Chronique Vendée-Globe 10e Bonne lecture

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CATAMARAN
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Chronique Vendée-Globe 10e Bonne lecture
sujet n°116462

A toutes faims utiles
Là-bas, devant, vers l’Est, le noir du ciel se teinte d’une lueur grisâtre. Le lever du jour sans doute. Aujourd’hui,  sous  l’épaisse couche de nuages, le film de l’aube est une production en noir et blanc. Dommage. Après cette nuit interminable, on aurait aimé un peu de couleur, pour raviver l’ambiance, coloriser le moral et pigmenter ce début de journée.  Un camaïeu revitalisant histoire d’oublier le manque de sommeil.
Imaginez. Vous vous endormez en vous disant, cette fois c’est bon, les réglages sont corrects, je vais pouvoir souffler enfin. A peine endormi, l’alarme qui se met à rugir de nouveau à dix centimètres de votre oreille. Rien de pire. Se relever et aller voir. « Oui je sais, le vent est instable mais on ne pourrait pas me f… la paix, au moins une fois ! ».
Retour dans le sac de couchage, mais impossible de se rendormir. Alors tant pis,  p’tit dej ! Mais ici, dans l’hôtel du Grand Sud, pas de room service, les petits déjeuners ne sont pas servis dans les chambres. Puisque l’on ne peut compter que sur soi-même, on s’extirpe à regret du duvet. Bon dieu qu’il fait froid ! Pensées envieuses pour les premiers qui sont déjà dans les chaleurs Atlantiques, plus au Nord. Vite, remplir la bouilloire, allumer le gaz et foncer se glisser, pour quelques instants, dans ce sac encore tiède de la chaleur du corps.  
Dans la douce torpeur d’un demi-sommeil, on se revoit assis à la cuisine pour ces petits déjeuners en famille avec les tartines, le beurre salé et la fameuse confiture de fraises. On sent encore l’odeur acre du pain toujours trop grillé, le parfum du café se mélangeant à la fadeur du lait. Pour un peu, on prendrait son cartable pour partir à l’école.
Il faudrait le goût de la baguette craquante et du beurre avec les cristaux de sel pour vraiment s’y croire. La dernière fois qu’on y a goûté, c’était dans le Golfe de Gascogne, il y a bientôt deux mois.
Ce matin, pour se redonner du courage, on va se remplir un grand bol de céréales avec du lait et du miel. Les céréales, c’est pour les sucres lents. Assimilés peu à peu, ils sont l’énergie diesel régulière et puissante dont le muscle a besoin pour faire face au froid et à une activité permanente plutôt soutenue. Aujourd’hui,  on va même y ajouter des œufs brouillés lyophilisés et du jambon. Ces protéines vont stimuler la sécrétion de la dopamine, l’hormone du dynamisme. Alors, moteur ! Action ! Ce p’tit dej à 800 Calories, c’est parfait pour tourner une nouvelle séquence du grand film des quarantièmes !
Vers midi, avec ce qu’il reste dans le sac de nourriture de la semaine, on se laissera aller à une bonne ration de bœuf bourguignon avec du pain puis du fromage. En dessert, une compote pomme-banane. Sympa, non ? Comme pour les œufs brouillés, les rations, préparées à terre, ont été lyophilisées, c'est-à-dire déshydratées par le froid. Le procédé s’appelle sublimation. Une sublimation qui n’a rien de sublime question goût, même si cette extraction directe de l’eau des aliments en préserve la plupart des qualités nutritionnelles.
Suivez bien la recette pour un plat chaud : ouvrir le sachet, y verser de l’eau bouillante jusqu’au trait, attendre quelques minutes, le temps de la réhydratation, touiller pour bien mélanger et hop : c’est prêt ! Ne reste plus qu’à plonger la cuillère ou la fourchette directement dans le sac. Pas d’assiette, pas de vaisselle, simple et efficace ! Un vrai repas de célibataire.
Avec le temps, on s’en lasse un peu et au niveau digestif, c’est plutôt constipant et flatulent. Mais on n’a pas le choix, il faut faire avec, pour le côté pratique et la légèreté. Sans l’eau, on gagne 70% du poids du produit, soit plus de 200 kg sur toute la nourriture embarquée. Quant au sachet aluminium, il finira dans l’énorme poubelle à vider aux Sables d’Olonne. C’est la règle numéro 20 des instructions de course « les concurrents ne devront pas jeter leurs détritus dans l’eau à l’exception des déchets biodégradables ».
La cuisine en sachets, c’est pratique mais rien ne vaut une conserve concocté par une grand-mère cuisinière ou un grand chef. Ces récompenses sont bonnes pour le moral. S’y ajoute souvent un petit message d’un parent ou d’un ami. Alors, on prend le temps de le lire tout en dégustant ce plat dont le parfum et le goût rappellent tant de bons souvenirs de la vie à terre.
Bon, maintenant on va s’habiller pour sortir. Enfin, façon de parler. Ici le chic dernier cri, c’est le style ZEA, avec polaire et ciré bien ajustés. Détail important : ne pas oublier de glisser dans la poche une ou plusieurs sucreries, au cas où. Pris juste avant une manœuvre bien tonique, ces glucides, assimilés très vite, sont un apport d’énergie immédiat, un turbo pour le muscle. Mais attention, un turbo qui  apaise en stimulant la sécrétion de sérotonine, un sédatif anxiolytique et relaxant qui favorise l’endormissement. La publicité « une barre sucrée et ça repart ! » devrait être remplacée par « une barre sucrée et ça endort ! ».
Il faut s’en méfier quand on est fatigué, au volant, par exemple. Trop de risques de somnolence. Pour résister au sommeil, mieux vaut manger de la viande, du poisson ou des laitages qui contiennent des protéines. Ces molécules aident à se maintenir éveillé. La maxime du jour : Avec un sandwich jambon-beurre, la vigilance est meilleure !
Une grosse inquiétude commence à poindre pour les derniers jours de course. Les réserves de chocolat s’amenuisent. Rationnement obligatoire. Le drame ! Pourtant ses vertus anti-stress seront bien utiles quand il faudra canaliser l’impatience de revoir la terre.
On s’étonne de manger autant sans même grossir. Ici, c’est au minimum 5 repas par jour. 3 repas copieux aux horaires habituels et 2 collations, une l’après-midi et une autre la nuit. Pourtant, ces gros repas arrivent tout juste à équilibrer des dépenses que l’on a tendance à sous-estimer. Par exemple, le travail musculaire réflexe nécessaire pour compenser le déséquilibre incessant lié aux mouvements du bateau consomme parfois près de 1000 Calories. Ajoutez-y un sommeil perturbé, beaucoup d’activités physiques, les pertes dues au froid, au vent et à l’humidité. Sans oublier toute l’activité mentale, grosse consommatrice de sucres. Vous aboutirez alors à un régime Grand Sud d’environ 5000 Calories par jour.
Les sacs de nourriture journaliers ou à la semaine on été constitués pour cela. Ceux prévus pour le froid sont plus riches en lipides pour aider au réchauffement du corps.
Et boire. Beaucoup. La lutte contre le froid l’exige. La réserve d’eau est là sous vos pieds. Une source intarissable sauf si le dessalinisateur tombe en panne. Pas d’inquiétude, pour l’instant tout fonctionne.
La route vers les Sables d’Olonne est encore longue et peut réserver bien des surprises. Un parcours où il va y avoir à boire et à manger. Mais attention,  la météo est une nourriture qui laisse souvent sur sa faim.

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