Note de lecture

Laurent Joffrin que tout le monde connait en tant que journaliste, patron de presse, rédacteur en chef du Nouvel Obs, puis de Libération est aussi un grand marin passionné d’histoire. Depuis 30 ans il navigue avec un ami sur Pleg Mor le long de toutes les côtes d’Europe, lorsque son emploi du temps bien chargé par ses contraintes professionnelles le lui permet. «Infinie, sans obstacle la mer apaise…Le spectacle de l’eau adoucit les tracas, efface les peines ou les regrets…Cet espace lisse, sans repères, sans frontières, sans détours, où l’on choisit sa route à sa guise, qui n’oppose rien à la rêverie, est une idée de la liberté. » Telle est la manière de vivre et ressentir la mer de Laurent Joffrin. Son violon d’Ingres, c’est l’histoire et lorsqu’il navigue, il revit les naufrages, les tempêtes, les faits d’armes et les batailles navales qui peuplent les paysages traversés. L’Europe est riche d’histoires maritimes. Chaque port est lié à une histoire, à un événement.

 Il y a de nombreuses raisons de constater que ce petit livre de mer est un excellent livre. D’abord, il est écrit par un journaliste qui sait écrire, ce qui est relativement rare comme le montre quotidiennement la grande presse. Il décrit un périple autour des îles britanniques, ce qui nous change des parcours habituels sous les tropiques. Enfin, il associe fort habilement cet itinéraire original sur son voilier et le récit historique des malheurs de l’Invincible Armada confrontée à deux puissants ennemis : la mer et le vent. Il nous emmène dans son sillage ; Affrétée par Philippe 2 en 1588 avec pour mission la conquête de l’Angleterre protestante d’Elisabeth 1er, menace permanente pour la souveraineté espagnole sur ses territoires des Pays Bas. Dans cet ouvrage la découverte des rivages et de la mer parcourue par Pleg Mor se mêle au récit de cette saga. L’invincible armada a été victime de la force des éléments naturels. Et c’est ce que va nous rappeler Laurent Joffrin depuis son bateau.

            Le livre de Joffrin est un livre très original, bien écrit, associant le présent et l’Histoire sur un parcours inhabituel qui a peu fait l’objet de récits même si on se rappelle les premiers récits de courses d’Helen MacArthur sur le tour de l’Angleterre. Quelle richesse grâce à Pleg Mor, qui nous emmène découvrir des lieux, naviguer dans le Solent, remonter la Beaulieu River appartenant à Lord Montaigu, éviter les bancs de sable, parcourir le Zuiderzee, mais aussi louvoyer entre les plateformes pétrolières de la mer du nord, vivre le canal calédonien au nord de l’Ecosse, chanter Mull of Kintyre de Paul McCartney en passant au large de la presqu’île éponyme et tout cela à travers une belle écriture…

 Et le récit est riche ; Laurent Joffrin de par sa vaste culture et sa curiosité ne manque jamais une occasion de nous enrichir  d’informations de tous ordres qu’il s’agisse de la naissance des phares, de  géographie,  de découvertes maritimes, etc. toujours reliées au sujet originel. Il nous parle de ses expériences en mer, nuit sans lune qui font l’angoisse du skipper nous rappelle que souvent le marin se sent libre et dominateur alors qu’en réalité c’est bien le vent qui commande. Et si à notre époque nous disposons d’une panoplie d’aides, moteurs, GPS, téléphone satellite, cartes précises, vêtements chauds, nourriture adaptée, n’oublions jamais qu’en 1588 on en était loin et qu’il y avait beaucoup de souffrances de tous ordres à bord de ces navires sur lesquels les conditions de vie étaient très dures. Et c’est constamment ce rappel auquel Laurent Joffrin s’emploie dans cette navigation.

Ce petit livre est aussi, du point de vue des thématiques, une sorte de synthèse réussie entre deux livres ayant eu le prix Albatros : tout d’abord le livre de Cuisenier sur le périple d’Ulysse, premier prix Albatros en 2003, décrivant la même démarche même si c’est pour retrouver un grec et non une flotte espagnole. Mais le livre de Joffrin rejoint aussi « Objets de marins », prix Albatros en 2008, dans la mesure où il parsème son récit d’informations sur les outils d’aide à la navigation et surtout sur leur évolution en cinq siècles.

Merci Laurent Joffrin

Jacques de Certaines et Brigitte Eude  pour la Commission Livres De Mer