Le retour
Voilà trois mois que je suis rentré maintenant, Gibraltar, le cabo de Gata, les Baléares seraient presque devenus un souvenir estival d'une vie active déjà trop remplie. Pourtant en quittant Tarifa la vie active n'était pour moi qu'une réalité presque oubliée. Mon quotidien n'était que force et direction de vent, courants, réparation diverses et variées, approche de port, lieux de mouillage idylliques, rencontres sur les pontons et nuits bercées au rythme du clapot. La fin ne devait être qu'une promenade de santé jusqu'aux Baléares mais la méditerranée ne l'entendait pas de cette oreille et moi qui pensait pouvoir relâcher ma vigilance après avoir bravé l'immensité de l'océan j'ai encore pris une leçon d'humilité. C'est pourtant une leçon de physique assez élémentaire, celle de l'effet venturi. Lorsque les vents de l'océan doivent passer dans un détroit de dix kilomètres de large c'est un peu comme l'ouverture des soldes aux grands magasins, c'est la cohue des molécules d'air et le vent monte allègrement à 30 nœuds même si la baie constellée d'une multitude d'énormes tankers et cargo semble calme. Et la leçon numéro deux du guide de la voile pour les nuls c'est trop de toile tu ne mettras point lorsque devant toi l'écume blanche foisonne... La punition pour ne pas respecter ces leçons élémentaires c'est une grande voile déchirée et un hâle bas cassé pour la deuxième fois. Je dois reconnaître que je n'étais pas totalement serein à ce moment-là mais nous avons pu rejoindre la Costa del Sol à Esteponia sous génois seul à la nuit tombée, afin de trouver la première voilerie disponible pour réparer la GV et le spi. Cet arrêt au stand obligatoire nous aura au moins permis de découvrir la Costa del sol dans toute sa laideur et c'est à peu près tout ce qu'on peut en retenir. Une fois les voiles recousues au bout de 48 heures, Clément et moi avons repris notre route vers les Baléares. Et comme décidément la méditerranée avait décidée de ne pas nous rendre la vie facile, nous avons alternée des nuits entières au moteur sans un souffle de vent et pire encore, des heures à tenter de passer le cabo de gâta en luttant contre un courant contraire. Le long de cette Costa del sol couverte de serres et de barre d'immeuble Cody n'avait pas trouvé de mouillage agréable ou poser son ancre. Il nous a fallu dépasser le cabo de gâta et commencer à longer son parc naturel pour retrouver une côté sauvage et des perspectives de mouillage agréables. L'approche d'un coup de vent nous força à chercher une crique pour nous abriter des vents de nord. Notre dévolu tomba sur la petite cala de San Pedro. Si vous êtes un hippie altermondialiste consommateur de substance naturelle et fréquentant un peu l'Espagne vous avez peut être entendu parler de cette petite cala. C'est plage engoncée au fond d'un cirque, surplombée par une tour génoise et une ruine de château - c'est d'ailleurs une des raisons qui nous avait fait choisir l'endroit outre la protection aux vents – cela pourrait donc être un lieu de repos idyllique si ce n'était les centaines de tentes de camping qui s'accrochent au flanc des collines arides. Depuis le pont du bateau il était difficile de comprendre ce qui animait l'endroit et nous ne distinguions qu'une agitation certaine et désordonnée. Tel des explorateurs du nouveaux monde nous décidâmes de partir à la rencontre de l'autochtone. Et n'écoutant que notre courage nous chaussions déjà les palmes et les masques en guise d'armure et nous lancions dans une nage d'approche. Et là, miracle, j'eus un aperçu de ce qu'avaient pu éprouver les marins débarquant sur les plages de Polynésie accueillis par des vahinés et des colliers de fleurs. Alors que nous nous relevions dans la position extrêmement flatteuse de l'homme grenouille nos yeux émerveillés découvrirent une ribambelle de corps nus déambulant sur la plage et entre les tentes. Summer of love here we are!! Nous étions arrivés dans un jardin d'Eden. Le lieu ne manquait pas d'originalité: bar de plage improvisé, ateliers éphémères d'artisans, cours de yoga sur la plage... Enfin la méditerranée dévoilait ses charmes et nous goûtions au plaisir d'une escale insolite sous le soleil, dans des eaux turquoises. Nous restâmes trois jours dans ce obéit havre isolé puis nous sommes répartis pour la dernière traversée. Et comme toute traversée réserve son lot de surprise celle-ci fut aussi l'occasion pour moi d'accroître mon expérience maritime. Et la leçon du jour s'intitule le transport maritime où comment ne pas se faire découper en deux par un ferry. L'été la méditerranée est animée d'un trafic maritime intense ou se mélangent cargo et ferry en tout genre. Et lorsque la nuit tombe l'horizon s'émaillent de lumières diverses et variées. Des voiliers descendants vers le sud me faisaient penser à ces marins du cru 2014-2015 qui partaient vivre leur aventure, j'étais légèrement envieux. Des cargos et des ferries qui apparaissaient régulièrement sur mon écran radar et passaient à des vitesses vertigineuses. L'un d'entre eux en particulier me donna la plus grosse peur de ma traversée. Il arrivait plus vite la moyenne et mon erreur fut de mal apprécier sa vitesse et de rater ma manœuvre d'évitement. Si bien que je me suis retrouvé nez au vent sans vitesse, non manœuvrant avec derrière moi les lumières d'étrave, du pont, de la passerelle d'un ferry haut comme un immeuble de 15 étages. J'ai vu l'instant ou Cody se faisaient réduire en bouillie à quelques encablures de son arrivée. Je réveillais en catastrophe mon équipier, démarrais le moteur qui ne cala point (merci la révision générale avant de partir) et mis plein gaz perpendiculaire à la direction du ferry. Celui-ci avait dû me voir car je vis au radar qu'il avait légèrement dévié sa course. Mais enfin je mis quelques instants à me remettre de mes émotions. Le lendemain nous arrivions à Formentera pour reprendre contact avec la société de capitaliste moderne. De toute ma traversée je ne vis de mouillage plus rempli que celui de Formentera. Il semblait que toute la jet set européenne s'était donné rendez-vous ici et j'avais l'impression de retrouver les mêmes voiliers, la même ambiance qu’à Antigua. Autant vous dire qu'on ne resta pas longtemps à Formentera et nous avons mis les voiles dès le lendemain vers Majorque et le petit port de Porto Colon, destination finale de mon périple. Une dernière nuit de navigation et au petit matin Majorque arborait sa côté rougeâtre et basse et la petite île Cabrera dévoilait des paysages sauvages et des criques de rêves. J'étais heureux, certes je touchais à la fin de mon voyage mais je sentais qu'un nouveau était prêt à s'écrire. Dans ma folie des grandeurs j'avais pensé naviguer dans les caraïbes, traverser l'Atlantique et aller jusqu’en Grèce en un an. Quel doux rêve, vaguement orgueilleux. Mais ici aux Baléares un nouveau voyage pouvait commencer, fait de saut de puce, d'histoire, de culture. La méditerranée à trop à offrir pour la bâcler en quelques traversée vite faites mal faites. La méditerranée à suffisamment d'escale pour pouvoir laisser son bateau ici et là et naviguer sur deux jours, une semaine, ou un mois. En fin de matinée nous arrivions à la voile (s'il vous plait) à Porto Colon. Après un passage à la capitainerie Cody avait son mouillage à l'année, son lieu d'hivernage est donc une petite baie de la méditerranée par 39°25.11' de latitude Nord et 3°15.84' de longitude Est, bordée de petit bateau de pêche et d'une petite bourgade tranquille habitée par quelques majorquins et beaucoup d'allemands, tout ce qu'il faut pour avoir envie d'y revenir rapidement. Je consacrais le dernier jour à bord pour mettre en ordre Cody, le préparer à l'hiver qui l'attend ranger les objets qui devenaient déjà des souvenirs, sourire en trouvant tout ce qui n'avait jamais servi. Une fois sur sa bouée les amarres vérifiées trois fois si ce n'est quatre je partais avec mon baluchon et mes souvenirs vers l'aéroport de palma et le vol qui me ramena à Orly, Paris.
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