Gambie - première partie
La première version de cette note était très mal mise en page, toutes nos excuses. Mais la connexion Internet étant trop mauvaise, nous ne l'avions pas remarqué. Nous espérons que cette nouvelle version sera plus agréable à lire, merci à ceux qui ont eu le courage de parcourir la première! Et en plus, il y a maintenant quelques photos!!!
La traversée vers Banjul sera l'une des plus agréables que nous aurons faites jusqu'à présent. Un bon petit vent bien régulier de travers, une mer à peine agitée, et voilà Boomerang qui court sans effort sur l'eau. Trop loin des îles pour encore rencontrer des barques de pêcheur, à l'écart des routes maritimes les plus fréquentées, une situation météo stable, tout concourt à une traversée tranquille et reposante. Les enfants se mettent à leurs devoirs, tandis que les parents vaquent à leurs occupations préférées: cuisine pour Anne-Sophie, rédaction du blog pour Tanguy. La mer est tellement calme qu'on peut même dresser la table pour le repas!
Ce sera aussi l'occasion de voir tant et plus de poissons volants, qu'une sorte de fou de bassan se fait un plaisir de pourchasser une fois qu'ils sont levés par l'étrave du bateau, une grosse tortue rouge, tout étonnée de voir cette grosse bête bleue passer juste devant son nez, de faire deux heures de spi, et de pêcher une toute petite dorade coryphène qu'on s'empressera de remettre à l'eau.
La dernière nuit sera plus animée: le vent fraîchit un peu et la mer se creuse suffisamment pour qu'il faille recommencer à se tenir, en se déplaçant comme pour rester en place une fois assis. Et puis, on croise une route très fréquentée, celle qui longe les côtes d'Afrique. Et c'est là qu'on renoue avec les affres de l'ennui des quarts de nuit des équipage des cargos. Il y a trois ans, en mer d'Alboran, les équipages philippins et indiens tuaient le temps en s'insultant cordialement. Ici, ce sont des marins chinois qui passent de la musique sur canal 16. Adèle, Spy et autres Lady Gaga nous accompagnent sur la VHF. On se sent moins seuls...
La mer perd de sa transparence pour devenir verte, puis brune. La houle disparaît, ne laissant plus qu'un vague clapot. Les oiseaux changent. La dernière journée sera marquée par deux événements majeurs: d'abord une nouvelle après-midi de spi – même si on en avait fait la veille, ça reste extraordinaire –, et puis surtout deux belles bonites rayées se sont invitées simultanément à notre bord, en se laissant tenter par les appâts que nous traînons depuis si longtemps! On finissait par désespérer, mais non, il fallait attendre patiemment d'avoir la chance de passer au bon endroit. La proximité du plateau continental a sans doute fait le reste...
Notre plaisir de cette double capture sera un peu assombri par la perspective d'une arrivée de nuit sur Banjul, qui se précise au fur et à mesure que le vent mollit. Tout affaler pour attendre en mer le lever du jour ne nous enthousiasme pas trop, mais rentrer à l'aveugle dans un port inconnu jonché d'épaves, avec une cartographie approximative et des feux sans doute aussi peu fiables que ceux du Cap-Vert ne nous enchante pas plus.
On finit par se décider pour la seconde option. Bien nous en aura pris, mais ce ne sera pas une mince affaire: entre barques de pêche sans feux, des feux de navires de gros tonnage allumés erronément, le courant qui nous déporte, et les pélicans qu'on prend pour des corps-mort, l'adrénaline aura le temps de jouer au yo-yo! Heureusement, la lune est de la partie, et le radar permettra de clarifier la situation aux moments critiques. Nous mouillons juste, juste à côté d'un catamaran: si lui est là, on a de grandes chances qu'il n'y ait pas d'épaves à cet endroit, non? Et bien... on a eu raison!
Le temps de tout ranger à bord et d'installer les moustiquaires, il est temps de prendre quelques bonnes heures de repos avant de commencer le marathon des formalités...
Parce qu'on n'est plus en Europe, ni même au Cap-Vert. Ici, c'est l'Afrique de l'Ouest, et nous y mettons tous le pied pour la première fois. Notre inexpérience de la chose titille notre curiosité, bien sûr, mais l’appréhension est aussi de la partie: partis sans guide nautique vu que nous n'avions pas prévu de visiter la Gambie, nous sommes arrivés comme dans n'importe quel port d'entrée, en espérant n'avoir rien fait qui puisse fâcher les autorités locales.
Nous sommes accueillis au ponton par des pêcheurs et des militaires qui nous amarrent l'annexe en deux temps, trois mouvements avec un sourire jusqu'aux oreilles, et après avoir dûment salué et remercié ce petit monde, nous nous dirigeons vers le poste de garde, à l'autre bout du quai, où quelques gardiens sont nonchalamment installés à l'ombre de leur poste de garde et préparent le thé à la Gambienne. Dans un petit réchaud carré posé à même le sol, une toute petite théière chauffe dans la braise. Deux verres trônent par terre l'un à côté de l'autre, l'un plein, l'autre vide. De temps en temps, l'homme assis à côté de l'ensemble verse religieusement le contenu du verre plein dans le vide, puis dans la théière, puis dans un des verres, puis dans le suivant, et ainsi de suite jusqu'à ce que, satisfait du résultat, il remplisse les deux verres et les partage avec ses acolytes.
L'un d'eux nous interpelle, et après quelques salutations respectueuses et réciproques, nous demande de remplir son registre. Après s'être inquiété du fait que c'était notre première expérience en Afrique, il convainc son chef de la nécessité de nous guider pour effectuer les démarches administratives. Nous nous mettons en route et, le premier tournant franchi, c'est le choc: non, ce n'est décidément plus l'Europe! La poussière ocre, la chaleur étouffante, la brûlure du soleil, les odeurs, la route défoncée le long de laquelle des camions sans âge sont garés dans l'attente d'un hypothétique mécanicien, les échoppes de toutes sortes, vendant toutes les mêmes marchandises, installées à l'intérieur de rez-de-chaussée sans fenêtre dont la seule ouverture est une porte métallique ouverte sur la rue, les égouts ouverts dans lesquels croupissent depuis trop longtemps des déchets de toutes sortes, la tête nous tourne.
Notre guide ne sachant finalement pas trop par quoi commencer, nous faisons toute l'avenue pour rejoindre les autorités portuaires. Trois étages et une longue palabre plus loin, où l'on apprend qu'Oostende, Bruges et Anvers sont de très belles villes et qu'ils apprécient beaucoup l'aide que la Belgique leur apporte, on nous annonce qu'on doit en fait commencer par l'immigration, et que les autorités portuaires sont les dernières à devoir être visitées. Nous rebroussons chemin, franchissons un poste de garde devant lequel une petite foule de jeunes hommes s'agite, et rejoignons le bureau de l'immigration, une petite pièce ouverte sur le quai dont l'entrée est protégée du soleil par un rideau de la couleur du sol. Toujours accueillis avec le sourire, c'est reparti pour un tour de palabres. De nouveau, la Belgique est louée pour son aide, mais surprise, elle est absente des listes reprenant les pays pour lesquels un visa est ou n'est pas nécessaire. Après discussion, un jeune officier décide que (aujourd'hui?), il n'y aura pas besoin de visa. Une petite économie bienvenue pour la caisse de bord.
Nous quittons le personnel de l'immigration, décidément très accueillant, en direction du bateau: Le capitaine peut accomplir les autres formalités seul, inutile de faire subir ça à toute la famille. Afin d'épargner une nouvelle promenade sous le soleil aux enfants et surtout à Anne-Sophie, dont le ventre s'arrondit de jour en jour, nous décidons de prendre un taxi. A sept plus le chauffeur, nous voilà assis les uns sur les autres, entassés pour quelques centaines de mètres à l'arrière d'un taxi dont les amortisseurs ont rendu l'âme il y sans doute bien longtemps. Ce sera la configuration que nous adopterons pour tous nos prochains déplacements motorisés en famille... Ils sont loin les Pays-Bas, les ceintures de sécurité, les sièges enfants, les voitures sept places, les feux rouges, les priorités. Ici, c'est au bluff! Ils ne roulent pas vite, mais ils ne s'arrêtent pas...
Tanguy accomplira donc les autres formalités seul, ce qui lui prendra encore quelques heures. Seules les douanes poseront quelques difficultés: ils semblaient vraiment étonnés que nous n'ayons ni drogue, ni animaux à bord. Quelqu'un doit venir vérifier, mais on ne sait pas très bien qui fera l'inspection. Le douanier en chef ayant mal à la jambe, il ne semble pas enclin à tenter l'aventure de la traversée en annexe. Finalement, seul le jeune officier de l'immigration monte à bord. L'inspection dure bien vingt minutes, dont quinze de discussion cordiale sur l'Italie où il a été formé, discussion qui sera interrompue trois fois par son téléphone portable. C'est le douanier en chef, pour bien lui rappeler de ne pas oublier son petit cadeau... Les deux visages de la Gambie s'offrent d'emblée à nous: celle, torsive, qui extorque ce qu'elle peut aux Toubabs, l'autre, ouverte et franche, qui cherche une voie de salut autre que l'assistance. Pas toujours facile de savoir qui est qui... Mais l'essentiel est d'avoir enfin le précieux sésame qui nous ouvre la porte du fleuve. Nous prenons ce qui reste de l'après-midi pour nous remettre de nos émotions, et pour organiser la suite des événements.
Nous attendons un bateau-copain, avec qui nous projetons de naviguer de conserve, ce qui nous laisse une petite semaine pour découvrir Banjul et ses environs, et préparer la navigation à venir. Les premières impressions se confirment: La ville est bruyante, sale, chaude et poussiéreuse, les gens sont très aimables et, si on se sent partout en sécurité, on ne peut pas faire trois pas seul sans se faire aborder par quelqu'un qui vous propose ses services, qui pour vous guider, qui pour vous aider, mais malheureusement jamais sans grande efficacité. Il nous faudra un certain temps pour nous en rendre compte au fur et à mesure que nous prenons nos propres marques, et pour apprendre à refuser fermement ces offres, ce qui est plus difficile qu'il n'y paraît tellement elles sont présentées avec gentillesse et un sourire désarmant.
Les alentours offrent plusieurs possibilités de visites intéressantes, comme entre autres Kachicali, une mare à crocodiles dont on dit que son eau soigne l'infertilité - pas de problème pour Anne-Sophie ;-) - et une réserve peuplée de singes et autres oiseaux colorés. A côté de la mare aux crocodiles, nous tombons par hasard, si, si, sur un atelier de fabrication de djembés. Tanguy demande à s'arrêter, et s'ensuit une heure d'explications, de démonstrations et d'initiation au bout de laquelle il ne restait plus qu'à se laisser tenter et à acheter deux beaux instruments. Un bout de négociation plus loin, et nous pouvions compter inclure dans le prix trois séances de cours à domicile, menés de main de maître par Musa, du Manding Culture Band, le fabricant lui-même. Musa qui tient aussi une école de djembé et enseigne à nombre d'enfants dans les environs, pour certains gracieusement, car il y voit une possibilité d'émancipation.
Nous prenons le bac pour Barra, sur l'autre rive du fleuve Gambie, le fleuve qui fait et qui est le pays. Rien que prendre le bac, c'est déjà une aventure, mais ce qui nous amène là-bas, c'est l'invitation de notre “ange gardien” du port de Banjul à venir manger chez sa famille. Une fois de l'autre côté, sur les “conseils” dudit ange gardien, nous achetons du riz et quelques bonbons à offrir à sa famille – on n'arrive pas les mains vides –, et affrétons un taxi pour nous sept. Deux personnes devant, six personnes sur les trois sièges arrières, et c'est parti pour une demi-heure de bonne route, suivie par une demi-heure de piste. Torride. Normalement, quand il fait chaud dans la voiture, on ouvre la fenêtre pour se rafraîchir. Pas là. L'air qui pénètre dans la voiture est brûlant, irrespirable.
On traverse un paysage de savane, quelques villages faits de cases rondes ou carrées, en torchis ou en terre cuite, coiffées d'un toit de chaume ou de tôle. En arrivant au village, nous sommes accueillis par une foule d'enfants, aux cris de “Toubab, toubab”, “le blanc”. A peine vêtus et chaussés, ils attrapent nos mains et ne les lâchent plus jusqu'au compound de nos hôtes où assis comme des rois nous saluons des membres de la famille qui défilent. Difficile de comprendre qui est qui, puisqu'ils sont polygames et surtout s'expriment plus facilement en mandingue qu'en anglais.
Après une visite à la très vieille mosquée du village – plus de trois cents ans, paraît-il – et une promenade jusqu'au fleuve sous un soleil de plomb toujours escortés d'innombrables enfants, nous voilà de retour avec un éclopé: un enfant du village s'est blessé au pied sur une coquille d'huître. Étonnant qu'il soit le seul: la cuisson et la vente de chair d'huîtres de palétuviers est l'une des activités les plus emblématique de cette région du pays, et, bien que les coquilles soient rassemblés en énormes tas pour être utilisées, après cuisson, dans la construction, de nombreuses coquilles gisent un peu partout, notamment près du débarcadère de fortune où les enfants se sont ébattus. La coupure, longue et profonde, sera soignée par Tanguy, avec les moyens du bord, ou plutôt de la trousse de premiers soins, car, s'il y a bien un dispensaire, il n'y a ni médecin, ni infirmière disponible.
Nous partagerons ensuite le repas de la famille, composé de riz, quelques légumes et morceaux de viande dans une sauce épicée. L'usage veut que nous utilisions notre main droite en guise de couvert. Pas facile … de manger proprement ni beaucoup à cause de la charge de piments! Il faut donc boire beaucoup, or l'eau courante fait défaut, il faut aller au seul robinet relié à un puits au centre du village. Une distribution de bonbons et de biscuits aux enfants, une impro de danse et de musique et il est temps de dire au revoir. A propos des bonbons, ce sera la dernière fois: Même si ça a fait manifestement très plaisir aux enfants, ça nous laisse aussi la désagréable impression d'avoir donné une aumône condescendante, qui, pour ne rien arranger, gâte les dents. Or l'hygiène bucco-dentaire n'est évidemment pas une priorité pour des gens qui n'ont ni eau courante, ni gaz, ni électricité, ni téléphone, pour qui la cuisine, les toilettes et la douche se résument à une pièce sans toit derrière la maison et où la douche elle-même se résume à un demi-watercan dans lequel on va, avec une vieille boîte de conserve, puiser un peu d'eau qu'on voudrait rafraîchissante.
La température ayant fortement augmenté, le frigo et le congélateur ont une fâcheuse tendance à vider les batteries plus vite que prévu, et nous devons faire tourner le groupe électrogène plus souvent qu'à son tour. A tel point que nous nous décidons – enfin – à investir dans un panneau solaire. Vu l'ensoleillement permanent et vertical, ce serait bête de ne pas profiter de cette source d'énergie gratuite, non? En plus, au rythme actuel, il devrait être amorti en moins d'un an, et ça, sans compter le confort supplémentaire... On peut évidemment se poser la question de la nécessité de faire tourner le congélateur...
Après près de dix jours passé à Banjul et sa région, nous nous mettons en route vers Lamin Lodge, un des deux mouillages réputés de la région. Niché au cœur de la mangrove, à proximité immédiate d'un restaurant très fréquenté pendant la saison, mais désert en ce moment à part quelques singes chapardeurs, le mouillage nous offre un répit bienvenu après le brouhaha de Banjul. Sur la vingtaine de bateaux mouillés, plus de la moitié sont en hivernage ou sont habités mais n'ont pas bougé depuis plus d'un an. Sur corps-mort ou plaqués contre la mangrove, ils sont merveilleusement protégés, y compris contre les rafales des grains de la saison des pluies. L'eau, brune et opaque, est chaude et poissonneuse à souhait. Les crocodiles – très timides – se tiennent à distance et nous laissent nous ébattre en toute tranquillité. Nous visitons une réserve, peuplée d'oiseaux multicolores, de singes, de crocos et bien d'autres choses encore, et profitons de sa proximité avec l'abattoir de la région pour acheter une belle pièce de bœuf. Ça faisait longtemps!
A propos de protéines, ça vaut sans doute la peine d'expliquer que nos apports principaux viennent du poisson, que nous pêchons nous-même (c'est rare) ou que l'on achète aux pêcheur (ça, c'est beaucoup plus souvent!). On ne peut plus frais, les poissons et autres gambas sont nettoyés, étêtés, écaillés et parés par les garçons sur la plage arrière, maintenant que leur père leur a expliqué comment faire pour transformer ce lieu à tout faire en poissonnerie de fortune. Pour ce qui est des huîtres, nous les prenons dans la mangrove et les mangeons crues, comme chez nous, même si leur ouverture est rendue un peu compliquée par la forme très irrégulière de leur coquille. La viande, on en n'achète que rarement, en s'assurant qu'elle a été abattue le jour-même.
Mais comme tout ce petit monde est conservé dans des conditions d'hygiène à flanquer une crise cardiaque au plus blasé des inspecteurs de restaurants de chez nous, on ne met jamais plus de trois jours à la consommer, histoire d'épargner nos systèmes digestifs. Pour ce qui est de l'eau potable, comme on ne peut pas dessaler l'eau de la rivière, nous nous ravitaillons aux puits des villages, ou aux robinets, quand il y en a. Et on l'achemine par âne. Elle a bien meilleur goût que l'eau désalinisée qu'on pouvait trouver au Cap Vert, par exemple, et paraît d'excellente qualité. Aucun d'entre nous n'a eu jusqu'à présent à se plaindre de tourista ou autres crampes d'estomacs.
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Anonyme (non vérifié)
25 Mai 2014 - 12:00am
Beaucoup de découvertes et d
Anonyme (non vérifié)
25 Mai 2014 - 12:00am
Seigneur quel beau
Anonyme (non vérifié)
25 Mai 2014 - 12:00am
Nous voyageons et découvrons
Anonyme (non vérifié)
25 Mai 2014 - 12:00am
Toujours aussi passionnant de
Anonyme (non vérifié)
26 Mai 2014 - 12:00am
Merci pour cette invitation
Anonyme (non vérifié)
26 Mai 2014 - 12:00am
merci pour ce recit riche en
Anonyme (non vérifié)
26 Mai 2014 - 12:00am
Super, ce dernier aperçu!
Anonyme (non vérifié)
4 Juin 2014 - 12:00am
Cela faisait longtemps que je
Anonyme (non vérifié)
4 Juin 2014 - 12:00am
Je viens de faire un super
Anonyme (non vérifié)
4 Juin 2014 - 12:00am
Chers amis,