Mahon 2009 : la route interdite
Tout avait bien commencé : pilote réparé (in extremis), voiles remises en ordre, bateau nettoyé. Romain me rejoint pour cette nouvelle tentative de rejoindre Minorque (Baléares), en guise de revanche sur une première tentative avortée il y a un an (voir Mahon 2008).
Nous quittons Fréjus en milieu d'après-midi. Nous avons soigneusement étudié la météo : vent au sud-ouest, bien entendu de face... Nous tirerons un grand bord plein sud, qui devrait nous permettre d'attendre une renverse au sud-est prévue dans la nuit ou le lendemain. Le vent est soutenu au départ : un bon force 5, mer peu agitée. Conditions idéales de navigation. Romain s'éclate...
La nuit vient et nous offre un grand spectacle sous la pleine lune. Difficile à photographier, mais quand même une petite idée...
Les quarts se succèdent sans histoire sous cette lumière irréelle qui éclaire tout le plan d'eau.
Au matin, le vent faiblit. Il est temps de passer aux voiles de petit temps et nous hissons le code zéro. Je vais dormir.
Un grain arrive. Romain me réveille, il faut réduire d'urgence.
Première catastrophe : Je file à la plage avant pour enrouler le code zéro... Damnation, la bosse d'emmagasineur sort de sa gorge ! Quelques minutes à essayer de la replacer, impossible. Le vent monte très, très vite. Aucune solution, la voile commence à claquer tragiquement. On essaie d'affaler par la drisse pour descendre le code zéro dans le passavant, mais les battements n'en sont que plus furieux : aucune prise possible sans se mettre en danger. Je considère dès lors que la voile est perdue. La priorité est qu'elle n'emmène pas le bateau au tas ou au démâtage, car la prise au vent est énorme. Le vent a atteint force 7, l'enregistrement sur l'ordinateur nous montrera une montée de 12 à 28 nœuds en 2 minutes, puis 35 nœuds les minutes suivantes ! C'est un gros grain, du genre violent, nous sommes vite sous un déluge de pluie avec tonnerre et éclairs tout autour de nous. Et cette voile qui couvre le bruit ambiant de ses claquements incessants, donnant de violents à-coups aux mouvements du bateau...
Le moteur est mis en route, la grand-voile est affalée et je mets bout au vent légèrement tribord amure pour canaliser la traction du code zéro. Il se prend dans les haubans, comme on pouvait s'y attendre, et part en lambeaux. Des fragments viennent se plaquer contre le gréement, les tractions diminuent, le bateau se stabilise. Nous allons tenir ainsi pendant près d'une heure. Grande tristesse d'avoir perdu ce beau code zéro, mais soulagement d'avoir sauvé le bateau et son équipage sans autre dégât.
Après le retour au calme et malgré le coup au moral, le plan est de reprendre la route. Le code zéro va nous manquer car nous allons avoir pas mal de petit temps au près, mais c'est jusqu'ici le seul problème. Cependant, les avaries viennent toujours en série, et l'expérience du précédent Mahon me rend très méfiant.
Deuxième catastrophe : Je demande à Romain de hisser la grand-voile : la drisse reste bloquée. Pour être bloquée, elle est bloquée : un coup d'œil en l'air nous montre la manille décrochée et arrêtée dans le réa en tête de mât. Je ne suis pas très surpris : c'est Mahon, la route interdite ! Pas question de monter au mât en pleine mer, encore assez agitée. Plus de grand-voile, il n'y a pas d'alternative : demi-tour ! Nous sommes à 60 milles au sud de Porquerolles, nous aurons donc une douzaine d'heures de moteur. Quelle joie...
Un coup d'œil à l'horizon : un autre grain nous attend, frère jumeau du précédent ; un cumulo-nimbus de plusieurs kilomètres dans toutes les dimensions, encore un très gros, très méchant.
Pas question de se remettre là-dedans : nous allons contourner le monstre. On finasse plus d'une heure, nous sentons un peu le souffle de la bête mais restons à distance. Il passe et finalement s'avoue vaincu : il se dissout dans l'atmosphère ! En quelques minutes le ciel est bleu partout, on jurerait qu'il n'y avait rien.
Troisième catastrophe : Le ronron du moteur, le pilote branché sur le waypoint de Fréjus, on se laisse traîner, assez amers mais fatalistes. Je suis en bas quand brusquement le bateau fait un rond sur 360°. Pas besoin d'un dessin : le pilote est re-tombé en panne ! Je me précipite pour le débrayer. Il reste 50 milles à barrer au moteur.
Il n'y a pas eu de quatrième catastrophe mais deux incidents liquides en supplément gratuit, par pur sadisme du destin qui règne sur cette route : une entrée d'eau par le lavabo de la salle d'eau lors de notre long bord à la gîte sur bâbord (eh non, je n'avais pas fermé les vannes !), et une bouteille de sauce provençale qui s'est ouverte toute seule et a inondé de matière bien grasse l'équipet au-dessus de la cambuse (nous avons trouvé un autre flacon au couvercle desserré, mais heureusement resté debout : effet de la chaleur, ou plus sûrement sorcellerie...).
Nous arrivons vers 1h du matin à Fréjus. Romain dit ne pas être trop déçu, ayant savouré la superbe navigation de la nuit précédente.
Le bilan est lourd en raison de défaillances principalement matérielles. Je ne sais pas si nous aurions pu sauver le code zéro, en équipage plus nombreux peut-être mais pas sûr du tout, les conditions étaient infernales. Je ne peux m'empêcher d'une rancœur certaine envers les fabricants/vendeurs : l'emmagasineur du code zéro a perdu l'arceau métallique qui guide la bosse d'enroulement, d'où le lâchage au plus mauvais moment. La manille de la drisse de grand-voile comporte un manillon plutôt léger, à blocage en 4 pans qui tient vraiment peu et s'est facilement desserré sous les efforts. Enfin le pilote en est à sa 3ème panne, sa dernière réparation n'ayant pas tenu 48 heures. Bien entendu les garanties vont jouer, mais le bateau sera immobilisé de nouveau et une incertitude sur le matériel va demeurer dans la perspective des prochaines navigations.
Tout est à reprendre. Cette route de Mahon devient un défi ! Il y aura sûrement un prochain épisode...
Vous devez vous identifier pour laisser un commentaire : cliquez ici pour vous connecter .