Seul au monde - Sébastien Destremau - XO Editions

Note de Lecture :
Ce double récit âpre et fort fait penser à ces plantes qui s'appuient l'une sur l'autre et unissent une formidable vitalité pour se frayer un chemin et trouver une place dans la grande forêt primaire.
La participation au dernier Vendée Globe d'un skipper amateur à bord d'un bateau déclassé, peu équipé et peu préparé, est le support, le cadre et le moteur d'un autre voyage, tout aussi hasardeux et décapant : le voyage intérieur, la remise à plat d'une vie où la colère, la volonté et l'énergie vitale ont été à la fois instruments de survie et de destruction.
Les Français s’étaient un peu habitué au principe d’Eric Tabarly (et de quelques autres) : seule, la victoire compte. Ce livre attachant en est en quelque sorte l’antithèse mais il est vrai que le Vendée Globe n’est pas une course comme les autres. S’aligner au départ est déjà un exploit, financier notamment. Or notre auteur, pourtant régatier de haut niveau, avait incontestablement une tragique faiblesse de son compte en banque et c’est avec un bateau ancien et mal préparé à la dernière heure qu’il a pris le départ. Moteur en panne (pour l’électricité bien sûr), voiles déchirées, blessure au doigt, côtes cassées, deux chavirages, inondation liée au ballast, manque de vivres à la fin… rien ne lui a été épargné. On pourrait dire qu’il ne faisait pas la même course que les premiers avec leurs quilles basculantes, leurs foils, leurs voiles neuves… et pourtant le parcours était bien le même et, dans le Vendée Globe, ce n’est pas rien. L’auteur trop modeste insiste peu sur son palmarès exceptionnel de sportif de haut niveau ; à le lire, on ne voit d’abord qu’un malchanceux chronique et non le marin régatant aux quatre coins du monde. Outre les aspects strictement nautiques de ce livre, il y a aussi l’histoire d’un homme trainant une sorte de déficit affectif et de souffrance à peine masquée par l’humour et la dérision ; en cela, ce tour du monde est présenté comme une sorte de psychothérapie, les chapitres sur la course alternant avec ceux de l’histoire d’une vie.
Sébastien Destremau, qui nous dit n’avoir été qu’un cancre indiscipliné à l’école, entrelace avec le talent d'un grand écrivain le double récit à l'essentiel de cette bagarre sans concession contre les démons de cette course féroce et ceux qu'une relation conflictuelle avec un père « de pierre » a semés dès l'enfance. La sincérité, l'authenticité et une magnifique écriture, tant dans le choix des mots que dans la construction du livre, nous entraînent dès les premières lignes et jusqu'au dénouement, double lui aussi : celui de la course et celui de l'écheveau de la vie.
Un livre qui sort de l’ordinaire à lire avec plaisir.
Jean-Michel Sautter et Jacques de Certaines pour la Commission Livres De Mer
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