TRANSAT 2018 CANARIES MARTINIQUE

TRANSAT 2018 CANARIES MARTINIQUE

Posté par : Guy
09 Janvier 2019 à 19h
Dernière mise à jour 14 Janvier 2019 à 15h
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Transat 2018

Par Guy Crombé, dessins de l'auteur.

 

Lanzarote ( Canaries) Espagne, Marina Rubicon. Novembre 2018

 

L'équipage est formé : Philippe, le propriétaire de l'Océanis 45, arrivé en juin par la mer ( du Crouesty, avec un autre équipage).

Hervé, un de ses amis, breton comme lui, très sympathique également.

Jean-Philippe, mon « beauf », avec qui je navigue volontiers et fait la traversée en 2017. Lui arrive de Bordeaux, mais il est ch'ti d'origine, comme moi.

Et miz'ot, arrivé dimanche après midi.

Cela donne donc à bord : 2 bretons et 2 ch'tis !

Tous avons la soixantaine bien tassée, surtout moi, le doyen avec mes 67 balais.

Le bateau a 2 ans, donc récent et doit être en bon état. Le but est de l'amener aux Antilles, où Philippe et sa femme Laurence vivront 6 mois par an.

Nous avons hâte de quitter la terre ferme et de voguer sur la planète Mer ! Oui, car dès que nous quittons le quai, nous sommes sur un autre élément, une véritable autre planète, avec des règles différentes et aussi beaucoup de mystères : nous sommes en surface, et nous ne voyons pas ce qu'il y a en dessous de nous ! C'est assez grisant et inquiétant en même temps : par moments, au milieu de l'Atlantique, nous avons 6000 mètres en dessous de nous : c'est comme si nous volions à 6000 m d'altitude, avec des montagnes et des vallées escarpées , peuplées d'êtres inconnus et qui ne nous connaissent pas non plus. Malheureusement, notre présence ne leur est pas indolore, avec notre pollution, plastique, chimique et sonore. Par moments , nous rencontrons quelques spécimens d'espèces qui viennent flirter avec nous, comme les dauphins, les baleines et autres dorades...

Les poissons volants sont parait il des messagers, selon certaines légendes. Quant aux dauphins, que je rencontre souvent tout au long de l'année, il me plait de croire qu'ils viennent eux aussi nous saluer, et peut être nous mettre en garde : ne détruisons pas nous univers, commun à toutes ces espèces.

Le bateau :

Le parcours :

Nous devons quitter la marina Rubicon sur Lanzarote pour rejoindre le Marin, en Martinique, à environ 2900 milles nautiques (nm), par la route la plus courte, qui s'appelle l'orthodromie. Nous savons que nous en ferons plus, car nous devons descendre sous le Tropique du Cancer puis arriver à la latitude des Iles du Cap Vert pour toucher les alizés, ces vents réguliers et quasi constants qui soufflent d'Est-Nord Est toute l'année. La saison des cyclones est terminée, c'est pourquoi nous partons si tard dans l'année. Ces vents sont générés par la rotation de la Terre, selon monsieur Coriolis !

 

 

 

Mardi 20 novembre.

Le routeur de Philippe ( en France) lui donne le feu vert pour le départ; Nous aurons des vents dans le nez les premiers jours, mais tanpis, ce n'est pas mortel ! Philippe hésite car il voulait traverser avec Lothar et Heidi, un couple allemand sur leur catamaran, mais qui part finalement dans 5 jours. Nous le pressons, car je dois impérativement être en Guadeloupe le 15 décembre pour y retrouver toute ma famille ( femme, enfants, conjoints et petits enfants pour une semaine de vacances ensemble). C'est la condition sine qua non pour que j'embarque.

Vers 13h30 heure locale, c'est le grand départ, après une matinée de vérifications, qui n'avaient pas été faites avant !! ( niveaux d'huile, nettoyage du loch, tension des haubans..)

Le pilote-auto, indispensable, n'est pas configuré...et montre des signes de troubles bizarres, qui m'inquiètent ( soubresauts constants, avec incidence sur le système de barre...) Une petite lumière orange s'allume dans mon cerveau...

Après un départ de la Marina en grandes pompes ( corne de brume, cris de Lothar. Et des voisins de ponton) nous configurons le pilote avant de mettre les voiles. La mer est relativement calme entre les îles, mais une grande houle de Nord Ouest nous prend : c'est la suite du gros coup de mer qui s'est abattu sur l'île de Teneriffe à l'Ouest, causant des dégâts impressionnants et dont on a parlé la veille sur TF1 !! C'est une des raisons qui ont poussé Lothar à ne pas partir, et fait hésiter Philippe. Mais cela tient plus de la psychose de ponton que d'un réel danger …

Je m'occupe à quelques manœuvres sur le pont, car je sens le mal de mer pointer doucement : je ne m'en étonne pas, c'est assez agité et j'ai besoin d'une période d'adaptation d'environ 48 heures. Philippe et Jean-Philippe semblent également mal à l'aise; seul Hervé tient la grande forme et est capable de faire la cuisine en bas dans le carré...

La fin de journée et la soirée se passent à descendre le long de Fuerteventura, vers Gran Canaria.

En effet, Lanzarote est l'île la plus au Nord et la plus à l'Est des Canaries, ce qui rallonge pas mal le parcours, d'environ 120 milles nautiques en ligne droite ( 200 km) par rapport à Gran Canaria. De plus nous descendons Sud Ouest, pile avec le vent de face, ce qui nous oblige à louvoyer, faire des zig zag qui rallongent la route de 50%...

Nous nous organisons pour les quarts de nuit, qui commencent à 22 heures, par tranches de 2h30.

Nous sommes 4, et je prends le premier quart jusqu'à 0h30. Je pourrai donc dormir jusqu'à 8 heures demain !

 

 

Mercredi 21 novembre

08h00 : réveil, mer agitée et désordonnée..ça n'arrange pas mon mal de mer. Mais j'ai bien dormi, signe que je suis assez décontracté.

Journée de louvoyage, on n'en finit pas de sortir des Canaries ! Un gros cargo en route de collision se déroute. Nous sommes en fait dans le DST ( dispositif de séparation de trafic , comme dans le détroit du pas de Calais) car il y a pas mal de monde dans le coin, dont des ferrys inter-îles trèsrapides (30 knts). Gran Canaria est toujours bien visible..

Nous croisons pendant plusieurs heures une immense structure éclairée comme un sapin de Noël, et qui avance lentement : une plate-forme pétrolière qui a pour destination Las Palmas-Gran Canaria.

Nous en croiserons une autre le lendemain. J'ignore d'où elles viennent, mais je m'interroge sur leur présence par ici: en fait nous ne connaissons rien de l'exploitation du pétrole, dont nous avons hélas encore bien besoin. C'est pourquoi parcourrir près de 6000 km avec la seule force du vent a quelque chose de satisfaisant, même si je ne me fais aucune illusion sur mon emprunte carbone : je suis arrivé à Lanzarote en avion...

Je prends le quart de 0h30 à 03h00.

 

Jeudi 22 Novembre

Levé à 8h30 ( heure Canaries, soit 10h30 heure d'hiver à Paris) Nous sommes à 2630 nautiques du but : on a avancé hier et cette nuit, mais toujours en zig zag, donc pas très productifs.... Il fait beau, et il y a du vent, mais toujours Sud Ouest ( SW)...

Nous essuyons des grains dans la journée. Ils sont plus méchants que je ne le pensais: ça monte souvent à plus de 30 nœuds ( Knts) et le bateau étant surtoilé au départ, devient difficile à contrôler.

Nous décidons de réduire la toile, ce qui est facile sur ce bateau. Il fait assez frais, et je ne regrette pas mon équipement de protection.

La nuit tombe vite et les grains nous semblent d'autant plus menaçants : ces grosses masses nuageuses noires accompagnées de leurs bourrasques et de leur pluie « à l'horizontale »...

 

 

Vendredi 23 novembre:

Cette nuit, j'étais de quart de 3 heures à 5 heures 30. Nous avons essuyé des grains et je n'y couperai pas moi non plus. J'ai très peu dormi jusqu'à cette heure, le vent faisant « chanter » le gréement ainsi que l'éolienne, ce qui donne un bon raffut dans ma cabine.. vers 4h30, je vois apparaître sur mon écran un signal «AIS*», c'est à dire la présence d'un cargo, qui fait route de collision avec nous. Il s'appelle le AKAD FEDOROV.

D'après mes estimations, on se croisera dans une heure : je suis prêt à me dérouter si lui ne le fait pas. Au bout de quarante cinq minutes environ, il n'a toujours pas modifié sa trajectoire. L'océan est immense, mais on arrive à se trouver en route de collision ! Je décide de le contacter ( je réveille et demande à Hervé de le faire tandis que je suis à la barre). Le cargo nous répond « don't worry »: il nous a vu depuis longtemps sur son AIS et sans doute sur son radar aussi, mais je reste sur le qui-vive car il ne dévie toujours pas...

Un quart d'heure plus tard, il passe devant nous à très faible distance, masse noire illuminée impressionnante la nuit. Je suis pressé qu'il passe car depuis un moment, je vois un grain arriver juste après et je préfère ne pas avoir à manœuvrer dans ces circonstances. Le grain me tombe dessus violemment, et malgré la voilure réduite, je me bats avec la barre pour contrôler le bateau. Le vent monte très vite à 32 knts, pendant une dizaine de minutes puis se calme à nouveau, jusqu'au prochain grain. Sous ces coups de vent, la mer se creuse rapidement et le spectacle de ces vagues déferlantes éclairées par la lune qui se montre de temps en temps est magnifique: on dirait du métal en fusion qui danse devant notre étrave.

A 5H30, je passe le relais à Hervé, déjà réveillé le pauvre !

La journée se passe dans le calme, les grains se faisant de plus en plus rares... nous nous éloignons enfin des Canaries.

 

Samedi 24 Novembre

Il reste 2607 milles pour la Martinique...C'est encore loin, très loin : 5000 km (en ligne droite..) à la vitesse d'un vélo ! A la différence de l'année dernière, nous avons du vent dans cette partie du trajet et il commence à être bien orienté. Ce ne sont pas encore les Alizés, mais on a bon espoir de les toucher rapidement. Nous ne descendons pas sur le Cap Vert, notre routeur nous donnes des «Waypoints» proches de l'orthodromie, ce qui nous permet d'avancer «utile»..

( Waypoint : point de passage, donné en coordonnées Degré/Minute pour la latitude et Degrés/Minute pour la longitude ;

l'orthodromie, c'est la route la plus courte d'un point à un autre sur le globe terrestre. Ce n'est pas une ligne droite, mais courbe..)

Dans la journée, le vent tourne de plus en plus Nord, puis s'établit Nord-Nord Est, idéal, autour de 15 knts. Nous sortons le tangon de gênois pour la première fois, afin de permettre à celui-ci de ne pas « fasseyer», c'est à dire claquer au vent, ce qui est mauvais pour la voile et le reste du gréement. La chaleur arrive, on descend Sud Ouest, c'est tout bon ! L'ambiance « transat » s'installe, c'est à dire que l'on prend une certaine vitesse de croisière, que chacun vaque à diverses occupations ( lecture, écriture du journal, dessins...selon ses goûts). Seul Philippe semble s'ennuyer, car il ne lit pas ! Il consulte son Irridium ( téléphone satellite ) qui nous donne la météo et les waypoints chaque jour. Nous sommes équipés d'une balise qui envoie à nos proches en France notre position plusieurs fois pas jour. Le routeur nous informe qu'il ne reçoit plus le signal : j'espère que les miens ne s’inquiètent pas trop et je leur envoie via l'irridium notre position. Les autres coéquipiers font de même et tout le monde est rassuré. Reste à savoir pourquoi le signal de parvient plus...La balise marche à piles, et elles étaient mortes...! Heureusement, j'avais celles de rechange de ma frontale, nous les avons donc utilisées et le signal est reparti..

 

Dimanche 25 Novembre:

Il nous reste 2293 milles nautiques à parcourir ( en ligne droite..)

Aujourd'hui, c'est la Sainte Catherine, la fête de ma petite femme chérie. Elle a du recevoir les fleurs que j'avais fait envoyer avant de partir.

Nous avons parcouru 570 nm depuis le départ. J'étais de quart de 22h à 0h 30. Belle nuit de glisse, barrer était plaisant, avec des surfs nocturnes à plus de 8 knts ( ce qui peut paraître dérisoire en comparaison de la vitesse de Gabart ou Joyon, mais pour nous, et de nuit, c'est déjà pas mal!) On avale donc les milles...Le ciel est nuageux et la mer agitée, ce qui nuit à l'esthétique de mon écriture manuelle ; nous faisons cap au 255°, selon les instructions du routeur, qui lui a une vision globale de la météo et des vents qui sont devant nous. Nous savons que nous devons descendre à la latitude du Cap Vert pour «choper» les alizés...

A 9 heures, tout le monde est réveillé, Hervé nous apprend de bonnes paillardes et chante du Brassens, tandis que Philippe soigne son lumbago à coup de paracétamol et que Jean-Philippe écrit son journal de bord. Il est très rigoureux et organisé. Chaque matin, c'est lui qui nous donne la distance parcourue la veille et cellequi nous reste devant... Nous naviguons souvent ensemble, d'ailleurs l'année dernière nous étions également ensemble pour une traversée, ainsi que mon fils Martin, avec qui je navigue également beaucoup, surtout en été.  JP est un coéquipier agréable et efficace. Nous nous entendons bien lorsqu'il s'agit de faire marcher le bateau, et dans la vie aussi.

Hier, nous avons croisé une petite troupe de dauphins, les premiers depuis le départ. Ils ont joué avec notre étrave pendant quelques minutes et puis s'en sont allés suivant leur route mystérieuse.

Je leur ai quand même passé le bonjour de la part d'Adrien et de Valentine, qui auraient bien aimé les rencontrer.

Un gros cargo ( très long, 190 m et très récent) , le NORDSEINE , apparaît sur l'AIS puis sur l'horizon. Il passe assez près de nous après s'être légèrement dérouté pour ne pas nous écrabouiller !

et nous avons une petite conversation à la VHF; ils sont intrigués par notre présence et nous demandent notre destination , nous leur répondons «French Indies», l’appellation internationale des Antilles Françaises.

 

 

Lundi 26 Novembre

Il nous reste 2190 nm pour la Martinique.

Hier soir, l'ambiance à bord était assez houleuse, comme l'océan...Une manœuvre ratée est à l'origine de cette «engueulade». Je ne m'étalerai pas sur les détails. Disons qu'il est parfois hasardeux de s'aventurer sur un bateau dont on ne connaît pas bien le proprio...pour une si longue traversée. De toute façon, il n'est pas question de faire demi tour, et on peut remercier Hervé pour sa grande patience....

Ce matin, l'ambiance est redevenue agréable, et tout est ok. On a quand même failli perdre l'usage de l'hélice, ce qui aurait obligé l'un d'entre nous à plonger pour enlever les fils de pêche pris dedans. Mais ce ne fut pas nécessaire, tant mieux.

A la maison, c'est la reprise de l'école et du travail, ce qui pour nous semble bien lointain. Les jours ont tendance à se ressembler, c'est pourquoi la tenue d'un carnet de route personnel permet de jalonner ce parcours.

A noter que la tenue d'un Journal de Bord officiel est obligatoire. C'est le travail du chef de bord, mais c'est moi qui m'y colle...Au moins c'est fait, et en cas de contrôle, nous sommes en règle.

Mardi 27 Novembre

Cap au 240° Distance à parcourir : 2090 nm. Nous ne nous sommes rapprochés de l'objectif que de 100 nm, mais nous en avons parcouru plus, 120 environ, car nous n'avançons pas en ligne droite, nous louvoyons vent arrière, pour avoir un angle avec celui-ci pas trop ouvert, car le pur vent arrière est peu rapide et stressant à cause des risques d'empannage involontaire, ce qui pourrait générer de la casse avec un vent de 20 nœuds.Nous avons pour éviter cela une « retenue de bôme », mais celle-ci peut casser si elle est sollicitée ( ce fut le cas plusieurs fois pendant la traversée..)

La nuit a été calme, mais j'ai eu quelques inquiétudes en regardant le sondeur : normalement, les fonds marins sont entre - 4000 m et – 6000 m, aucun risque de toucher quoi que ce soit...mais quand la sonde annonce subitement 17 m, puis quelques instants plus tard 14 m, puis bientôt 7 m, je commence à me poser des questions : un banc de poissons ?, des dauphins ?, une baleine ? Je ne le saurai jamais ! En tous cas, cela s'est reproduit plusieurs fois pendant la traversée.

Nous sommes à 200 nm du Cap Vert, où nous n'allons pas, ce n'est pas notre route, mais nous allons bientôt pouvoir tirer un peu plus vers l'Ouest. Le vent n'est pas bien costaud, environ 13 knt.

Cela me fait penser que nous avons franchi dimanche le Tropique du Cancer , latitude 23° Nord

( qui n'est pas matérialisé sur nos cartes, je ne sais pas pourquoi...)

On commence à voir pas mal de poissons volants qui s'enfuient devant notre étrave. Leurs longs vols de plusieurs centaines de mètres sont assez spectaculaires . Ils se relancent avec un petit coup de queue, qui est d'ailleurs taillée pour ça. Leurs deux nageoires latérales sont impressionnantes, et elles ressemblent à des grandes ailes de libellules. La nature est décidément extraordinaire...

Mercredi 28 Novembre

Nous faisons maintenant route au 263°. J'étais de quart de 5h30 à 8h00. Il nous reste 1962 nm pour l'arrivée. Nous sommes enfin passés sous la barre des 2000 ! C'est un seuil psychologique, comme celui des 1000 milles et celui des 100 mille restants !

Vent 12 knt, Est, beau temps.

Cette nuit j'ai fait un rève, atroce … no comment. Ma famille me manque beaucoup !

Belle journée de nav, assez rapide, surtout en fin d'après midi, le vent monte à 20 knts et plus, nous glissons à 9 knts ! Lla carène de l'Océanis 45 est très plate sur l'arrière, le bateau étant très large à cet endroit : c'est un beau et bon bateau, mais nous ne sommes pas en régate et nous ne cherchons pas à le pousser à ses limites : l'important est d'arriver dans un temps correct, sans forcer. C'est dans cet esprit que nous ne surtoilons pas et aussi pour qu'il soit facile à manœuvrer. De toute façon, le bateau est quasiment en surpoids, car il servira de logement pendant 6 mois par an, donc on transporte pas mal de matériel ( Désalinisateur, groupe électrogène, lave-linge, etc, etc..)

 

 

Jeudi 29 Novembre

Position à 10h30 UTC:19°42' N et 29°36' W – quart de 22 h à 0h30.

Il reste 1825 nm. Nous avons navigué plus de 1000 milles (nm).

C'est jeudi, et à la maison, les «petits loups» sont arrivés. J'espère que Catherine n'est pas trop débordée ! Ici, cap au 250 °, vent E/NE, vitesse de croisière 6/7 knts.

Ce matin, sur le pont, pas moins de 10 exocets ( poissons volants) surpris par notre étrave. Ils ne survivent pas longtemps hors de l'eau, quelques minutes à peine. Quand on les ramasse, ils sont déjà bien raides. On décide de s'en servir comme appât, mais cela ne tient pas sur l'hameçon. On pourrait les manger, mais j'ai souvenir que l'année dernière, j'avais trop d'arêtes dans le gosier. Leur chair ressemble à de la sardine.

Plus tard, nous mettons une ligne à l'eau, et quelques heures plus tard, nous remontons un gros poisson:au début, nous avons cru à un gros (très) maquereau, mais plus on le rapprochait du bateau, plus on a pu constater qu'il s'agissait d'un beau barracuda ! C'est la première fois que nous pêchons un tel poisson et nous avons décidé de le remettre à l'eau.

 

 

Vendredi 30 Novembre

Nous sommes ce matin à 1681 milles nautiques de la Martinique, J'étais de quart de 0h30 à 3h00.

La nuit a été rapide, avec des vents supérieurs à 20 nœuds. Nous avons fait des pointes ( des surf sur la vague) à 10 knts. Au total, sur 24 heures, cela fait 150 nm. Qui dit vent,dit mer agitée : la grande houle du Nord se mêle à la mer du vent d'Est, ce qui donne un cocktail désordonné et instable. Il est difficile de garder un cap régulier, surtout la nuit sans repères visuels.Seul le cadran du compas nous sert de guide, et nous finissons par être hypnotisés par les chiffres. Il est important de ne pas dévier car le vent pourrait mettre la grand voile à contre comme je l'ai déjà expliqué. Afin d'éviter que le gênois ne claque, déventé par la grand voile en vent arrière, nous l'enroulons et naviguons Grand Voile seule. C'est aussi une sécurité la nuit, de n'avoir qu'une voile à gérer en cas de coup de vent sous un grain. Sous les grains, le vent peut passer de 15 nœuds à près de 30 en quelques secondes. Le bateau devient alors difficile à contrôler.

Pour l'heure, tout va bien et le bateau glisse sur l'océan, c'est assez agréable.

L'océan est magnifique, il me fait penser à une grande prairie bleue, avec ses crêtes blanches qui apparaissent et disparaissent de toutes parts. Nous galopons sur ces collines, créant nous aussi notre écume.

 

 

 

Samedi 1 er Décembre

Distance a couvrir : 1530 milles

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Valentine, ma petite fille adorée : elle a deux ans. Je n'ai pas encore assisté à un de ses anniversaires car l'année dernière déjà à cette date j'étais aussi en traversée..promis, l'année prochaine je serai là ! J'ai hâte de retrouver toute ma petite famille en Guadeloupe le 15 décembre. Visiblement, je serai arrivé en Martinique suffisamment tôt pour rejoindre la Guadeloupe à cette date. Hervé m'a donné une bonne idée, c'est de rejoindre Pointe à Pitre par le ferry ; Voilà une idée qui me plaît bien !

D'ailleurs, nous filons bon train vers notre destination : ce soir nous serons à mi-route.

L'océan est agité ( « Ô grande Mer agitée, Flamand Rose, Flamand Rose...» auteur inconnu) ce qui est normal ! Nous nous déplaçons et vivons sur cette petite surface de quelques mètres carrés, agitée dans tous les sens, mais cela ne pose aucun problème. Depuis longtemps nous sommes

amarinés. C'est même assez agréable de s'endormir en étant bercé par les vagues et la houle. Bref, c'est quand nous serons à terre que nous aurons des problèmes pour nous déplacer..

 

Dimanche 2 Décembre

 

1415 milles pour la Martinique. Quart de 5h30 à 8h00. Nuit calme. Les jours se ressemblent en mer. Pas de changement de décor, peu de changements de météo. Cette année, pas de rencontres extraordinaires, en dehors de quelques dauphins. C'est assez surprenant.Pas encore vu de baleines...Peut être sommes nous trop loin des côtes et sans doute pas sur leur route. Ne pas en voir ne veut pas dire qu'il n'y en a pas..

 

Lundi 3 décembre

Il nous reste 1268 milles : bonne journée hier pour avancer. Le vent est toujours E/NE, autour de 17 knts.

Cette nuit, j'étais de quart de 22h à 0h30 : à minuit, je me suis endormi, hypnotisé par le compas. Résultat : empannage involontaire, la retenue de bôme a cassé. Ce n'est pas bon pour le bateau, cela donne une grande secousse sur le gréement, et ça réveille tout le monde. Il a fallu ré-enpanner avec l'aide de l'équipage et refaire la retenue. La bôme de l'Océanis 45 est réputée assez faible : plusieurs copains ayant traversé sur le même type de bateau ont eu des problèmes de pliage au niveau du hale-bas.

Depuis quelques temps, nous voyons apparaître sur l'AIS d'autres bateaux qui font à peu près la même route que nous : ce sont probablement les premiers bateaux de l'ARC, qui sont partis de Gran Canaria et vont à Sainte Lucie, très proche de la Martinique. Nous visons d'ailleurs le même passage entre les deux îles. Il paraît qu'il y aura plus de 200 bateaux dans la rade de Rodney. Nous « voyons » passer quelques beaux spécimen, tous de plus de 50 pieds minimum, qui mettent quelques heures ou quelques jours à nous dépasser : Titania of Cowes, Orsa, Nantucket Oyster, Bugia Bianca..des Swan, des Amel, etc..

 

 

Mardi 4 Décembre

 

Nous avons fait 162 milles hier, très beau score ! Vent autour de 22 knts, Est/Nord Est, soleil.

On commence à voir des oiseaux, dont deux Paille en Queue, oiseau marin très élégant avec sa longue queue rectiligne blanche, et un Fou de Bassan..Ils viennent satisfaire leur curiosité et restent quelques temps avec nous, profitant pour attraper au vol quelques poissons volants dérangés par notre étrave...Le malheur des uns fait le bonheur des autres, ainsi va la vie sauvage !

 

Mercredi 5 Décembre

Ca y est, nous sommes sous la barre des 1000 milles ! C'est un seuil, que l'on célèbre sur le bateau à l'heure de l'apéro. Nous commençons à entrer dans la zone des grains, ce qui rend nerveux Philippe, mais je ne vois pas pourquoi : L'eau douce qui tombe du ciel est plutôt bénéfique pour nous : cela rince le pont et les voiles. Nous n'en sommes toutefois pas à faire comme Moitessier, à savoir récupérer l'eau de pluie au bas des voiles, dans un seau : nous sommes partis avec 570 litres d'eau douce dans les cuves, pour la vaisselle, cuisine et toilettes matinales. Pour la boisson, du rhum suffit...Non, j'déconne, on a embarqué pas loin de 200 litres d'eau de source, en grosses bonbonnes destinées aux fontaines à eau dans les entreprises. Nous avons vidé assez vite la cuve de 200 litres, donc nous nous sommes en suite rationnés pour ce qui est des douches et nous faisons la vaisselle exclusivement à l'eau de mer moralité, à l'arrivée il restait 130 litres. Nous avons vécu avec 5 litres d'eau/jour/personne. Vive les lingettes pour la toilette quotidienne !

Les grains étaient assez bien venus, dans la mesure où le vent dans cette zone n'était pas des plus forts ( max 15 knts ) en effet, sous le grain, le vent monte vers 20 à 25 knts, rarement plus dans cette zone. De plus, ces grains ne sont pas orageux, car dans le cas contraire j'aurais été plus que nerveux, après ma récente mésaventure en Méditerranée ( voir article Voiles et Voiliers Décembre 2018, rubrique «ça vous est arrivé») En gros, notre bateau a été foudroyé en pleine merau large d'Ibiza, lorsque nous étions sur le chemin du retour à notre port d'attache, Le Cap d’Agde.

 

Jeudi 6 Décembre

 

836 milles à courir. Nuit à grains,c'est plus impressionnant la nuit, on ne les voit pas arriver. J'étais de quart de 5h30 à 8 h00 : fin de nuit fatigante, pluvieuse sous les grains, accélérations du vent fréquentes. Je n'ai pas bien dormi avant, le bateau partait au lof et je le sentais vibrer dans ma cabine.

Aujourd'hui, c'est la Saint Nicolas, fête des enfants dans le Nord ( et dans l'Est et le nord de l'Europe ) . Je pense à Adrien et Valentine, qui ont certainement reçu des chocolats ! C omme c'est jeudi, ils sont à la maison avec Catherine.

Normalement, nous devrions être en Martinique dans une semaine.

 

Vendredi 7 Décembre

 

 

693 nm pour l'arrivée, l'air est plus chaud. Quart de 22 h à 0h30. Nuit rapide ( 66 milles parcours de 22 h à 08h00 )

Le vent souffle bien (environ 25 knts) nous sommes sous GV arisée, pour être confortables et faire un bon cap. Le vent est toujours Est/Nord Est. Inquiétude, cette nuit, dans ma cabine, j'ai été réveillé par des grincements sinistres : j'ai passé un certain temps a essayer de les localiser : cela vient de la mèche de safran ( la direction du bateau...) qui grince dans son logement. Ce n'est pas très bon tout ça... Au matin, j'en fait part au reste de l 'équipage, et nous décidons d'inspecter le secteur de barre et d'aller voir en dessous : heureusement, j'ai une camera type GO PRO, qui, fixée à une gaffe, me permettra d'aller filmer sous la ligne de flottaison : nous regardons le film sur le Mac de Philippe : il y a des «bouts» entourés autour de l'axe. On constate également un jeu , mais rien d'alarmant de ce côté là, c'est aussi un des points faibles des Beneteau récents, bien que ceux -ci refusent de l'admettre.

Samedi 8 Décembre

Nous avançons régulièrement. Un peu plus de 500 nm pour l'arrivée. Vers 16 heures, un dauphin solitaire vient nous accompagner quelques instants, pas plus. Même pas le temps de le photographier...Vent faible, inférieur à 15 nœuds...

 

Dimanche 9 décembre

 

Nous n'avons avancé que de 100 milles hier, faute de vent suffisant. Néanmoins, nous devrions  arriver le 12 décembre dans la journée. Il ne faut pas arriver de nuit, les risques de se prendre des filets de pêche sont trop importants près des côtes. Ils ne sont pas visibles la nuit ; les pêcheurs n'ont que faire des règlements internationaux, mais peut on leur en vouloir ? Non bien sur car eux ils bossent, nous pas...

Encore des grains aujourd'hui, des arc en ciel aussi !

Nous voyons des sargasses autour du bateau : l'année dernière, nous avions commencé à les voir à 1000 milles des côtes, et il y en avait beaucoup plus...Cette algue nauséabonde s'accumule sur les plages des antilles, et dégage une odeur écoeurante en se décomposant au soleil. Cela nuit fortement au tourisme. Elle vient paraît il de la région Amazonienne, et prolifère en raison de la déforestation. Il existe une mer des Sargasses, au Nord, mais depuis quelques années, il y en a un peu partout dans les Caraïbes.

 

Lundi 10 Décembre

290 nm !

Accident à bord : cette nuit, mon prédécesseur avait à moitié fermé le panneau de descente, celui-ci étant muni d'une poignée en inox. Pourquoi ? Je ne le saurai jamais. On ne fait pas ça, même de jour. En montant prendre mon quart, je me suis enfoncé cette poignée dans le cuir chevelu : je ne vous dis pas les noms d'oiseau qui ont fusé après ça...

 

Mardi 11 Décembre

150 milles pour la Martinique !

Hier soir, pendant le dîner, un poisson volant me heurte le front avant de tomber dans mon assiette. Il a eu de la chance, je l'ai remis à l'eau ! J'aurais été moins magnanime s'il était tombé dans mon verre !

Arrivée prévue demain , sans doute dans la matinée ( la mi-journée pour nous, car nous sommes encore à l'heure du bateau, c'est à dire UTC-2, alors que la Martinique est à UTC-4 : nous retardons donc nos montres de deux heures. Cela correspond à l'heure française d'hiver -5 h.

 

Mercredi 12 Décembre

« TERRE »

 

 

 

Dernière nuit de quart pour tout le monde, mais cette fois -ci, avec le pilote-auto, ce qui n'était pas arrivé à cause du manque de batteries. Nous avions des consommateurs d'électricité assez énergivores ( frigo et congélateur) et l'Eoliene ne donne pas quand les vents sont au portant. Les panneaux solaires ( 3X150W) ne suffisaient pas non plus, car leur orientation n'était pas idéale par rapport au vent. Même sous les tropiques, le soleil en cette saison n'est pas si haut, et il se couche assez vite.

Pendant mon quart, un oiseau marin de la taille d'un gros merle, et de couleur très foncée, et que je n'identifie pas pour l'instant, vient heurter mon épaule en douceur et se reposer sur la banquette à côté de moi, immobile et semble t'il épuisé. Comme il commence à laisser quelques souvenirs sur les coussins, je décide de le mettre dans un seau jusqu'à ce qu'il reprenne son envol. Ce qu'il fera deux heures plus tard pendant le quart d'Hervé.

Le matin, je me réveille pour apercevoir enfin la terre : Nous sommes en vue de la Martinique, première terre depuis 21 jours !

Nous mouillerons dans la baie de Sainte Anne tout à l'heure, parmi une centaine d'autres voiliers, venus de partout et de nulle part.

Ainsi s'achève ma deuxième transat, sans doute la dernière, et à l'heure du bilan, je dirais que j'ai été étonné de faire si peu de rencontres animales cette année, en comparaison avec l'année dernière : nous avions vu 3 fois des baleines, dont une fois de très très près ( involontairement), des globicéphales, des coryphènes, des dauphins,etc..

 

 

FIN

 

*AIS :Automatic Identification System: systeme d'identification du bateau par son MMSI. Classe B : plaisanciers, par ondes VHF, classe A ( professionnels, cargos..) : par satellite.Le MMSI est un numéro à 9 chiffres ,unique, attribué à un bateau pour toute la durée de son existence. Il reste attaché au bateau. Il permet entre autres, d'identifier et de localiser un navire en détresse, grâce au système d'alerte automatique déclenché en cas d'avarie grave. C'est une nomenclature mondiale, chaque pays ayant son préfixe ( 227 pour la France)Exemple: le bateau «Tartempion» immatriculé en France a un numéro de MMSI: 227xxxxxx

 

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