De Salvador à Rio, 30 heures pour un exercice de style

Nous prenons donc le bus pour Rio. 30 heures. Une journée, une nuit, puis encore une journée. Il fait froid, l'air conditionné fonctionne à fond, la nuit il faut se couvrir. Les fauteuils sont très confortables, la route de meilleure qualité que dans le Nordeste. On peut dormir et même écrire sans devoir jouer aux devinettes à la relecture. Le bus s'arrête régulièrement, pour laisser le chauffeur se reposer, en changer, permettre aux passagers de se dégourdir les jambes, se rafraîchir, manger un peu.
Entre les pauses, le paysage défile et se transforme devant nos yeux. C'est le bonheur des trajets en bus: en assistant à cette transformation, on appréhende bien mieux et plus facilement l'histoire et les relations qui peuvent exister entre les différentes régions traversées. Les aînés s'occupent seuls, entre contemplation, pauses, lecture, jeux et vidéos. Et puis, Tanguy peut enfin prendre le temps de penser. Le bateau est loin, avec son lot quotidien de petits travaux, les préparations de navigations, la logistique, les visites, les cours des enfants. La frénésie permanente de la vie à bord aussi. Le temps de penser. Dans un bus. Un luxe inattendu.
Le bus est presque vide. D'abord, la route serpente entre des collines couvertes de forêt tropicale atlantique, verte et abondante. Puis elles s'applannissent, avant de laisser la place à de grandes plantations de canne à sucre. Dans des champs paissent des vaches blanches et bossues. Partout des cocotiers, des dendés, des manguiers, des bananiers.
Puis l'habitat se disperse, les cultures sont moins denses, le paysage s'assèche. Les grands arbres verts laissent place aux acacias et aux cactus, parfois enlacés en une sadique étreinte. Les prairies, peuplées de quelques vaches maigres ou de chevaux survolés par des vautours noirs à tête rouge, sont balafrées de chemins rectilignes en terre ocre. Des falaises blanches, verticales, forment l'arrière-plan. Parfois, un arbre s'est trompé de saison, et nous offre le bouquet vif de ses fleurs, balise perdue dans cette mer vert-de-gris.
La console de jeux refait son apparition. C'est fascinant, ces jeux électroniques. Pas les jeux en soi. Mais la fascination même qu'ils exercent sur les joueurs. Cette plongée dans un monde virtuel et tellement limité – l'histoire est linéaire, le rythme prévisible, les personnages des variations de paramètres sur le même thème – aimante, sans doute parce qu'on peut en être partiellement acteurs. La console de la grande a été oubliée dans un bus. Elle s'en félicite presque: “Je vais enfin pouvoir faire mes devoirs: Avant, je voulais toujours y jouer”. Quelle magnifique prise de conscience! Mais dès que son frère joue sur la sienne, elle visse sa tête par-dessus son épaule...
Le paysage défile, donc. Plus lentement qu'en avion. Mais trop rapidement quand même. Chaque tournant recèle un coin de paradis, une invitation à suivre le chemin qui entame la remontée d'une vallée prometteuse, une culture intrigante. Il faudrait faire ce chemin à vélo. Ou à pied. Pouvoir s'arrêter. Prendre une vie pour découvrir cette région.
Brésil, pays où on loge une chapelle entre deux bidons d'huile de 20m, dont le bouchon est surmonté d'une croix.
Le jour nous fait découvrir des collines presque nues, sur lesquelles le bétail ne laisse qu'une herbe rase et grisâtre, incapable de contenir l'érosion qui ouvre des plaies béantes et vives dans ce paysage sans contraste. L'agriculture s'intensifie sur des collines serrées et de plus en plus hautes. De grands potagers occupent les fonds de vallée. Ici aussi, un arbre offre parfois son panache coloré. De hautes haies de bouquets de bambous géants scindent les collines en suivant les crêtes, leur conférant un double faciès, à la Janus.
Brésil, pays où les camions franchissent la double ligne jaune pour prendre l'intérieur du tournant.
Puis les collines deviennent montagnes. L'érosion est maintenant omniprésente, quelques ouvrages en béton ont peine à l'empêcher d'atteindre la route. Ailleurs? On creuse, on brûle. L'eau a toute liberté de ruisseler, raviner, ronger, emporter, et ne se prive pas d'en profiter.
On continue à monter. Les cultures laissent place à la forêt. Les brumes apparaissent. De jolies maisons s'accrochent aux flancs des coteaux. Quelques conifères se mêlent aux palmiers, bambous et autres feuillus. A 1000m, les villes s'appellent Thérésopolis, Pétropolis, Nova Friburgo,... Les maisons prennent des airs de chalets alpestres. Nous apprendrons plus tard qu'il y a eu une importante immigration suisse et germanique dans la région...
Puis, au détour d'un col, le paysage s'ouvre brusquement, la vue n'a plus d'autre obstacle que quelques pics isolés dans la plaine, 1000m plus bas. Le bus entame une descente vertigineuse dans la forêt tropicale pour rejoindre la plaine et l'autoroute qui nous amène à Rio... et ses embouteillages.
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Anonyme (non vérifié)
17 Novembre 2014 - 12:00am
Merci Tanguy pour ce récit
Anonyme (non vérifié)
17 Novembre 2014 - 12:00am
Merci pour cet interessant
Anonyme (non vérifié)
19 Novembre 2014 - 12:00am
Coucou,
Anonyme (non vérifié)
17 Novembre 2014 - 12:00am
Merci Anne Sophie; je me
Anonyme (non vérifié)
22 Novembre 2014 - 12:00am
Bonjour à vous tous.apres