, que vous auriez tout intérêt à comprendre. L’autre enseignement : par 24 nœuds de vent, tropique ou pas tropique, ça caille un peu la nuit : on a ressorti, pantalon, polaire et coupe vent.

Dimanche. Bien dormi, estomac encore un peu lourd. On envoie la voile, le vent est tombé à 18/20 nœuds. Petit déjeuner léger, déjeuner plus consistant et long travail à la table à carte pour demander la météo, envoyer le mail journalier aux épouses et reprendre le blog. Ça va mieux jusqu’à bêtement se remettre dans le rouge : pompage des fonds à l’éponge et recherche de fuites pour accuser à nouveau la soupape du chauffe-eau qui fuit (mais c'était pas lui comme on l'a vu plus tard), mise en marche du désalinisateur à quatre pattes dans les fonds (10 litres impec en 30 minutes, pratiquement à la capacité design) et préparation du diner, l'estomac proteste, vite de l’air.

Nouille œufs au plat, diner tout simple. On prend un ris pour la nuit. Il reste 630 miles sur la route directe. Actuellement on fait de l’ouest pour s’éloigner des cotes sahariennes, prochain empannage demain matin. La nuit tombe, noire, un chouia hostile.

Pensée Vandammienne : pourquoi y a-t-il de la rosée en mer alors qu’il n’y a pas de plantes à arroser. C’est juste pour faire glisser le marin mal réveillé sur le pont.

Lundi, 1h du matin, je suis réveillé par un empannage. Je reste allongé dans ma couchette, heureux, l’équipage prend confiance, les manœuvres sont de plus en plus huilées et rapides, chacun s’aidant d’un coup d’œil pour corriger les rares oublis.

Mer belle avec une houle assez régulière malgré les 18 à 20 nœuds de vent, rien à voir avec la houle croisée et rapide du sud des Canaries. Le pilote en mode auto est très stable. Le vent est plus chaud et la nuit, la polaire suffit. On croise nos 1 ou 2 cargos par jour, quelques oiseaux, mais à part  2 ou 3 poissons volants du plus beau bleu turquoise un peu fluo au départ de Las Palmas, depuis plus rien dans l’eau.

On a besoin de 2 ou 3 heures de moteur par jour pour équilibrer la conso électrique : l’éolienne donne peu en vent arrière et la houle lui fait faire des 360 degrés. Quant aux panneaux solaires, hier journée sans presque de soleil, aujourd’hui, c’est mieux.

Comment se passe une journée en mer : d’abord, c’est 10 à 12 heures dans sa cabine à se reposer et à dormir. Ensuite c’est 7 ou 10 heures de quart de surveillance en rotation par tronçons de 3h ou 3h30 (pour faire 6 quarts de 3h30 et un de 3h par jour, celui de 3h commençant à 12h30, ceux de 3h30 s’enchainant ensuite). Ajoutez 1 à 2 heures pour cuisine-repas-vaisselle (qui se passe en temps masqué pour celui en quart). Il reste peu de temps pour analyser et tenter de réparer les petites anomalies détectées à droite ou à gauche, rêver, lire, bavarder et ne rien faire.

 

Mardi 16 octobre, nous voilà à mi-chemin, ce qui nous fait un ETA vendredi si les conditions se maintiennent (et c’est ce que dit la météo). Nous avons passé le tropique cette nuit en visant le creux entre 2 pointillés pour éviter de buter contre.

La mer est plus agitée aujourd’hui, mais l’amarinage est là, juste les déplacements qui sont un peu plus acrobatiques.

Une tortue dédaigneuse à 3 mètres du bateau, c’est le premier gros animal marin croisé. Parce que coté petits, cette nuit, ce fut le feu d’artifice, des grosses boules de plancton éclatant comme des flashes et rebondissant dans le sillage. Etoiles filantes, avions (mais vers où va-t-il celui-là ?). Et un cargo en route de collision. Pierre Henri me réveille, le temps de m’habiller et de sortir, le cargo modifie sa route et nous passe 1 mile derrière.

Les empannages se succèdent pour accompagner les sautes de vent entre 20 et 80 degrés, c’est à dire d’un bon NNE à un presque est. On ne souhaite pas non plus se rapprocher trop de la côte, 100 miles nous paraît être une bonne sécurité, mais pas trop s’en éloigner non plus, car il y a des calmes au large.

Pour éviter à l’éolienne de faire ses 360 degrés, on l’a attachée à peu près dans l’axe du vent. On espère que son rendement sera meilleur mais les premiers chiffres ne sont pas concluants.

A midi, salade de riz, chorizo, saucisson basque au piment d’espelette, tomates, pousses de soja, poivron et fromage espagnol pour un plat complet. Fruit et tisane avec carré de chocolat pour ceux qui y ont droit.

18h, Pierre Henri lance le cri magique. En fait il y a 2 cris magiques à bord pour cette étape : terre et dauphin (ou tout autre animal). A 150 miles au large de Nouadhibou, c’est un ballet d’innombrables dauphins qui nous joue tout le répertoire. Etait-ce le ballet de l’opéra de Paris avec ses 50 danseurs jouant chacun un rôle ou une compagnie provinciale d’une dizaine d’artistes, chacun jouant plusieurs rôles ? Vingt minutes de spectacle à déguster sur la plage avant du bateau.

Pierre Henri nous fait lire sa contribution au blog. Je prends quelques photos de sa barbe pour illustrer. C’est dommage que ses contributions philosophico-humoristiques soient si rares. Surtout que beaucoup de ces pensées nous sont communes.

Omelette fourrée aux dès de pdt sautées, oignons rissolés et miettes de jambon cru espagnol avec un petit gazpacho en entrée. Et des fruits pour conclure tous ces repas.

Mercredi 17 octobre. Un cargo croisé cette nuit par Bernard n’a pas répondu à la VHF. Ce matin, vent descendu à 12 nœuds, mer plate (enfin tout est relatif), en guise de petit déjeuner, Pierre Henri et moi envoyons le geenacker. Moment émouvant, c’était la première fois en mer depuis « l’incident » du 10 juin. Je m’aperçois que l’antifouling y a laissé sa marque, plus les quelques patches bien fait, c’est une voile qui fait plus que son âge. Pierre Henri trouve un poisson volant le long du rail de fargue.

Sur le GPS traceur, le jeu est de faire apparaître le bateau et le Cap Vert. Ce matin avec l’échelle 50 miles, le bateau est tout en haut sur la droite, le Cap Vert tout en bas sur la gauche : on se rapproche. Il reste un petit golfe de Gascogne (en distance). La traversée, c’est aussi plein de petits jeux de calcul comme ceux-là : ce qui reste ou ce que l’on a fait en pourcentage, la distance journalière et, actuellement, la conso électrique journalière. On fait une heure de moteur le matin et une en soirée, la nuit on économise le courant (radar éteint, retro-éclairage au mini), et ça passe.

11h, grandes manœuvres, on prépare le spi et la douche à l’arrière. Vers 13h, douches prises (eau de mer au seau et rinçage final à la douche d'eau douce de la jupe arrière) et spi établi, nous fêtons ça aux tapas, bière et vin blanc de Galice. A 16h30, le vent forcissant, nous rentrons le spi sans problème, la chaussette est vraiment très efficace.

La nuit va revenir, la cinquième, toujours un peu hostile et complice à la fois. Sans lune, les étoiles tiennent la vedette. Tout l’univers dans les yeux.

Pour les quarts, 2 stratégies : celle des côtes européennes où l’éveil était de rigueur avec de nombreux bateaux, des casiers de pêcheurs même loin en mer, une visibilité pas toujours bonne et du vent variable. Les côtes africaines, c’est différent, il ne s’y passe vraiment pas grand chose, un bateau par jour peut-être. Alors, après m’être rassasié d’étoiles filantes ou non, de plancton et de réglage de cap ou de voiles, je prend le minuteur de cuisine que je règle sur 15 minutes et je m’étend dans la carré ou le cockpit pour un court sommeil ou une longue rêverie. A la sonnerie (en fait souvent un peu avant), je fais un tour de veille (par bonne visibilité, il faut compter 30 à 45 minutes entre le moment où l’on aperçoit un cargo qui vient de face et le moment d’une hypothétique collision, beaucoup plus longtemps s’il vient de travers ou d’arrière). En cas de doute, j’allume brièvement le radar. Je corrige le cap si le vent a changé (en général, si c’est le cas, le bateau envoie des signaux qui me réveillent avant). Je remplis le cahier de quart si c’est l’heure. Et je re-règle le minuteur pour 15 minutes de repos supplémentaire. A ce rythme, 3h30 de quart, ce n’est plus très fatigant, hier j’ai pris 4 heures.

Ce début de nuit, j’ai cap sur la lune, premier croissant, 14%, c’est peu dire qu’elle fait de « l’ombre » aux étoiles et au plancton. Tout change, l’horizon apparaît, le détail des vagues, la position des nuages. La nuit est nue, moins hostile, moins mystérieuse, presqu’apprivoisée.

Jeudi 18 octobre : cette nuit, je me suis encore trompé sur l’heure de mon réveil et j’ai pris un quart de nuit de 4 heures à nouveau. C’est Pierre Henri qui est content de mes petites erreurs.

L’eau est à 28,2  degrés, à Las Palmas, c’était 24,5. On est vraiment sud. La nuit il fait très chaud dans les cabines près du moteur qui marche en fin de journée pour charger les batteries pour la nuit.

Ce matin, le vent joue avec nos petits muscles bronzés : on empanne, le vent adonne immédiatement de 20 degrés, on attend 10 minutes, on ré-empanne, il revire immédiatement de 20 degrés dans l’autre sens. Là, on va attendre une heure. En attendant, la VMG n’est pas bonne. Arrivée samedi.

2 poissons volants le long du rail de fargue.

Après une salade de crudités, délicieuse langue de bœuf sauce madère avec pdt, puis fruits.

En pleine forme par 15 nœuds, on envoie le spi. Quelques soucis d’établissement, puis un ETA à vendredi. Mais le vent forcit et atteint la limite que l’on s’était fixée. Spi ramené sans soucis. La prochaine fois, on remontera la limite (j’entends d’ici Annie qui hurle). Le vent tourne et varie en vitesse. ETA vraisemblable samedi car on ne voudrait éviter une arrivée de nuit et le vent doit mollir dès cette nuit.

Vendredi 19 octobre, 13h15 (heure du bateau*), « terre », c’est encore les yeux bleus de Pierre Henri qui ont frappé. Vent assez favorable cette nuit, ETA en début de nuit, Imray encourageant : accès assez facile de nuit par temps maniable. Une grande houle de plus de 3 mètres mais avec une longueur d’onde de plusieurs centaines de mètres. Des poissons volants de toutes tailles, quelques oiseaux et les 2 collines de Sal sur babord.

Pastis et tapas variées à midi, empannages même plus peur, on en est à plusieurs par jour, quand on aime, on ne compte pas. Spi préparé mais trop de vent et VMG bonne sous solent, donc le mieux étant l’ennemi du bien, on a préféré le pastis.

Depuis mercredi, on a pris le rythme de navigation en quart : moins de repos, plus de vie commune, bavardages et rigolades, activités diverses. Aujourd’hui, c’est l’excitation d’arriver mais en même temps ça pourrait durer plus longtemps. La lassitude, ce sont les premiers jours : s’arracher à la pesanteur terrienne, habituer le corps à compenser son assiette en permanence sans même y penser, éloigner peurs et angoisses, prendre confiance en soi et dans les autres, s’ouvrir au bonheur d’être là, des instants d’éternité et des lieux d’infini pour soi tout seul, égoïstement, se droguer à l’endomorphine, à la fois maître du monde et infime molécule.

* Heure du bateau : une astuce pour vieux psycho-rigides comme nous et qui marche assez bien : sous les tropiques, l’heure officielle des pays visités est à peu de chose près celle du soleil (lever 6h, coucher 18h) alors qu’en Europe on a l’habitude l’été (ici, ça ressemble à l’été en mieux, il faut dire) d’avoir 2 heures de décalage sur le soleil. L’heure du bateau garde ces 2 heures de décalage. Par exemple, si on veut partir au lever du soleil, on dit départ 8h, c’est beaucoup moins agressif que départ 6h. Et quand on est à terre, on mange à l’heure espagnole par rapport à l’heure du bord, ce qui fait encore plus été. Astuce peu onéreuse qui respecte bien nos biorythmes.

22h10, après avoir évité une grosse tonne pas éclairée mais mentionnée dans l'Imray, au deuxième essai,  la pioche se plante et tient à Palmeira de Sal. Des français sur le bateau d’à coté, une vingtaine de bateaux au mouillage. Reprise de la partie de tarot interrompue depuis 8 jours.

Samedi 20 octobre : lever 9h (heure du bord), pas dépaysés, paysage de bac à essence à 100 mètres devant le bateau. Téléphone aux épouses à 2,49€ la minute, quand on aime, on ne compte pas. Etape terminée.

 

Profitez-bien du Cap Vert !! Quelle belle traversée... ça donne envie !! Et en plus, vous êtes arrivés avec la dérive avec toutes ses vis ?!

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