ajout d'une note d'Eric

Vendredi 26 septembre :
9h : voilà, Denis vient de prendre le taxi, me voilà donc seul pour ramener le bateau. J'ai bien étudié différentes options d'hivernage sur place, Terre-Neuve ou mieux Nouvelle Ecosse. Mais tout bien pesé c'est trop contraignant. Ce n'est pas une question de sécurité : des bateaux amis (BAGHEERA, SNOWDRAGON II) se seraient chargés de garder un œil dessus. Mais impossible de récupérer le bateau avant mai/juin (au mieux, plutôt juillet à Terre-Neuve). Cela ferait court pour naviguer. De plus comment effectuer les différents petits travaux (et améliorations) indispensables après cette saison bien chargée ? Donc retour port base. La route sud s'impose, les hauts latitudes ne sont plus trop fréquentables en cette saison.
Internet, lavage, quelques courses de frais, le plein de gazole (tiens on retrouve les prix métropolitains, le Groenland ou le Nunavut avaient du bon de ce côté-là !) la journée passe vite.
Et je profite d'une belle fin d'après-midi, ensoleillée et avec un petit vent d'est – l'été indien version Terre-Neuve – pour quitter Conception Bay, sa marina tout confort, voilà aussi des habitudes que l'on avait perdues et faire route vers St Jean. Conception Bay c'est aussi le St Tropez local (voir un exemple de résidence secondaire dans les photos). Par contre on y est plus rigoureux qu'au susdit St Trop pour ce qui est de la consommation des boissons alcoolisées. Le même panneau ferait sourire sur nos côtes.
Inutile de chercher à rentrer en pleine nuit à St Jean. A une poignée de nautiques au nord l'anse de Torbay (petit clin d'œil à l'un des plus fidèles équipiers de Manevaï, qui cette année nous a quitté à Nuuk) bien abritée sera parfaite pour finir la nuit.
Approche vers minuit, les voiles sont rentrées, le moteur en route, tiens le bruit change, tiens on fume, tiens il n'y a plus de réfrigération : damned, la nouvelle pompe eau de mer que l'on vient de changer …. Il reste à peine un nautique jusqu'au mouillage, que fait-on ? Direction le large, nuit en mer et le problème reste entier pour le lendemain ou on met le chauffage à fond dans le bateau (cela fait toujours quelques calories de plus de consommées) et on tente d'arriver au mouillage. Je retiens la deuxième option et on arrive dans le rouge mais sans avoir déclenché d'alarme. C'est le cas de le dire, ça a été chaud !
Samedi 27 septembre
Aux aurores (d'autant plus que le lendemain un coup de vent de NW est attendu. J'aimerais donc être à St Jean même si je suis bien abrité à Tor Bay) début des démontages : diagnostic rapide, le crabot est cassé en deux, la pompe n'était plus entraînée. Mauvais alignement de la pompe. Lors de sa mise en place nous nous étions posé la question avec Denis : si le roulement de la précédente est mort est-ce son âge ou un centrage défectueux. Nous avions opté pour la première option, mauvaise pioche. Remontage de l'ancienne, centrage méthode "secours" : divine surprise cela fuit nettement moins. Heureusement que j'ai suivi les conseils de ceux qui me recommandaient de changer toute la pompe. J'en ai au moins une qui fonctionne, qu'il faut économiser mais qui fonctionne.
16h : arrivée à St Jean, au "Queen's Wharf" au pied d'un agréable jardin public. Ok, il n'y a ni eau ni électricité mais qui a dit que St Jean n'était pas "yacht friendly" (et pour moind de 9 Can$/jour ! Malheureusement il y a un minimum de 51.62 Can$. J'aurais pu rester une semaine pour le même prix). Quelques grands moments de l'histoire de la ville y sont racontés sur des panneaux joliment présentés. Les gens viennent se balader, les amoureux se bécotent sur les bancs (publics bien sûr, comme le jardin !). Du coup j'ai eu de la visite, cela ne doit pas arriver très souvent qu'un voilier vienne à cette saison (de fait le bureau du port m'a dit que j'étais le huitième).
Dimanche 28 septembre
Au programme, tourisme dans une vraie ville. La précédente, Reykjavik, date de trois mois ! Port très actif (base de la marine canadienne, de la garde côtière, paquebots et surtout base de soutien des opérations offshore), ville très colorée. C'en est même un signe de reconnaissance, voir à quoi ressemblent les boites à lettres. Par contre, sauf à rester le long du port, oublier le vélo. Petit tour aussi à Quidi Vidi, charmant petit fjord de poche qui touche St Jean au nord, lieu de villégiature, très sympa avec sa maison des artisans, sa brasserie, ses abris de pêcheur dans le style de ce qu'on avait déjà vu au Labrador.
Lundi 29 septembre
Visite de l'incontournable musée (et superbe bâtiment) "The Rooms" retraçant la vie à Terre-Neuve et au Labrador. Le terme "The Rooms" désignait l'ensemble des bâtiments des exploitations familiales pour le traitement et le conditionnement des morues. L'ensemble est présenté de manière agréable. Mais j'aurais aimé avoir davantage de détails sur les goélettes d epêche et sur les activités pétrolières actuelles.
12h45 : appareillage. La situation météo n'est pas exactement celle que j'aurais souhaitée. Mon idée était en effet de descendre aussi vite que possible en latitude, l'été étant bien terminé et la rudesse des lieux bien connue. Puis de continuer route 120 vers Flores, la plus occidentale des Açores. Mais un anticyclone barre le passage et il va falloir que je parte plein est, voire remonter un peu en latitude pour le contourner, ce qui n'empêchera pas une période de calme. Ce n'est qu'après qu'il sera possible de faire du sud. Mais, pour les raisons que je rappelais, je ne voulais pas traîner sur zone. Alors on appareille.
Mer plate et un bon vent de NNE nous permettent un départ sur les chapeaux de roues, 8 nds.
Mardi 30 septembre
On est sur la bordure nord de l'anticyclone mais le vent est bien tombé. Brume, est-ce bien étonnant sur les grands bancs fin septembre ? En attendant que le vent revienne je tente de pêcher. 80 m de fond ce qui me paraît beaucoup mais on est sur les grands bancs, dans une zone que les goélettes et les doris fréquentaient assidument. Il devrait y avoir quelque chose. Mais non, rien : peut-être dérivais-je trop vite (Tor soulignait toujours ce point important : la ligne doit être verticale), peut-être n'y avait-il pas de morues ? Dire qu'à une époque la mer dans le coin était "épaisse "de morues comme disent les anglo-saxons !
Le vent revient de SE, ça y est l'anticyclone est devant, on est reparti vers l'est.
Mercredi 1er octobre
Enfin la rotation attendue du vent au SW : nous pouvons faire route SE et commencer enfin à descendre en latitude. Temps toujours bouché, vent faible (force 3) mais par le travers. C'est humide mais confortable. Le vent vire même au NW puis nord et la visi se dégage. C'est quand même plus agréable même si j'estime avoir traversé le plus gros de la route des cargos Europe- Nord USA. La probabilité de croiser un bateau sans AIS dans le coin est quasi nulle – quelle belle invention l'AIS ! – mais la brume est toujours stressante.
Jeudi 2 octobre
Nous continuons notre route SE : nous sommes descendus en latitude, pas de doute, 15°C dans le bateau ce matin, il ne faisait que 10°C hier matin. J'hésite même à lancer la chaudière, comptant sur la préparation du petit-déjeuner pour revenir à un 20°C confortable. Je regarde la température dehors : 15.5°C. Pas étonnant donc. Celle de l'eau de mer : 17.2°C. Je relis. C'est bien 17.2°C. Merci Gulf stream.
La navigation est toujours aussi agréable, vent de travers, mer 4 de travers également avec une longue houle. Mais un nouveau coup de vent se prépare sur Terre-Neuve. C'est loin maintenant mais nous devrions quand même en prendre des éclaboussures. Et de facto le vent se renforce dans l'après-midi. La journée commencée avec tout dessus se termine sous GV seule 2ris. Toujours route SE, nous tenons un petit 4 nd, pas rapide mais le bateau ne tape pas. Un bon force huit d'ENE. Tiens il semblerait que ce soit un plus que des éclaboussures… Mais de toutes façons, il faut bien le passer ce front polaire qui barre tout l'Atlantique.
Vendredi 3 octobre
06h00 : passage du front. Pluie : forte. Mer : forte. Vent : fort, 45 nds dans les rafales. Puis vers 08h00 tout se dégage. Et dix minutes plus tard nous faisons route dans un petit vent d'E force 3, tout dessus. Tiens c'est curieux, avec toutes ces manœuvres d'un seul coup j'ai bien chaud : temp eau de mer 22°C, temp extérieure 22°C. J'ai compris ! J'étais encore habillé comme ces quatre derniers mois. Maintenant il y a des épaisseurs en trop ! L'eau aussi a bien changé de couleur, elle est maintenant d'un bleu profond, le bleu des tropiques. Pas de doute nous venons de changer de monde. Mais il y avait un péage à la frontière !
Ce beau temps ne dure pas. Le vent revient du SE, donc pile de face, en forcissant progressivement. Et plutôt que de passer la nuit à batailler en attendant la rotation attendue au sud, nous nous mettons à la cape en fin de journée. Sans doute surpris de croiser – enfin tout est relatif, il est passé à plus de 10 Nq – un voilier à faible vitesse au beau milieu de l'Atlantique, le cargo Caroline Theresa m'appelle sur VHF 16. Echange d'amabilité, il continue rassuré.
Samedi 4 octobre
Le vent encore frais commençant à tourner (SSE 6) nous remettons en route à 01h00 du matin. Puis vers midi il passe sud ce qui nous permet, pour la première fois depuis le départ de St Jean, de faire route directe. La mer reste assez dure. Le temps est couvert, il y a des grains. Mais j'avais oublié que naviguer sur une eau à plus de 20°C était bien agréable aussi !
Petite douche dans le cockpit. Avec de l'eau à 22°C ça reste un peu frais mais c'est bien agréable.
La météo pour les jours suivants étant plus sympathique (vents "raisonnables" et portants) après avoir nettoyé le bonhomme occupons-nous du bateau : donc grande opération de dessalage de l'intérieur bien utile après les jours quelques peu agités que nous venons de traverser. Il fait tellement moite que je suis obligé de mettre un coup de chaudière pour hâter le séchage malgré la température.
Je mets une ligne derrière. Il doit bien y avoir des thons ou des coryphènes dans le coin.
Dimanche 5 octobre
Ce matin Flores n'est plus qu'à 355 Nq droit devant. Ça nous fait une arrivée mardi soir. Le vent toujours sud faiblit lentement mais sûrement. De "congestus", les cumulus deviennent petit à petit "humilis". C'est la meilleure marque ! La navigation devient plus confortable. Rapide et confortable. Du coup l'alternateur de ligne d'arbre, enfin bien réglé, se donne à fond et les batteries sont chargées à bloc. Celles du bonhomme aussi d'ailleurs.
Nous croisons à bonne distance deux pêcheurs. Pourquoi pêchent-ils et pas nous ? J'essaie un autre modèle de leurre.
Lundi 6 octobre
Le vent a même tellement faibli qu'il faut appeler à la rescousse le quartier-maître Perkins. Le problème des calmes au large c'est que le bateau roule beaucoup et que la GV, même bordée plat ébranle le gréement. Faire route au moteur permet à la dérive de jouer son rôle, la grand-voile est aussi plus efficace pour stabiliser le bateau.
Le vent revient un peu au lever du jour. C'est le moment de faire travailler le spi, il n'en aura pas fichu lourd cette saison ! Nous nous hissons à 3.5 nd. C'est toujours ça ! Puis en fin de journée le vent revient plus franchement en adonnant. Le spi est rentré, mais nous faisons un confortable 6/6.5 nd sous GV et génois.
Je me lance dans une grande opération de nettoyage des fonds (ndlr : seule partie non isolée donc accessible pour ceux qui ne connaissent pas ou mal le bateau). Ce n'était pas du luxe après presque cinq mois de condensation à haute dose où nous pompions en moyenne trois à quatre litres d'eau de condensation par jour.
J'essaie un troisième leurre : mais il n'y a toujours personne au bout du fil….
Pour une raison que j'ignore, cela fait deux jours que je ne reçois plus les GRIB : irritant, pas catastrophique mais irritant.
Durant la nuit nous sommes rattrapés par le front polaire. Avec en prime une petite ondulation qui commence à se transformer en dépression. La météo allemande le met dans mon nord, la météo anglaise dans mon sud. Il est clair que c'est elle qui a raison.
Moralité, pluie diluvienne qui a le mérite de parfaitement rincer le bateau.
Mardi 7 octobre
Le vent est même si bien revenu qu'en fin de nuit nous nous retrouvons avec un SW 7. Grand largue, GV 2 ris et un tout petit bout de génois nous avançons bien. Mais ça mouille : dommage le bateau avait été si bien rincé !
Flores n'est plus qu'à 60 Nq. Je passe en heure Z, l'heure locale. Une escale dans une île inconnue et une nuit complète se profilent. Elle est pas belle la vie !!!
Mais en mer les choses ne se passent pas toujours (souvent ?) comme prévu. Ne voilà t-il pas que le vent tourne N puis NE. Et c'est au près serré que je vois apparaître Flores en fin de journée. Même si le GPS et l'informatique ont un peu "gâché" le métier de navigateur – parce que la nav maintenant c'est derrière des écrans, voir photo – c'est toujours un grand moment de voir apparaître la terre à l'endroit prévu, au moment prévu.
Problème : la rade de Flores est protégée de tous les vents sauf…. le NE ! Une nouvelle (et toute petite) marina a été récemment construite mais a mauvaise réputation dans ces conditions.
21h50 : je me présente. Un voilier danse au mouillage, un autre le long de la jetée. Je me demande comment ils tiennent. Tout affalé, défenses sorties, aussières parées je rentre dans la petite marina. Effectivement toute petite. Et avec un bon ressac à l'intérieur.
Allez ! Ce n'est pas sérieux de passer là la nuit dans de telles conditions. En route vers Horta. La découverte de Flores sera pour une autre fois, la nuit complète aussi.
Mercredi 8 octobre
Une propagation anormale nous permet d'avoir des réponses AIS jusqu'à 550 Nq (ndlr : portée normale 30/40 Nq). Cela me permet de voir que finalement il y a du monde sur l'eau ! Une bonne cinquantaine de réponses. Mais sur une surface plus grande que la France cela ne fait finalement qu'une densité faible.
Avec ce vent frais de NE nous faisons route rapidement. Et Faial apparaît en milieu d'après-midi dans un vent faiblissant. Approche magique de l'île sous son vent, mer plate, ciel étoilé, le bateau continuant à faire 6.5/7 nd. Vers 19h30, nous passons Monte Guia qui protège la rade d'Horta. Le temps de tout ramasser et de préparer l'accostage il est 21h20 lorsque nous présentons devant la capitainerie du port d'Horta. Un garde de nuit m'accueille – ce sont des habitudes que j'avais perdues ! – mais il ne peut m'attribuer une place ce soir, il faut attendre l'ouverture du bureau. Je décline la proposition de rester à quai à cause de ressac – décidemment c'est une manie dans ce pays ! – et vais mouiller dans le port. Mais là, ô surprise, plus de guindeau. Après une demi-heure de dérive dans le port et à force d'arrêt/marche, couplage/découplage tout rentre dans l'ordre et nous mouillons dans ce port mythique pour tous les navigateurs.
Jeudi 9 octobre
Un petit coup d'annexe, vers le bureau du port. Une bonne vingtaine de minutes pour remplir tous les papiers, puis passage dans un bureau de la police pour l'immigration (les Açores ne sont pas dans Schengen), puis chez le douanier qui tique un peu pour le fusil présent à bord et à qui il a fallu expliquer pourquoi. Fort heureusement ces trois bureaux sont dans le même bâtiment.
Retour à bord : essai du guindeau OK. Essai du propulseur : pas OK. Bon eh bien il faudra s'en passer pour la manœuvre. Mais au moment de quitter le mouillage plus de guindeau ! Le coupable est trouvé : c'est le propulseur.
13h : à quai. On verra plus tard pour le propulseur. Déjeuner chez Peter, le café le plus connu du monde des voileux !
Et voilà pour l'un des trois incontournables d'Horta. Pour le deuxième – remettre au même Peter le pavillon du CNMB (ndlr : Club Nautique de la Marine à Brest) siglé Manevaï – j'attendrai Cathy. Et pour le troisième – immortaliser le passage de Manevaï sur la jetée – sa présence est indispensable.
Elle arrive dans deux jours : vive les vacances.
Pour ceux qui aiment les chiffres voici un bilan de la traversée :
- Route directe : 1190 Nq, 1383 Nq au loch soit 16.2% en plus
- Vit moyenne : 6.34 nd sur l'eau
- 8.1 h de moteur (cela fait baisser la moyenne par rapport aux latitudes plus septentrionales !)
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