12 jours... Sans voir âme qui vive, sans aucun signe des bienfaits de notre civilisation. La mer, l'océan, le sel, le vent qui siffle, le soleil qui tape, les nuages qui noircissent la nuit, les étoiles qui scintillent et chaque matin cette même magie. D'abord une lueur orangée dans la nuit quelque part à l'est, puis des rayons qui se hissent péniblement au dessus de quelques nuages oubliés par la nuit et enfin le disque solaire, majestueux, avec la lenteur d'un roi qui transperce les nuages, inonde l'horizon, la mer, le bateau de sa lumière. A cette heure là on peut encore le regarder bien en face droit dans les yeux et le contempler en se disant que le monde renait tous les matins.

Voila j'ai pas pu m'empêcher, je m'étais dit en pensant à ce post, pas d'envolée lyrique, je vais leur raconter les 12 jours avec des mots bien réels, qui sentent la fatigue, qui collent comme le sel dans les cheveux, qui portent l'angoisse d'une nuit sans étoile lorsque le vent forçit et que la mer se creuse. Je me disais je vais leur dire toutes ces fortunes de mer, la drosse de l'enrouleur qui pete deux fois, gréer le tourmentin à la place par force 5-6 dans 2m de houle en pleine nuit, je vais leur decrire le bordel que c'est un carré de bateau après seulement 3 jours de près serré, l'eau qui rentre par le roof, par le pied de mat, le génois que tu jettes en boule dans la cabine et qui te fais chier pendant 8 jours parce que tu sais pas comment le plier dans un espace aussi petit. Je vais leur dire le marin d'opérette que je suis à partir avec un bateau pas rangé, à minuit un dimanche soir pour essayer d'arriver à temps aux iles vierges US pour voir la petite soeur. Les courses en vrac dans les équipées, les placards mal fermés qui s'ouvrent en pleine navigation deversant les ustensiles de cuisine, les outils. Je vais leur dire que j'ai rien mangé que des barres de céréales les trois premiers jours à tel point que mes bermudas tiennent plus sur mes hanches. Je vais leur parler de cette gamelle de bouffe dont j'ai rêvé pendant 30 mn terminer par terre contre le logement à batterie sur un nième coup de gîte. Je vais leur parler des bleus, des plaies qui cicatrisent pas, des coups que tu prends à chaque soubressaut du navire... C'est sur que raconté comme ça la voile sous les tropiques ça vend moins du rêve. Et l'angoisse d'avoir mal préparé le bateau, scrutant chaque bruit dans la cabine, sur le pont, pourquoi la baille à mouillage se vide pas? Pourquoi j'ai de l'eau qui ressort des fonds, pourquoi mes haubans sont complètement détendus, pourquoi le balcon arrière se détache????? Et ces bruits sourds sur la coque à chaque fois qu'une vague vient s'eclater contre le bateau c'est sur il va s'ouvrir en deux, s'éventrer littéralement au milieu de l'océan, exit le rêve, le radeau de survie comme seul planche de salut et puis c'est tout. Et finalement accepter, accepter son destin s'en remettre à son bateau, lui faire confiance, l'écouter, lui parler et parfois le laisser faire, finalement la mer il la connait mieux que moi. Alors j'ai commencé à regarder les étoiles, le levée du soleil, profitez d'une sieste à midi à l'ombre lorsque la mer accepte de te laisser un moment de répit. Et je me suis dit, apprends Joseph, tant que tu es debout, apprends, enregistre comment le bateau réagit, quand il se comporte bien et moins bien, lit les signes dans le ciel, un grain qui arrive, les moutons à l'horizon qui annonce le fraichissement du vent, sens l'air chaud, l'air froid, ménage ton bateau pour arriver à bon port.

Le bon port, celui qui ressemble à une ombre sur l'horizon d'abord tellement petite que tu ne l'as même pas remarqué et tout à coup ça y est, la musique de Vangelis retentit dans tes oreilles, tu es Christophe Colomb, Vasco de Gamma, Magellan, putain tu es un conquistador parés de sa plus belle armure, tout en haut du mat de hune et tu hurles TERRE!!! TERRE!!! TERRE EN VUE!!! Oui là bas au milieu des nuages c'est bien un putain de bout de cailloux que les hasards de la géologie ont fait emergé juste devant ton etrave, une terre peuplée d'amerindien qui n'attends que toi pour être découverte. C'est sûr au bout de 12 jours de solitude et de mer tu as traversé le continuum espace temps tu arrives sur une terre vierge, tu es un aventurier. Ca y est!! 

Heureusement l'aventurier dispose d'une constellation de satellite GPS pour lui dire où il est, d'un sondeur pour l'assurer qu'il fait pas du rase cailloux, il a des cartes électronique (avant que son ordinateur ne le lâche victime d'une vague scélérate qui s'est infiltré jusqu'à la table à carte) pour lui dire où aller lâcher son ancre. Et finalement quand Bob Morane a posé l'ancre au milieu de 15 autres bateaux dont l'un ressemble à l'USS entreprise avec ses néons bleux qui illumine l'eau il est bien content de trouver du réseau pour pouvoir envoyer un SMS!!

Voila je suis donc arrivé aux îles vierges US, à St Thomas plus exactement (pour ceux qui ne l'auraient d'ailleurs pas remarqué ma position réelle est donnée sur le lien dans la colonne droite du blog, ma position est actualisée une à deux fois par jour). Pour le moment ce n'est pas encore plage et cocotier le programme mais plutôt réparation de toutes les petites casses que j'ai eu pendant la traversée. En particulier la pale hydrodynamique du régulateur d'allure. Oui je sais j'en étais tellement fier de mon régulateur d'allure, et bien il a marché 2h, apres quoi suite à une prise de pêche certainement énorme (un leviathan au moins) qui a fait faire un départ à l'abatée au bateau la pale s'est tordu et on a pas pu l'utiliser... J'étais vert. Mais on va essayer de le réparer à Saint Thomas. 

Pour compléter ce post il faut que je remercie mon père qui m'a rejoint depuis le 5 décembre et qui m'a bien aidé dans la dernière ligne droite pour la préparation du bateau et qui m'a supporté pendant les 12 jours de traversée. Car mon dernier post remonte un peu et à l'époque les travaux avaient pas beaucoup avancé. Mais avec l'aide des amis de la marina, nous étions devenus une vraie communauté à la fin, nous avons partagé le verre de l'amitié avec le croate Goran, le floridien Larry, l'américain musulman Abdul/Richard et Mike, toutes cette clique de joyeux marginaux m'ont finalement bien aidé. 

Prochaine étape la Guadeloupe où mon père doit prendre son avion retour sur Paris et où j'embarque les premiers équipiers. Vous pouvez suivre mon avancé grâce au lien sur la droite de la page ou ici.

A très bientôt pour d'autres nouvelles j'espère que vous allez bien, j'oubliez presque: joyeux noël, bonne année à tous!! Les réveillons sont pas les mêmes au milieu de l'océan!!

J'oubliais quelques photos de la traversée ici