Bob le philippin
Hier j'ai rencontré Bob. Bob habite le bateau juste derrière le mien, un bateau vintage de 1965, c'est un joli cotre marconi, tout blanc avec des dorures à la proue. Le grand père de Bob était américain, militaire de son état et a visiblement fricoté avec une jolie philippine. Il s'est même marié avec. Résultat, 60 ans plus tard, voilà Bob dans une marina de Fort Pierce. Un grand sourire ouvre sa bouille en deux et fait rire ses yeux. On a tout de suite envie de lui parler. Sauf que je suis un peu ours et que je parle pas toujours le premier donc c'est lui qui a engagé la conversation, pendant qu'il peignait les maillon de sa chaîne d'ancre en blanc - chose hautement mystérieuse pour moi, c'est peut-être un truc asiatique pour s'accorder les bonnes grâce des Dieux comme dirait Moitessier. Il s'adresse à moi et me demande :
« C'est toi Joseph ?
- Oui c'est moi, comment tu t'appelles ?
-Bob
-Tu viens d'où ?
Je suis Philippin»
J'aime toujours savoir d'où viennent les gens, savoir pourquoi ils ont atterri dans cette marina perdue, comment un Philippin peut bien se retrouver en train de peindre une chaîne en blanc sous le soleil de Floride ? Ça a quelque chose de magique je trouve. Je sais d'avance que les réponses à mes questions vont assouvir ma soif d'histoires et d'aventures.
« Tu es bien loin des Philippines, comment es-tu arrivé ici ?
- Mon grand père était américain, il s'est marié à ma grand mère quand il était aux Philippines. Il ont eu plusieurs enfants et ma grand mère déclarait tous ses enfants à l’ambassade américaine. Du coup quand j'ai eu 21 ans l'ambassade m'a appelé pour me demander de choisir entre la nationalité américaine et la nationalité philippine. J'ai choisi la nationalité américaine et me voilà !! » me lance-t-il avec son grand sourire. Bon j'ai pas bien compris l'histoire de l'ambassade et de la grand mère mais j'aurais l'occasion de lui redemander.
«Et c'est ton bateau ?
- Oui
- C'est un beau bateau
- C'est comme un vieux gréement c'est pour ça que je l'aime. Je l'ai acheté à quelqu'un qui ne l'entretenait pas très bien alors je le refais. Je le refais pour revenir aux Philippines.»
Bon là je me dis que mon projet de traversée de l'Atlantique devient un peu ridicule à côté de traverser le pacifique. Mais la destination me fait rêver et déjà je l'envie j'aimerais le suivre pour voir les Galapagos, les Marquises, la Polynésie les atolls qui font rêver. Un peu intrigué je lui demande tout de même :
«Et tu as déjà navigué ?
- Jamais, mais je vais prendre des leçons de voiles.»
Alors là je suis carrément estomaqué. Alors je continue
« Et tu fais comment pour te repérer
- J'ai un GPS à main.»
Ouch, juste un GPS à main, tu me diras comparé à un sextant ça donne quand même la longitude et la latitude en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Alors qu'avec un sextant les droites de hauteurs, les calculs, c'est une autre histoire, et c'est pas la même précision non plus !! Donc bon passe pour le GPS. Du moment que tu as la carte. Du coup je me dis que je vais pas l'affoler en ouvrant des yeux effrayés et je garde une contenance de circonstance pour poursuivre la discussion :
Et tu as un radeau de survie ? Dit le mec un peu obnubilé par ses sujets du moment
- Oui j'ai une annexe.
- Une annexe, c'est-à-dire un petit pneumatique ?
- Oui, un vrai radeau ça coûte trop cher.»
Bon là je me dis qu'avec mes questions débiles je vais le mettre mal à l'aise. Et comme tout ça me fait penser à Pierre Auboiroux je lui raconte son histoire :
« Dans les années 60 un taximan à Paris a décidé de partir en voilier autour du monde sans plus de connaissance sur la voile qu'un week-end de rond dans l'eau sur la seine. Il est parti, il s'est fait deux trois belles frayeurs mais il a fait son tour du monde.»
En réponse j'ai eu droit à un sourire mi songeur, mi rêveur. Tout est dit pour moi, c'est sûr Bob prend plus de risques que moi, c'est sûr il est face à des obstacles dont il n'a pas forcément conscience, il a sans doute investi ses dernières économies pour s'acheter ce bateau, ce rêve, mais quelque chose en lui le porte, ça se lit sur son visage, une incrédulité, une confiance, une dose d'ingénuité, on sent qu'il a son objectif sans se préoccuper de ce qui pourrait lui barrer la route. Est-ce que cela vient de sa culture orientale ? Je ne peux m'empêcher de penser à tout ce qui nous empêche de réaliser nos envies, à quel point notre culture peut être pleine de contraintes inhibitrices parfois. Notre culture m'apparaît complexe et très structurée, elle donne un cadre indéniablement rassurant et même fondateur mais dont on met longtemps à comprendre, je trouve, qu'elle a été fait pour des hommes, par des hommes, et que notre liberté est de déplacer ce cadre où bon nous semble. Comprendre qu'il y a entre la réalité de l'action, de la réalisation, et la projection de l'action un filtre qui est celui de notre culture implémentée dans notre cerveau, notre inconscient, nos peurs, nos liens affectifs par notre éducation, c'est commencer à sortir du cadre, c'est apprendre à se connaître pour devenir. La difficulté n'est pas de faire mais de trouver le chemin vers le faire, trouver ce chemin dans notre esprit qui nous ramène à la réalité, nous montre les bons nœuds à résoudre pour faire évoluer une réalité. Ce chemin est celui du rêve, celui de la réalisation de soi, de l'épanouissement. Je n'avais jamais saisi mieux qu'en ce moment à quel point le rêve et le concret étaient intimement liés, à quel point l'un n'existe pas sans l'autre, et l'autre manque de sens sans le premier.
Bob part le 10 décembre (quasiment en même temps que moi) c'est sa deadline m'a-t-il dit. A mon avis il a payé la marina jusqu'au 10 et après il faut qu'il parte quoiqu'il arrive. J'hésite, lui prodiguer un milliard de conseils, plus ou moins adaptés pour lui, et peut-être le décourager, ou lui souhaiter le meilleur. Il partira peut-être le 10 comme une bouteille à la mer, mais finalement des bouteilles à la mer on en récupère plein, alors pourquoi pas Bob. Ces marinas sont fascinantes pour ça, c'est comme si on regardait dans le cerveau d'un géant pour y voir ses rêves éparpillés à droite et à gauche. Ici plus qu'ailleurs les hommes sont dénudés car c'est impossible de mentir, l'homme peut mentir, pas le bateau. Un homme à côté de son bateau est un homme nu. Certains sont là depuis des années et il y a peu de chances pour qu'ils partent un jour, le bateau est bâché, la coque porte encore les marques d'une réparation inachevée, le mât est rouillé par terre, mais on trouve toujours la chaise pliante de camping à l'ombre avec le porte gobelet. D'autres ont entrepris de rénover un bateau des fonds jusqu'à la tête de mât, il y a des pots de peinture partout autour de la coque, il s'affairent chaque jour à la réparation du safran, du mât, des intérieurs mais ils y croient dur comme fer. Et d'autres peignent leur chaîne en blanc... Parce que c'est bientôt l'heure du départ. Il y a de tout, c'est un microcosme de l'imaginaire.
Le plus drôle c'est que 2h plus tard mon radeau de survie était livré... sur une palette. Pourquoi ? Parce que le bestiau pèse ses 60kg facile alors il est transporté sur palette. J'étais bien emmerdé pour le hisser sur mon bateau. Mais je me dis que je suis malin (et ingénieur en plus!!) alors je vais trouver une solution, en utilisant le palan de la baume je devrais pouvoir hisser le bestiau. Ni une ni deux je m'y mets je hisse mais j'ai oublié d'écarter la baume de la coque résultat le radeau racle le long de la coque (endommageant un peu la peinture au passage) se coince dans le rail de fargues arrivé en haut et je n'arrive plus à le hisser. Me voilà coincer en train de tenir à bout de bras mon radeau qui est à 4m du sol et impossible de le hisser sur le dernier mètre. Et là qui vient m'aider ? Bob... Et ensuite un autre type. Finalement on repose en douceur le radeau, on reprend le montage du palan que j'avais mis comme un manche (c'est le problème des ingénieurs, fort en théorie mais aucun sens pratique) et on hisse le radeau sans encombre. Résultat ça fait du bien d'être aidé parfois, il faut juste pas oublier de renvoyer l'ascenseur. Cody s'en tire avec quelques égratignures et c'est pas les premières que je lui fais. Je lui dois une peinture à Cody... On verra si j'ai le temps et l'argent. Il me reste à fixer le radeau sur le pont et la question radeau sera close.
Pour compléter le tableau, il faut que je parle du nicaraguayen que j'ai rencontré. Il y a dans la marina deux trois latinos qui bossent plus ou moins au black à repeindre des coques. L'un deux, (j'ai oublié son nom honte sur moi) a engagé la conversation avec moi. Au fil de la discussion il comprend que j'ai pas trop d'électricité (j'ai un petit soucis avec mon circuit 12V du coup j'ai pas de lumière) et que je me déplace à pied. Du coup il m'a prêté une lampe à brancher sur le réseau 110V et un vélo qu'il a ramené de chez lui. Du coup je suis maintenant équipé d'un moyen de locomotion et je peux lire le soir. Le luxe en somme. C'est toujours un peu intrigant quand les gens vous aide sans raison comme ça. J'espère juste pouvoir leur rendre la pareil. Mais est-ce là l'essentiel ? Pourquoi être dans un mode comptable dans la relation à autrui ? J'ai été éduqué comme ça, c'est sûr, mais sans chercher à en abuser, la relation à autrui peut aussi être plus simple, moins contractuelle faite d'opportunité, de spontanéité, de dons et de cadeaux. Un peu utopique me direz vous ? Certes l'idée a ses limites mais elle existe.
Bon je crois que j'ai assez divagué pour aujourd'hui, finalement Bob m'a bien inspiré et il m'a fait partagé ma petite vie à la marina.
Allez bon courage à vous, et à la prochaine !
YOLO !!
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Anonyme (non vérifié)
8 Novembre 2013 - 12:00am
J'adore cette histoire et ta
Anonyme (non vérifié)
8 Novembre 2013 - 12:00am
Salut Joseph