Transat Saint Martin – Horta
19 avril 2015 12h52
On dit souvent que le plus dur c’est de partir, à quelques minutes du départ, cette phrase prend tout son sens ! A l’avant du bateau, j’observe la terre, la navigation est allumée, le moteur prêt à démarrer et le début de notre retour enclenché !
20 avril :
Température eau : 26,3°c air : 27°c 12-15 nœuds au prés (vent de face) A la différence de la transat aller ou nous remontions le temps, ici le soleil se couche dans le sillage du bateau. On avance avec le temps, on vit avec le soleil. Notre premiere nuit sera accompagnée d’une salade de chèvre chaud.
21 avril :
Température eau : 26,1°c air : 28°c 14 nœuds au prés Cap 60 ° Ciel dégagé, mer peu agitée. Toute toile en l’air avec une ligne à la traîne. Je me spécialise au levé de coude de la ligne. Nous avons 3 nouveaux leurres, Rosette, Alphonse (mon favori) et blue Joe. On espère bien avoir une dernière chance de pêcher une dorade coryphène ! 220 miles parcourus depuis Saint Martin. Ce matin, c’est douche à l’eau de mer, on profite tant que les températures sont encore celles des Antilles …
22 avril :
Vent est sud est, mer belle, ciel dégagé. Hier, mon quart n’a pas était très drôle, assis dans le cockpit, je cherchais à percer la nuit sombre. Je me suis vite retrouvé perdue, la mer n’est plus un long fleuve tranquille. Il faut constamment interpréter les nuages, l’état de la mer et les conditions du vent. Autant la transat aller réserve peu de surprise, autant le retour peut devenir un vrai casse tête ! Mais le roulement des quarts à 3 nous permet de dormir 4 heures d’affiler.
24 avril :
Température eau : 24,5°c , 18-20 nœuds au portant (vent arrière). Aujourd’hui la mer est devenue blanche écume, le vent est monté et nous touchons désormais du portant. Nous filons à 6 nœuds en surfant sur la pente des vagues. Nous faisons presque route directe vers les Acores, le moral est bon. Le ciel est couvert de cumulus, vrais nuages de beau temps, je les observe et leurs invente des formes humaines. Hier nous avons navigué à vue avec Windflower un couple de suédois parti une heure avant nous de Saint Martin. Nous avons échangé nos infos météo.
25 avril :
Il commence à faire froid, la mer s’est encore refroidie, j’ai deux polaires sur le dos. Le ciel est plombé de lourd nuages gris et la météo revient souvent dans les conversations. Cela nous préoccupe beaucoup et Pier et Meli passent leurs temps à réfléchir à la meilleur route possible. Heureusement nous avons Michel (notre routeur) qui nous aiguille en nous envoyant régulièrement des infos météo grâce à notre téléphone satellite. Cette nuit là, les stratus ont caché la lune. Une nuit noire comme nous en avions encore jamais vu avec en prime des orages. La lune a fini par percer les nuages, et j’ai assisté à un magnifique spectacle. Elle n’était plus que petite virgule qui a plongé dans l’horizon de l’océan.
26 avril :
Nous faisons route au moteur, le vent est trop timide (4-6 nœuds) mais le soleil tient bon, il essaye de percer derrière les nuages. Les poissons volants se font de plus en plus rares. Hier en fin de journée, nous avons fêté notre première pêche de la traversée autour d’une bière. Alphonse (notre leurre) a mordu dans une belle prise. Une dorade coryphène oui oui !! Depuis le temps qu’on en rêvé !! Un dimanche sous la pluie, un temps à prendre quelques cours de météo avec Méli et tracer le dernier Way point envoyé par Michel sur la carte. (WP = coordonnées géographiques d’un lieu)
Nous avons parcouru 760 miles depuis Saint Martin, avec une moyenne de 110 miles par jour.
28 avril :
Les jours peuvent paraître semblables pourtant ils ne le sont jamais tout à fait. Et c’est cela qui donne à la vie en mer cette dimension particulière. Le vent est revenu à l’ouest (18-20 nœuds), la mer est forte.
Les nuits deviennent de plus en plus humides, à 2 heures du matin Pier a craqué, il a ressorti les bottes, je résiste mais je n’échappe pas au bas de ciré !
29 avril :
La coryphène est sans aucun doute la reine des poissons de haute mer. Et nous avons assisté à une belle bataille. Un papa coryphène de plus d’un mètre à mordu Alphonse (notre leurre). 15 kg de muscles qui se bat pour sauver sa peau ça vaut le coup d’œil. A l’approche du bateau, le fil s’est enroulé autour du safran et a fini par casser.
Moi j’dis tant mieux, c’est tellement magnifique!
Sa couleur n’est jamais uniforme, une fois vert pâle, vert phosphorescent ou bleu électrique en passant par le doré.
1 mai :
Aujourd’hui, nous sommes à plus de la moitié de la traversée, avec une moyenne record pour les dernières 24h de 140 miles. Le vent nous pousse encore, le ciel est rempli d’une brume étouffante et les voiles ruissellent d’humidité.
Il y a souvent des grains dans le ciel et des ris dans les voiles. Nous croisons plusieurs barils à la dérive. Nous passons plus de temps à l’intérieur du bateau, l’air est de plus en plus humide et frais. Le roulis me fatigue la tête. Cette nuit, j’ai sauvé un poisson volant qui avait fini sa course dans le cockpit.
2 mai :
Une aube grise et agitée pointe sous une épaisse couverture nuageuse, nous avons gagné au nord et touchons une bonne brise de ouest sud ouest. La température de l’eau est descendue à 20°c. Pour moins que cela, beaucoup irait se baigner moi je préfère garder les cheveux gras ! De toute façon avec l’humidité constante et stressante, on a la peau collante et les affaires moites. Nous croisons souvent à la dérive des physalies, sorte de méduse avec une crête de punk violet et rose pale qui flotte au raz de l’eau.
3 mai :
Vent frais, vent du matin. Le baromètre reste encore sage mais nous savons qu’une dépression approche. Nous complétons notre réservoir d’eau avec nos 50 litres de réserve. Il est 2 h du matin, je prend mon quart. Je somnole dans le cockpit, je jette de temps en temps un coup d’œil sur le compas et scrute l’obscurité pour vérifier
qu’il n’y ait pas les lumières d’un bateau à l’horizon. Nous sommes cette nuit sur une route fréquentée par les cargos.
4 mai :
Le baromètre a décidé de s’emballer, pour le moment c’est le calme avant la tempête 8-10 nœuds. Une dépression arrive du nord et descend sur les Acores avec une grosse houle du large. Les derniers jours vont être rudes et fatiguant. Je me disais bien qu’avoir presque que du portant avec des conditions idéales tout le long de la traversée ne pouvaient pas durer. Je répète souvent » c’est pas possible cela ne va pas pas durer, on va bien bien finir par prendre une bonne dépression dans la face ! » Bah la voilà, on se prépare à faire face, on range le bateau, on sieste, on prépare à manger..
5 mai :
Le baromètre est descendu à 1004 Hpa (signe qu’on se rapproche de la dépression) Vent d’ouest sud ouest à ouest avec 25-30 nœuds et une houle de 3 mètres. La dureté de la mer nous oblige à barrer constamment. Nous nous alternons à la barre et la nuit c’est Pier et Meli qui se relayent le plus souvent. C’est les prochaines 24 heures qui vont être difficiles, nous sommes en forme, nous avons eu de bonnes conditions pendant 17 jours, l’arrivée est proche, on restera concentré.
7 mai :
Épuisés, Meli et Pier dorment dans le carré. La mer a retrouvé sa douceur et le soleil réchauffe ma peau qui garde encore quelques traces de nos dernières 24 h. Nous avons fait face à une mer déchaînée et des vents atteignant 56 nœuds (100km/h). Je revois encore Pier à la barre se retourner face à ces masses qui se dressent et se creusent de plus en plus. Les vagues ont atteint des hauteurs monstrueuses (jusqu’à 10m) balayant le pont d’énormes gerbes d’écume. Le hurlement ininterrompu du vent monta d’un ton au petit jour du 6 mai. Nous étions à ce moment là, dans l’œil de la dépression qui progressait vers l‘est. Cela a duré une quinzaine d’heure au plus fort et 24 h au total. A sec de voile, avec un tout petit bout de génois, nous avons couché le bateau violemment à plusieurs reprises, mais nous étions entouré et rassuré par Léo (le beau frère de Pier) qui nous envoyé régulièrement des nouvelles de la dépression. Pour ma part, je suis restée le plus souvent à l’intérieur avec les trappes fermées pour éviter de reprendre des paquets de mer à l’intérieur du bateau. Armée d’une éponge, j’enlevais à la gite, l’eau croupie qui s’était accumulée dans les cales. Je préparais des repas qui finissaient régulièrement par terre. Des œufs aux plats à l’eau salées, des soupes chinoises au gout d’évier heureusement qu’ils nous restés quelques lyophilisés !
Je restais dans les marches à soutenir Pier ou Meli comme je le pouvais. Nous avons été d’ailleurs très soudés pendant ces 24 heures éprouvantes. Nous avons gardé confiance. Nous n’avons rien cassé, je peux vous dire qu’un Dufour 32 c’est du costaud et que mes 2 marins ont sacrément géré à la barre !! Le stress est redescendu, il nous reste 100 miles à faire pour arriver à Horta, je peux vous dire que la bière chez Peter’s bar on l’aura bien mérité.
8 mai :
Une horde de dauphins est venue nous accueillir à l’aube. A 6h47 Terre en vue !! Je peux vous dire qu’on l’a dit un paquet de fois … et c’est au bord des larmes que nous avons laissé la jetée du port sur bâbord et passé les amarres sur le fameux quai d’Horta. Un grand merci à tous pour vos petits mots, vos appels, votre soutient et tout particulièrement à Léa et Léo … et enfin à notre super équipière Méli !
Nous avons une grande pensée pour la famille du catamaran « rêve d’O » qui ont perdu leur petite fille dans cette tempête.
Un gros coup dur pour tous, familles, amis de cette équipage, cela nous rappelle malheureusement que nous sommes peu de chose face à cet élément.
Et aussi à nos copains de route Laurine et Gautier qui ont perdu Teegan (leur bateau) en naviguant vers les Bahamas.
La vidéo