De Barbuda à Cartagena de Indias
A Barbuda, Salomon, enfant imperverti de l’ile, nous emmène en canot sur le lagon mangrové de Codrington dont il connait la moindre passe. Tel Tintin et Milou débarquant sur l’île Noire, stupéfaits, presque incrédules, il nous est dévoilé, moins terrifiant mais tout aussi spectaculaire que le gorille en haut du château abandonné, le refuge immaculé des frégates, alias Regata magnificens. Ces oiseaux sont reconnaissables à leurs ailes longues et étroites (2 à 2,5 m d’envergure), leur queue fourchue, leur bec crochu, et leurs couleurs : noirs avec gorge blanche pour les femelles, gorge rouge pour les mâles. Alimentation : poissons, méduses, calamars, bébés tortues.
Au XVIIème siècle, ces colonies d’oiseaux nichaient en Guadeloupe. Les premiers colons européens, non éveillés à la fragilité de l’écosystème en massacrèrent une grande partie, utilisant leur graisse en guise de remède. Depuis, elles sont dérangées par le foisonnement des engins nautiques et ne parviennent plus à y établir leurs nids. Une importante communauté a trouvé refuge ici à Barbuda, île préservée, dans cette véritable réserve ornithologique.
C’est la saison des amours, et les 2500 mâles attirent les femelles en gonflant leur sac gulaire rouge vif sous la gorge : nous assistons émerveillés aux parades nuptiales ! On dirait des gros ballons de baudruches, gonflés à bloc, prêts à éclater, mais qui n’éclatent pas. Face aux oiseaux de Hitchcock nous sommes effrayés ; face aux frégates du lagon, nous sommes émerveillés. Alors que trois espèces végétales et animales disparaissent chaque heure de notre planète, nous sommes si reconnaissants pour le grand spectacle qui s’offre à nous.
Cette petite île de Barbuda est l’une des dernières contrées antillaises où la nature a gardé ses droits. Les habitants semblent vouloir préserver leur mode de vie modeste qui s’appuie surtout sur les ressources naturelles de l’île. Plusieurs projets de développement touristique intensif ont été ainsi repoussés. Merci les Barbudiens ! Merci pour vos plages encore désertes, ces étendues interminables de sable blanc, où le reflux des vagues estompe les nuances rosées d’un corail émietté, merci de n’avoir pas encore exterminé vos tortues, qui nageant autour de nous sortent curieusement leurs têtes rondes, merci de croire en la beauté de la nature. Excusez ce brave Pierre qui sans même le vouloir, a osé ajouter sa touche de peinture. Ce tableau accompli n’exigeait nulle retouche : en plongeant dans vos vagues, engagé corps et âme, il n’a pu deviner que les flots millénaires, d’une traîtresse impulsion le feraient vaciller : Pierre ainsi malmené, vaincu, tourbillonnant, se crasha tête la première sur le sable, gisant comme une épave, bouche ouverte, menton ouvert. Mais le sang qui coula fut vite effacé : merci chers Barbudiens d’avoir réalisé cinq points de suture, sans rien demander en retour. Enfin, merci pour vos langoustes, innommable délice. Il est l’heure maintenant pour nous de vous quitter.
En une nuit de navigation nous atteignons l’île de St Martin, partagée entre la France et la Hollande. L’objectif de cette courte escale improvisée est d’acheter un nouvel appareil photo, le notre, chahuté pendant la transatlantique, a rendu l’âme il y a peu. Après quelques heures de négociation épique avec les commerçants de matériel High Tech, nous voilà en possession d’un Canon 70D et de nouveaux objectifs, investissement nécessaire pour partager avec vous des images de qualité.
Outre son statut de port franc nous offrant donc choix et prix avantageux pour notre caméra, cette île ne nous attirait pas vraiment : des dispositions fiscales favorables y favorisent l’expansion touristique « à l’américaine » et l’intense promotion immobilière. La beauté des plages paradisiaques est entachée par l’éclosion tous azimuts de résidences hôtelières souvent très kitsch, sur fond de paquebots de croisière déversant leurs flots quotidiens de touristes. Pas trop notre tasse de thé…
Faute de vent, nous repoussons notre départ et revoyons le programme de nos prochaines escales. En un an et demi de voyage, nous ne pouvons pas aller partout. Même une vie entière ne suffirait pas. Un an et demi pour faire le tour du monde en voilier, c’est court pour profiter de nombreuses escales. Les voileux tourdumondistes se réservent généralement trois ans ou plus pour réaliser ce grand voyage. Un peu pressés par le temps, nous renonçons avec beaucoup de tristesse à Haïti et à la Jamaïque, option qui rallongeait notre route vers Panama.
L’avantage lorsqu’on voyage en voilier, c’est que l’on peut décider d’aller où l’on veut, pourvu que l’on s’adapte aux conditions météorologiques. La liberté du voyageur des mers ! Nous sortons une carte, et étudions les escales possibles, c’est à dire celles qui ne rallongeraient pas notre arrivée dans le Pacifique prévue mi-février. Tiens, qui de l’équipage est déjà allé en Amérique du Sud ? Personne ? Et si on allait en Colombie ?
Du jour au lendemain nous voici en route pour Carthagène des Indes, des rêves plein la tête. Parti un lundi soir au moteur, sans risquer d’être dérangé par son bruit pour dormir, nous voyons les lumières des Antilles s’éteindre doucement. Le lendemain une légère brise se lève et nous pouvons hisser les voiles. Le vent n’a cessé de forcir nous obligeant à réduire la voilure, terminant la traversée de cette mer des Caraïbes sous 30 nœuds de vent et trinquette seule.
Lundi 26 janvier au soir, une semaine après notre départ de Saint Martin, les rivages d’un nouveau continent apparaissent devant la proue d’Amasia. Bienvenido en Columbia.
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