La peur

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Anonyme (non vérifié)
réponse n°68142

Il est bon d'avoir quelque place pour "disserter" en
effet. Car les mots sont une expression de la pensée, et
cela permet de l'exprimer, la clarifier,la préciser, la
travailler, la revoir,la mettre en ordre, la mettre en
question, la communiquer. Et comme elle est ce qui nous
évite d'être des bêtes...

Je conclus sur la peur, en ce qui me concerne:
d'abord ce qui ne l'est pas:
- l'appréhension: une crainte vague
- l'inquiétude : un peu plus
- la crainte : là cela devient sérieux.
qui sont plutôt du domaine psychologique et
concernent les autres, le bateau, les évènements
( est-ce que ce vent va encore continuer longtemps à
monter? , ou bien "ce brouillard est vraiment épais, et
avec ces bruits de moteur qui se font entendre, il y a
de quoi ne pas être tranquille " etc...

- la PEUR , qui est surtout physique et s'accompagne
d'une grosse décharge d'adrénaline . Les biologistes
disent que c'est une réaction de défense qui mobilise
ainsi toutes les ressources de l'organisme. Il y a aussi
un autre type de réaction de l'organisme qui inhibe
totalement (l'animal qui "fait le mort") mais ne vaut
rien en mer: un être prostré par la peur n'a plus la
possibilité de lutter pour sa survie et celle de ses
proches.

-c'est sûr qu'il est bon d'évoquer et de partager les
plus belles escales et les navigations de rêve. Il est
d'ailleurs possible d'ouvrir dans ce forum les rubriques
que l'on veut. Mais pour les vivre sans les gâcher, ou
pire, il faut savoir les "pièges" de la mer , "to cope
with them" ="faire avec" - et s'en sortir. Il y a la
peur, les illusions et les hallucinations dues au manque
de sommeil (je me demande qui n'en a pas eu- surtout en
navigation solitaire), qui évoluent entre le pittoresque
et le périlleux, les décisions aberrantes (dûes à la
pression de passagers effrayés ou las d'être secoués, ou
à un "capitaine" de faible caractère qui "craque"
(exemples: rentrer à tout prix à terre dans un mauvais
coin et par un mauvais temps, ou tarder à prendre un ris
quand il le faudrait, ou ne naviguer qu'au GPS et tomber
en panne de cet engin, etc..)

Il y a sur le forum de "Seamply" ( rubrique voile>
naufrage ), un étonnant reportage photographique
séquentiel (une série de photos prises toutes les 2 à 5
secondes) du naufrage à l'entrée d'un port, par mauvais
temps, d'un beau et solide bateau brisé par la décision
de son "propriétaire-capitaine" qui n'en pouvant plus de
se faire secouer a voulu rentrer à tout prix dans un
port quasiment sans eau, à marée basse! Confortablement
assis devant l'écran, cela paraît ridicule, mais si le
propriétaire n'a pas dominé la fatigue, l'abrutissement,
peut-être un certain manque de sommeil, voire la peur,
il ne pouvait qu'aller tout droit à la roche (et , ce
qui est étonnant, dans un état de grande indifférence à
ce qui allait se produire): ce qu'il a fait. Il aurait
"tenu" physiquement et psychologiquement 5 heures à la
cape, il rentrait.
C'est un reportage qu'il faut voir, car il fait
réfléchir, et, réfléchir en mer, permet de ramener son
bateau, ses passagers, survivre, et prendre du plaisir
plutôt que de souffrir des tourments à naviguer.
J'ai vu la même chose se produire, mais par beau temps,
d'un propriétaire novice, saoulé par deux heures de
navigation, qui a brisé son bateau neuf à l'entrée d'un
port bien à sec (et cela se voyait!). J' étais à
l'extrémité quai, n'imaginant pas le moins du monde
qu'il pût agir ainsi et pensant qu'il virerait de bord
après avoir reconnu l'entrée, et n'ai pas eu le temps de
la prévenir ( mais cela aurait-il servi?)

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68143

Tu vois, c'est bien ce qui m'inquiete. Comment vais-je
reagir le jour ou la peur et la fatigue aidant il
faudra prendre une decision qui soit bonne.
On ne peut pas le savoir avant d'y etre et quand on
croit y avoir ete on se dit qu'il peut toujours exister
une situation pire encore. Et alors quelle sera la
reaction ? ? ?
Ca peut paraitre abscon pour qui ne se pose pas la
question mais il faut bien se la poser la question !
les exemples que tu sites montrent bien qu'il arrive un
moment ou on peut faire n'importe quoi, voire baisser
les bras, la ca depend de chacun, de l'ultime ressource
et on ne peut le savoir avant de l'avoir trouvee.

Bonne journee.

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68147

je pense que la meilleure solution est le bon sens:
garder "de la réserve": marge de sécurité par rapport au
bateau et au temps, par rapport à son potentiel et à sa
forme du moment, suffisamment de carburant dans son
réservoir, parce que ça peut servir si on perd le mât,
et même avec: la grand-voile arisée, très bordée et le
moteur à un régime pas trop élevé donnent un moyen très
efficace de gagner du temps en gagnant au vent. Si on
est épuisé, il vaut mieux mettre à la CAPE ( sauf
conditions extrêmes ) que se jeter à la côte - je l'ai
fait l'an dernier, pendant toute une nuit, en somnolant
dans le cockpit: au matin, j'avais suffisamment récupéré.
Ne pas partir à tout prix non plus, si l'on a un doute
sérieux: c'est plus facile si l'on est retraité, mais
même si l'on ne l'est pas, il vaut mieux subir des
problèmes à terre qu'un désastre en mer.
Ne pas obéir au capitaine de port s'il donne des
directives dangereuses: c'est le capitine du bateau qui
est responsable. Il m'est arrivé de désobéir
courtoisement mais fermement, en m'expliqant, au
capitaine de port de Las Palmas, qui voulait m'obliger
d'amarrer par mauvais temps le chalutier en bois que je
commandais dans un coin dangereux du port.
Faire une étude météo sérieuse lors de chaque sortie
bien sûr, et repérer à l'avance sur la carte tous les
abris en fonction des vents qu'on peut rencontrer, ports
ou mouillages.
Je ne sais si on pratique toujours, lors d'un
louvoyage le long de la côte, ce qu'on faisait lors de
mes débuts, à défaut d'appareils de navigation très
évolués: le bord vers la terre le jour, et la nuit le
bord vers le large: on précisait l'atterrissage du matin
au moyen des grands phares (quand on les apercevait).
Quand il y a des forts vents de terre (genre Mistral),
il est confortable et sûr de raser la terre en utilisant
le sondeur après une étude attentive de la carte: en
Languedoc , et jusqu'à Carry-le-Rouet, je le fais
carrément sur la ligne des 5 mètres - sauf des endroits
repérés à l'avance, comme le Rhône -27 mètres- te
l'ouverture du golfe de Fos (qui donne une indication de
l'état de la mer)l'Espiguette -15 mètres- le port de
Sète -25 mètres, 17 pour y entrer - Cap d'Agde -10
mètres, etc.. . Cela allonge un peu la route mais on
marche vite et on rentre facilement à terre ou sur un
mouillage, sans s'épuiser ou se faire peur au large,
voire pire. Il m'est arrivé de mouiller devant la plage,
du côté des Saines Maries, pour "récupérer", avec, bien
sûr une veille de mouillage, prêt à appareiller.

Il y a quantité de trucs et de techniques qui" font les
vieux marins" comme disait l'un de mes maîtres en
navigation. Cela vaut la peine d'y prêter attention
avant que le pépin n'arrive, et même s'il n'arrive
jamais : et puis on se sent plus à l'aise en mer.

Amon avis, il ne faut pas cultiver la peur par
anticipation: cela gâche le plaisir de la navigation,
d'autant que c'est la plupart du temps injustifié: il
faut être éveillé et vigilant.

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68253

Quel fil !

Pour Winjammer: ce mot a _aussi_ une origine germanique, comme bien des mots communs aux germains et aux anglo-saxons.

Wind en allemad signifie, comme en anglais : vent.
Jammer en allemand signifie peine, misère, plainte

L'allemand adore les mots "valise" faits en assemblant 2, 3, voire 4 mots à la queue-leu-leu

Windjammer, serait donc quelque chose comme la "complainte du vent" .

Pour la peur, comme dit Kaj, on ne sait pas comment on réagira , in fine . Et ce n'est pas forcément quand le danger est maximal que la peur est maximale !

J'ai eu une grosse frayeur (peur ?) un jour, alors que le principal risque n'était "que" de casser le bateau de location, en passant entre les Lérins et le continent à fond la caisse mistral dans le dos, avec 2.3 mètres de "tyran" d'eau, à l'époque le GPS n'existait pas ! Le chenal permet de passer, c'est sûr, mais la marge est petite, et s'il y a un peu de clapot, ça peut taper . Et pas de frein à main sur le bateau :-) Et comme l'eau est claire, on voit les herbiers à toucher le bateau , brrrrr ... Je me suis juré de ne pas recommencer cette bêtise idiote :-)

Je n'ai _pas_ eu peur la seule fois où le pronostic vital était vraiment en jeu, avec 15 minutes pour s'en sortir. Un jour, pris dans un orage, par 3000 mètres au dessus des Hautes Alpes, en planeur dans une vallée en cul de sac avec seulement des rocs et des sapins sur des pentes à 45° pour se cracher dedans, paraplégie ou casse pipe garantis. A vrai dire, je n'y croyais pas, je me suis dit: "il y a forcément une solution". Une sorte de refus de l'esprit d'admettre la fatalité ou la réalité ... Et comme je suis encore là, c'est que je l'ai trouvée, la solution :-) Et j'ai revolé le lendemain, et tous les jours suivants sans crainte particulière supplémentaire.

Le syndrome du "se crasher plutôt que continuer" dont parle Winjammer avec les entrés au port "fracassantes" est sûrement un des plus grands dangers qui guette quand on a peur. En planeur il est omniprésent, car la (fausse) solution est toujours possible vu qu'on est toujours à moins de 15 minutes du plancher des vaches. C'est une sorte de fascination trompeuse, comme les sirènes qui jadis entraînaient les marins à se noyer pour échapper à leur misère . En voile, la situation est rarement telle qu'on soit tenté d'y recourir, car souvent on est (heureusement) loin d'un (faux) abrit. Qui n'a jamais préféré affronter la barre de ressac dangeureuse à l'entrée d'un port plutôt que de continuer à sa faire branler à 5 nautiques au large :-)

Robert.

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68266

Oui, Robert, il y a cependant quelques differences avec
le planeur, surtout celle due a l'accumulation de
fatigue qui risque d'etre plus grande. Aussi la
conscience du danger je crois, mais comme je ne fais
pas de planeur je ne peux qu'imaginer.
Sur un bateau la conscience du danger arrive vite, etre
secoue, refroidi, meurtri prendre une ou des decisions
a l'avance quand on ne sait pas ce qu'il y aura au bout
font sans doute que l'esprit et le corps s'epuisent et
provoquent probablement des prises de decision genre
roulette russe.
On en a marre on n'en peut plus alors en route pour le
port ou ca brasse tant ! On verra bien.

c'est peut etre la que le metier entre en jeu.
L'habitude, les reflexes, le conditionnement, la
mefiance sont sans doute beaucoup plus developpes quand
on navigue beaucoup.

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68286

Kaj a raison à 100%.
Et il faut avoir assez d'expérience et de bon sens pour
apprécier les limites et la marge de sécurité nécéssaire
à l'ensemble "ce bateau" + "cet équipage" dans des
conditions de temps et de configuration de la côte
donnés. Ne pas "y aller" quand il ne faut pas. Et, si on
s'y est fait prendre, ne pas perdre les pédales (quitte
à prier si on ne sait plus quoi faire de sensé: il y en
a que cela a évité de dérailler). Un bon bateau moderne
tient très bien la cape (jusqu'à certaines limites, bien
sûr), en demandant très peu à l'équipage, seulement de
tenir sur le plan psychologique. Il est bon de
s'entraîner à prendre la cape par temps modéré (force7,
mer agitée), pour repérer les réglages et les manoeuvres
à faire.

L'instinct du "terrien" lui fait rechercher une surface
qui ne bouge plus, avec d'autant plus d'intensité qu'il
perd ses moyens; le "marin" - celui qui a une expérience
suffisante- craint une côte dangereuse si une forte mer
pousse dessus: de tout temps, quantité de professionnels
y ont laissé leurs vies; mais eux sont obligés d'y aller
- et de rentrer pour débarquer la cargaison ou la marée.

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68288

Bonjour,

Le "confiturier de vent" a écrit:
"de tout temps, quantité de professionnels
y ont laissé leurs vies; mais eux sont obligés d'y
aller - et de rentrer pour débarquer la cargaison ou
la marée."
Enfin une phrase qui a du sens...
plh

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68317

En ce qui me concerne, j'ai fait le tour de la
question, d'où des réflexions profondes:
1/ on peut expliquer les circonstances, on ne peut pas
communiquer ce qu'est la peur,
2/ on ne peut même pas se rappeler la peur; seulement
se souvenir de l'avoir éprouvée: sinon on ne
retournerait jamais plus sur la mer

"tout s'est passé il y a huit ans, et Patrick(1)
tremble toujours. Une forte houle, un bruit insolite,
des conditions difficiles, et ses mains s'agitent...Il
s'en est sorti, mais à quel prix! Des tics nerveux, des
cauchemars, plus jamais tranquille en mer...( histoire
réelle: Youenn Kervennic "l'appel de la mer")

-" Avez-vous eu des grands moments de frayeurs avec
votre bateau ?" (rire).
"Très souvent. Par exemple j'ai eu au moins 25
frayeurs pendant ma dernière transat Jacques Vabre.
C'est très très courant. Par contre la vraie peur
s'installe au delà d'une certaine force de vent qui
nous empêche de piloter et qu'on est obligé d' attendre
que ça se passe. Là quand on est à la merci des
éléments on a une réelle peur". Laurent Bourgnon

"Sailing to the Edge of Fear" c'est le titre très
significatif de l'un des livres de FRANK DYE,
spécialiste en navigation océanique - notamment
d'Angleterre en Islande et en Norvège ("Ocean-crossing
Wayfarer: To Norway and Iceland in an Open Boat"~Frank
Dye, Margaret Dye) - sur un "Wayfarer" ( dériveur
léger, intermédiaire entre le 420 et le "Ponant")

"I have often been afraid, but I would not give in to
it. Imade myself act as though I was not afraid and
gradually my fear disappeared."
-- Theodore Roosevelt
Sacré colonel des "rough riders"! : mais il fallait un
peu d'optimisme dans cette tourmente de vents et de
fureur!

"For the truth is that I already know as much about my
fate as I need to know. The day will come when I will
die. So the only matter of consequence before me is
what I will do with my allotted time. I can remain on
shore, paralyzed with fear, or I can raise my sails and
dip and soar in the breeze."
- Richard Bode, First you have to row a little boat (2)
un exemple de "self-control". Richard Bode ne peut pas
ne pas être bon sur la mer.

(1) Patrick est un patron pêcheur qui a été le seul
survivant d'un naufrage horrible, en vue de la côte,
malgré les efforts coordonnés de toute une flottille (2
pétroliers, 1 cargo, 2 corvettes de la Marine Nationale
dont l'une l'a sauvé "in extremis", plusieurs
chalutiers, un avion de la Marine) et le fait que le
patron du bateau avait accompagné son "Mayday" de la
position précise du lieu du naufrage: 7 morts, tous des
copains d'enfance, par suite de la défaillance du canot
pneumatique. Le bateau naufragé était un chalutier de
25m et 400 chevaux, en acier. Ultérieurement, Patrick a
de nouveau fait naufrage par abordage d'un escorteur:
cette fois, le sauveteur n'était pas loin!

J'ai moi-même été témoin -à la radio- du naufrage par
chavirage d'un petit cargo ( de 60m et 8 hommes
d'équipage) au large du Rhône - par Mistral force10- 4
hommes sauvés presque aussitôt , les 4 autres récupérés
le soir sur leur canot pneumatique, morts. Quoique à
l'abri et n'ayant qu'à veiller les appels pour
les "relayer" en cas de besoin, j'ai été choqué par
cette tragédie vécue au long de la journée, et
l'évidence que la puissance des moyens modernes (unités
de la Marine Nationale, cargos, avion ) la compétence
des équipages et la certitude que les 4 marins étaient
sur leur canot pneumatique avaient été totalement
impuissantes face aux forces de la mer et du vent.

(2) Je copie ou transcris certains titres ou fragments
de textes en Anglais pour en garder la "couleur". Pour
ceux que cela pourrait intéresser, je peux les traduire
en Français.

Et que la peur vous épagne autant qu'il se puisse!

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68319

Oh oui !

Anonyme (non vérifié)
réponse n°68385

Pour Cage et Lerdameur,
Le professeur Damasis vient non seulement de
localiser l'aire corticale de la peur (située, on s'en
doute, très à l'arrière du cerveau, et étrangement
étendue), mais de plus, a réussi à la stimuler
électriquement. Sensation garantie. Il semblerait
même que la réponse cérébrale donne , en effet
secondaire, le sentiment d'exister que vous
recherchez... On se demande bien pourquoi, dès
lors, se faire ch... à entretenir un bateau...
Cordialement.
plh

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réponse n°68796

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1. NAUT grand voilier m marchand
2. Br [light jacket] anorak m, coupe-vent m inv

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