La transat retour
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Avant de quitter Marigot, j'ai eu tout le mal du monde à trouver des mèches pour nos lampes à pétrole. Après avoir fait le tour de la ville et être rentré bredouille au port, Alain (top marin de la marina) me dit: "va voir rue de la poste, il y a des petits magasins fréquentés par les Caraïbes. Je sais qu'ils vendent des lampes. Peut-être y trouveras-tu des mèches." Demi-tour marche, je déniche un petit bazar et j'attends à l'entrée à côté de la vendeuse, tellement c'est petit qu'une cliente suffit à remplir l'unique rayon; il y en a justement une! Elle a acheté des petits cailloux et de la poudre... Toutes les deux me regardent incrédules! Elles se demandent ce que je peux bien venir chercher ici. Je les informe de ma requête et la vendeuse me tend un gobelet rempli de mèches. Mais je n'ai pas envie de partir sans jeter un petit coup d'oeil à l'intérieur. Et j'ai bien fait, c'est juste magique! On y trouve tout ce qu'il faut pour vivre au bord des champs de canne à sucre pendant des semaines (mâchettes, cocottes de plein air, mini fourneau à bois, ...). On y trouve aussi de quoi se soigner avec des plantes, des poudres de minéraux et de quoi embêter ses voisins (des poupées hommes et femmes, des aiguilles pour planter dedans, des plumes, de la poudre,...). On y trouve aussi de quoi se faire belle et retenir les hommes, les mêmes pour attirer les femmes et surtout pour ne pas les retenir et enfin un rayon entier de sprays. Des sprays qui t'apportent la protection de Sainte Bidulle ou de Saint Machin, des dizaines de sprays pour avoir des enfants et UN qui m'intéresse tout particulièrement puisqu'il garantie du succès dans les affaires!
La notice est en anglais mais j'ai tout compris: il suffit de vaporiser sur soi le contenu de l'aérosol en faisant le signe de croix. Le spray "Success in Business" fait aussi déodorant et laque pour les cheveux!! J'en prends un et deux mèches, le tout pour 2.50€. Je suis juste super content de cette affaire en or et impatient de rentrer en France où m'attend désormais une belle carrière de business man!
C'est donc hyper motivés que nous nous apprêtons à quitter les Caraïbes. Marin, Patrick le suisse allemand, Guillaume le Saint Martinois et moi, formons l'équipage de cette transat retour. Nous sommes 4 bateaux à partir ensemble: Jeu de Mer et Farol à 12 h le 1er mai, Sirocco (alias Just Sail It) et Black beatle, 2 heures plus tard pour cause de mal de tête récurrent! La veille au soir, Marie, David et Jérémy les morlaisiens de Jeu de Mer, organisaient une soirée galettes de blé noir sur notre ponton (petite soirée, pas trop tard...). Tout l'après-midi, l'odeur de la pâte de sarrazin qui cuit sur la bilig a embaumé la marina de Fort Louis et le soir, nous sommes une trentaine au régime Ti-punch et complète. Certains finiront à la tisane vers 6h30 du matin! Il manquaient Isa, Louise et Jeanne, qui elles, ont pris l'avion le matin pour Lisbonne, préférant le calme de la capitale portugaise à l'agitation de l'atlantique nord.
La situation météo au matin du 1er mai est pour le moins complexe, puisque étrangement, il n'y a pas d'anticyclone des Açores en place. Nous décidons de faire route directe et d'aviser au fur et à mesure. A 12h, nous quittons le port au son des cornes de brumes, tout le monde est dehors, les bras se lèvent. Emus et excités, nous faisons nos adieux à nos amis et aux Caraïbes. Après avoir doublé Anguilla, nous naviguons cap au large. Le vent ne nous permet pas de faire route directe sur les Açores. Nous avançons au bon plein cap 35° contre 25 noeuds de vent. Baromètre à 1012 HPA. Petit à petit, nous finissons par perdre de vue Jeu de Mer, moins rapide que notre Farol dès que le vent dépasse les 15 noeuds. Les Açores sont à 2100 miles.
Le 2 mai, reste 2048 miles, baromètre 1012 HPA, vitesse moyenne 6.5 noeuds sur 24 heures. Quelques jours avant de partir, une terrible dépression a pendant une semaine cassé du bateau et semé la mort sur l'atlantique. Un équipage de jeunes français est porté disparu. Sur les pontons, c'était la consternation, l'émotion était vive et les visages graves. Ici, tout le monde en a parlé et tous espérions un heureux dénouement. La balise de détresse a émit 18 secondes, mais seul le bateau a été aperçu la quille en l'air... Dans la journée, nous recevons sur le télephone satellite, un message des familles des naufragés nous demandant de bien vouloir nous situer afin d'établir un plan de recherche sur la zone du naufrage. Nous leur renvoyons notre position par téléphone. Bouleversé, le coeur tout retourné, je vais me coucher. On aurait tant aimé pouvoir vous aider...
Le 3 mai, baro 1010 HPA à 12h puis 1008 HPA à 16h. Mais le vent tombe, la température aussi. C'est la première nuit depuis le 1er octobre que je passe entièrement dans ma banette sans transpirer comme un boeuf, bercé par le ronron du moteur.
Le 4 mai, le baromètre descend encore 1007 HPA. Le vent souffle à 10 noeuds, nous nous traînons à 2 noeuds, à 15 h un grain violent nous prend de vitesse, alors même que nous commencions à réduire la voilure. On passe de 10 noeuds à 40 noeuds en 2 secondes, du NE à O. Une demi-heure plus tard, le grain nous laisse tremper dans la pétole et on rallume le moteur pour 17 heures.
Le 5 mai, baro à 1007 HPA à 7h30, on coupe le moteur, vent à 10, 13 puis 20 noeuds au près direction les Açores. Il reste 1747 miles. Reçu d'Alain, les coordonnées d'un voilier en détresse sans safran à plusieurs jours de nous dans le nord. Les quarts de nuit se font désormais en salopette et ciré. On a déjà oublié ce que c'est la chaleur. Le baro monte en fin d'après-midi.
Le 6 mai, 1ère grosse tuile: un tube de l'enrouleur s'est cassé, fragilisé par de l'oxydation. Nous devrons continué avec le génois partiellement enroulé, ce qui diminue sensiblement la voilure. J'installe l'étai largable de peur que l'arrête de la cassure ne cisaille l'étai principal! Le baromètre ne cesse de grimper, quelque chose se passe... De 1007 HPA hier à 8h30, il est passé à 1016 HPA aujourd'hui à 11h30. Il reste 1672 miles et çà fait 6 jours que nous faisons du près serré route nord avec un peu d'est quand on peut. Cà ne va pas être une transat express. Ce soir, on veille en bonnet de laine.
Le 7 mai, je n'arrive pas à recevoir les fichiers grib par skymail depuis 2 jours. Baro 1020 HPA à 16h30. Jeu de mer, Black Beatle et Just Sail It se détournent vers les Bermudes. Une dépression est en formation sur le nord des USA et menace de descendre vers nous. Effrayé par le naufrage de Grain de soleil, nos 3 bateaux amis décident de jouer la sécurité. De plus, nous venons de croiser un maxi yacht à voile faisant route en sens contraire de la notre, en route vers Gibraltar par le sud de l'atlantique via les Canaries!
Le monde à l'envers! je décide quand même de continuer notre route, le baromètre annonçant du beau temps, mais seul contre les autres bateaux, je suis plein de doutes. Par Irridium, Isa et Laurent font jouer le réseau marin de la baie de Morlaix et à la tombée de la nuit, je reçois de Gaël Le Cléach le réconfort que j'espérai tant. En effet, il m'annonce par sms, qu'un énorme anticyclone est en train de prendre place sur les açores et dans moins de 48 heures, il barrera la route à toutes les dépressions en formation sur le nord. Ce que confirme le baro du bord. Cap au nord en arrondissant vers l'est dès que possible! Je me couche rassuré et content. C'est chouette les copains!
Le 8 mai, çà caille!! Nous sommes rentrés en contact avec Jean-Louis, navigateur solitaire sur Oiona, lui non plus ne capte pas skymail. On le rassure avec les prévisions de Morlaix et on se promet de s'envoyer nos positions et infos tous les 2 jours par sécurité. Ce que l'on fera jusqu'à l'arrivée d'ailleurs. Fait 2h de moteur. Info météo par Laurent Clech: le vent va tourner au NE, puis E, puis SE dans les 4 jours à venir, nous permettant de faire route vers les Açores et de ralentir notre remontée vers le N. 2ème tuile: les toilettes sont bouchées, çà j'ai déjà fait! Réparé une 1/2 heure plus tard. 3ème casse: un coulisseau de tétière. Pani problème, j'ai du rab en stock. Réparé! Surprise le maxi yacht croisé hier pass sur notre arrière et à la question 'où allez-vous ?" même réponse: à Gibraltar mais via les Açores! Il doit connaître aussi Gaël Le Cléach! J'envoie mes infos aux bateaux des copains.
Le 9 mai, reste 1433 miles. Le baro mont toujours 1026 HPA. Toujours au près serré, on change de voilure plusieurs fois par jour. le vent passant de 9 noeuds le matin à 27 noeuds dans l'après-midi et de redescendre doucement tout au long de la nuit et cela tous les jours. Vu 2 énormes dauphins. Message de Sam et Richard du Swan: monte au 38è parallèle et vire à l'E. Message de Laurent Clech: vent bascule au SE dans 36 heures.
Le 10 mai, j'ai enfin reçu tous les fichiers en attente sur skymail, me voilà gavé d'infos météo. La mer depuis le début est magnifique, la houle inexistante et les vagues bien rares. Heureusement car au près serré le bateau tape, fatique l'équipage et le matériel. Les shorts sont définitivement rangés! Nous sommes rentrés en contact avec Sabine, navigatrice solitaire allemande de 50 ans. Cassé un coulisseau de GV, même pas peur il m'en reste encore 10.
En route pour les Açores acev Aikane de Sabine, un vieux Maramu, on s'échange nos infos météo. Elle nous signale un anticyclone de 1039 HPA sur les Açores. Nous veillons sur son bateau toute la nuit, la réveillant à l'approche d'un cargo.
Le 11 mai, reste 1228 miles. Croisé cette nuit un cargo qui nous appelle à la vigilance, un voilier est porté disparu dans la zone depuis le 1er avril le "Lady Domina". Le mois d'avril a été terrible ici. On espère que le mois de mai sera plus paisible. Vus 2 rorquals communs.
A 14 h, Sabine disparaît sur l'horizon. Farol est plus petit mais plus rapide que le lourd Maramu dans ces 15 noeuds de vent. 17 h, parlé trop vite cette chipie nous rattrape! j'ai rebranché hier à tout hasard, le frigo qui refroidit à l'eau de mer. En effet, il a cessé de fonctionner peu après avoir quitté les Canaries. Il refroidissait très bien et consommait très peu d'énergie. Cela fait maintenant 6 mois que le froid à bord est généré par le compartiment glaçon très gourmand en électricité. Et bien maintenant qu'il ne fait plus chaud, le frigo remarche. J'ai essayé de le faire contrôler par un frigoriste avant de quitter Saint Martin, mais tous étaient débordés. L'un d'eux m'a dit qu'en arrivant dans des eaux plus froides, il pourrait peut-être refonctionner. En effet, on injecte plus ou moins de gaz en fonction de la température de l'eau de mer, le mien est calé sur la méditerranée. Il s'est retrouvé avec trop de pression dans les eaux à 28° et revit désormais dans les eaux fraïches des environs.
Le 12 mai, milieu de parcours, il reste 1117 miles. La mer a changé de couleur et est passé du bleu mauve au bleu vert foncé presque noir. En même temps sont arrivées des colonies de dauphins et de globicéphales. Guillaume a aperçu un requin. De nombreuses tortues croisent notre route ainsi que 2 baleines. Nous sommes sans doute rentrés dans le Gulf stream.
Le 13 mai, Marin me réveille paniqué. Il vient d'apercevoir au loin une fusée de détresse. Nous faisons cap vers elle, mais après discussion, il semble que ce soit plutôt une grosse étoile filante. Il reverra la même chose la nuit d'après. Il reste 933 miles, le baro est monté à 1030 HPA. Le vent tourne de plus en plus au SE et nous permet d'arrondir notre route vers les Açores. Un grincement sourd se fait entendre depuis ce matin autour de la mêche de safran. Après inspection, il s'avère que le support sur lequel est fixé le verin du pilote auto est en train de se désolidariser de la cloison sur laquelle il a été stratifié. On perce, on boulonne, on ne s'ennuie jamais! Sabine nous quitte, elle n'arrive pas à faire un aussi bon cap/vitesse que nous, sans s'aider du moteur. Tous les 2 jours, on se mail nos positions et infos météo. Rendez-vous est pris à Florès!
Le 14 mai, reste 855 miles. Le vent a forci et le bateau tapa beaucoup, on ne peut plus cuisiner et il est très difficile de dormir. A 30 noeuds de vent au près, dans une mer agitée, nous avons l'impression que tout va casser à bord et le placard de la cabine avant (celle qui regarde les étoiles quand le bateau monte la vague et plonge vers l'abîme quand il descend), s'est décroché de la cloison. Le Baro monte à 1032 HPA. Si on s'arrête à Florès, il ne reste plus que 731 MN.
Le 15 mai, vent de 24 à 38 noeuds dans le nez sans commentaires.
Le 16 mai, reste 510 miles pour Florès. Le vent tombe à 18 noeuds, la mer se calme. Les feux avant babord et tribord n'ont pas résisté à l'assaut des vagues. une bosse de ris a lâché, le baro redescend 1028 HPA.
Le 17 mai, reste 380 MN. Cà sent l'écurie! Un porte conteneurs passe très près de nous, des dauphins aussi, les rorquals restent à distance. Jeu de Mer et la bande ont quitté les Bermudes et font route au moteur pour l'instant.
Le 18 mai, reste 249 miles. Les oiseaux de mer font leur apparition et ne quittent plus les alentours du bateau. On approche des îles!
Le 19 mai, reste 160 miles toujours au près. Vu un énorme poisson lune à la surface de 2 m de diamètre.
Le 20 mai, OUUUUUUUUUUUUAIS!!!! Florès est en vue dès 9h30 du matin, mais nous avons le vent en plein nez. On tire des bords de près et comme dit le dicton, à cette allure, c'est 2 fois la distance et 2 fois la peine. La nuit arrive et nous sommes toujours en mer...
Le 21 mai, à 1 heure du matin, nous nous préparons à prendre un coffre ou à jeter l'ancre dans la baie de Lajès sur l'île de Florès, ne sachant pas où en sont les aménagements portuaires en cours. Surprise, il y a des murs et des mâts émergent derrière! On va voir, chouette il y a une marina!!! A 1h30, nous y sommes enfin! Apeine la bouteille de vin rouge de l'arrivée débouchée, Patrick et Yves, le sympathique équipage de La Horla, pointe son étrave dans la passe étroite du port. On les aide à s'amarrer, puis voilà un couple d'anglais venus directement d'Afrique du Sud sur un bateau de 8 m et encore un autre bateau, et un autre... Bref ce sont 7 bateaux qui arrivent en moins de 2 heures et le lendemain, toute la journée, Florès accueille des équipages heureux d'en avoir fini avec le près serré! Les anglais de Durban, n'ont eu eux aussi que du près, des pousses pieds énormes forment une guirlande le long de leur ligne de flottaison du plus bel effet, avec la verdure qui a poussée durant leur navigation. Leur pointe de vitesse depuis l'Afrique du Sud 3.5 noeuds! On en rigole ensemble et décidons d'arrêter de nous plaindre!
Débute alors une semaine de réparations, de nettoyage, de lessive et de convivialité extraordinaire. Le 24 et 25 mai, beaucoup quittent Lajès pour poursuivre vers les autres îles des Açores ou le retour sur le continent européen.Les filles arrivent, le 26 mai, après un stop d'une nuit à Horta, où elles ont rencontré Sam et Richard, qui ont fait une transat express 11 jours depuis St Martin!! La famille est à nouveau réunie. L'heure est au bouclage des cours du CNED et expédition en courrier rapide (ici c'est correios Azul) afin d'être dans les temps. Grand ouf de soulagement pour tout le monde, on arrive au bout!
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