Au bout il y a La calle Tanca y la bomba

Au bout il y a La calle Tanca y la bomba

Posté par : Joseph
30 Avril 2014 à 23h
Dernière mise à jour 07 Décembre 2014 à 22h
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A San Juan il y a au bout d'une petite rue la mer. Elle est pas bien grande cette petite rue, on croirait une impasse. Elle termine la calle Tanca qui traverse toute la vieille ville pour aller se perdre a l'autre bout de San Juan vers l'ancienne porte que les dignitaires espagnols empruntaient après leur long périple transatlantique, située directement face à la cathédrale, c'était bien commode pour aller remercier illico presto le saint sauveur.

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Aujourd'hui elle est surtout le point de départ des itinéraires touristiques et la petite rade au pied de la cathédrale n'abrite plus de bateaux. Mais laissons où il est l'autre bout du vieux San Juan, on y reviendra si une chose intéressante me revient. Non, à l'autre bout, près du barrio La Perla il y a cette petite rue qui donne sur la mer toute bleue, sur l'océan que l'alizé fait moutonner à loisir. Elle est tout en haut de la colline de San Juan alors forcement elle domine tout. Une voiture n'y passe pas avec ses murs vert turquoise, bleus, oranges, serrés les uns contre les autres comme pour forcer les passants à se serrer eux aussi. Et comme les portoricains trouvaient qu'il y avait encore trop de place ils ont rajouté des tables et des chaises devant les bars installés dans d'anciennes demeures coloniales. Si on y prenait garde on pourrait passer devant sans même la remarquer. Mais elle est joyeuse, elle aime rire, elle aime la vie, elle aime danser et chanter. Et on l'entend de loin sa bonne humeur, au son des tambours de bomba et du chant lancinant de grosses portoricaines. Irrésistiblement les pieds vous emmènent vers ce petit bout de rue, vous mêlent à cette joyeuse foule qui écoute en dansant un orchestre improvisé au milieu de la rue. Avant d'avoir pu comprendre ce qui vous arrive vous avez dans la main une canette de Medalla bien fraîche, et une alcapuria pour étancher votre soif et combler votre faim. Alors dans la douceur du soir, après la chaleur écrasante de la journée à arpenter des rues jolies mais qui paraissent soudain sans saveur on se dit que peut être les latinos ne sont pas que des machos narco trafiquants. Il règne une bonne humeur, une simplicité qui rapproche les hommes, qui rend heureux et qui fait follement aimer le moment présent et son éternité. A peine 24h que je suis arrivé à San Juan et c'est pour moi un bain de jouvence. Des vieilles pierres, une âme, des odeurs d'arbres, de fleurs, d'égout, de bas fond, des riches, des pauvres, de la musique plein les oreilles, ici l'Amérique n'a pas répandu sa culture fast food, les traditions hispaniques ont résisté mieux que ne l'ont fait les espagnols eux même lors de la guerre hispano-américaine de 1898 qui devait faire de Porto-Rico un territoire américain. En un clin d'œil j'étais sous le charme, dès l'arrivée depuis la mer, quand nous avons vu sur l'horizon se détacher le phare de San Juan, majestueux, arrogant presque au dessus des remparts du fort San Felipe del Morro, nous indiquer l'entrée de la baie. À côté s'alignent dans un mélange un peu anarchique de couleurs les façades du quartier de la Perla, quartier populaire de San Juan que le Lonely décrit comme dangereux ce qui le rend d'autant plus intéressant. Cette ville affiche son passé coloniale avec fierté au bout des petites Antilles qui paraissent bien fades à côté. J'en suis même venu à penser que j'aurais du consacrer ces derniers mois d'hiver à découvrir les grandes Antilles plutôt que les petites, qui collectionnent, certes, les plages paradisiaques mais dont la profondeur reste à construire. Seule Antigua et son arsenal de la Royal Navy de Sa Majesté restauré du XVII siècle rivalise un peu. J'ai visité Antigua il y a deux semaines maintenant lors de mon unique périple en solitaire qui devait me ramener presque au début de mon voyage tout du moins à l'arrivée de ma première traversée. Quand l'heure du retour à sonné j'étais en Martinique et j'avais pour mission d'aller récupérer mon dernier équipier du nouveau monde vers les Îles Vierges britanniques. Je partais un peu a l'inconnu, mais enfin il faut bien une première fois et on apprend pas sans essayer, sans se tromper. J'imaginais donc comment j'allais pouvoir revenir de Martinique et remonter vers Tortola, une île après l'autre me disais-je en allant à mon rythme. Mais comme souvent la vie jette sur votre chemin une rencontre providentielle. Ici elle s'appelle Jeremy. Nous étions au mouillage dans le havre Robert quand nous vîmes arriver sans bruit, glissant sur l'eau un voilier sous génois seul, à sa barre, un homme seul, un peu décharné portant un foulard au cou, la soixantaine. En deux virements de bord il avait pris son mouillage et l'affaire était pliée, laissant tout juste quelques rides sur l'eau. Dix minutes plus tard on toquait sur la coque de Cody et une voix à l'accent très british nous demandait d'où nous venions. Jeremy est britannique et il le porte bien. Marin accompli il a pas mal bourlingué et partage sa vie entre la Martinique et la Bretagne. Ils sont comme ça les british c'est des normands qui regretteront toujours d'avoir quitté la France pour un pays de pluie et de bière. Nous l'avons donc invité à prendre l'apéro et comme j'exposais mes projets de navigation je lui dis que je n'étais pas encore certains du chemin retour ni du calendrier. Seul impératif je devais être à Tortola au plus tard le 20 avril. Jeremy me souffla une idée:
"Pourquoi ne vas tu pas directement à Marie-galante, c'est faisable en une journée, en passant à la côte au vent. Et il faut voir Antigua, c'est intéressant Antigua, les Antilles comme c'était au temps des flibustiers, voilà ce que c'est. Et après tu peux aller a Saba, c'est intéressant à voir aussi"
Après son départ je me suis donc plongé dans mes cartes, j'ai étudié les distances, les temps de trajet et bon c'était faisable même si cela faisait des étapes plus longues que prévues. J'ai donc quitté la Martinique de la baie du trésor au bout de la presqu'île de la caravelle, par un petit matin qui soufflait fraîchement, avec une mer assez formée. De toute la journée un seul grain à croisé ma route me forçant à sérieusement réduire la voilure mais cette première étape en solitaire s'est finalement bien passée. A la nuit tombée j'arrivais à Marie-galante sans encombre pour poser mon ancre dans l'avant port. Les jours qui suivirent me permirent de dire au revoir à la Guadeloupe qui m'avait accueillie à mon arrivée des îles vierges, une page se tournait, mon voyage prenait définitivement un nouveau tournant celui des milles que l'on accumule au fur et à mesure des jours, les Saintes, Deshaies, celui de la navigation en solitaire aussi, à l'écoute du bateau, de la mer, du ciel, de soi, la recherche constante du bon équilibre. Puis je me lançais enfin à l'assaut de terres inconnues et partait pour Antigua. Il faut savoir qu'English Harbour est l'ancienne base navale de la marine britannique dans les Antilles et qu'elle n'a jamais été prise par les Français grâce entre autre à son abri naturel. Alors j'aime autant vous dire que je suis arrivé avec la ferme intention de réparer cette erreur du passé. Oui je sais moi non plus je ne me connaissais pas des élans patriotiques mais ça doit être ça un français, un normand qui s'en veut de ne pas être parti à l'assaut de la Grande Bretagne. Quand je posais mon ancre près de l'ancienne zone de carénage j'étais donc entouré des vieux bâtiments de style britannique du XVIIème qui ont abrité en son temps l'amiral Nelson. Si l'ensemble n'est pas bien grand il n'est pas moins charmant.

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Ce qui l'est moins c'est des qu'on en sort, on découvre qu'Antigua est un haut lieu du yachting de luxe et les rues sont envahies de yachtsmen formant une communauté à laquelle je sentais bien ne pas appartenir et qui se réunit en plus tous les ans justement à la fin avril pour la fameuse (paraît-il) Antigua race week. Il est difficile d'imaginer la débauche de richesses accumulées sur ce petit bout d'île, dont on se demande bien, simples mortels, comment on fait pour en avoir autant, et plus grave comment cela se fait-il qu'elles ne soient pas plus justement redistribuées quand elles font tant défaut par ailleurs. Cela m'a fait penser à un article que j'avais lu au sujet d'un économiste français Thomas Piketty dont le dernier livre "Le capital aux XXI siècle" est salué par les plus grands économistes américains et qui développe la thèse que notre système économique s'enfonce dans une oligarchie de plus en plus irréversible. Et bien je peux vous dire qu'à Antigua on en a la preuve flagrante. Une idée en amenant une autre cela me fait penser à un autre livre que je lis: "Le prix de l'inégalité" de J. Stiglitz qui écrit que l'inégalité à un coût pour la société et même pour les riches. Il serait donc dans l'intérêt des riches de redistribuer les richesses. Bon j'arrête là mes digressions mais finalement le problème c'est quand les riches arrêtent de lire et achètent des clubs de foot plutôt que des œuvres d'art. Ou plutôt on pourrait dire d'une société: montre moi tes riches et je te dirais qui tu es. Car en m'interrogeant si les riches ont une responsabilité particulière dans notre société je serais tenté de dire non; c'est plutôt au politique de s'assurer de la juste répartition des richesses. Mais il y a les lobbies... Mais là je m'égare complètement de mon sujet, et dans tous les cas, ne serait-ce que pour faire du tourisme social et voir les favélas des riches, un détour à Antigua a son intérêt. Laissons donc les riches où ils sont et poursuivons mes modestes pérégrinations qui me menèrent jusqu'à cette petite rue de San Juan. Car j'en étais encore loin et à dire vrai le plus dur était encore devant moi à ce moment la. Je n'avais fait que des navigations relativement courtes et j'avais devant moi deux étapes de plus de 12h qui allaient nécessiter de la navigation de nuit en solitaire. Je décidais donc de partir très tôt le matin d'Antigua pour rejoindre l'île de Saba avant la nuit. Si la journée s'est bien déroulée, l'arrivée finalement de nuit a été une autre paire de manche. Le vent se leva progressivement m'obligeant à prendre un ris, deux ris, réduire le foc et finalement affaler la grande voile. Une arrivée de nuit à toujours un côté angoissant surtout quand on ne connaît pas l'atterrissage. Et le relief de Saba contribue à alimenter les régions les plus obscurs de l'imagination. L'île, de petite taille, toute ronde est ceinte de falaises sur tout son pourtour si bien qu'aucune crique, aucune baie ne venait proposer au marin harassé que j'étais (il était 23h00 et j'étais levé depuis 5h00) un havre rassurant où lâcher mon ancre. Mais de nuit on ne distingue des falaises que d'immenses masses sombres qui ne cessent de grandir et de vous écraser à mesure que l'on s'en approche. Ajouter à cela une mer qui grossit, le vent qui se met petit à petit à hurler dans les haubans et votre imagination comme la mienne se serait cru arriver dans je ne sais quelle île maudite des Caraïbes hantée par un pirate sanguinaire et son équipage de squelettes vivants. Même son nom laisse entrevoir les pires légendes. Finalement exténué à une heure du matin, je lâchais l'ancre à moins de quinze mètre du rivage par sept mètre de fond et tombais sur mon lit en sentant à peine le violent clapot qui secouait régulièrement Cody. Il me fallut une journée complète pour m'approprier le lieu et envisager de descendre à terre. Une journée pour remettre le bateau en ordre et faire un peu de bricolage. Mais rien n'est simple sur Saba et j'avais décidé de mouiller au pied de l'accès historique de l'île. Un escalier vertigineux taillé à même la roche que les colons hollandais ont appelé the ladder, c'est vous dire.

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Je décidais donc le lendemain d'aller voir à quoi ressemblait cette île des Antilles hollandaise. Je passe outre le fait que j'ai failli chavirer avec l'annexe en accostant sur la plage de galets à cause des rouleaux qui brisaient sur la côte, et l'épreuve qu'à représenté l'ascension de cet escalier. Mais finalement j'ai découvert, lové au creux de la montagne un petit village de poupée aux accent hollandais effectivement et qui porte bien le nom de "the bottom" (vous allez me dire que les hollandais n'ont pas beaucoup d'imagination, je suis d'accord avec vous). Ce petit village est assez insolite, tout propret, avec un mélange de hollandais et de noirs Caraïbes. Finalement je n'étais pas mécontent de mon escale et retournais me préparer pour ma dernière traversée en solitaire: Saba - Tortola. Cette fois l'arrivée était trop risquée pour être faite de nuit je décidais donc de partir de nuit pour être sur d'arriver de jour. Après un bon dîner bien consistant, armé pour affronter la nuit et la fatigue qu'elle pouvait apporter je partais vers Tortola, cent milles de pleine mer. Pour l'occasion j'ai demandé à Jonhatan, le régulateur d'allure vous vous souvenez, de reprendre du service et à ma plus grand satisfaction il s'est acquitté de sa tâche à merveille. A tel point que je pu même aller dormir, moi qui me préparais à une nuit blanche à me battre avec la mer et mes voiles j'ai finalement pu me reposer, coupant seulement mon sommeil pour m'assurer que cody et moi ne risquions aucun abordage. Et lorsque le matin arriva je trouvais cody et Jonhatan naviguant de concert dans une parfaite harmonie. Me sentant tout à coup inutile je fis alors ce que je n'avais encore jamais osé faire depuis le début de mon aventure. Je portais mon attention sur tout autre chose que le bateau. Pendant plus de trois heures je lu mon livre au soleil, au son des vagues sur la coque, au rythme du roulis paisible du bateau. Et quand enfin je levais le nez de mon livre pour soulager un besoin dont le café du matin était le principal responsable je vis au bout de l'étrave le mince relief des îles vierges. Une joie enfantine m'envahit et je me mis à danser et chanter, il me semblait que rien n'était plus beau. La solitude à de ces effets bizarres qu'au bout d'un moment on se met à parler tout seul, à abandonner une sorte de bienséance qui n'a d'utilité qu'en société. Mais je trouve cela salvateur, comme un retour à l'état sauvage un dénûment primitif qui nous relie toujours à ce qui nous entoure.
Pour terminer une citation du livre que je viens de terminer et qui m'a plu:

"Dans la vie, rien ne se résout; tout continue" A.Gide Les faux-monnayeurs

Quelques photos, ici, désolé pour la qualité et le sens mais l'iPad c'est vraiment nul...

Yes ... encore un livre à dévorer. Et avec une citation pareille, on ne peut qu'avoir envie de s'y plonger même si la multitude de personnages donne le tournis. Quant à la réflexion sur la répartition des richesses, je suis bien d'accord que le monde ne tourne pas rond et malheureusement depuis bien longtemps. Mon petit conseil à moi : des petits gestes au quotidien, pour les autres, sans compter sur les grandes réformes qui n'arrivent jamais. Je te souhaite encore plein de danses et chants aux effets bizarres. Take Care

Ta réflexion sur la répartition des richesses m'a rappeler un rapport récent de la NASA, qu'on ne peut accuser de gauchisme, qui prévoit la fin de notre civilisation dans les décennies à venir si nous ne changeons pas rapidement et catégoriquement de méthode. Tu deviens un vieux marin, errant dans les rues mal famées des ports où tu accostes. C'est bien, continue! Ton sac de souvenirs et d'expériences se remplit généreusement. Gide est un bon auteur, et si tu n'a pas encore lu, pense à lire "Les Nourritures Terrestres". Je pense à toi. françois

Bravo pour tes progrès de navigateur, je suis épaté. Tu as bien fait de profiter de Porto Rico avant que l'île ne devienne le 51ème état US et ne soit probablement envahie par Walmart, Walgreens, Starbucks et McDo. Bon vent pour la suite, nous pensons beaucoup à toi

Heureux de lire que le régulateur d'allure tant adulé a su se montrer a la hauteur de ton amour. C'est de bonne augure pour ta traversée ou tu pourras profiter juste du silence, de tes penses et l'horizon. Ton arrivée de nuit sur les falaises inquiétantes apres 18h d'éveil c'est autre chose que les soirées ravenloft, ou tu ne dormais pas plus pourtant. Cela ne t'as pas empêché de foirer ton arrivée en annexe, surement une réminiscence de ton passé de bouffon et de sa dextérité légendaire. Merci encore pour tes posts toujours aussi passionnants Jo ! Plein de bonne chose pour la suite.

Salut Jojoz, Grosse pensée pour toi à l'approche de ta traversée. Je serai bref mais je suis très heureux de te lire t'accomplir dans ton voyage, je te sens comme un poisson dans l'eau...hahaha Tiens-nous au courant du jour de ton départ pour le vieux continent et rebranche ton gps, tu n'es plus localisable sur spot... Grosses bises et surtout prends ton temps... Prends soin de toi marin d'eau douce (un pavillon américain... y a de quoi être pris pour un trader de wall streat en burn out qui a tout claqué pour se faire un trip en bateau...;-)

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