Minorque : toujours de l'imprévu
Après deux ans d'absence, le vaillant Yacht Club de Taradeau avait remis sur pied sa course sur Minorque, rebaptisée Mahon en Mer. Les éléments en ont décidé autrement : les inondations de juin ont durement touché la région et le village de Taradeau, qui a désormais d'autres priorités. La course est annulée.
Quelques bateaux vont tout de même faire le parcours. Jean-Claude me contacte. Je le rejoins à Cavalaire où est amarré son Harmattan, de même qu'un bateau de Saint Raphaël nommé Audacious avec deux enfants. Mon équipage est privé d'un de ses membres, sinistré à Taradeau, et se résume donc à Isabelle, nouvelle venue sur Teles.
4 juillet :
La météo prévoit un coup de vent sur Languedoc, Roussillon et Provence, et un secteur agité force 7 au nord est de Minorque. Nous allons décrire un arrondi vers l'est pour éviter le plus gros temps.
Une bonne heure de moteur pour se dégager du calme des îles d'Hyères, puis le vent d'ouest est là. Il fraîchit au milieu de l'après-midi (premier ris), et encore en début de soirée (deuxième ris). La mer est agitée, le vent de travers est stable autour de 20 nœuds. Dès le milieu de l'après-midi, le mal de mer a attaqué Isabelle qui ne quittera plus le voisinage immédiat des filières !
Je me retrouve seul à assurer les quarts, donc je vais prendre mon rythme de sommeil fractionné : surveillance de l'AIS, montée au cockpit toutes les demi-heures. Comme l'année dernière, il y a peu de trafic. Seul un pétrolier de 250 mètres nous croise à moins d'un demi-mille vers 1h du matin, demandant une petite manœuvre bien gérée grâce à l'AIS.
Une nuit mouvementée se poursuit par force 5 à 6, la mer est agitée, Isabelle meurt en silence après avoir réussi à regagner sa couchette. Au soleil levant, nous avons une houle de 2 mètres et un vent stable à 19 nœuds, légèrement adonnant. Nous sommes décalés à l'est de la route que nous allons rejoindre progressivement sous la même allure.
La trace du parcours enregistrée sur l'ordinateur de bord
Je pense que nous avons évité la zone de gros temps, mais nous n'en sommes pas loin : dans la matinée, fraîchissement jusqu'à 24 nœuds, la mer devient forte et se creuse encore. Isabelle surgit de son coma pour renouveler son oxygène (mais vomit au passage sur la vaisselle que je venais de faire... Ça aurait mérité les fers !). C'est là que quelques grosses vagues inondent le cockpit et l'équipage... Bilan : deux tenues propres trempées d'eau salée ! Je prends la barre une heure ou deux pour reposer le pilote et profiter d'une belle chevauchée sur des creux de 3 mètres. Teles aime bien ces moments faits pour lui !
Il y aura un peu de casse : la DuoGen en mode hydrogénérateur encaisse de fortes turbulences et la pièce de jonction entre l'hélice et l'arbre d'entraînement se rompt après une remise à l'eau certes un peu brutale de ma part (vu le chahut ambiant...). Il ne reste donc que la pile à combustible pour nous fournir en électricité ; un peu juste mais cela nous suffira.
Dans l'après-midi le vent chute progressivement comme prévu. Les deux ris sont largués. Isabelle reprend des couleurs et retrouve la parole, sinon l'appétit.
A 16 heures les côtes de Minorque sont en vue. Une troupe nombreuse de dauphins vient faire la fête autour de nous pendant un quart d'heure: plusieurs dizaines par petits groupes viennent exécuter toutes sortes de figures et de sauts, virevoltant devant l'étrave ou sous le bateau. Je crois n'en avoir jamais vu autant, ni d'aussi gros.
19 heures : il nous reste 10 milles à parcourir au moteur car le vent est devenu inexistant. Nous entrons dans la rade de Fornells au soleil couchant, appelant Harmattan sans succès. Nous ne le trouvons pas au mouillage et prenons une bouée juste avant la tombée du jour.
Nuit réparatrice en rade de Fornells
6 juillet :Je téléphone à Jean-Claude, n'ayant toujours aucun contact VHF. Je finis par le joindre pour apprendre que les deux bateaux sont à Mahon : Audacious est tombé en panne moteur (avarie de pompe à gazole suite aux conditions de mer) et a dû être remorqué ; les bateaux ont été pas mal secoués et le mal de mer a durement frappé les équipages, même Jean-Claude, un peu ; les enfants embarqués sur Audacious ont un peu paniqué, puis se sont calmés ; enfin le prix du port de Mahon a atteint des sommets : 170 € la nuit ! Finalement, nous nous en sommes bien sortis !
Nous nous donnons rendez-vous à Mahon le lendemain soir et nous allons passer la journée à Fornells. Journée lecture - farniente car le grand frais prévu par la météo souffle jusqu'à 28 nœuds toute la journée. Il mollit vers 17 heures et nous pouvons enfin sortir l'annexe pour débarquer. Le moteur de l'annexe fait quelques caprices comme d'habitude, il faudra tirer 30 fois sur la ficelle avant qu'il consente à démarrer et nous amener au port.
Fornells : le port de pêche
Il y a des pontons neufs avec un équipement inédit : des mini-catways pour pneumatiques, adaptés aux annexes. Le port a également une barge à eaux noires qui sillonne le mouillage : côté accueil et services, ce port est impeccable, surtout pour un amarrage majoritairement gratuit. Curieuse politique portuaire sur Minorque : beaucoup de mouillages organisés gratuits, et des ports hors de prix et logiquement quasi-vides.
Mini-catways
Isabelle n'y tenait plus d'une bière fraîche, blanche de préférence : ce sera de la blonde, mais tout aussi appréciée. Courte visite de la petite ville où je retrouve mes repères, même la supérette à l'arrière où nous allons avitailler. Et nous finissons la journée au fameux restaurant qui m'avait laissé un souvenir ému : El Pescador sur le port, rapport qualité/prix imbattable. Je reconnais même les serveurs, toujours aussi agréables.
Il est prudent de réserver : (+34) 971 37 65 38
L'annexe nous ramène au bateau à la nuit tombante... à la rame car cette fois le moteur n'a consenti à vrombir que sur les 100 premiers mètres.
7 juillet :Chirurgie à cœur ouvert prévue sur le moteur de l'annexe. Ça n'ira pas loin : la 2ème vis à desserrer est complètement bloquée. A tout hasard je tente un démarrage : il part au quart de tour ! L'arrivée d'essence a dû se purger dans la nuit. Quelques travaux encore : essai de réparation de la DuoGen... ça marche 10 secondes et ça casse de nouveau : faute de changer la pièce, on n'y arrivera pas. Enfin réparation de la table de cockpit qui a rendu l'âme au cours de la traversée - juste un bricolage de fortune en attendant de se fournir à Mahon.
La DuoGen est hors d'usage
Une fois les outils rangés, nous mettons le cap sur Mahon, vent de face assez faible.
Mouillage en route pour déjeuner à la Cala de la Olla, juste à la sortie de la rade de Fornells. Nous tirons ensuite des bords toute la journée contre le même petit vent de sud est.
La trace de Teles et nos mouillages successifs sur la côte est
A 20 heures nous entrons dans la rade de Mahon et nous nous annonçons aux deux autres bateaux qui nous attendent au mouillage de la Cala Teulera, entre les fortifications de La Mola et l'Isla del Lazareto.
Le chenal d'entrée
Harmattan nous accueille pour l'apéritif et chacun raconte sa traversée. Cette ambiance très sympathique ne se prolongera pas car nos routes vont diverger les jours suivants. Dommage mais chacun ses impératifs...
8 juillet :Tourisme à Mahon. L'annexe démarre sans rechigner (!) et nous débarquons à Es Castells de l'autre côté de la rade.
La rade de Mahon : un vrai fleuve à traverser
Un pénible chemin à pied de 2,5 km sous un soleil de plomb nous amène au centre de Mahon. Isabelle découvre et moi aussi car nous avions un peu négligé cette visite il y a un an. Le centre historique, son architecture méditerranéenne avec réminiscences britanniques, ses petites boutiques (où nous trouvons le matériel pour le bateau).
L'ancien couvent reconverti en marché couvert
Sur le parvis de la cathédrale
Le quartier piétonnier : 33°, ce n'est pas la latitude...!
Peu de restaurants à part quelques pizzerias et comptoirs à hamburgers, mais où sont les tapas ? Nous en trouvons finalement, non sans mal, dans une brasserie accueillante dont nous sommes apparemment les seuls clients : la malbouffe mondialisée fait des dégâts...
Jolie terrasse, mais on n'y trouve que des hot-dogs...
Pour le retour au bateau, nous trouvons heureusement une ligne de bus qui nous ramène à quelques minutes de l'annexe.
La sortie de la rade à hauteur de Es Castells
Teles nous attend sagement, le mouillage est assez fréquenté mais parfaitement tranquille pour la nuit.
Cala Teulera
9 juillet :
Nous allons remonter vers le nord et explorer cette côte riche en criques, îlots et mouillages. Il faut aussi faire tourner le moteur pour alimenter le dessalinisateur. Après avoir produit quelque 200 litres d'eau douce, nous sommes aux abords de l'île Colom, 7 milles au nord de Mahon.
A l'abri derrière l'île Colom
C'est un mouillage organisé et gratuit, toutes les bouées sont prises dans l'anse principale : nous sommes bien dans la haute saison maintenant, les places deviennent rares. Un agent sur pneumatique nous envoie sur une petite crique sauvage sans personne. Sitôt l'ancre mouillée, le même revient nous engueuler : posidonies, ancrage interdit, prendre une bouée ! Ces bouées sont limitées à 8 mètres, mais puisqu'on nous l'ordonne officiellement... Quelques bateaux viendront dans la journée mais sans nous gêner.
Un mouillage sauvage et tranquille
10 juillet :
Le jour se lève dans le brouillard
L'humidité du matin se dissipe rapidement dès que le soleil se met à taper : la chaleur monte de plus en plus tôt chaque jour mais reste supportable, autour de 28°C, 30°C l'après-midi, 25°C la nuit avec beaucoup d'humidité. Le bateau est trempé au matin.
Nous rejoignons Fornells en 3h30 avec un bon bord sous code zéro. Il y a du monde. Nous prenons une bouée d'où nous serons éjectés dans l'après-midi : bouée réservée. Il en reste assez pour nous amarrer un peu plus loin, et vu la gratuité générale nous n'avons pas trop à nous plaindre.
Mouillage sur bouée gratuit...
Spectacle gratuit...
Régate de voiles latines
Nouvelle aventure avec l'annexe : le moteur démarre au quart de tour mais cale après 100 mètres. Il redémarre, re-cale... Les occupants des bateaux voisins sont au spectacle et nous prenons le parti d'en rire nous-mêmes, jusqu'à un départ triomphal qui sauve l'honneur.
Un peu d'avitaillement et retour à El Pescador - difficile de résister pour notre dernier soir sur Minorque.
11 juillet :Retour vers la France. La météo nous prédit un vent modéré d'est, avec une zone de haute pression à contourner par l'ouest. Nous pouvons atteindre la côte vers les îles d'Hyères le lendemain soir, pour ne pas passer deux nuits en mer. Je trace donc une route sur Porquerolles où nous relâcherons une nuit avant de terminer sur Fréjus.
Nous attendons le vent et quittons Fornells à 11h. Dans l'après-midi, les conditions sont bonnes pour hisser le code zéro.
Magnifique voile : nous marchons à plus de 6 nœuds pour un vent de 7 nœuds
Il fait chaud : 32°C à l'extérieur mais il y a de l'air et la mer est belle, ce qui permet d'aérer le bateau.
Isabelle n'est pas malade malgré ses fortes appréhensions au départ
Le barographe reste plat dans les hautes pressions
Les cétacés vont nous donner du spectacle. En fin d'après-midi, deux dauphins viennent jouer sous l'étrave pendant plusieurs minutes. Ils se frottent à la coque, ventre et dos, juste à un mètre de nous.
Nous apercevons plus loin un grand aileron noir, peut-être un orque. Et à la tombée de la nuit, cette fois c'est bien une baleine que nous voyons à un quart de mille environ. Elle se déplace transversalement sur notre bâbord puis nous la voyons souffler, sonder, et s'éloigner vers le couchant. Trop loin pour les photos hélas...
Au crépuscule le vent a beaucoup molli. Le code zéro nous a donné plusieurs heures à bonne vitesse, mais à moins de 4 nœuds de vent il n'y a plus rien à faire : route au moteur pour une nuit moite et brumeuse, à peine troublée par un ferry qui nous croise à un mille à 5h. Cette fois Isabelle prend son quart, j'apprécie!
Lever du jour chargé d'humidité
Le ronron du moteur, le ciel uniformément bleu, un faible vent de sud est, la température extérieure dépasse 35°C ... Le spi est hissé une petite heure puis affalé, peinant à nous tirer à 4 nœuds malgré toutes les subtilités de réglage possibles : insuffisant pour arriver à destination avant la nuit.
En fin d'après-midi la côte est en vue : et encore des dauphins !
L'extrémité ouest de l'île de Porquerolles est bien garnie en bateaux mais il y a largement de la place pour nous. Juste le temps de jeter l'ancre avant la nuit complète, pour profiter d'un des plus beaux mouillages de la côte varoise.
Porquerolles : la baie du Langoustier
Cette traversée de retour sur 203 nautiques se termine en un peu moins de 35 heures comme l'aller. Les conditions ont été radicalement différentes avec seulement un tiers du parcours à la voile. Au moins Isabelle n'a pas souffert cette fois-ci et a pu déployer ses talents culinaires qui sont grands et particulièrement adaptés à la navigation.
Expérience positive : 10 jours sans toucher un port. L'autonomie de Teles est assurée en énergie (malgré l'avarie sur la DuoGen) et en eau douce grâce au dessalinisateur. Nous aurions pu économiser des heures de moteur au prix de parcours plus lents, surtout sur le trajet retour, mais c'était notre choix. Bilan rassurant avant la prochaine traversée qui doit se terminer de l'autre côté de l'Atlantique !
Merci à Isabelle pour ses contributions en photos
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Anonyme (non vérifié)
19 Juillet 2010 - 12:00am
le poids des mots, le choc