vers Gomera par Joël

vers Gomera par Joël

Posté par : Joel
16 Juin 2012 à 12h
Dernière mise à jour 20 Novembre 2014 à 08h
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Vers Gomera

10 juin, le soir, mouillage devant Los Cristianos, Tenerife.

Après Graciosa, pas vraiment envie d’écrire.
Traversée de nuit vers Las Palmas de Gran Canarias. Vaseux sur la digestion après prise de ris, changement de voile avant pour ralentir le bateau la nuit (on serait arrivé trop tôt) et remontage de dérive : trop d’efforts d’où digestion arrêtée. Après 2 mois de mer, encore faire attention à ne pas se mettre mal.
Vendredi, Las Palmas, accueil presque obséquieux, ponton TDM plus chicos qu’à Graciosa. Immeubles peu élégants, circulation, mais malgré tout pas un rejet total. Les dernières vieilles maisons sont consciencieusement sabotées pour pouvoir être remplacées par des immeubles plus fonctionnels et denses, sans doute une ville candidate au patrimoine de l’humanité en 2100, il suffit d’attendre, des gens finiront bien par s‘émerveiller.
Départ pour la pointe nord ouest de Gran Canaria, charmant mouillage à la Sardina sur du sable noir.
Grande hésitation entre Sta Cruz à 35 milles ou Los Cristianos à 55 milles. Il faut déposer samedi Jean Paul qui prend l’avion pour Paris et récupérer Myriam dimanche qui fait le voyage inverse.
La météo pas bonne sur le détroit entre Tenerife et Gran Canaria à partir de lundi, une bonne partie de tarot accompagnée de l’ouverture d’une bouteille d’Armagnac qui vieillissait dans la cale depuis le départ, le mouillage qui devient soudainement rouleur vers 23h nous décident à lever l’ancre vers minuit et à mettre le cap vers Los Cristianos. Traversée rapide avec 20 à 25 nœuds de vent réel au 120. Obligé de ralentir le bateau pour arriver de jour et permettre un minimum de sommeil. On avait en début de nuit un SOG largement supérieur à 8 nœuds mais les chambres étaient un ‘peu’ transformées en shakers.
A Los Cristianos, il ne faut pas prendre le mouillage indiqué par l’Imray dans l’avant port mais aller devant la plage qui est juste après le port en allant vers le nord avec une bonne tenue sur fonds de sable et d’algue. Attention la plage (artificielle) est protégée par 2 enrochements. Celui du sud est prolongé sur une centaine de mètres par des roches immergées (attention à l’ancre). J’ai visité car on a mouillé à 105 mètres et comme je vérifie en PMT la tenue de l’ancre, j’ai vu qu’on avait super bien visé. Je ne sais rien sur celui du nord, ce n’est pas là qu’on avait mouillé.
Le port paraît difficilement accessible pour débarquer, par contre la plage est facilement atteignable en annexe.
L’intérêt du lieu : les bus ou taxis pour les aéroports. Sinon, site touristique espagnol classique, plutôt de gamme moyen à moyen +. Une imitation du Strand de Las Vegas par l’hôtel Cléopâtre plutôt délirant. Eau très claire, quelques déchets. Jet ski et autres troubles paix. Pédalos qui stationnent à quelques mètres du bateau : la zone d’intimité paraît plus réduite en Espagne qu’en France. Le soir, tout est vide à 80% : crise et/ou hors saison ?
Autres port sur la côte ouest de Tenerife :
- quand j’ai demandé par téléphone s’il y avait de la place à Porto Colon, rire de la dame et réponse : non. L’Imray est toujours d’actualité sur ce point.
- Los Gigantes a changé de numéro de téléphone par rapport à l’Imray et à leur site Internet. Sur le répondeur, je n’ai pas réussi à comprendre leur nouveau numéro. Par manque de vent, nous n’avons pas pu y aller et être les premiers à poster un commentaire sur STW. Le fait qu’il n’y ait pas de commentaires sur STW au sujet de cette marina me laisse à penser qu’il n’y a pas de place non plus pour les visiteurs malgré ce qui est dit dans l’Imray.

Coté petits pépins :
- trouvé matereau éolienne dévissé, réparation facile sauf cache boulon à l’eau.
- 2 rivets de l’échelle de bain ont sauté, on a failli perdre les 2 dernières marches (sur 4). J’ai raccommodé avec un bout en attendant de rencontrer quelqu’un qui a une machine à riveter.
- la goupille qui maintient le moteur d’annexe à la verticale est passée à l’eau par 10 mètres de fond. Remplacée par la tige d’un tournevis avant de trouver une pièce de rechange.

Changement d’équipier : Jean Paul descend le samedi, Myriam monte le dimanche.
Lundi départ sur la Gomera vers 9h. Météo plutôt cool : 5 à 10 nœuds le matin montant 15 à 20 le soir (passagewheather), en ligne avec les prévisions des jours précédents, mardi et mercredi coup de vent.
GV + geenacker pour une vitesse de 1 nœud dans un vent de 3. On emmagasine le geenacker et continuons tranquillement au moteur en laissant la GV haute et en prenant des quarts d’une heure.
Midi, vent de 1,5 nœuds, soleil ami mais bimini, je remplace Bernard qui me fait remarquer des moutons au loin. On est à 8 milles de la Gomera. Bernard reste avec moi pour observer le phénomène. Une demi-heure plus tard, la mer paraît grise et blanche et ça se rapproche. Ça va bastonner.
4 nœuds de vent, on prend un ris.
5 nœuds de vent, mais ça semble se rapprocher. On prend un deuxième ris. On rentre le bimini, on ferme les hublots, on met les harnais, on appelle Pierre Henri, Myriam est dans la bannette de la carré coincée par la toile antiroulis avec un récipient à portée de main.
Waouh, ça arrive. En quelques mètres, le vent passe à plus de 30 nœuds.
MEEEEERDE, on a oublié le geenacker, caché derrière l’enrouleur de solent et de trinquette, qui se déroule partiellement.
Le vent continue à monter, le bateau gîte et le geenacker claque bruyamment au vent, tout est bruyant à bord.
Il me paraît clair qu’on n’arrivera pas à le rentrer. La dernière fois par 20 nœuds, nous nous étions battus longuement à 2 pour y parvenir, par 40 nœuds de vent apparent et avec un seul équipier à l’avant, cela me parait mission impossible.
Après avoir envisagé plusieurs solutions qui ne me paraissaient pas géniales, j’essaie vent arrière pour diminuer le vent apparent, mais avec une houle de 2 mètres et une longueur d’onde de 4 à 5 secondes, ça sentait trop l’empannage involontaire et je ne voyais pas comment on rentrerai le geenacker comme ça.
L’autre option, c’est de se mettre bout au vent grâce au moteur. Le geenacker tomberait sur le bateau. J’élimine cette option pour plusieurs raisons :
- je serais scotché à la barre et même avec le moteur je ne tiendrais pas très bien bout au vent à cause de la houle comme la fin de la traversée le prouvera. Je ne peux pas aider à la manœuvre d’affalement.
- bout au vent, la plage avant disparaît régulièrement sous l’eau. Comment affaler une voile dans ces conditions sans qu’elle se retrouve immédiatement à l’eau avec ou sans l’équipier.
- il faudrait sans doute affaler la GV avant de s’occuper du geenacker qui pendant ce temps là battrait contre le solent et continuerait à se dérouler.
- au moment d’affaler le geenacker, un seul équipier à l’avant, l’autre à la drisse, moi à la barre, la voile viendrait battre contre le mat, le radar, le tangon, les barres de flèche, autant d’occasions de se déchirer ou de casser quelque chose.

Finalement je décide de mettre le geenacker à l’eau. Ça sera plus facile à remonter depuis l’eau qu’à l’étouffer en l’air sur une plage avant à moitié sous-marine.
Je mets le bateau à la cape, ce qui permet d’engager le pilote (en lui donnant un cap de 30 à 40 degrés de plus au vent que ce qui est possible) et de me libérer de la barre.
On choque la drisse … et le geenacker disparaît dans l’eau. Après un moment de flottement, silence tout relatif, bateau beaucoup moins gîté, on découvre la drisse de geenacker passée vers l’arrière qui vient flirter dangereusement avec l’antenne du Navtex le long du portique. Il faut agir vite avant d’avoir à se passer du Navtex.
La tension est trop forte, pas moyen d’ouvrir le mousqueton de la drisse de geenacker (celui qui s’était ouvert si facilement aux Selvagem – voir épisodes précédents). L’écoute de solent traine dans le coin, on l’utilise pour assurer le point de drisse du geenacker et relâcher la tension sur la drisse dont on arrive après quelques efforts à ouvrir le mousqueton. La drisse semble bloquée en tête de mat et on ne peut la remettre à poste. Momentanément on la fixe sur le balcon arrière.
L’écoute de solent reprise au taquet tire sur le balcon arrière avec violence. Dans la hâte, j’avais mal analysé son cheminement. A deux, on arrive à le changer pour avoir la tête de geenacker libre sur tribord. On relâche l’écoute qui avait fait un tour mort autour de mon genou. En sacrifiant 2 ongles de ma main droite je sauve mon genou mais sabote totalement le bronzage de ma jambe gauche (biafine, éosine et désinfectant à venir). Mais la situation est claire, le geenacker est en ancre flottante sur tribord. Il est passé sous le bateau sans s’accrocher. On arrive à défaire le mousqueton de toupie de l’emmagasineur de geenacker sur la delphinière et avec des efforts raisonnables on rentre le geenacker un peu humide (!) mais intact dans le cockpit puis en vrac dans la carré.
On récupère sans problème les écoutes du geenacker qui sont à l’eau sous le bateau, on nettoie tout et quand on est sûr de nous, on repart, voile 2 ris appuyée par le moteur pour récupérer d’efforts qui ont duré une bonne heure.
Bernard s‘est blessé au genou en tombant. Le plus grave : Pierre Henri a perdu la casquette que lui avait offerte sa fille (« objets inanimés, avez-vous donc une âme… »). On est tous les 3 près du rouge, mais on rédupère. Le vent n’a pas faiblit, rafale au dessus de 40 nœuds en vent apparent mais on fait route vers Gomera qui est à 4 milles.
Soudainement une détonation à l’arrière et le portique se met à danser dans tous les sens. La drisse de geenacker, toujours à son balcon arrière, vient, dans un coup de gîte appuyé, d’exploser une pale de l’éolienne qui n’aime pas du tout l’asymétrie. La vibration est intense, transmise à tout le bateau, l’angoisse de l’éolienne ou du portique qui passe à l’eau ou qui casse tout.
Flash back : tuyau reçu à Graciosa par le skipper du bateau Mindelo : par 70 nœuds de vent, le frein d’éolienne ne sert à rien, il faut balancer un bout dans les pales et ça s’arrête de suite. Il nous montre une cicatrice sur le front qui semble prouver qu’il a essayé auparavant d’autres choses moins efficaces.
L’écoute babord de solent traine par là. Premier essai trop court, deuxième essai dans le mille. L’éolienne s’arrête immédiatement sans dégâts apparents. Merci Mindelo.
Une heure plus tard, on arrive dans l’avant port de San Sébastian de Gomera. Toujours 40 nœuds de vent dévalant de la vallée. On fait 6 tours dans l’avant port, hésitant. Rentrer par 40 nœuds dans un port exigu (d’après la photo de l’Imray), sans savoir où il y avait de la place, j’envisage un mouillage, n’importe quoi, rester en mer, mais pas ce jeu de massacre entre pontons qui me semble programmé. J’ai déjà mouillé par 45 nœuds sur 2 ancres à Rondinara (Corse) alors pourquoi pas à Gomera ? Equipiers pas chauds du tout (mais vraiment pas).
Je note qu’entre 2 rafales, le vent semble tomber à 20 nœuds vers l’entrée de la marina, ça peut être jouable. On prépare toutes les aussières sur babord et tribord, pare-battages des 2 cotés . On attend une accalmie et on rentre à beaucoup plus que les 2 nœuds recommandés, une place là sur tribord en bout de ponton, vent de face-travers, presqu’inespéré ! Vite, amarrage « hyménée » réussi (voir épisode 2011), puis amarrage aussière arrière réussi. Un moment d’inattention, rafale violente et l’avant prend le vent, se met en travers du chenal. Moteur en marche avant, barre à droite toute, propulseur vers tribord, en tendant les 2 aussières à quai qui hurlent plus une légère accalmie du vent, le bateau se redresse, lancer en 2 temps de l’aussière avant.
Bienvenue à Gomera. 3h30 pour faire 8 milles. L’employé du port qui nous a aidé pour l’amarrage nous dit qu’on peut rester là pour notre séjour. Merci.
On range le bateau. Je prépare le déjeuner (salade de crudités, escalopes de veau, spaghetti au fromage). On passe à table. Il est 16h30.

Les dégats :
La gaine de drisse de geenacker a été entamée sur 1 cm. Réparation facile avec du cordon auto-serrant.
La poulie de tête de mat de la drisse de geenacker a une lèvre dentelée. Par prudence, on change le cheminement de la drisse sur la deuxième poulie qui était positionnée en secours.
Victime collatérale : la pale d’éolienne
Inspection dessous le bateau : RAS

Les enseignements :
- rentrer immédiatement le geenacker si le vent menace de forcir. Si on refait la même connerie (et comme ce n’est pas la première fois, on la refera sûrement), le mettre à l’eau n’est pas une mauvaise option si on arrive à bien gérer la suite.
- le bout dans l’éolienne, vraiment très efficace pour l’arrêter. En mettre un bon morceau (de bout), sinon l’éolienne l’expulse, c’est ce qui s’est passé au premier essai.
- l’intérêt d’avoir quelqu’un de quart qui surveille la mer
- ne pas se fier à la météo. C’est la première fois qu’on a cette force de vent avec ce bateau. L’impression de fiabilité et de solidité du bateau est très rassurante. Très bonne tenue à la cape ce qui nous a permis d’intervenir de façon relativement bien protégés.
- je ne met plus d’accent circonflexe à babord depuis que l’académicien Jean François Deniau a écrit (dans son dictionnaire amoureux de la mer) que c’était une erreur de l’Académie Française au 19ème siècle ou par là.
- pour l’éolienne, un truc de Van Damme, le penseur trop méconnu : si tu travailles au marteau piqueur et qu’il y a un tremblement de terre, tu te désynchronises sinon tu travailles pour rien. Pas réussi à désynchroniser éolienne et houle. (merci Jean Michel pour ta contribution)

Bonjour, Je tombe pile par hasard sur ton récit tout frais. Je vais cet été à La Gomera et le passage est noté comme l'un des plus venteux des Canaries (avec le sud de Fuerteventura où j'ai effectivement noté des rafales jusqu'à 69 nds dans un coup de vent de 50 nds qui a duré 3 jours). Content de voir que mon histoire t'a servi ; la D400 a une sacrée puissance et, comme tu l'as dit, mieux vaut ne pas s'approcher dès que ça monte. Bonne continuation. Je reviens à La Graciosa et îles suivantes début juillet.

J'ai bien noté qu'il faut que je prévois de réapprovisionner papa d'une casquette digne de ce nom.

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