Bordée maltaise 2009 : au long cours
C'est le défi de l'été : une longue traversée de 3 semaines qui couvrira 1400 milles, dont 600 presque d'une traite pour le retour.
Nous sommes trois dans cette aventure : Benoît, Jérôme et moi, auxquels se joindra Bernard sur le trajet du retour.
Sentiment général sur ce rallye-croisière : la décontraction ! Pas de lignes de départ ni d'arrivée, aucun enjeu de compétition, usage très large du moteur. Le comité de course commence et finit avec Marie-Odile dite "Marie", assistée d'une demoiselle qui restera à Fréjus et d'un routeur envoyant la météo depuis le continent. Si l'inscription préalable a donné lieu à un déluge de directives, conseils et programmes, l'accompagnement en course peut être qualifié de "léger" : peu de briefings, grande latitude pour la présence aux escales, vacations radio presque subsidiaires. Sourire tous azimuts, qui s'en plaindrait ? Mais les chefs de bord ont intérêt à bien prendre leur route en main.
Dans cette ambiance, les contacts entre les 14 équipages sont faciles et chaleureux, en navigation comme aux escales : finalement tout se passe comme une grande promenade.
Le parcours nous fera traverser la méditerranée avec escales en Corse, Sardaigne et Tunisie pour finir à Malte.
Teles vient de recevoir ses derniers équipements de croisière : hydro-aérogénérateur Duogen, pile à combustible, contrôleur de batteries, Navtex. Bien entendu les travaux ont été achevés in extremis et la traversée va servir de test.
Grande déception, la réparation du code zéro traîne dans les méandres des accords entre fournisseurs et assurances, et nous ne l'aurons pas pour ce départ. Reste le spi asymétrique, en espérant du portant.
4 juillet : prologue par une régate en baie de Fréjus, histoire de faire un peu connaissance entre nous et avec le bateau, suivi d'un dîner près du port sous la présidence du comité - on veut dire Marie !
Continent-Corse
dimanche 5 juillet : le vrai départ . A 14 heures la flottille s'élance vers la Corse par un vent assez modéré, de face puis par travers d'ouest peu à peu adonnant. Renforcement en fin de journée, prise d'un ris qui sera largué au bout d'une heure. La nuit vient et le rythme des quarts se met en place sous un tranquille vent de travers, petit force 4. Jérôme prend la haute main sur la cambuse : toute la batterie de cuisine y passe. Heureusement il n'y a pas trop de gîte, vu le nombre d'ustensiles sortis ! Apéritifs raffinés, plats aux légumes frais : cette croisière sera placée sous le signe de l'exigence culinaire, parfois trop...
Quelques pièces d'accastillage ne résistent pas à ces premières heures : manilles, mousquetons, remplacés sur les réserves du bord.
Nous abordons le chapitre hilarant des vacations radio : comme sur la Route du Jasmin, le comité (c'est Marie) appelle 2 fois par jour chaque bateau pour connaître sa position et d'éventuelles avaries. Nous allons vite constater que, si tous les bateaux s'entendent parfaitement par VHF, le bateau-comité n'entend personne ! Le mieux est que des récriminations s'élèvent dudit bateau-comité contre les concurrents pas sérieux qui ont oublié l'heure... Finalement cela deviendra le gag de la course, et les VHF vont bruire de plaisanteries faciles sur l'organisation pendant que Marie s'époumonera bi-quotidiennement dans sa quête d'interlocuteurs.
Sans autre incident, nous atteignons la baie de Sagone, au nord d'Ajaccio, à 12h30, juste à temps pour le déjeuner.
Jérôme à la barre, Benoît attend son heure...
Presque tous les autres sont déjà arrivés, il va falloir s'y habituer : devant nous sont les bateaux rapides (monocoques jusqu'à 52 pieds, multicoques dont un impressionnant trimaran Dragonfly), et les autres qui font route sans vergogne au moteur ; petite lutte à l'arrière entre les maniaques du vent, où nous n'aurons pas souvent le dessus.
La Bordée au mouillage
Une dure après-midi nous attend : sieste, baignade, puis gonflage de l'annexe pour débarquer sur la plage, apéritif offert par le comité du coin et petit avitaillement de complément. Les montagnes corses s'offrent dans un écrin de nuages lenticulaires du plus bel effet.
La plage de Sagone
Cette première traversée a mis à l'épreuve la production d'énergie du couple Duogen-pile à combustible : d'abord dans l'eau en navigation, puis en éolienne au mouillage, la Duogen fournit presque toute l'électricité nécessaire. La pile fournit le peu qui manque, avec une très faible consommation de méthanol (moins d'un litre par jour). Jusqu'ici c'est très concluant.
Corse-Sardaigne
7 juillet : les choses sérieuses commencent. Une longue étape va nous mener en Sardaigne : 155 milles par vent d'ouest de 7 à14 nœuds. Un pur régal de navigation ! Au sortir de la baie de Sagone, nous passons les îles Sanguinaires puis le golfe d'Ajaccio en tirant des bords arrière.
Les îles Sanguinaires
C'est de nuit que nous approchons de l'île d'Asinara qui marque le nord-ouest de la Sardaigne: île-prison, interdite au débarquement, que nous longeons pendant plusieurs heures. En fin de matinée, le vent revient au nord et devient portant : on hisse le spi pour juste une petite heure - l'estrope qui tient le point d'amure a lâché. De toutes façons, le vent monte et il est plutôt temps de réduire la voilure. Il y a plus de 20 nœuds au passage de la fameuse île Mal di Ventre.
Entrée dans la baie d'Oristano : ce mouillage, je le connais bien depuis la Route du Jasmin en 2008, avec déjà pas mal de vent. Il y a cette fois plus de 25 nœuds et de bonnes rafales. Les amarrages sur bouées sont toutes prises par les copains... Il va falloir s'ancrer par force 6 sur un fond assez douteux mêlant un peu de sable à beaucoup de posidonies. Mais l'équipage est à la hauteur : après une première tentative avortée, nous repérons une zone claire où l'ancre est larguée le plus vite possible. Aussitôt le bateau recule et pivote sous la poussée du vent. L'ancre croche bien, le fort recul l'enfonce dans le sol et le bateau se stabilise rapidement. C'est gagné !
Mouillage venté à Oristano
Cette fois encore, je verrai de loin le site phénicien sur la côte, juste devant nous : impossible de débarquer en annexe avec autant de vent, nous serions repoussés au fond de cet immense golfe !
Le site phénicien de Tharros
9 juillet : Départ matinal pour une petite étape, 46 milles pour rejoindre Carloforte, sur l'île San Pietro à la pointe sud ouest de la Sardaigne. Belle navigation à la voile, toujours au portant sous spi.
L'entrée du canal de San Pietro
Après une manœuvre d'amarrage encore assez sportive sous 18 nœuds de vent, Carloforte est une petite révélation : vaste port accueillant, ville typiquement italienne, élégante et séduisante, base de départ idéale pour du cabotage dans les nombreux mouillages tout autour de l'île. Nous y restons toute la journée du lendemain, césure bien appréciée au moyen terme de la croisière.
Carloforte : le port et la ville
C'est l'occasion d'une petite guerre des apéros : celui offert par le comité de course le premier soir était à vrai dire assez indigent, indigne de marins burinés venus des mers lointaines ... Le lendemain était improvisé sur le ponton un contre-apéro des participants, où chaque bateau amena sa contribution : un véritable apéritif dînatoire cette fois, dont les restes auraient pu encore nourrir quelques bateaux. Le comité (résumé à Marie) fut invité et n'en perdit ni l'appétit ni le sourire !
Pour essayer de trouver une solution à la surdité de la VHF du bateau-comité, une vérification électrique est faite sur ... tous les bateaux ! Un dysfonctionnement du bateau-comité est évoqué dans un murmure... mais rien ne changera sur le reste du parcours.
Pour conclure cette étape, nous nous sommes régalés des prévisions météo du Routeur : 2 lignes qui résumaient très succinctement ce que la plupart des bateaux avaient capté en détail par VHF, internet via le wifi du port, ou Navtex comme nous. Mais ça faisait plaisir à entendre !
Sardaigne-Tunisie
11 juillet : la plus longue étape de la croisière va nous mener aux rives africaines : 239 milles en distance, en réalité 262 milles parcourus compte tenu des bords arrière. Un vrai défi pour l'équipage, 48 heures de navigation dont 2 nuits en haute mer.
Les pleins sont faits en gazole (consommation quasi-nulle depuis le départ), eau douce, vivres, bière et surtout rosé... La production d'énergie suit parfaitement les besoins. Les quarts de nuit succèdent aux siestes de jour, indispensables pour une bonne gestion du sommeil.
Sur un tel parcours, nous allons tout connaître. Le vent est d'abord généreux, un bon force 6 : Benoît va s'éclater dans les surfs sur des vagues de 2 mètres, le bateau dépassera plusieurs fois les 10 nœuds en vitesse-fond. Puis tout cela va faiblir : on va de nouveau hisser le spi dans le petit temps, et finir au moteur jusqu'à l'arrivée en vue de la côte tunisienne.
Selon les prévisions météo, j'avais décidé un large bord vers l'est, pour redescendre plein sud quand le vent tournerait à l'ouest. C'était une erreur : la rotation a été beaucoup plus tardive, et sur un vent mollissant à tel point que ce supplément de route nous a beaucoup retardés. Inutile d'essayer de rattraper le peloton qui a d'emblée pris une route directe au moteur... Pourtant quel plaisir que ces heures de barre avec un bateau vivant, ses 7,5 tonnes escaladant puis dévalant les montagnes d'eau à notre poursuite !
Une fois au large, nous nous retrouvons dans le canal de Sardaigne : une des routes maritimes les plus fréquentées de méditerranée, véritable rail qui joint le canal de Suez à Gibraltar. Nous passons au milieu de dizaines de monstres dont la taille standard dépasse les 300 m.
Après avoir longé de loin la côte nord de Tunisie, nous approchons le cap Bon sous le soleil couchant. Pour l'honneur, le moteur est arrêté et l'asymétrique de nouveau hissé jusqu'à la nuit : malgré un vent ne dépassant pas 6 nœuds, comment ne pas aborder l'Afrique sous voiles ?
La pointe nord-est du cap Bon
Au matin du 3ème jour, nous entrons dans Port Yasmine, la grande marina près d'Hammamet. C'est ma première arrivée en bateau dans un pays non européen : pavillon Q, mise en attente pendant les formalités, visite des douaniers.
Port Yasmine : la capitainerie
Le contact est aimable et efficace. Mes quelques réminiscences d'arabe tirent des sourires polis aux uniformes pendant que je noircis des pages en 5 exemplaires... Nous bénéficions surtout du passage avant nous (!) de presque tous les autres bateaux de la Bordée, ce qui limite les interrogations des gabelous. Le comité (Marie !) nous avait chapitrés : à part le vin, pas d'alcool fort en bouteille fermée. Nous nous étions donc soigneusement employés pendant cette longue traversée à ouvrir tous les apéritifs, pastis et autres Martinis... Avec les 3 douaniers montés à bord, le bateau paraît soudain bien petit, mais tout s'achève dans une bonne humeur un peu forcée.
Port Yasmine est un parking à bateaux, ni plus, ni moins. Pas l'ombre de l'âme d'un port, pontons cadenassés, pas de commerce à proximité (bonjour l'avitaillement), pas de petit café ou restaurant sympa, et pour le shipchandler il faut s'en remettre à l'omnipotent et exclusif chantier Rodriguez, toujours là quand on n'a besoin de rien...
Après une brève visite à la médina d'Hammamet, je vais passer la journée suivante sur le bateau qui a quelques soucis : la pile à combustible refuse de redémarrer après changement de cartouche, et la pompe d'eau douce est morte. Après quelques contacts par internet (au moins ce port insipide a un wifi performant), la pile s'avère irréparable sur place. Pour la pompe, je vais me transporter 3 fois chez l'ami Rodriguez : après ces allers-retours avec ma pompe en panne, d'un modèle pourtant très courant mais absent de l'étal, le vendeur secoue la tête puis tourne les talons sans un mot : à mon grand déplaisir, je retrouve mes mauvais souvenirs d'il y a 30 ans - rien à gagner, rien à cirer...
Après des heures d'efforts au fond du bateau transformé en étuve, je m'en tirerai avec une réparation de fortune qui nous permettra quand même d'avoir l'eau courante à bord pour le reste de la croisière.
Teles en escale
Enfin le grand pavois, que le comité (Marie, quoi !) nous impose aux escales, se dénoue et la drisse de spi qui le tenait se retrouve à voler au vent à 6 mètres en l'air, accrochant au passage la drisse de grand-voile : plus moyen de monter au mât avec l'une pour récupérer l'autre. Benoît va réussir l'exploit, juché sur la bôme et à l'aide de 3 gaffes scotchées bout à bout, de rattraper le mousqueton de la drisse et de ramener les deux drisses sur le pont.
A côté du port, la côte est une frange bétonnée à l'infini d'hôtels à la Las Vegas, depuis Nabeul au nord jusqu'à Sousse et probablement au-delà, vers Gabès et Djerba.
Les investisseurs ont vu grand : ce parc de loisirs géant est quasi désert. En début de soirée les bars sont vides, les serveurs désœuvrés battent la semelle.
Un bar de plage à l'abandon, des enfants jouant sur une carcasse de barque : au cœur de la saison estivale, on se croirait au lendemain d'un exode.
15 juillet : après une sympathique soirée barbecue, le départ suivant a été retardé d'une journée en raison d'une météo un peu mouvementée. Certains bateaux sont partis quand même, d'autres resteront une journée supplémentaire. La Bordée ne ressemble plus à grand chose... La tempête annoncée est tout au plus un bon force 5, au près pour une fois. Avec un ris dans la grand-voile, nous rejoignons rapidement Port El Kantaoui, près de Sousse. C'est l'escale la plus au sud de la croisière.
Et là c'est superbe : petit port accueillant, restos et boutiques sur les quais (on oublie le Luna Park vulgaire juste derrière). Il est encore tôt et malgré la chaleur nous décidons une courte excursion vers la somptueuse médina de Sousse. Souvenirs, souvenirs... J'étais ici il y a 29 ans, tout a changé sauf cette vieille cité derrière ses remparts majestueux. Fraîcheur et remontée dans le temps : mes équipiers découvrent et je retrouve les bruits, les couleurs, les parfums.
Sousse : les remparts et la vieille ville
Pour achever ce séjour tunisien sur une note gastronomique, Jérôme va déployer ses talents de chercheur du meilleur restaurant. Après avoir arpenté quatre fois le port et épluché tous les menus affichés (je m'assieds affamé en refusant un cinquième tour !), nous nous attablons dans un fond de cour où on vante le meilleur couscous de la côte. Las ! il n'y a plus de couscous, ni même de vin. Nous dévorons avec une rage rentrée les bricks et la bière réclamée 3 fois, en remettant à plus tard les souvenirs inoubliables...
Tunisie-Malte
16 juillet : la dernière étape de la croisière commence mal. Nous suivons quelques bateaux à la station de carburant pour le plein de gazole. La pompe tombe en panne juste au moment de notre tour ! Bien qu'ayant encore des réserves, je ne veux pas entreprendre les 200 milles de la prochaine traversée sans avoir refait le plein. Nous en serons pour 2 heures d'attente dans une chaleur déjà lourde en ce début de matinée, quand enfin le réparateur arrive. Il faudra encore refaire le tour du port pour changer de la monnaie car on ne peut payer qu'en espèces (bien entendu nous avions liquidé nos dinars inconvertibles en quittant la Tunisie), et il est déjà 10h30 quand enfin nous mettons le cap sur Malte.
Cette étape est éprouvante : le vent arrière est faible ou inexistant. A plusieurs reprises nous hissons les voiles et le spi, puis affalons et remettons le moteur quand le vent tombe sous les 5 nœuds. Il n'y a pas un souffle d'air sur le bateau, la chaleur impitoyable dépasse les 35° et retombe peu la nuit. Il n'y a pas de cargos dans ce secteur, mais de nombreux chalutiers invisibles à l'AIS et dont nous redoutons les filets. Il faut le reconnaître, certains se sont déroutés à notre approche pour passer sur notre arrière.
Sur cette mer plate, peu de distractions : la petite île de Linosa, et des familles de dauphins qui nous visitent régulièrement au crépuscule.
A la fin du 2ème jour, nous apercevons enfin les falaises de Gozo et l'île de Malte.
La côte sud-ouest de l'île de Gozo
Nous passons le détroit entre les deux îles à la tombée de la nuit, et accostons à près de minuit dans le port de La Valette après une navigation au GPS dans ses innombrables ramifications. Tous les bateaux sont arrivés depuis longtemps, et le bruit courra que nous nous serions arrêtés en route, par exemple sur Linosa...
Au matin suivant, nous découvrons ce site portuaire immense, établi sur un réseau de bras de mer qui s'enfoncent loin dans les terres et offrent un exceptionnel abri naturel. Les fortifications et innombrables églises mêlent le baroque italien à l'architecture militaire : dans ce tableau monumental, l'œil ne sait où se poser.
Malte : Grand Harbour Marina
Nous sommes parqués au fond d'une darse nommée Quai des Esclaves : à part la magnifique vue, le confort est minimal. L'endroit est jonché d'immondices, le quai est en mortier friable mortel pour les bateaux, il n'y a ni électricité ni poubelles et aucun commerce proche. L'éolienne nous fournira l'énergie nécessaire mais pour avitailler avant le retour, c'est un réel problème.
En attendant, le comité (c'est à dire Marie, assistée d'accortes guides maltaises) nous charge dans deux cars et va nous faire découvrir l'île. 24 km sur 12, le tour est vite fait. Nous faisons une première halte à Mdina, première capitale de Malte, joyau baroque fortifié sur une colline écrasée de soleil.
Mdina : le centre historique
Seconde halte à Marsaxlokk sur la côte sud : petit port de pêche et port industriel, marché aux saveurs multiples où nous allons trouver une partie des vivres nécessaires pour le retour, des fruits frais et surtout du vin !
Le port de Marsaxlokk et le marché aux poissons
C'est la fin de la Bordée maltaise. Le comité (Marie !) et nos hôtes maltais nous offrent un buffet-apéritif cette fois somptueux. Bernard nous a rejoints et nous serons désormais quatre sur Teles. Il fait toujours aussi chaud quand la ville s'endort, demain on rentre.
Le centre de La Valette la nuit
Le retour
20 juillet : nous voilà de nouveau confrontés au problème du carburant. Pour la totalité des trois ports principaux et des nombreux ports secondaires, il n'y a qu'une station sur une barge de l'autre côté de La Valette. Grosse crise de rigolade lors des échanges avec le pompiste, au physique néandertalien et au mental quasi-reptilien. Le chien, bien assorti à son maître, va tenter de s'exonérer sous les deux espèces sur nos amarres, préservées grâce à nos réflexes marins malgré les spasmes de rire qui nous secouent les côtes... Après cet intermède, il nous aura fallu une bonne heure pour enfin embouquer la digue vers le large.
La Valette : entrée des ports
Le vent met nos nerfs à rude épreuve : de face puis dans le dos, autour de 6 nœuds avec d'éphémères risées à 9 nœuds tout au plus.
Nous passons notre temps à changer les réglages de voiles, hisser le spi dès qu'il y a un peu de portant, mettre le moteur quand on ne peut plus faire autrement. Nous expérimentons des allures baroques, tel le grand largue sous asymétrique et moteur !
Nuit au large de la côte sud de Sicile, au moteur. Nous sommes environnés de chalutiers : le radar nous guide en anticipant leur route souvent changeante. Toujours les filets à éviter... En début d'après-midi nous touchons la pointe ouest de la Sicile : il faut avitailler et refaire le plein de carburant avant la longue traversée vers le nord Sardaigne. Nous faisons halte à Marsala, port très moche et dangereux où nous louvoyons entre chalutiers, ferries, et policiers qui nous repoussent quand nous accostons sur le quai des ferries. Nous arrivons tout de même à charger le nécessaire et repartons immédiatement.
Peu après le départ, il y a un bon vent de nord et nous marchons bien sous voiles au près. Je vérifie les vannes car il y a de la gîte, et ...horreur !! Il y a une abondante entrée d'eau au niveau de l'évacuation de la salle d'eau. Vite je fais virer de bord pour gîter sur tribord. Il y a une fuite que je localise avec difficulté sur la sortie du lavabo : l'eau de mer remonte à la gîte et entre par là. Aidé de Benoît, je démonte toute la tuyauterie et fais plusieurs essais de serrage car la fuite persiste. Je sectionne l'extrémité du tuyau qui me semble en cause, et après avoir resserré les colliers à mort (certes il ne faut pas, mais dans ces cas-là on n'a guère le sens des nuances), il n'y a plus qu'un petit filet d'eau que la fermeture de la vanne suffit à tarir. Il y a déjà la pompe en panne, il faudra en plus gérer la vanne de sortie ! La réparation tiendra cependant jusqu'à l'arrivée, au prix de petites entrées d'eau à chaque manœuvre de vanne.
Le soir arrive quand nous passons entre les îles Egades (quel beau terrain de jeu, cet archipel, à visiter à une prochaine occasion !), puis le vent s'établit au nord-est entre 7 et 9 nœuds ; jolie navigation toute la nuit sous voiles, qui se poursuit le matin. L'après-midi du 21 juillet le vent tombe et le moteur nous pousse jusqu'à la fin de la journée. Et au crépuscule, comme souvent, visite des dauphins.
Deuxième nuit : de nouveau du vent, et à 5 heures du matin il faut même prendre un ris. C'est une nouvelle fois un plaisir sans partage de filer à plus de 8 nœuds le long de la côte nord-est de Sardaigne. Étant donné ces bonnes conditions, nous sommes un peu en avance sur l'horaire prévu et nous allons dépasser l'étape que nous avions prévue à La Caletta pour gagner un joli mouillage plus au nord, devant le petit port de Portisco.
Après plus de 400 milles en 3 jours et 3 nuits, cette halte-baignade suivie d'une nuit de récupération est bienvenue.
24 juillet : les Bouches de Bonifacio passées en tirant des bords le long des Lavezzi par 15 nœuds de vent de sud-ouest - encore des moments d'extase dans ce décor unique. Remontée de la côte corse jusqu'à Ajaccio que nous abordons au milieu de la nuit. Surprise : alors que Bernard est de quart tombe une épaisse nappe de brouillard. L'AIS indique un cargo tout proche, Bernard s'affole un peu et se met à faire faire des ronds sur place au bateau...! Jérôme et moi dormons mais Benoît se réveille et monte au cockpit juste à temps pour éviter une fâcheuse rencontre : le cargo nous croise à 10 ou 20 m. Je finis par me réveiller et je trouve Benoît sous le choc ! Il semble que nous soyons passés tout près d'une "fortune de mer" et rétrospectivement, on a eu chaud... Hé Bernard, en cas d'urgence on appelle le capitaine...!
Le brouillard est toujours là, à ne pas voir l'avant du bateau. C'est mon tour de quart et je vais avancer à très petite vitesse, guidé au radar, jusqu'au milieu du golfe d'Ajaccio. Tout le monde est convoqué sur le pont pour scruter la purée de pois et identifier les échos du radar : même les bouées du chenal renvoient des échos. Heureusement il est moins de 5 heures du matin et il n'y a pas de pêcheurs. Enfin l'air s'éclaircit juste devant l'entrée du port. Dans la nuit, nous entrons en cherchant une place provisoire. C'est bondé, il y a plusieurs rangs de bateaux à couple. Une grosse vedette quitte sa place et nous nous y amarrons pour attendre le matin et débarquer Bernard.
Cela fait, nous allons prendre un mouillage à l'entrée du golfe, le temps d'une baignade et d'un peu de repos avant la traversée finale. Cela laisse juste passer une alerte météo, et à midi nous repartons.
Après la passe des Sanguinaires, il reste une forte houle de face et nous allons danser un moment sur de bons creux. Au passage d'une vague particulièrement abrupte, l'ordinateur de bord s'éteint, une fumée puis une odeur de brûlé s'élève dans le carré : il y a eu un court-circuit, l'ordinateur est mort. Étant par hasard juste devant, je coupe l'alimentation et il n'y aura donc pas d'incendie... C'est notre dernière avarie !
Ce bon vent tombe rapidement, et c'est le moteur qui va nous tirer toute la nuit, jusqu'à l'entrée du golfe de Fréjus que nous atteignons vers midi le lendemain. Petite risée sur les derniers milles, nous hissons une ultime fois les voiles pour l'arrivée : manière de reconnaissance à ce vent qui, à part la dernière étape de la course et quelques tronçons au retour, ne nous a pas fait défaut et nous a offert de superbes moments de navigation.
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