34°34'56'' N, 45°14'08'' W : Rencontre du troisième type

34°34'56'' N, 45°14'08'' W : Rencontre du troisième type

Posté par : Joseph
30 Mai 2014 à 16h
Dernière mise à jour 07 Décembre 2014 à 22h
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Toujours au milieu de l'océan, là où je pensais ne rien rencontrer d'autre que les vagues, les embruns et mes questions existentielles. Alors que les jours s'accumulent comme les perles sur un chapelet, tout à coup surgit un événement qui remplit la journée, la rend unique. Hier nous avons même rencontré un extraterrestre... Vous pensez que je perds la boule c'est ça ?

" - Houston ? We have a problem... Ground control to major Tom ?? On a perdu Joseph, ses synapses ont lâché au milieu de l'océan, il dérive comme un damné dans l'Atlantique, ensorcelé par le chant des sirènes ou perdu dans les ruines de l'Atlantide. Allo ? Allo ?
- Good bye all you people there's nothing you can say to make me change my mind... Good bye..."

Non perdre la boule ça ressemble plutôt à ça, des pensées mises bout à bout sans autres liens que le chemin tortueux pris par l'esprit d'un fou entre les souvenirs et les émotions d'une vie trop remplie peut-être. Ce sera pour plus tard, pour le moment j'ai encore toutes mes synapses connectées, une vie pas encore assez remplie et je soutiens que j'ai vu un extraterrestre, mais c'était hier, mercredi, avant cela bien des jours se sont passés sur Cody...

Extraits du journal de bord de Cody.

Jeudi 22 mai : Mouillage insolite

Nouvelle journée de calme plat. Mais cette fois c'est encore pire, même pas une ride sur l'eau, la mer est un vrai miroir. Cody est doucement balloté par un petit reste de houle, le génois est enroulé sur son étai, la grande voile claque de temps à autre, bien qu'elle soit bordée à bloc. Et comble de l'insolence trois petits poissons, de la taille d'un maquereau pas plus, viennent grignoter le bord de la coque alors que cela fait 5 jours que nous essayons de pêcher sans succès. C'est à se demander parfois si la Nature tout entière n'est pas douée d'une conscience quelconque ne serait-ce que pour le plaisir de se moquer de nous. Évidemment je n'ai pas résisté longtemps au chant de mon tagazou et j'ai allumé le moteur en fin de matinée, une bonne bouffée de gazole pour les insolents poissons, ils l'ont pas volé!! Pour se réconcilier avec la Nature, à la nuit tombée, nous avons décidé d'improviser un mouillage : moteur éteint, toutes voiles fermées, Cody s'est arrêté là, sans ancre, sous l'ile de Mars qui visite la vierge en ce moment et Jupiter perdu dans les gémeaux. On s'est octroyé une heure d'éternité. Cela a du plaire à Dame Nature car le vent a repris légrement et après avoir hissé les voiles nous sommes répartis.

Vendredi 23 mai : Panem et circenses

Le petit vent d'hier soir tient bon, 5/6 noeuds de SE, GV haute, génois 100%, au travers on roule à 5,5 noeuds. Cody avance et la petite vie du bord suit son rythme paisible des quarts, agrémentés de petits plaisirs culinaires qui rompent la monotonie des jours. Aujourd'hui c'était pain frais, une première pour moi et j'en suis pas peu fier. J'avais préparé la pâte la veille, activation de la levure, pétrissage, première levée, re pétrissage, deuxième levée et ce matin, cuisson. Le plaisir de prendre son petit déjeuner avec du pain chaud !! Le luxe absolu, sans la moindre boulangerie des milles à la ronde, et le plus incroyable c'est que le pain est bon ! C'est décidé quand je rentre à Paris je ferai mon pain. Je vais finir en autarcie complète!!

Samedi 24 mai : un thon pour un hâle bas

Réveil en fanfare, dans le vent qui mollit, les voiles claquaient depuis plusieurs heures déjà. Et juste quand je me lève, l'attache du hâle bas de baume qui casse sur un énième coup de baume. J'aurais du installer une retenue de baume cette nuit. Cela m'a mis de mauvaise humeur, j'ai horreur de casser. Dans ma conception des choses une casse en appelle une autre, c'est la loi de Murphy. Il faut la contenir au plus vite, ne pas la laisser s'installer. Alors ni une ni deux je sors la trousse à outils et m'emploie à imaginer une réparation. La première n'était pas très intelligente, un pontet et deux rivets pop ont tenu exactement 10 secondes. Du coup j'ai attaché le hale bas à la baume avec un bout de dyneema et ça a l'air de tenir...

Ça y est, nous avons conjuré le sort, nous avons pêché notre premier poisson ! Il aura fallu que je lise un petit guide de pêche pour apprendre que les thons chassent au coucher et au lever du soleil et enfin laisser la ligne le soir. Comme promis dans le guide, au bout de la ligne il y avait un beau thon de 5/6kg! Du coup ce soir c'était sushis, la sauce de Luis a encore pris une claque, j'arrive à la fin. Maintenant on a du thon à manger pour encore trois jours, il va falloir être imaginatifs !


Dimanche 25 mai - lundi 26 mai : le continuum

Dimanche: vent SSW 12 noeuds, GV 2 ris, génois 70%, loch 3592, distance parcourue en 24h: 123M.

Lundi: vent S 18 nuds, GV 3 ris, génois 50%, loch 3710, distance parcourue en 24h: 118M.

Les milles s'accumulent, les nuits succèdent aux jours, les matins se répètent avec le même rituel, café, céréales, pancakes (faut se soigner) et les Açores sont toujours aussi loin. On perd le fil des heures, des jours. Le présent s'impose inexorablement, il écrase de son poids chaque instant, il aplanit le temps, le passé et le futur se perdent, se confondent dans un continuum. Même les repas ne forment plus qu'un seul repas, steak de thon, thon à la tahitienne, re steak de thon...  On s'en lasserait presque. Mais j'aime ce présent, ce petit bout d'éternité qui passe sans faire de bruit, à l'insu de ma conscience, il laisse des souvenirs mêlés dans ma mémoire, baignés de bleu, de roulis et de vent sifflant dans mes oreilles. Il marque de son empreinte chaque jour un peu plus profondément mon inconscient, mon caractère, me laissant ce sentiment diffus qu'ailleurs, plus loin, après la prochaine crête de vagues se cachera toujours une nouvelle envie, un nouveau rêve. Et pourtant tout est là dans cet instant qui ne se lasse pas de s'échapper.

Mardi 27 mai : deuxième anniversaire

Deux semaines que nous sommes partis, la moyenne des cent milles par jour est toujours tenue, la date du 5 juin tient donc toujours. Et pour fêter ça et nous accueillir dans des latitudes plus nordiques (la polaire est maintenant de rigueur dans le coucher de soleil, finies les nuits des tropiques en T-shirt manche longue) nous avons eu droit à un beau grain. Vers neuf heures, le ciel s'est couvert complètement d'un énorme nuage gris qui nous a englouti, charriant avec lui un brouillard de pluie précédé de rafales à 25/30 noeuds. Heureusement ce n'était pas long et deux heures plus tard le soleil refaisait son apparition pour réchauffer ma couenne, j'étais mouillé jusqu'à l'os. Joyeux anniversaire des deux semaines !!

Mercredi 28 mai : l'extra-terrestre 63098

Cette journée est peut-être l'apogée de la traversée, celle qui justifie tous les efforts consentis jusqu'à présent. J'ai presque envie de dire qu'elle seule justifie mon année entière. Pourtant elle avait commencé comme tant d'autres et même plutôt mal puisqu'une fois de plus le vent était tombé et je me préparais à affronter une journée de réglages impossibles et de voiles qui claquent. La bonne idée a été d'essayer le spi. A cinq noeuds de vent je ne risquais pas grand chose, le soleil illuminait un ciel dégagé de tout nuage, tous les feux étaient donc au vert. Je m'attelais assez tôt à gréer le spi : bras, écoute, drisse, Ô joie j'ai même une chaussette de spi. Ainsi toute la garde-robe de Cody aura été passée en revue. Après un petit coup de WD40 sur les mousquetons, un envoi raté de la chaussette on finit par établir le spi au grand largue. Première agréable surprise le spi est en bon état il affiche fièrement le numéro de régate de Cody: 63098. Deuxième agréable surprise Jonhatan et le spi s'entendent à merveille. Quelle joie de voir le bateau avancer sous spi et régulateur d'allure. J'ai l'impression d'avoir franchi un nouveau cap, comme si j'avais enfin conscience de toutes les possibilités qu'offrent Cody et me sentant capable de les mettre en oeuvre. Un peu plus l'impression de ne faire qu'un avec le bateau aussi, attentif au moindre de ses bruits, interprétant ses soubresauts comme autant de demandes de réglages. Et là, alors que je ne quittais pas des yeux mon spi, guettant cette larme qui se forme au guindant, signe de bon réglage, c'est là qu'il est apparu, mon extraterrestre. Sur bâbord, un remous imperceptible que l'on pourrait confondre avec le léger clapot. Mais ce remous-là avance, tout doucement, il est à peine à dix mètres du bateau, et soudain, lentement, l'arrondi d'un dos que l'on devine énorme, puis un petit aileron, font surface, s'immobilisent un court instant, quelques longues secondes où tout l'océan semble se taire, faire silence, pour le laisser lui, imposer sa présence d'un souffle puissant, impressionnant, presque terrifiant et qui rappelle à tous les autres, et nous en particulier, qu'ici, il est maître. Dans ce même silence de cathédrale il a déjà replongé sans que nous ayons bougé le petit doigt. Et c'est maintenant sur tribord qu'il souffle un grand coup pour bien nous montrer qu'il nous a vu et qu'il nous autorise à continuer. Difficile de décrire la magie d'un tel instant. Notre émotion passée nous avons tenté d'identifier notre extraterrestre, cela pourrait être un rorqual commun qui migre en mai juin vers le nord en passant par les Açores. Nous faisons donc route de concert en quelque sorte. Mais la journée ne s'est pas arrêtée là. Quelques milles plus loin c'est tout un banc de dauphins qui vient jouer dans l'étrave du bateau, des dizaines, un vrai festival et au loin à nouveau un dos de cétacé. Ma parole c'est une véritable autoroute ce coin du globe!! Mais quelle journée... Quatre heures, le soleil tombant et des nuages se profilant à l'horizon je décide d'affaler le spi. La nuit s'installe et dans chaque bruit de vague je crois entendre ce souffle des profondeurs qui m'accompagne.

Jeudi 29 mai : la chevauchée fantastique

La météo annonçait du force 5 et on y est, GV avec trois ris, génois 50%, on file allègrement à  6-7 noeuds dans une houle d'ouest croisée par la mer du vent de sud sud ouest. Résultat des creux de 2 mètres c'est une vraie partie de montagnes russes. Cody est réglé au 90° magnétique, grand largue et j'ai l'impression d'être sur un cheval au galop. Il engloutit les vagues, les milles avec une facilité déconcertante, lui et Jonhatan forment une équipe du tonnerre. A tel point que je n'ai presque pas mis le nez dehors de la journée à écrire ces quelques lignes. Devant nous il reste 600 milles à parcourir, le loch a franchi la barre symbolique des 4000 milles et Cody file. A ce rythme là, on pourrait arriver mercredi prochain, c'est à la fois court et long. Je dois prendre chaque jour l'un après l'autre, garder ma concentration, continuer d'écouter et de respecter mon bateau et l'océan.

Je reste coi. Ca rend philosophe toutes ces rencontres. Surtout que là, tu es aux premières loges. Nu et sans aucune défense. Je souhait que tu arrive jeudi aux Açores. Ce serait un bel anniversaire. A bientôt Joseph. Bon vent françois

Merci pépé, oui j'ai pu fêter mon anniversaire sur la terre ferme!!

Salut Joseph, J'ai toujours le même plaisir à te lire.... Cela donne même, parfois, envie d'être avec toi et Cody. Tout ne doit pas être toujours bon à vivre mais quel souvenir pour toi. Enfin, tu as eu ton premier thon et l'apprécier avec la sauce. Dommage que tu n'aies pas eu le temps de passer avant ton départ pour prendre plus de sauce... Je t'embrasse, bon vent et à bientôt Luis

Ha ce Luis..... même au milieu de nul part, il a LA sauce qui a le secret des ambiances réussies ! Bravo mon Luis. Joseph, je jalouse (je sais c est moche) tes rencontres à ailerons. Bonne route

Toujours beaucoup de plaisir à lire tes journées qui nous change des embouteillages parisien. Contacte réalité la première turbine GP7200 est passé avec succès sur le B3. beaucoup moins spectaculaire que les dauphins…

Merci Jean-Claude de me tenir informer de l'actualité de l'U7, et félicitations à toute l'équipe méthode pour cette bonne nouvelle, je n'ai jamais doute de vous!!

ce qui formidable avec nous, les français, c'est l’intérêt primordial de la nourriture. Cela occupe toujours une place de choix dans nos vies, même au beau milieu de l'atlantique. Tu peux laisser Roger Waters (tu l'as judicieusement choisi celui la Jo !) dans son coin tristoune, tes aventures me semblent bien enjouées ! grosses bises, ça aide pour avancer ta coquille de noix

putain Jo, tu vas y arriver aux acores pour ton anniversaire a en croire ta geolocalisation !!

Tu y es arrivé!!!!!! BRAVO!!!!!!!!!! Je ne trouve rien de plus à ajouter! J'ai hâte de venir te voir pour écouter tes récits de vive voix! Profitez, buvez, arrosez cette traversée en pensant à nous, trempés sous la pluie normande; nous ferons de même dimanche soir avec Jeff et Manon!! Bises Maman

Ca y est! La terre ferme! Bravo! françois

Félicitations Joseph! Joyeux anniversaire en retard et merci Captain Ahab pour le récit de cette rencontre du troisième type :-)

Merci Marion, mais après quelques recherches (n'ayant jamais lu Mobydick) j'apprends que le capitaine Ahab est un tueur sanguinaire de cachalot et qu'en plus il en meurt!! J'espère bien ne pas trop lui ressembler...

Felicitations Jo. Ca semble etre une sacree aventure. On espere te voir en Andalousie devant des tapas pour partager ces expériences. Biz, Guillaume

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