Les Barlaventos

Nous quittons Mindelo pour Tarrafal de Sao Nicolau, 45 milles à l'Est. Les pleins d'eau, de carburant et de gaz sont faits, l'avitaillement aussi, tout est bien rangé, nous voilà prêts à affronter l'accélération du couloir entre Sao Vicente et Santo Antao, une fameuse mise en bouche! Sous grand-voile seule à deux ris et moteurs, nous voilà entrain de remonter les 2 à 3 mètres de vagues, sans compter la houle, qui s'engouffrent dans le chenal.
Le bateau plante, l'eau remonte jusque dans le cockpit, ça secoue, mais ça passe. Il y a juste qu'on a oublié de retourner la manche à air avant, qui se retrouve régulièrement sous l'eau. Et ce qui devait arriver arrive: l'eau trouve son chemin jusqu'à l'intérieur, par seaux... et atterrit sur la couchette des parents! Le temps de le remarquer, et tout est déjà complètement détrempé... Bon, changement de programme, on s'arrête à Santa Luzia pour remettre tout ça en ordre.
Le mouillage est magnifique. Nous nous sommes arrêtés au centre d'une plage de 4 kilomètres, déserte, comme l'île, à l'exception d'un petit campement de pêcheurs à son extrémité Sud-Est. Le vent est fort, 20 nœuds constants en tête de mât, et de fortes rafales tombent du sommet. L'anémomètre monte régulièrement à plus de 35 nœuds. Plus tard, on apprendra que les rafales sont en fait bien plus violentes au raz de l'eau. On le croit volontiers: à certains moments, elles soulèvent des gerbes d'eau et rendent la progression vers l'avant du bateau difficile, même courbés. Heureusement, le fond est de très bonne tenue et l'ancre ne bougera pas de tout notre séjour.
A peine mouillés, trois rorquals nous accueillent, passant à moins de trois cent mètres du bateau. Gerbes et sauts, le spectacle est court, mais grandiose! Puis le grand déballage de la couchette avant commence. Rincer au mieux, toujours en essayant de ne pas utiliser trop d'eau douce, essorer, pendre... L'avantage de ce vent chaud, sec et fort, c'est que tout sèche en quelques instants, un vrai sèche-cheveux! Par contre, il faut tout bien attacher...
Tant qu'à y être mouillé, l'occasion est trop belle pour visiter cette grande île vraiment déserte. Une vraie rareté! L'absence totale d'eau douce a eu raison de toutes les tentatives de colonisation. De rares traces témoignent de la persévérance de ces hommes qui ont vu là la chance d'une nouvelle vie. Seuls quelques pêcheurs viennent parfois passer la semaine sur l'île dans un campement “provisoire” fait de quelques planches et autres objets flottés. L'un d'entre eux nous fera cadeau d'une petite murène.
Un jour, ils s'en vont, et on se sent vraiment au bout du monde.
La nuit, de curieux poissons-trompette bleu fluo accompagnent le bateau dans sa lutte contre les rafales. Les amarres, qui relient la chaîne du mouillage au bateau, grincent violemment lorsque le bateau part en travers. L'une d'elles ayant fini par rendre l'âme, il est temps de sortir la grosse artillerie: main de fer, amarres d'hiver, et une belle grosse manille pour relier les deux. L'ensemble devrait permettre de voir venir. Ce sera presque le cas, le deuxième essai sera le bon.
A terre, le contraste – ou le parallèle – est saisissant entre l'estran, où chaque flaque d'eau laissée dans la lave solidifiée est un aquarium tropical, et le paysage du reste de l'île, minéral, où les quelques rares plantes qui ont réussi à s'implanter se rassemblent au fond d'oueds dont on se demande quand ils ont vu passer leur dernière goutte d'eau.
On quitte Santa Luzia après quelques jours, avec soulagement - le vent nous en a vraiment fait voir de toutes les couleurs -, mais aussi avec le sentiment d'avoir été extraordinairement privilégiés de pouvoir ainsi passer quelques jours au mouillage et mettre pied à terre sur cette île à l'écart du monde.
Le vent reste fort toute la traversée vers Tarrafal. Après avoir passé deux îlots déserts, réserves naturelles eux aussi, abritant notamment une espèce d'alouette dont les seuls représentants au monde y ont élu domicile, nous sommes accueillis par 40 nœuds aux abords de Sao Nicolau.Vu notre expérience à Santa Luzia, on s'attend à encore plus un peu plus loin, on décide d'affaler. Quelques minutes plus tard, l'affaire est faite: moteurs tournants, on est prêts à encaisser les rafales... qui ne viennent pas! Au contraire, c'est la pétole! Si on avait su... Après s'y être repris à deux fois pour le mouillage, de très mauvaise tenue (l'équipage d'un bateau copain s'est même réveillé une nuit en pleine mer), on peut enfin souffler, et se préparer à découvrir cette île très accueillante. On n'a même pas terminé la manœuvre que deux jeunes pêcheurs viennent nous proposer le fruit de leur labeur, ce que nous nous empressons d'accepter.
Petite info technique concernant la tenue du mouillage pour ceux qui voudraient suivre nos traces: il semblerait que la mauvaise tenue soit due à la couche sous-jacente, faite de scories, dont il faut percer la surface avec une ancre lourde à pointe(s), et sur laquelle les ancres à vase ou sable mou glissent sans crocher. Apparemment, une ancre à soc de charrue ou de type Fortress aurait plus de chances de tenir.
Sao Nicolau sera notre meilleur souvenir des Barlaventos, les îles au vent du Cap-Vert. La spontanéité et la gentillesse des habitants, l'absence quasi-totale de vent au mouillage, les paysages majestueux, l'authenticité de l'âme de l'île encore totalement épargnée par le tourisme nous ont conquis. Réveillés au chant du coq et par les discussions animées des ménagères au lavoir, on peut prendre le petit déjeuner dans le cockpit sans que tout ne s'envole, et la journée se passe confortablement sous le taud de soleil, la grande bâche tendue sur la bôme qui nous sert de parasol. C'est la première fois qu'on peut l'installer depuis notre départ, on a l'impression d'être en vacances! Le tourisme n'est même pas balbutiant, les seuls étrangers que nous rencontrerons sur l'île sont d'autres plaisanciers. Car nous ne sommes pas seuls au mouillage: nous retrouvons un bateau déjà rencontré aux Canaries, rencontrons une famille qui en est à son second voyage et a décidé que le Cap-Vert, ça lui suffit, un couple qui vit depuis belle lurette sur son bateau et essaye de prévenir tant bien que mal les ravages des staphylocoques dorés chez les enfants du coin, et d'autres encore que nous ne prendrons pas le temps de rencontrer, puisque nous avons donné rendez-vous: Nous devons aller Boa Vista pour accueillir la sœur de Tanguy, et il est matériellement impossible de la faire venir sur Sao Nicolau dans des délais raisonnables: les liaisons par air et mer sont vraiment très peu fréquentes et/ou fiables, c'est sans doute pour cela qu'il y a si peu de touristes... et tant mieux!
Nous quittons l'abri douillet de Tarrafal – bon, il faut quand même avouer qu'on a eu de la chance, quelques jours avant il y avait encore de très fortes rafales qui déboulaient sur le mouillage, du même acabit que celles qui nous avaient rendu l'existence difficile sur Santa Luzia – un peu tard sur le planning, ce qui nous fait arriver à l'étape juste après le coucher du soleil. Pas de chance, le crépuscule étant très court sous les tropiques, on arrive dans le noir complet dans ce petit mouillage réputé enchanteur, mais qui nous donnera du fil à retordre: étroit, mal pavé, avec des rafales à 30 nœuds qui déboulent de la vallée – oui, c'est comme ça, au Cap-Vert, vous avez remarqué? – nous serons sauvés par un bateau-copain qui nous éclairera très efficacement de ses lumières, au propre comme au figuré. Eux ont mis trois ancres: c'est profond et pas nécessairement de bonne tenue. On se contentera d'une seule – on part le lendemain tôt – mais on filera 90 mètres de chaîne en espérant que ça tienne. Il y a des poissons partout, le ciel est magnifique, nos sauveurs rejoignent notre bord pour refaire le monde, la soirée se termine décidément très bien! Merci encore mille fois à tous les deux – vous vous reconnaîtrez – de nous avoir ainsi sortis de la mouise et pour cette soirée en votre compagnie. Bon vent à vous!
Carriçal est une toute petite baie sur laquelle est installé un village de pêcheur isolé – tellement d'ailleurs que la liaison principale avec le reste de l'île se fait en bateau! Il a l'air enchanteur, si ce n'étaient ces rafales qui bousculent continuellement le mouillage, ainsi que l'étroitesse et la difficulté d'accès de ce dernier. En tous les cas, de nuit, c'est vraiment à éviter!
Nous repartons à l'aube pour Boa Vista, une navigation au travers qui s'annonce rapide. Si tout va bien, on arrivera en milieu d'après-midi. Le vent nous jouera des tours, comme à son habitude, et c'est finalement au coucher du soleil qu'on rentre dans la baie de Sal Rei, non sans avoir vu de nombreux dauphins qui nous feront les honneurs des Barlaventos. Pendant toute la fin de l'approche, le soleil jouera avec les nuages pour nous révéler, par petites touches de lumière fugaces, la côte ouest de Boa Vista. Après avoir contourné l’îlot de Sal Rei et son fort bicentenaire, on mouille sur cinq mètres d'un fond inégal de sable et de roches. Le temps de mettre l'annexe à l'eau, il fait déjà un noir d'encre. Ca tombe mal, on doit récupérer la sœur de Tanguy, on sait qu'il y a des haut-fonds et que la plage n'est pas trop propice au débarquement, ça s'annonce décidément encore scabreux. Aidés par leurs lampes de poche et par un signal lumineux émis par notre invitée, l'annexe et son équipage réussissent à rejoindre la plage sans encombre, et même sans trop se faire mouiller à l'arrivée! Le retour se passera sans difficulté... et ce n'est que le lendemain qu'on se rendra compte de la chance que nous avons eue: les rouleaux n'étaient pas loin, et il n'aurait pas fallu grand-chose pour faire la galipette.
Boa Vista, un désert culturel. Il y a un tout petit centre, quelques quartiers plus récents, beaucoup de Sénégalais qui tentent de vendre leur artisanat, et quelques complexes touristiques posés sur les plus belles plages de l'île. Parce que des belles plages, ça, il y en a! Des kilomètres et des kilomètres de plages de carte postale, parfois avec des rouleaux, parfois sans, mais toujours avec une eau cristalline... sauf évidemment dans le mouillage. C'est une grande baie peu profonde, et la houle, qui arrive à faire le tour d'un îlot autrement protecteur, remue assez bien le tout. Elle nous ennuiera, la houle: de jolies lames d'un bon mètre et demi de hauteur tellement verticales que le bateau part parfois au surf sur quelques mètres. Enfin, ça, c'est dans le meilleur des cas, parce quand on les prend de côté, ça roule fort! Par contre, ça fait le bonheur des véliplanchistes et autres kitesurfeurs qui viennent régulièrement nous dire un petit bonjour.
Horriblement chère en termes d'avitaillement, Boa Vista est assez touristique. Ses plages magnifique et le plan d'eau de Sal Rei pour les sports d'eau valent vraiment la peine, pour ceux qui aiment. L'accueil des pêcheurs est lui aussi excellent: l'un d'eux prendra plus d'une journée pour trouver une solution à un problème d'hélice du gros hors-bord. Il nous indiquera un ou deux bon restos pour locaux, la meilleure boulangerie de Sal Rei, fera une petite visite guidée de la ville au capitaine, et bien entendu amène ce dernier chez le mécano, excellent au demeurant. On apprend qu'un pêcheur répartit son gain en quatre quart: un pour lui, un pour son compagnon, un pour l'entretien du bateau, et le dernier pour le moteur, carburant compris. Qu'il passe en général une semaine en mer, grosso modo le temps que dure la glace qui sert à conserver le poisson. Il cherche le thon, et en général le trouve. Il n'est pas rare de rentrer avec plus de 500 kg de prises, toujours remontées à la main. Pas de moulinet, pas de canne. Il faut la voir, cette main! Et la sentir serrer la vôtre! Leur barque est formidablement conçue, avec un petit habitacle, beaucoup, beaucoup de place pour les prises, un petit vivier pour les appâts – ça fait toujours un drôle d'effet de voir le fond de la mer par des trous percés au fond de la coque – un mât escamotable et de quoi stocker le fuel. Et ça avance vite!
Mais le temps passe, et il faut penser à rejoindre Sal, pour les formalités de sortie. Vingt-cinq milles contre les alizés, on s'en serait bien passé. La journée sera ensoleillée et assez calme, protégés que nous sommes par Sal qui coupe vent et houle. Ne reste qu'un petit clapot dont on fait bien notre affaire. Le vent nous joue un tour pendable à sept milles de l'arrivée en refusant de 30 degrés. Résultat: alors que nous aurions pu atteindre Santa Maria, notre but, sur un seul bord, nous voilà contraints d'en enchaîner deux supplémentaires. Rallonge de sept milles, une heure et demie. Pff. Tanguy s'oublie, serre le vent, pousse le bateau. Ca fait bien longtemps qu'on n'a plus fait de près, allez, on y va! Le résultat est attendu: de l'eau dans les cylindres, et ouiiiii! Heureusement, l'un des deux moteurs veut bien démarrer, ce qui nous permet de rejoindre le mouillage sans encombre. Pour l'autre, il faudra passer par la dépose des injecteurs, opération rondement menée le lendemain par Tanguy sur les conseils avisés d'un skipper mécanicien de marine rencontré quelques jours auparavant. Encore un tout grand merci pour cette aide précieuse!
Comme Boa Vista, Sal est très touristique, et a peu à offrir si ce n'est les plages de Santa Maria, mondialement réputées pour la constance de leur vent, et la progressivité des difficultés. Du débutant au champion du monde, tous viennent s'y entraîner! S'il y a un vrai vieux centre, datant de l'exploitation des salines, le trait de côte est lui rempli d'hôtels, dont certains de grand luxe. Vu de la mer, l'ensemble reste heureusement discret. Rien à voir avec les grand complexes vu aux Canaries. L'eau est cristalline, le ponton, envahi par les enfants qui font des annexes leur terrain de jeu, est chaque jour le lieu d'un marché au poisson de plein air animé, et les plages se prêtent aussi bien aux jeux des enfants qu'à ceux des grands.
Comme à Boa Vista, les Italiens sont partout. Mais ici, ils tiennent en plus les commerces et les restaurants. Quel bonheur pour nous qui n'avions plus mangé depuis si longtemps ni pizza, ni bon pain croustillant, ni charcuterie parfumée, ni surtout, surtout, de glace digne de ce nom! Il y avait bien quelques tentatives, l'une à Mindelo, une autre sur Boa Vista, mais rien qui vaille une vraie bonne glace artisanale à l'italienne, quel régal! Comme à Boa Vista, nombre de Sénégalais tentent de vendre leur artisanat. L'un d'eux, se présentant modestement sous le nom de “Samba le magnifique”, réussi à attirer l'attention d'Anne-Sophie, qui a su résister à ses charmes et son bagout, malgré des assauts répétés durant toute une demi-heure. Nous craquons finalement pour des petits bracelets que nous ferons tisser au nom des enfants. Nous les avons vu au poignets de nombreux Cap-Verdiens, on dira que c'est typique d'ici...
Il ne faut pas oublier que, si nous sommes sur Sal, c'est surtout pour faire les formalités de sortie! Pour cela, nous devons nous rendre à Palmeira, le port de Sal, puis à l'Aéroport, pour recevoir le sésame sur notre passeport. Nous décidons de faire d'une pierre deux coups, et louons une voiture pour visiter quelques points marquants de l'île après les formalités. Tout se passe comme sur des roulettes, les Cap-Verdiens sont incontestablement très conciliant, pour autant qu'on fasse preuve de l'indispensable couple respect-patience. Les formalités accomplies, il nous reste la journée pour aller visiter une ancienne saline nichée au cœur d'un volcan, au sein de laquelle un bassin contenant de l'eau tellement salée qu'elle porte le corps comme la mer morte nous invite à la baignade.
Il paraît qu'on peut voir des requins-baleine au large, nous n'aurons pas cette chance. Nous continuons notre visite en nous rendant dans une piscine naturelle creusée par la mer dans le basalte. Le site est splendide, le blanc de l'écume et du sel séché, les bleus du ciel et de la mer, le vert et le rouge des algues contrastent violemment avec le noir du basalte. La piscine est lisse comme un miroir, sauf quand une lame plus forte que les autres arrive à se frayer un chemin dans la gorge jusqu'à elle, et y déborde en faisant quelques rides sur l'eau. Le grondement de la mer au pied de la piscine rend le calme de cette dernière presqu'irréel.
Notre séjour sur Sal verra aussi Soizic et Théodore prendre leurs premiers vrais cours de plongée. Ca se limitera à la piscine, dans laquelle ils passeront tout de même toute la journée, un saignement de nez intempestif de Théodore leur interdisant provisoirement la mer.
Une fois les formalités accomplies, les informations sur l'évolution de la situation sanitaire en Afrique de l'ouest étant rassurantes, en tous les cas pour ce qui est de notre projet, il ne nous reste plus qu'à relever le mouillage pour prendre la direction de la Gambie!
Vous devez vous identifier pour laisser un commentaire : cliquez ici pour vous connecter .
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
Merci pour vos nouvelles .
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
Coucou, joli récit tout ca!
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
Même Cierreux va vous
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
Ah oui, j'oubliais... j
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
Merci pour les nouvelles !
Anonyme (non vérifié)
1 Mai 2014 - 12:00am
merci de ce voyage virtuel.