Extraits des emails envoyés à nos “anges gardiens”, chaque jour, vers midi:

 

1er jour, 13°38,3'N 23°20,0'W

 

Tout va bien à bord. Petit temps, mer belle, petites houles croisées. On vit, on patiente, on avance doucement sous spi. Cap au Sud, pour éviter des courants défavorables et prendre un peu de hauteur par rapport aux vents qui nous attendent de l'autre côté du pot au noir.

 

2e jour, 12°27.7'N 23°15.0'W

 

Boomerang continue son -très- petit bonhomme de chemin, cap au sud. Mer calme, légères houles croisées, très petit temps de travers ou grand largue, on fait moins de cinq noeuds, souvent moins de trois, même sous spi. Ca nous oblige à faire de l'électricité deux à trois heures par jour. Hier, ça a été un moteur, comme ça on pouvait quand même avancer un peu. Aujourd'hui, ça va mieux, alors on fait tourner le groupe.

 

L'océan est bleu, presque mauve, chaud (31 degrés) et vide, seuls quelques criquets nous rejoignent, épuisés, des côtes d'Afrique, à près de 750 km!!! Très peu de poissons volants. Hier soir, on a pêché un gros calamar, qu'on a décroché avant de le remonter, on ne savait pas trop qu'en faire. Les enfants travaillent le matin.

 

3e jour, 11°03,6'N 23°16,4'W

 

Tout va bien à bord. Le petit temps se confirme. Bien avancé en journée, la nuit le vent a refusé, résultat: on tire des bords. La fin de nuit a été particulièrement erratique... ;-) Hier midi, grande salade avec du blé, hier soir, croques hawaï!
Ce matin, moteur! Et premier grain pluvieux. Toujours pas de vent, mais on a pu rincer le bateau et prendre une vraie douche! Même le drapeau a retrouvé une nouvelle jeunesse, après s'être débarrassé de sa poussière Cap-Verdienne.
Les lumières, les couleurs et les paysages sont fabuleux. On part à la chasse au pot-au-noir!

 

4e jour, 9°42,4'N 23°01.8'W.

 

Hier, magnifique journée, avec baignade par 5000m de fond dans une mer d'huile, transparente comme jamais vu, une bonite pêchée, et une visite nocturne de dauphins, entourés de plancton lumineux: magique!
Aujourd'hui, un gros grain s'est chargé de venir nous remettre les idées en place: on s'est laissés surprendre, ce qui nous a lancés dans une belle aulofée, et une rafale a fait valser les lunettes de vue de Tanguy par dessus-bord.
On cherche toujours le pot au noir. Si vous le rencontrez, vous nous faites signe?

 

5e jour, 8°04,3'N 23°36,8'W

 

Tout va bien à bord. On a eu un bon petit vent la nuit et ce matin, ce qui nous a permis de progresser. Mais c'est retombé, re-pétole... donc re-baignade, par 5000m de fond, mer transparente etc etc. La traversée est difficile!!! ;-)

 

On a mangé la bonite en sashimi hier soir, c'était royal! Surtout que Soizic s'est fendue d'un menu décoré comme à Noël! Ce midi: re-croques, le pain commence à se faire la malle, il faut lui faire un sort! Est-ce qu'on a gardé des framboises pour Soizic et Théodore? Quelqu'un a les résultats de la France? Notre équipier n'en dort pas ;-) Tant qu'on y est, qui a battu la Belgique?

 

6e jour, 6°58,0'N 23°37,8'W

 

On est enfin rentré dans la zone de responsabilité météorologique Brésilienne. Un petit vent de SW nous fait avancer petit à petit. Beaucoup d'algues, ça nous oblige à nous mettre à la cape de temps à autres et parfois plonger pour dégager les appendices. Sinon, à traîner cet herbier avec nous, on avance encore moins...

 

Toute la nuit a été éclairée par la lune. Après son coucher, en fin de nuit, grand ciel étoilé, magnifique. Tanguy a pu en profiter grâce aux lunettes de Soizic. Comme quoi passer des gènes défectueux peut parfois présenter des avantages ;-)

 

Ce matin, réveil avec une daurade coryphène au bout de la ligne! 1m50 selon le pêcheur, 70cm selon l'équipage ;-) Quelques protéines bienvenues, on est arrivés au bout de la viande achetée à Praia. A part une noix de jambon qui devrait pouvoir tenir encore un peu, mais du jambon à tous les repas...

 

Bientôt l'anniversaire de Théodore. Peut-être au moment de passer l'équateur? On devrait toucher du vent... un jour ;-)

 

7e jour, 5°57,2'N 23°53,6'W

 

Hier soir, on a dégusté la première partie de la daurade. Superbe! La nuit a été fort occupée, à passer de grains en grains, avec des changements de vent inattendus et surprenants. On croyait ce matin avoir enfin touché les alizés, mais ce n'était pas encore ça. On joue de grain en grain, souvent au près dans vingt noeuds apparents.

 

Pas d'équateur pour l'anniversaire de Théodore, donc. Mais ça ne saurait tarder!

 

8e jour, 4°57,4'N 24°45,2'W

 

Hier, c'était "danse avec les grains". Au point que, ayant perdu nos repères dans un monde uniformément gris, on en est arrivé à faire un huit de plusieurs milles avant de retrouver la bonne direction! ;-) Mais là, c'est bon! On a touché les alizés, on a pu lâcher un peu la bride, on avance! Par contre, le confort n'y est plus: au bon plein dans 25 noeuds apparents, une mer avec des creux de parfois 3-4m, on sera content de pouvoir abattre un peu! Qui a dit que la voile est un éternel compromis? Consolation: le bleu des vagues, avant de déferler, est féérique.
Pour fêter dignement l'anniversaire de Théodore, il faudra donc attendre un peu. En attendant, double ration de bonbons pour tout le monde!

 

9e jour, 3°17.0'N 26°11.7'W

 

On avance! Au près bon plein, dans le clapot, mais on avance! Fini les bons petit plats, voilà les pâtes, les lentilles et autres polenta qui font leur apparition ;-)

 

Le pot au noir a tenté une contre-attaque hier, heureusement on a pu la déjouer!
Fin des oranges et des pommes, restent les bananes et quelques légumes... Hier, on a fêté Théodore, avec même une belle tentative de fondant au chocolat par Léo!

 

10e jour, 1°22,2'N 27°30.7'W

 

Il est des moments extraordinaires en navigation. Qui font oublier toutes les vicissitudes passées. Ou plutôt qui les transcendent. Nous nous sommes arrêtés une heure, pour remettre les compteurs à zéro. Pour faire tourner tout ce qui devait tourner, prendre une douche, manger confortablement et aérer le bateau. Une heure de cape qui nous a permis de prendre un nouveau départ.
Puis la nuit est venue, et nous a apporté tout ce qui peut faire d'une navigation un instant privilégié: le cap est bon, le vent est régulier, la mer est belle. La lune, haut dans le ciel, a effacé toutes les étoiles, ne laissant que les principales. Deneb, Vega et Altaïr, bien sûr, veillent nos arrières, alors que devant, ce sont de nouvelles constellations qui nous accueillent, encore inconnues. Les vagues entretiennent l'élan du bateau plutôt qu'elles ne le brisent. Seuls quelques nuages viennent perturber cette harmonie, comme pour mieux nous en rappeler la fugacité... fugacité qui se confirme ce matin: Le vent a fraîchit, la mer s'est creusée. On tape plus, le cap est moins bon, la vitesse aussi. Il faut profiter des bons moments quand ils se présentent...

 

Ce midi: riz – lentilles!

 

11e jour, 0°34,1'S oui, oui, Sud! On a passé l'équateur à 8h30 UTC ce matin! et 27°52,7'W

 

On a fêté dignement l'événement, avec des bulles - sans alcool, bien sûr, à cette heure, enfin! - et un bol de smacks! Hier soir, on s'est arrêté pour faire un dernier sort à la daurade, avec pommes de terre rissolées et un fondu de poireau, sublime! Coucher de soleil à la hauteur, mais le ciel s'est couvert pendant la nuit.

 

Aujourd'hui, le vent a adonné, Boomerang file huit noeuds, plus vite que le vent, les milles défilent! On reste assez sud par rapport à la route directe, le vent devrait refuser avant qu'on n'arrive, et on ne voudrait pas tirer des bords à cause d'un effet de côte...

 

Ça sent l'écurie...

 

12e jour, 3°08.8'S, 29°29.0'W

 

Boomerang poursuit son bonhomme de chemin. Le vent est bon, le cap aussi, la vitesse aussi, la mer aussi, le ciel aussi, bref, tout va bien! On empoche les milles les uns après les autres, et vite, en plus!

 

Cette nuit, un grain est venu nous remettre les idées en place. L'enroulé du génois s'est fait comme sur des roulettes, la prise de ris sur la grand-voile aussi, et hop! voilà Boomerang qui file ses neuf/dix noeuds comme si de rien n'était. La pluie était fraîche, les embruns tièdes, une heure plus tard c'était fini, mais on est resté dans cette configuration pour le reste de la nuit, on ne sait jamais. Nous nous sommes faufilés entre les autres grains, et finalement on a tout renvoyé ce matin. Par contre, ça a refusé un peu, alors on va - un peu - moins vite.

 

13e jour, 5°26,0S 31°43.0W

 

La navigation est tranquille, au près bon plein dans 10-15 noeuds de vent apparent. Cette nuit on a croisé nos premiers pêcheurs, à plus de 300 milles de la côte! Pas d'AIS, invisibles au radar, on est content de les avoir vu! La veille est vraiment indispensable...
On a entrevu un dauphin, et des oiseaux tout noirs nous ont tenu compagnie cette nuit, passagers clandestins de quelques heures...
Faute de frais, la cuisine de Léo se simplifie et va à l'essentiel: chips-compote-corned beef grillé-semoule, salade de pâtes avec maïs, olives et thon du cap-vert (ça c'est superbe, ceci dit!).
On avance bien, un peu moins aujourd'hui que ça a molli, mais on tient le bon bout!
On vient de se rendre compte que Jacaré a une heure d'avance sur le soleil. Les soirées seront courtes!

 

14e jour, 6°48.9'S 33°32.7'W, on fonce vers l'ouest, en route directe vers Cabedelo, au travers. On a lâché les chevaux, ça file, plus de 10 noeuds sur le fond à certains moments. Pas de surfs, mais ça ne traîne pas!
L'océan s'est paré des ses plus beaux atours pour cette dernière ligne droite: coucher de soleil époustouflant, ciel étoilé comme jamais, des dauphins de jour et de nuit, superbe!
L'occasion pour nous d'admirer la croix du sud, mais surtout de constater la disparition de l'étoile polaire derrière l'horizon. On est de l'autre côté du monde... L'occasion aussi de constater que le soleil se lève au Nord-Est, est au Nord au zénith, et se couche au Nord-Ouest. Les repères ont décidément changé...
L'arrivée est prévue cette nuit, vers minuit UTC. C'est devenu une tradition ;-)

 

Voilà, nous arriverons à l'heure dite. Il fait noir, le courant s'inverse, le chenal n'est pas balisé au-delà du port de Cabedelo, nous décidons de mouiller dans un recoin près de l'embouchure, bien abrités de la houle, et curieux de voir ce que le paysage sera au lever du soleil. Difficile de dormir: le rythme des quarts est cassé, on n'est plus bercé par la mer, le bateau s'est arrêté de vivre. Plus de craquements d'écoutes, de claquements de drisses, de chuintement de l'eau sur la coque, les verres et les bouteilles ne tintent plus, le silence en est presque oppressant...

 

Le lendemain, nous découvrons un paysage fait de plages, de mangroves et de cocotiers. Des vaches bien maigres paissent sur la plage (!) tandis que quelques Brésiliens bien en chair s'y promènent. Quel contraste avec la Gambie et le Cap-Vert! Nous passons cette première journée à ranger le bateau, puis nous nous mettons en route vers Jacaré, où nous avons l'intention de laisser le bateau en vue de la naissance.

 

D'abord au mouillage, ensuite dans la marina, nous découvrons Jacaré, son village de pêcheurs, sa rue touristique qui ne s'anime qu'à l'heure à laquelle un saxophoniste joue le boléro de Ravel sur fond de coucher de soleil, la plage qui donne sur l'océan, et les deux villes avoisinantes. Nous n'avons pas trouvé de grand intérêt aux environs, mais c'est vrai que nous nous sommes plus concentrés sur la remise en ordre du bateau et quelques entretiens que notre équipage réduit nous permettait enfin de mener (nettoyages, vernis, etc). Et puis, ce n'est pas non plus ce que nous sommes venu chercher dans un premier temps. L'endroit est en tous les cas très agréable à vivre, très sûr, et on trouve presque tout à portée de main, pour peu qu'on sache où chercher. Quel contraste par rapport aux derniers pays traversés!

 

Depuis notre arrivée, nous sommes décalés: le soleil se lève entre cinq et six heures du matin, et se couche à peu près à la même heure l'après-midi. Comme sa course est presque verticale, le crépuscule est très court (l'aube aussi, sans doute, mais on a pas encore réussi à se lever assez tôt pour vérifier...), à six heures il fait noir. Les Brésiliens l'ont bien compris, et commencent leur journée en fonction. L'école, par exemple, commence à sept heures du matin. Tout ça nous permet d'admirer le ciel de l'hémisphère sud presque chaque soir, la Croix du Sud, devant le bateau, nous invitant à poursuivre notre route dans sa direction. On verra...

 

Mais le moment de rejoindre le reste de la famille en Belgique approche à grand pas. Nous prenons l'avion de Recife, capitale du Pernambouc, à deux heures de route de Jacaré. Comme dirait Soizic: “Ca fait bizarre”... Oui, ça fait bizarre d'avoir traversé l'Atlantique il y a trois semaines, et de remettre le couvert, en avion cette fois. Il y a quelque chose d'incongru, presque d'obscène, à parcourir ainsi, en quelques heures, un trajet qu'on a mis quinze jour à accomplir. De retourner à Lisbonne que nous avions quittée il y a presque neuf mois, en survolant St Pierre et Paul, le Pot-au-Noir, les îles du Cap-Vert et les Canaries, toutes des étapes de notre périple, en laissant le bateau derrière nous.

 

Ce n'est pas encore l'heure des bilans, mais on en a quand même fait du chemin, depuis un an! Pas tant en distance, certainement pas comparé à ceux qui bouclent leur tour de l'Atlantique Nord ou de l'Amérique du Sud – notre projet initial – en moins d'un an. Mais bien en découverte de pays inouïs, de gens extraordinaires, et puis de nous-mêmes, aussi. Nous avions quitté Lisbonne en plaisanciers du dimanche, nous y revenons transformés en navigateurs, découvreurs,... aventuriers, en fait! L'autonomie durement acquise du bateau nous a ainsi permis d'aller là où relativement peu de plaisanciers nous ont précédés, et si ce n'est pas dans le froid du grand sud comme initialement prévu, c'est sous les tropiques que nous avons quitté les sentiers battus et mis à l'épreuve bon nombre de nos repères.

 

Le 21 août, nous avons eu le plaisir de découvrir notre nouvelle petite fille. La naissance de Solveig s'est parfaitement déroulée, c'est un beau bébé en pleine santé. Comme tout se présente au mieux, nous avons décidé de continuer notre périple au-delà de ce que nous avions prévu initialement. La suite au prochain épisode...