Relier la manche à la mer noire par les canaux
publié le 13 Décembre 2004 06:37
Bonjour,
Est ce que quelqu'un a déjà fait cette route avec un voilier ?
J'aimerais savoir si avec un tirant d'eau de 1m80, le voyage serait possible...
françois
cela a déjà été fait récemment : un article dens le fluvial de ce mois (en péniche ) ; et des anglais sur un voilier ,
article dans un Practical Boat Owner récent
En effet cela a deja ete fait et relate dans la presse mais je ne me rappelle pas si c etait dans la presse anglaise ou francaise???
mais il me semble que c etait dans la francaise et probablement ds loisirs nautiques en 2002
Toutefois, il y avait un Pb de tirant d'eau. Si je me souvient bien, c etait autour de 1.40 m max
Stephan
Merci pour votre réponse
mais je ne sais toujours pas si un voilier avec 1m80 de tirant d'eau peut passer
Une pénichette, un bateau de plmaisance à moteur aussi, mais ...profondeur ?
Je viens d'envoyer un é-mail à loisirs nautiques pour l'article parut en 2002.
J'ai également commandé à l'instant un exemplaire du Pratical Boat Owner 2004.
françois
http://claude.aube.free.fr/
C´est peut être ça
bonjour,
avec 1,80 m, il n'y a aucun pb pour ce trajet, du moins en France (je connais à peu près tout le réseau intérieur farnçais ); reste le Danube, que je ne
connais pas, et qui dépend vraiment des saisons.
tu compte quitter la Manche par quel fleuve ? seine, escaut, rhin/meuse ?
Merci à Esteban pour l'adresse internet, ce sont des renseignements intéréssants.
Pour Tivieu, je pense passer par le canal de l'Est branche nord jusque Toul, le Marne au Rhin déviation Moselle
pour avoir assez de mouillage,Strasbourg, le Rhin avec le courant jusque
Mayence, est ce possible à partir de fin juin ?
Merci de vos réponses sur le forum, c'est vraiment super !!
françois
a quel periode ? mon bateau doit etre mis a l'eau à OLtenita ( pres de girgiu) 'roumanie)
si ti passes , tu pourras te mettre a couple , mon tirant d'eau est de 1m80.
Quelqu'un, P Aubée, l'a déjà fait et a raconté son voyage a cette adresse:
http://claude.aube.free.fr/transeuropea/somcruise.htm
il suffit d'aller voir
que la sainte trinité (st estephe, st émilion et st sernin) te protège
http://claude.aube.free.fr/transeuropea/somcruise.htm
Merci pie,pour ta proposition.
Je pense relier la mer noire en deux ans.
Cette année laisser le bateau au sud de l'Allemagne ou l'Autriche ?
Je passerai donc à Oltenita vers le mois de juillet de l'année prochaine.
Y a t-il moyen de se ravitailler en eau et en gasoil facilement en Roumanie ?
Pour Pascal11, j'ai lu avec intéret le récit de claude.aube
merci, françois
Voilà, comme claude aube l'a fait il y a quelques années, je viens de rejoindre à partir de la mer du Nord, la mer noire par
les canaux et le danube.
Voyage en deux ans avec un hivernage à mi-chemin à Vienne.
Mon voilier a un tirant d'eau d'un mètre quatre vingt
J'ai pu faire les 1000 derniers kilomètres sur le Danube avec les voiles
Amicalement,
François à Eforie Nord pres de Constanta en Roumanie
Ca fait plaisir de voir que des projets formés en 2004 se réalisent. Bravo. Il ne te reste plus qu'à raconter ton beau
voyage.
Question bête:
Est ce que c'est faisable dans l'autre sens: de la mer noire vers la Manche ?
OU est ce que le courant sur le Danube est trop fort ?
Benoit
La remontée du Danube est possible mais...
Le Danube a (lors de ma traversée) un vitesse moyenne de 4-5 Km/h
Mon bateau a vitesse réduite fait 7-8 Km/h à 1300 Tours/minute
Ma vitesse était en moyenne sur le danube de 12 Km/h
Si on remonte le Danube. C'est possible mais :
On peut faire une moyenne de 6 Km/h avec un moteur à vitesse normale ou plus (bruit et consommation)
Il faut prendre alors pas mal de bidons de fuel sur le pont....et c'est long le danube apres canal entre le Danbe et le
Main, puis le Main jusqu'au Rhin en légère descente.
Il vaut mieux alors s'arranger avec des pousseurs de barges qui remontent le Danube à vitesse très réduite.
A partir de Galati (si on remonte par le Delta), sinon à Constanza, il y a un canal qui rejoint le Danube
Avec un mat de moins de 15 mètres, on peut garder les voiles pendant 1000 Km
Il faut démater (ou mâter) entre les deux écluses des portes de fer à l'ouest de la Roumanie.
J' ai mis mes mâts et descendu le danube avec les voiles sur les derniers 1000 Km
Amicalement,
François
Bonjour Philippe,
1e ne suis pas un bon narrateur, mais je suis toujours disposer à rendre service et à répondre à toutes les questions sur le
dernier trajet que j'ai effectué pour relier Liège à Bodrum par les canaux et la mer noire.
Mon beau frère, qui est venu nous rejoindre un mois au Delta du Danube et qui a fait le trajet en mer noire et le Bosphore a
rédger un article que je transmets çi-joint.
Amicalement,
François
PS : Le Pandora est au chantier Yatlift à Bodrum pour l'hivernage
Sulina, 15 juin 2007
Carnets de voyage : AVENTURE SUR LE PANDORA.
Sulina, je suis à Sulina ! Ne me demandez pas pourquoi, je vais simplement tenter de vous expliquer comment je suis arrivé
ici et ce que j?y fais.
Sulina est une petite ville roumaine très cosmopolite, ancien repaire de pirates (dès 950 selon des documents de Byzance),
porte de l?Union européenne depuis peu (la Roumanie a adhéré à l?UE le 1er janvier 2007), et petit port situé à l?embouchure
du Danube et de la Mer Noire !
Pour Francine (ma s?ur) et François, son mari, Sulina est une étape importante pour ne pas dire essentielle dans leur
aventure, un vrai périple, que dis-je une saga ! Pour eux, l?aventure a commencé en avril 2006, lorsqu?ils ont quitté le
port des yachts de Liège à bord du Pandora, un voilier de 13 m, 13 tonnes, muni d?une quille fixe d?un tirant d?eau de 1,8
m, voilier équipé d?un moteur comme tous les voiliers (afin de man?uvrer dans les ports et marinas).
Quel voyage ! 5000 Km de fleuves et de canaux à travers toute l?Europe dont 3000 Km sur le Danube pour aboutir ici à Sulina
ce 15 juin 2007.
Demain, avant le lever du soleil, nous quitterons le Danube et le Pandora retrouvera enfin l?eau salée de la mer après plus
de 2 années passées en eau douce ! En effet, le Pandora sera de la sorte un des très rares voiliers à avoir relié la Mer de
Nord à la Mer Noire en traversant l?Europe de part en part. Demain donc, nous laisserons Sulina et les millions d?oiseaux de
la réserve naturelle du delta du Danube pour entrer en Mer Noire vers Constanta, le grand port industriel et commercial de
la Roumanie, ensuite, nous ferons route vers les côtes bulgares puis nous passerons le Bosphore pour entrer dans cette ville
que j?aime tant : Istanbul.
Istanbul, qui avec New York la ville des villes, est pour moi synonyme d?aventures, de diversité et métissage, carrefour des
mondes et des civilisations, espace rempli d?histoire, de tolérance et de modernité à la fois.
Pourquoi suis-je venu dans ce bout du monde, dans ce petit coin, pourquoi suis-je venu retrouver « ma famille » sur l?eau ?
Peut-être que ces quelques lignes de narration m?aideront à répondre à cette question !
Oh, qu?il est simple et facile de prendre l?avion un lundi matin 11 juin pour Bucarest même si, ayant surestimé mes forces
et mon calme, j?ai réussi à me mettre en transpiration et dans un vrai stress entre le 68 quai de Rome et la gare provisoire
des Guillemins. Mais pourquoi avoir décidé de ne prendre ni bus ni taxi alors que j?étais, comme d?habitude, chargé de
bagages trop grands et trop lourds (un MAC, des livres, guides, modes d?emploi, masque de plongée, équipement jogging,
cadeaux, appareils photos, chemises de toutes sortes y compris blanches !!!!!). Arrivé juste à l?heure pour monter dans le
train (le semi direct via Landen, « bourré massacre » dès Waremme des nombreux navetteurs matinaux plongés dans les
résultats électoraux de la veille), j?ai dû me concentrer pour retrouver calme, sérénité et arrêter la sudation de mon grand
corps toujours couvert d?un « Damart » de poils sur le torse (le dos étant épilé tous les mois en été, heureusement mais
douloureusement).
Et évidemment, après 10 minutes de trajet, le train s?immobilise en plein champ de betteraves durant 15 minutes peu après
Waremme, alors que le temps pour trouver la correspondance à Leuven n?est que de 6 minutes. Mais, trêve de suspense à 4
sous, tout s?est bien passé puisque le machiniste syndiqué FGTB ou Loco a poussé un sprint pour regagner le retard des
betteraves.
L?avion pour Bucarest était à l?heure, lui aussi rempli de navetteurs belges allant bosser en Roumanie afin de faire du
business avec ce nouveau pays européen dans le cadre du développement win-win. Durant le vol sans histoire, j?étais
accompagné par Nick, ce petit journaliste en mal d?aventure qui décide de prendre le premier avion pour l?Australie et qui
devient le personnage central du premier roman ? un polar ? de Douglas Kennedy (Cul-de-sac écrit en 1994 et paru aux
éditions Gallimard en folio policier, très bon pour les voyages, « une histoire de mecs » comme m?a dit Francine). Du même
auteur, j?ai lu avec enthousiasme « La poursuite du bonheur » (à lire de préférence durant un séjour à New York).
Bucarest, les 32 degrés annoncés et Razvan, un ami de Carmen (cette prof en sciences de l?enseignement provincial liégeois
d?origine roumaine), étaient bien au RDV. Traversée de la ville très verte grâce à ses nombreux parcs, ses grands et larges
boulevards arborés et fleuris et à 16 heures, je quittais déjà la capitale à bord d?un taxi collectif (en fait un mini car
de 15 places de marque Mercedes avec air conditionné !). Les 380 Km ont été avalés en 4 heures, un tronçon d?autoroute de
120 Km, puis des routes nationales, régionales et locales à travers champs et villages pittoresques et agricoles en pleine
activité, pour atteindre Tulcea, la capitale du delta du Danube, à 20 h15. Francine et François étaient là, ils
m?attendaient heureux et réjouis de me retrouver un jour plus tôt que prévu initialement. J?étais à bord du Pandora 5
minutes plus tard et je prenais possession de « ma cabine » de voyageur privilégié et prêt à vivre de nouvelles aventures??
Ce soir-là, le poisson-chat appelé également silure ou somas a constitué la base du repas arrosé de vin blanc sec provenant
des vignobles roumains.
Le lendemain mardi, découverte du marché municipal et achats, recherche d?un cybercafé et de WIFI, bref, les démarches
habituelles et banales. Mais vers 16 heures, nous sommes partis en bateau à moteur de 15 mètres avec un guide ornithologue
et son compère et associé (pilote et cuisinier) à la découverte des nombreuses espèces du delta classé réserve naturelle et
protégé par l?UNESCO. Après un parcours d?une heure dans les canaux, nous prîmes une embarcation à rames afin d?avancer dans
le plus grand silence à la recherche des multiples espèces et principalement des zones de nidification?
Extraordinaire, ce fut extraordinaire de découvrir plus de 20 espèces différentes d?oiseaux dont les cormorans, mouettes
hérons, corneilles, martins-pêcheurs, goélands et pélicans bien connus, mais également les spatules blanches, bihoreaux
gris, aigrettes garzette, crabiers chevelus, fuligules nyroca, rolliers d?Europe, guifettes, ibis falcinelle, gallinules et
loriots moins connus ou moins fréquents. Voilà, qui en redemande ? Et bien moi, j?en ai redemandé, car c?était fascinant et
très excitant.
Oui, moi l?Urbain, le citadin, j?ai été emballé par ces découvertes, par les centaines de nids habités par des milliers de
poussins de toutes espèces, par les cris, les vols, les chants de tous ces oiseaux en liberté dans ces milliers
d?hectares de forêts, d?étangs qui constituent le delta du Danube.
Comme je disais, j?en redemandais et c?est ainsi que le lendemain, on a remis le couvert (au propre comme au figuré puisque
chaque voyage était agrémenté d?un repas de poisson, le célèbre silure du Danube avec sa soupe de cuisson et la sauce à
l?ail). Bref, je suis aujourd?hui incollable sur les espèces d?oiseaux du delta qui deviendra à n?en pas douter une des
destinations importantes du touriste européen à la recherche de nature et d?espaces libres et protégés.
Après ces 2 voyages dans l?espace ornithologique, le moment était venu de reprendre le fleuve Principal et de naviguer vers
la mer. Ce qui fut fait dès jeudi. Après 5 heures de navigation sur le grand canal de Sulina (la partie la plus navigable
pour les grands bateaux et ceux à fort tirant d?eau), nous avons trouvé refuge pour la nuit dans un canal annexe
perpendiculaire au milieu de centaines de grenouilles qui ont rythmés notre nuit et nos rêves??
Ce vendredi matin, les grenouilles étaient calmées et Francine leur a joué une aubade à l?accordéon pour les remercier de
leur accueil. Ensuite, après un contact par radio ondes courtes avec la Belgique pour les prévisions-météo des prochains
jours en Mer Noire, l?équipage fixa le cap sur Sulina pour 2 heures de navigation au moteur, l?issue de la longue traversée,
de la saga européenne de Francine et François et du Pandora, le voilier qui traversa l?Europe à travers fleuves et canaux,
5000 Km à moteur sans pouvoir dresser les voiles !
Pour être précis et pour informer correctement les candidats éventuels à ce périple, les mâts du Pandora, d?abord couchés
sur le bateau afin de permettre le passage dans les tunnels ? en France - et sous les ponts, ont été redressés à l?aide
d?une grue, à l?entrée de la Roumanie (entre les deux écluses des Portes de Fer). À plusieurs reprises, les voiles ont donc
pu être hissées pour franchir certains tronçons des 1000 derniers kilomètres du Danube. On peut par conséquent écrire sans
erreur que, François le skippeur, a parcouru une partie du Danube à voile et à moteur. Selon les informations recueillies
sur internet ou auprès des navigateurs eux-mêmes, aucun voilier n?a « remâté » avant d?entrer en Mer Noire. L?aventure du
Pandora serait donc bel et bien une première à ce niveau !
Suite : 16 juin à Sulina.
Contrairement au projet d?hier, nous sommes toujours à Sulina car les vents annoncés n?étant pas très favorables (vent du
sud càd vent de face), le départ est postposé à demain, dimanche.
Revenons donc à Sulina qui connu son heure de gloire au 19ième siècle lorsque les grandes puissances de l?époque et les pays
riverains décidèrent de rectifier le cours du Danube pour le réduire de 21 Km par un canal rectiligne navigable pour les
gros tonnages. De 1880 à 1902, une Commission européenne du Danube présida aux travaux et de nombreux travailleurs et
fonctionnaires s?y installèrent. Pas moins de 6 cimetières rappellent ces faits : orthodoxe, orthodoxe de rite ancien,
catholique, anglican, juif et musulman. À noter également, que l?on croise de-ci de-là des citoyens habillés de façon
traditionnelle et portant une longue barbe. Il s?agit de Lipovènes, les descendants des fugitifs russes qui au XVIII s. se
sont réfugiés dans le delta à la suite du schisme de l?Eglise russe. Leurs ascendants, ces « vieux-croyants », pêcheurs
cosaques du don, ont participé aux soulèvements des paysans russes sous la conduite de leur chef l?ataman Nekrassov. Ils
furent écrasés par les armées tsaristes et se sont réfugiés en Turquie et ici en Dobrogea, la région roumaine située au sud
de l?Ukraine et de la République moldave toute proche. Aujourd?hui, les traditions demeurent, ces orthodoxes russes appelés
Lipovènes persévèrent et crachent par terre lorsque sont prononcés les noms maudits de Nikon ou de Pierre le Grand, les
persécuteurs de leurs ancêtres.
Déjà 34 degrés à l?ombre, je déguste une 4ième Silva (repas compris), bière blonde roumaine de 50 Cl. Installé au bout du
câble blanc du chargeur du MAC, sous un parasol de Stella Artois, me revoici en train de tapoter à 2 doigts ces quelques
impressions et commentaires, Michael Jackson vient de laisser la place à Madonna, les autres clients mangent et boivent
abondamment en ce samedi de juin sur la rive droite du Danube vert brun chargé d?alluvions et de pollutions des régions et
pays en amont.
Aux Belges et amis des régions pluvieuses qui me liront, sachez qu?ici en Dobrogea et donc dans le delta, les écarts de
températures sont très importants. Très régulièrement en hiver, la température tombe à ? 30° degrés (le Danube gèle à de
nombreux endroits) pour monter à 40° et plus l?été, comme en de mois de juin 2007 (des pointes de 44° ont été relevées à
Bucarest et dans d?autres région de Roumanie ces derniers jours).
La saga du Pandora.
Le Pandora a quitté la Zélande et son port d?attache en septembre 2005 pour un séjour convivial au port des yachts de Liège
(« Passe par Liège, tu seras reçu comme un Prince »), puis après un entretien intérieur, il a repris la route en avril 2006
par Namur puis Dinant, Charleville-Mézières, Verdun, Nancy et Strasbourg. Il convient ensuite de descendre le Rhin jusqu?à
Mainz puis de remonter le Main par Frankfurt, Würzburg, Nürnberg et Regensburg pour rejoindre ainsi le Danube. Arrivé à
Vienne fin septembre, le Pandora a été mis en cale sèche pour un entretien complet et pour passer l?hiver sans risque. Le
voyage a repris en avril 2007 par Bratislava, Budapest, Belgrade et enfin la Roumanie. Au total 6 mois de navigation au moteur.
Suite : 18 juin 2007 à Constanta.
C?est dans la pluie et les orages que la première navigation en Mer Noire s?est terminée. Il a fallu 17 heures pour relier
Sulina à Constanta, 17 heures de vents contraires dont 5 heures d?orages. Tout avait très bien commencé à 4 heures lorsque,
plein d?émotion, l?équipage a parcouru les derniers mètres de Danube pour entrer en Mer Noire et inconnue pour nous (du
moins en navigation). Très beau soleil levant comme toujours, nombreux goélands escortaient le bateau et le petit-déjeuner ?
des ?ufs au plat - fut un vrai régal.
C?est vers 8 heures 30 que des centaines d?insectes ? des taons gros comme ça ! ? ont envahi le pont contraignant de la
sorte les vaillants navigateurs à se réfugier dans la timonerie (je décrirai les différentes parties du bateau plus tard).
Il y en avait partout sur le Pandora, ils étaient des milliers à virevolter ou se poser, certains réussissaient même à
pénétrer à l?intérieur lors des entrées ou sorties de François, mouvements nécessaires à border une voile ou resserrer les
élastiques fixant les 2 vélos attachés dans le dinghy (ou Zodiac). C?était donc la guerre dans un espace clos de 3 m sur 3,
la tapette assommant puis tuant un à un les taons devenus agressifs ! « Quelle affaire et quelle chaleur à la timonerie ! ».
A10 heures, au moment du contact radio avec Noël Faux de Cornesse (Pepinster), permettant de faire le point sur la météo, la
pression a progressivement baissé et les insectes ont disparu comme ils étaient arrivés. Leur apparition était
vraisemblablement due à la proximité de la troisième embouchure du Danube à hauteur de Saint-Georges et l?entrée des eaux
douces du fleuve dans la mer. Une demi-heure plus loin, le Pandora fendait les eaux bleu foncé de la mer abandonnant
définitivement les eaux douces chargées d?alluvions et à nuances souvent brunes déversées par le Danube sur plus de 100 Km
de largeur du delta. Après ces émotions, la navigation s?est poursuivie de façon banale (vents contraires et vagues courtes
venant de face). Le déjeuner composé de plusieurs salades dont une préparation de sardines sur laquelle je reviendrai a été
dégusté dans la joie et la bonne humeur, puis vers 15 heures, des nuages porteurs de pluie se sont amoncelé sur les terres
voisines transformant le vent et les vagues. Très rapidement, les données ont changé du tout au tout, les vagues sont
devenues plus hautes et plus courtes (la Mer Noire étant relativement étroite et peu profonde ? 30 m sur notre trajectoire
? les vagues plus courtes entraînent une navigation moins agréable).
Une heure plus tard, l?orage nous surplombait pour éclater vers 18 heures plongeant la mer dans la pénombre et la tempête.
La visibilité a été réduite d?un coup et la navigation est devenue franchement difficile et quelque peu dangereuse à cause
des nombreux bateaux perçus sur l?écran du radar de bord et dont on ne savait pas s?ils allaient couper notre route ou s?ils
étaient à l?ancre en face du port et en attente de déchargement. Durant 10 minutes, 6 à 8 dauphins se sont rapprochés pour
évoluer à cent mètres du bateau en se jouant des vagues aussi sombres qu?eux. Entrée dans le port vers 21 heures 15 et
accueil pour l?amarrage par des policiers de la Police des frontières du port de Constanta, formalités d?entrée du service
d?immigration venu sur le bateau dans la minute de l?accostage et repas chaud préparé par Francine remise, elle aussi, des
émotions des dernières heures.
Suite : 20 juin à Constanta.
Deux jours passés à Constanta. C?est d?abord, comme toujours après une navigation, le moment de remettre de l?ordre, de
lessiver (sur un bateau, on lessive souvent mais en petites quantités), de vérifier si rien n?a disparu. Mais ici dans le
port de Constanta, pour la première fois depuis des semaines, il y a de l?eau potable et de l?électricité à disposition des
plaisanciers et ça, c?est important pour ne pas dire inestimable. Terminé les économies d?eau lors de la douche et de la
vaisselle ! Enfin, on peut recharger les batteries du moteur et des nombreux accessoires (radar, frigo, pompes) de meilleure
façon que durant les navigations avec moteur, mais également les batteries des téléphones mobiles, des appareils photo et
des ordinateurs portables. Quel plaisir et quelle sécurité ! Un port équipé pour bateaux de plaisance, c?est également une
station de carburants, Francine m?a raconté sur le long, très long parcours du Danube, qu?on ne trouvait pas de stations ni
pour l?eau ni pour le carburant. À plusieurs reprises, c?est avec des jerrycans de 20 L qu?il a fallu transporter eau et
fuel sur des distances parfois très longues afin de pouvoir continuer le voyage. Mais à Constanta, tout cela est et restera
dorénavant du ressort du passé puisque le Pandora fera, à partir d?aujourd?hui, régulièrement escale dans des ports et des
marinas équipés et accueillants pour les plaisanciers. Mais revenons ou plutôt, découvrons la ville de Constanta, troisième
du pays, ville antique puisque la présence humaine remonte au Ve millénaire avant notre ère. Au VI e siècle av. J-C, les
Grecs fondent la colonie de Tomis et en 29 av. J-C, l?Empire romain s?installe pour six siècles en Dobrogea. Vivotant
jusqu?alors dans l?ombre des cités voisines d?Histria et Callatis, Tomis devient peu à peu le siège du commandement
militaire romain. Au VIe s., elle est rebaptisée Constantiana (en l?honneur de la s?ur de l?empereur Constantin), qui
devient Constanta (ou Küstendje pendant la domination ottomane).
Pour sortir du site du port et découvrir la ville, il faut franchir une passerelle et trois volées d?escaliers qui s?ouvrent
sur une place où trône, majestueux, le musée d?histoire et d?archéologie abrité dans un bâtiment exceptionnel datant du XIXe
siècle et imposant son immense silhouette. Juste à côté, une grande brasserie : le café mosaïc and wireless ! Quel
raccourci, quel choc des civilisations ! Mais quelle joie et quelle opportunité pour ces voyageurs en mal d?informations et
à la recherche d?eux-mêmes. La décision a été facile à prendre et elle était double : s?asseoir pour se connecter et
commander une Stella (40 cl très bien tirés à la pompe). Et me voilà en phase avec le monde ou plutôt avec Charleroi, puis
avec Reynders, puis avec Sarko. Rien de neuf dans l?actualité ! Alors, au point où l?on en est, on peut reprendre
l?écriture des Carnets.
Constanta restera-t-il dans ma mémoire ?
« Tout est relatif », comme disait Bon-Papa (mon père), mais une chose est certaine, c?est à Constanta que j?ai retrouvé
l?envie et le plaisir du jogging. Depuis plusieurs jours, je me posais la question de savoir s?il était possible de
pratiquer un sport terrestre par excellence en étant navigateur (mais quel prétentieux) ? Et bien oui, puisqu?un matin à 6
heures, je n?ai pu résister à l?attirance de cette paire de Nike dans mon sac ! Et le voilà tout d?un coup, ce navigateur,
s?élançant dans le levant à la poursuite et la recherche d?idées et de projets. Mais que raconte-t-il ? Depuis quand les
idées et les projets se trouvent-ils sous le pas d?un joggeur ? Et bien je vais vous livrer un secret, c?est durant un
entraînement, bref durant un jogging, que me viennent le plus souvent les réponses à des questions de toutes sortes restées
longtemps sans réponse, c?est en joggant que la majorité des idées me viennent.
Je suis sorti du Pandora affamé, affamé de kilomètres, affamé d ?envie de parcourir une distance ! Mais qu?est-ce qu?une
distance ? Les coureurs de fond parlent de distance, mais ils parlent aussi de temps : « J?ai couru une heure? , ou « Je
cours en général une heure trente ». Ce matin de Constanta, je ne savais pas, mais je savais que je voulais courir, courir
et enfin me retrouver, me reconnaître et suer, oui, suer et perdre de l?eau, perdre les bulles de bières englouties, perdre
de ces graisses et des sucres si facilement acceptés ! Je suis sorti du Pandora léger, en forme, heureux et excité. Le tour
du bassin de la marina a pris 5 minutes, ensuite le chemin suivi était fait d?asphalte puis de sable le long des plages,
plages parsemées de pêcheurs à la ligne et encombré de détritus puant la charogne, parfois empilée dans des conteneurs.
Très vite, je les ai vus. Ils étaient là et m?attendaient ! Il faut savoir que le premier ennemi du coureur de fond, en
dehors de lui-même, est le chien ! Et en Roumanie, les chiens errants sont légions. Mon c?ur s?est donc mis à battre très
fort, non que l?effort physique était intense, mais simplement que la trouille me gagnait. Putain de merde, pourquoi faut-il
que ces chiens soient déjà levés, si nombreux, et laids, et sales, couverts de parasites et à la recherche d?aventures ou
simplement décidés à défendre une parcelle de territoire. Putain de merdre, j?ai vraiment eu peur ! Ici, les chiens aiment
manifestement se défouler, courir, aboyer et poursuivre tous ceux qui osent se déplacer à leur allure. Je crois donc, j?en
suis même certain, que mon chrono s?est amélioré en un instant, et je sautais, et je criais : « Couchez, allez coucher ! ».
Mais comment dit-on tout cela en roumain ! J?aurai bien fait d?apprendre quelques mots de plus, pour l?avenir, je demanderai
à Carmen de me conseiller à ce sujet aussi.
Bien, et maintenant passons aux choses sérieuses : la bière.
La Roumanie et ses habitants aiment la bière ; Skol, Ursus, Silva sont parmi les principales bières domestiques, mais on
trouve partout Heineken, Stella Artois, Carlsberg etc, et toutes généralement en bouteilles ou canettes de 480 ou 500 cl,
et en plus à des prix très démocratiques (moins d?un euro en magasin et 1,80 ? dans les restos et brasseries). Mais il
convient de mentionner que le taux d?alcool des bières roumaines est rarement supérieur à 5° et que pour les automobilistes,
c?est la tolérance zéro ! C?est certainement la raison pour laquelle on trouve beaucoup de bières non-alcoolisées dans les
rayons boissons des supermarchés. Bref, que des bonnes nouvelles d?autant que le coureur de fond doit toujours veiller à
prendre suffisamment de sels minéraux, surtout en période de canicule ! On en reparlera certainement??..
Si les Roumains aiment la bière, certains d?entre eux apprécient aussi particulièrement les grosses cylindrées. Beaucoup
d?Audi dans les rues mais uniquement des A6 et des Q7 (généralement des 4,2 L et Quattro), aucune A3, beaucoup de Mercedes,
de BMW, des Touaregs et autres 4X4, toutes de très grosses cylindrées, généralement noires avec les vitres arrière fumées
noires. Comme je disais, les Roumains ou du moins ceux qui commencent à faire du business disposent de grosses voitures et
expriment leur réussite sociale à travers le nombre de cylindres, de carburateurs et de vitres teintées. Et pour être
complet et pour ainsi « objectif », comme ils disent à la RTBF, il convient de souligner que les usines Dacia produisent la
Logan de Renault, voiture exportée dans de très nombreux pays dont la France et la Belgique.
Et puis la Roumanie, c?est aussi la musique ! Les Rolling Stones seront à Bucarest et Julio Iglésias à Constanta fin juillet !
Suite : 27 juin à Varna.
En quittant Constanta par un matin ensoleillé, le Pandora semblait fier et heureux. La navigation s?annonçait calme, vents
de dos et seulement 2 heures pour rejoindre la nouvelle marina d?Eforie Nord (à 12 Km par la route).
Comme prévu, rien à signaler dans cette petite station balnéaire populaire et animée dès 8 h 30 par les milliers de
vacanciers, exclusivement roumains, prenant les plages d?assaut.
Rien à signaler sauf deux choses anodines et banales mais faisant partie d?un voyage. D?abord, il faut être prudent avec les
pizzas roumaines. Si les pizzas en photos sur le menu semblent italiennes ou à tout le moins présenter les caractéristiques
habituelles des pizzas, la réalité de l?assiette jettera un froid (même en période de canicule). Bref, si vous voulez rester
amis avec les Roumains, passez votre chemin et ne touchez pas aux pizzas (les masos peuvent me réclamer une description et
une appréciation, ils ne seront pas déçus). Après les pizzas, choisissons au hasard une course en taxi. Ayant vite fait le
tour du village d?Eforie et de ses boutiques et galeries commerciales, François voulait absolument acheter un nouveau dinghy
au Salon nautique de Constanta quitté la veille. Un taxi a fait l?affaire (sic) et nous voilà partis pour 15 Km. Rien de
particulier si ce n?est que le chauffeur sympa âgé de 60 ans au moins nous a gratifié d?un « Salut », mais aussi de
plusieurs « Avec plaisir ! » sans oublier qu?à destination, il nous a alerté de la présence de nombreux gitans en ville en
nous suggérant d?être vigilant : prix de la course 44 Lei soit 15 ?. François n?a pas réussi à convaincre le vendeur de
dinghy de le vendre à son prix européen et après avoir déjeuné dans un resto turc super sympa et excellent, nous avons pris
le chemin du retour. Cette fois, le chauffeur avait 20 ans, et toutes ses dents, et une installation sono avec écran plasma
collé au tableau de bord pour bien voir les clips! A mi-course, je constate que le tachymètre indique déjà 40 Lei, bref, il
y a un stuut??qu?il faudra solutionner à l?arrivée. Je vous rassure tout de suite, il n?y a pas eu de flics ni de sang mais
simplement un haussement de ton du narrateur de service et tout s?est réglé comme souvent dans ce cas (Rome, Paris), j?ai
donné le même montant qu?à l?aller et suggéré qu?en cas de réclamations la police arbitrerait. Le jeune chauffeur ambitieux
a repris sa route sans attendre.
Nous avons quitté Eforie le 24 pour prendre la direction de Mangalia, dernière étape roumaine : une navigation de 5 h 30 qui
marquera la mémoire de l?équipage et surtout de son capitaine car, enfin, le spi a été déployé durant les 3 quarts de la
traversée (extrait du livre de bord) !
Le spi, mais qu?est-ce que c?est ? Attention, ici je mets les pieds sur un terrain glissant et je dois donc être très
prudent. D?abord, je dois vous dire que depuis mon arrivée sur le Pandora, j?entends parler de « Génois », « Spi », « Foc »
pour des voiles d?avant ! J?ai évidemment posé des questions, mais chaque fois les mots changeaient : le génois devenait un
phoque (sic), ou le phoque était un Génois, quant au spi?.Alors là, j?étais paumé et d?autant plus perdu mais émerveillé que
François en parlait comme d?une baguette magique, une lampe d?Aladin, la solution à tout, son Graal !
J?ai donc adopté un profil modeste et humble (quel effort ! ) et j?ai jeté un ?il dans le glossaire du bouquin (une brique
de 2 Kg transportée depuis Liège), intitulé « Le cours des Glénans » paru au Seuil. Voici ce que j?y ai trouvé : spinnaker
ou spi, voile d?avant légère portée en avant de l?étrave et que l?on utilise aux allures portantes. D?autre part, ceux
qui sont le plus attentifs l?auront compris, le génois est un foc. Ce que je peux encore ajouter, c?est que le spi de
François est asymétrique ! Interrogée elle aussi sur ce point « baguette magique », j?ai appris par Francine que le spi de
François portait les couleurs jaunes et noires et qu?il avait été fabriqué en Chine. Comme on le comprendra, le spi de
François fera partie des points sensibles et mystérieux de cette saga et, bien sûr, comme on l?écrira dans ces cas-là, on y
reviendra sûrement.
Mangalia, le dernier port roumain, n?est pas très différent des autres sinon que, pour la première fois, j?y verrai des
bateaux de pêche de mer. C?était en effet une intrigue, depuis Sulina, tous les restaurants présentaient à leur menu du
poisson, mais uniquement de rivière et jamais de poisson de mer si ce n?est du saumon (mais importé congelé). Pourquoi un
pays bordant une mer sur des centaines de Km ne pratique-t-il pas la pêche de mer en dehors de la pêche à la ligne à partir
de petites barques de 2 ou 3 personnes ? Cette question resta sans réponse jusqu?à Mangalia où apparurent les premiers
chalutiers.
C?est à Mangalia également que je me laisserai tenter pour la première fois par les « Gogosi », sortes de beignets ou
donuts, vendus à tous les coins de rue comme les « chiros » en Espagne voici encore 10 ans. Jusqu?à ce jour, mes efforts
pour mépriser ces sucreries étaient efficaces puis j?ai craqué. Quel délice, quel bonheur, je me suis retrouvé comme un
gosse à la Foire d?Octobre ou dans la vieille cuisine de Mamy lorsqu?elle préparait avec amour les beignets pour ses petits
chéris (outre Francine et moi, n?oublions pas Eric, le gros Fifi à sa Mamy). Il faut dire que celui que j?ai dégusté était,
aux dires de Francine la spécialiste, le meilleur « Gogosi » de toute la Roumanie !
Le Pandora amarré à la sortie des égouts de la ville, je ne vous raconte pas les odeurs, quittera le port de bon matin pour
rejoindre Balchik, première station balnéaire bulgare de notre route.
Suite : 28 juin à Nessebar.
Après 10 heures de navigation (départ à 7 h de Mangalia), et un changement complet de la topographie des côtes ? les grandes
plages des plaines roumaines ont fait place aux falaises souvent boisées de Bulgarie ? arrivée dans un port bordé de
collines verdoyantes, de falaises blanches et entouré de nombreux hôtels, restaurants et occupé de nombreux bateaux de
plaisance de toutes sortes.
L?accueil par les « autorités portuaires, de la police des frontières, des douanes et de l?immigration » sera bulgare ! Je
dois d?emblée confesser que je garde de très mauvais souvenirs de mes passages en Bulgarie lors de mes voyages vers l?Orient
dans les années 60 et 70. Il faut dire qu?à l?époque, je voyageais en « autostop » sac au dos, avec ma tête de routard
sur « la route des Zindes », comme dit Philippe Gloaguen, le fondateur du « Guide du Routard » qui m?accompagnait déjà
en 1971 ! A Balchik, de nombreux souvenirs me sont ainsi revenus en mémoire lorsque les 4 pandores nous ont intimé l?ordre
de rester sur le bateau : « Interdiction de descendre, on attend les instructions et l?on vous informe ». Ils étaient quatre
côte à côte sur le quai surplombant le Pandora fatigué par une longue navigation sous un soleil d?enfer. Quatre
fonctionnaires avec trois points communs, une tête des mauvais jours, des lunettes noires et une petite mallette noire elle
aussi, une seule différence entre eux, la variété des verts et bleus de leurs uniformes !
Nous avons dû tourner en rond dix minutes sur le bateau, attendre une instruction venant d?ailleurs et donnée au téléphone à
l?homme aux lunettes les plus sombres. Mais qu?attendaient-ils comme ordre ou comme information ? Etions-nous les premiers
touristes à arriver par la mer dans cette station balnéaire ? Pourquoi un tel comité d ?accueil incapable de souhaiter la
bienvenue à des voyageurs munis de passeports européens ? Bref, on ne comprenait pas cette attitude peu diserte,
autoritaire, peu hospitalière. Puis vint l?appel téléphonique, véritable coup de baguette magique, les sourires sont apparus
et les mains ont été présentées en poignées amicales de bienvenues ! Curieux cette situation, tendue d?abord puis presque
amicale. Mais n?exagérons rien, les formalités ont néanmoins demandé 45 minutes de discussions pour l?échange des
informations, des papiers d?immigration et des documents de l?autorité du port ? permis de stationnement, certificat
temporaire de navigation et un certificat de clearance. Et pour ne rien oublier, la police des frontières a bien insisté sur
le fait que le Pandora était en infraction faute d?arborer le pavillon de navigation portant les couleurs de la Bulgarie.
Mais pas de précipitation, la police nous accordait un délai jusqu?au lendemain pour trouver dans une des nombreuses
boutiques ?souvenirs le dit drapeau.
Il faut dire ici que la navigation implique une multitude d?autorisations et donc de démarches et contrôles de toutes parts
(y compris pour le plaisancier). A chaque escale dans un port ou à un quai de stationnement que ce soit sur un fleuve ou en
mer, le skippeur doit déclarer la liste des passagers et présenter le permis temporaire de navigation reçu à l?entrée du
pays. Selon les pays, l?autorité du port doit informer la police et les services de l?immigration ce qui se traduit en
Roumanie comme en Bulgarie par des situations généralement kafkaïennes, parfois cocasses ou franchement hilarantes. Tout
cela se double du fait qu?il faut le plus souvent s?acquitter d?une taxe portuaire et parfois de loyers ou de redevances les
plus diverses.
Remis de cet accueil, le voilier amarré et rangé, nous voilà affamés à la recherche du petit resto sympa qui va nous
proposer autre chose que de la silure à la sauce blanche à l?ail. Munis de nos ordinateurs portables sous le bras à la
recherche de wireless, nous traversons la petite ville et découvrons tous les restaurants alignés le long de la marina. Tous
les rabatteurs nous tendent les uns après les autres leur menu mais aucun ne dispose de Wifi. Nous nous installerons donc
chez le dernier, non sans avoir obtenu l?accord préalable de pouvoir charger nos machines sur le réseau.
Enfin des poissons de mer à la carte ! Sans hésitations, François et moi choisissons la bonite grillée avec des frites,
Francine se contentant d?une salade « chopska ».
Je ne résiste pas à vous donner la recette de la bonite, célèbre poisson de la Mer Noire, façon restaurant « Balchik ».
Avant toute chose, il faut acheter un appareil électroménager et bien conserver l?emballage, c?est-à-dire la boîte en
carton. Faire tremper le carton dans de l?eau tiède durant une heure, éponger puis le faire griller à l?huile d?olive
troisième pression à chaud dans une poêle qui peut attacher. Servir avec un accompagnement au choix.
Fort de cette expérience, je choisis le lendemain un plat plus classique encore et que personne ne peut rater : chicken
nature. Alors là, ce fut l?apothéose lorsque je découvris sous la dent que le filet était en fait un magma gélatineux de «
matières de poulet reconstitué » ! Merci la gastronomie bulgare, je m?en tiendrai à l?avenir à la salade « chopska ».
Avant de quitter Balchik, les activités n?ont pas manqué : un jogging paisible, la visite de la villa château, du jardin
botanique et des plantations de la reine Maria de Roumanie, quelques heures de Wifi et plusieurs Gin Tonic au bar climatisé
de l?hôtel « Le Mistral ». Un hôtel très bien fréquenté au vu des voitures stationnées devant : Lamborghini, Aston Martin,
Hummer, Porsche immatriculées en Allemagne, sans doute les voitures d?enfants prodiges ayant fait fortune ou à tout le moins
du « buisines » à l?étranger et rentrés au pays pour parader.
Fier d?arborer le pavillon bulgare, le Pandora laissera Balchik derrière lui et gagnera en 5 heures de navigation Varna, la
grande ville de la Mer Noire dont le grand port industriel apportera les commodités habituelles et classiques. Le
lendemain, départ à 8 heures après les formalités désormais connues et arrivée à Nessebar après une très belle navigation ?
vraisemblablement la plus agréable jusqu?à présent ? dont plus de la moitié avec le spi sans oublier les nombreux groupes de
dauphins qui nous ont salués et parfois accompagnés durant plusieurs minutes.
La marina de cette ville ancestrale riche de vestiges est complète, envahie par de très nombreux bateaux pirates, catamarans
et autres caïques prêts à balader les milliers de touristes venus de tout le pays et de toute l?Europe. Mais l?heure n?est
pas à la virée en mer car le ciel s?assombrit et le tonnerre gronde. En quelques minutes, le ciel devenu noir, déverse sur
la région des pluies torrentielles et des grêlons bruyants sur les coques et toits des voiliers.
La température chute de 38 à 30°, enfin !
Suite : 30 juin à Igneada (Turquie).
Je reprends l?écriture de ces Carnets sous la garde et l?autorité de l?armée turque, non que je sois prisonnier ou en
difficulté, mais simplement parce que les formalités d?entrée en Turquie ne peuvent se faire qu?à Istanbul. Si un bateau
doit faire étape dans l?un ou l?autre port avant Istanbul, les passagers sont cantonnés à bord et le bateau amarré à un quai
de l?armée !
Mais que les choses soient claires, on sait l?armée turque loyaliste et fidèle aux principes fondateurs de la République de
Mustafa Kemal, on la sait également laïque, et bien je vous annonce une exclusivité : depuis le 30 juin 2007, l?armée turque
est également lavandière !
Voici l?anecdote racontée par le menu.
Le Pandora a quitté Nessebar le 29 juin à 4 h 45 du matin dans la nuit noire pour prendre le chemin de la Turquie. Mais la
route ne peut être directe en fonction des mystères liés aux papiers, documents et autres formalités d?entrée et de sortie
réservée aux bateaux ! Un détour s?impose donc et le cap est mis sur Burgas, petit port bulgare seul habilité à la
délivrance des dits documents de sortie. Le Pandora prendra le large de Burgas vers 10 h toutes voiles dehors, en route vers
de nouvelles aventures, en route pour la Turquie, objectif final de 2007.
Navigation sans problème, bon vent, des dauphins, tant le génois que le spi feront merveille chacun à leur tour selon le
vent et ses directions. Arrivé dans la nuit tombante à 21 heures dans le très petit port très bien protégé de Igneada (ne
cherchez pas sur une carte classique, il faut disposer d?une carte très détaillée ou aller sur Google Earth pour tout voir
et comprendre). Accueil souriant et très sympa des militaires turcs qui souhaitent la bienvenue à ces navigateurs sortis de
nulle part et leur proposent leurs services. Exténués, les passagers mangeront une des merveilleuses salades de Francine
(bientôt quelques recettes figureront dans ces Carnets de voyage !) et se laisseront gagner par un repos bien mérité.
Les faits remontent donc au samedi 30 juin 2007 ! Dès le matin, le vent n?étant pas favorable, il est décidé de passer la
journée avec l?armée et de procéder aux tâches habituelles de remise en ordre, d?inspection des voiles et du moteur, etc?
Rapidement, les miliciens vont s?approcher du bateau, tenter le contact, se faire photographier sur et à côté du Pandora,
bref, le contact est établi et de nouvelles relations se nouent en vue de l?adhésion de ce grand pays à l?UE, ce sera à nous
par la suite à convaincre Nicolas de l?intérêt pour l?Europe et sa France !
Et c?est ainsi que le sous-officier a réitéré ses propositions de la veille : « Peut-on faire quelque chose pour vous ? ».
Ayant aperçu une machine à lessiver dans le petit bâtiment qui abrite ces vaillants militaires, je n?ai pas hésité à tenter
le coup et ce fut bingo ! Toute la literie du Pandora est passée dans les mains de l?armée et de ses laveries pour lui
revenir impeccablement propre et sèche ! Merci Atatürk !
La journée s?est poursuivie dans le repos et la bonne humeur, les pourparlers ont bien progressé et dès notre retour, RDV
sera pris avec l?Elysée pour conclure et concrétiser nos engagements.
Suite : 3 juillet à Istanbul, marina d?Ataköy.
C?est le dimanche 1er juillet dès 9 h que tout a recommencé.
La distance nous séparant de l?entrée du Bosphore est de 70 milles marins (le mille marin équivaut à 1852 m, càd une minute
de l?arc de circonférence de la terre) soit 14 heures de navigation à 5 n?uds, ce qui correspond à l?allure moyenne du
Pandota (13 tonnes et 1,8 m de tirant d?eau). Entre Igneada et le Bosphore, deux ports figurent sur les cartes, assez petits
mais capables d?accueillir le Pandora. La traversée au vent fut d?emblée sportive et amusante pour ceux qui aiment la «
navigation de compétition » d?autant que François avait sorti la trinquette ? deuxième voile d?avant- portant de la sorte le
Pandora à 4 voiles : la grande voile, la voile d?artimon à l?arrière et les deux que je viens d?évoquer. Durant toute la
journée, le bateau pencha fortement sur le côté de façon permanente (tout comme les grands voiliers que l?on voit lors des
régates à la télé) et les vagues de 80 cm atteignirent dans l?après-midi la hauteur d?1 m 5 puis 2 m ! La décision fut prise
à ce moment de se réfugier pour la nuit dans l?un des deux petits ports annoncés, celui de Karaburun, il était 18 h et le
rocher masquant et abritant à la fois le port était en vue. Mais la vie en général n?est pas simple, tout le monde le
sait. Qui l?eut cru, sur un voilier en Mer Noire, c?est encore moins simple ! Alors qu?il était 20 h et que nous nous
trouvions à 50 m de l?entrée du port, on découvrit une épave en travers du chenal d?accès ! Il était donc impossible de se
faufiler et de se réfugier à Karaburun ! Entre-temps, le vent avait redoublé de puissance, les vagues se soulevaient toutes
de 2 m et la distance à parcourir jusqu?au prochain abri était de 20 milles soit 4 à 5 heures de navigation selon la vitesse
càd la force du vent qui soufflait maintenant de face. François poussa le moteur à 2000 tours tout en maintenant la grande
voile et le génois, et nous reprenions notre courage à deux mains pour vivre ? une fois de plus et encore ? de nouvelles
aventures. À ce moment, je dois avouer un découragement certain dû à la fatigue et au fait que nous n?avions mangé que des «
Petits Beurres » aux repas de la journée (en « navigation au bateau penché », Francine n?est pas en forme et il est par
ailleurs impossible de préparer correctement un repas dans de telles conditions). À dire vrai, à vous je peux l?avouer,
j?avais un peu peur, peur des vagues qui grandissaient dans le noir, peur du froid !
Le cap a donc été fixé sur l?entrée du Bosphore soit le port de Turkelifeweri, situé à l?entrée ouest, juste derrière
plusieurs rochers et prudemment, nous avons revêtu les gilets de sauvetage qui se gonflent automatiquement dès qu?il est
immergé.
Très rapidement, nous avons aperçu les lumières des bateaux cargos ancrés pour la nuit, dans l?attente du passage du
Bosphore le jour. Il a donc fallu faire du gymkhana entre les cargos illuminés comme des sapins de Noël, ce qui a rendu
l?épreuve un peu ludique et moins angoissante (pour moi). Malgré certaines vagues de 3 m et un vent de face, tout le monde a
bien résisté et tenu, le bateau d?abord, le moteur ensuite et l?équipage enfin.
Il faut dire que le spectacle était magnifique. On pouvait distinguer clairement les lumières scintillantes et flashantes
des discothèques de la côte mais aussi le halo de lumière blanche s?élevant au-dessus des collines masquant Istanbul, halo
imposant à un point tel qu?il éclipsait une partie de la constellation du scorpion accroché dans le ciel. Et puis, telle une
cerise sur le gâteau, la lune est apparue ! Ce fut magique, un lever de lune dans cette nuit noire et menaçante pour moi :
époustouflant ! Mais que la lune peut être grande et rousse par cette nuit noire ! La fin de la navigation approchait, le
vent se calmait au fur et à mesure que le Pandora se rapprochait de l?entrée du Bosphore et des phares qui nous ouvraient
les bras.
C?est à minuit que le calme revenait à l?entrée du port et que nous nous sommes faufilés comme des voleurs entre les
bateaux de pêche pour nous accoupler à l?un d?eux pour la nuit en espérant ne pas être réveillés à 4 h par les marins
pêcheurs sur le départ ! Francine a préparé en dix minutes des « chapati » (de la farine, de l?eau, du thym, malaxer la pâte
puis l?étendre en pizza et la cuire à la poêle dans l?huile d?olive : un vrai régal avec de la féta moulue et/ou des filets
d?anchois).
Et le grand jour s?est levé ! À nous le Bosphore à la voile !
Suite : 6 juillet à Istanbul.
Les marins pêcheurs ne nous ont pas réveillé de bonne heure et c?est à 7 h que nous avons découvert sous un grand soleil ce
petit port très hospitalier coincé au pied des rochers et surmonté d?un immense drapeau turc. Pouvions-nous sortir du
Pandora et enfin fouler le sol turc ? Sans chercher la réponse, François et moi sommes partis à la quête de pain frais et
d??ufs pour la fricassée matinale. Au retour, à hauteur du bateau, François fit remarquer que la ligne de flottaison était 3
à 5 cm plus haut ! Comment le Pandora pouvait-il être plus léger et sortir ainsi de l?eau de 5 cm de plus depuis le Danube ?
Rien de tout cela, il s?agissait simplement de la salinité qui a grandement évolué : des eaux douces du Danube, de la Mer
Noire peu salée, nous voici dans le Bosphore avec une salinité des eaux proche de celui de la Grande Bleue ! C?est bien sûr
l?eau qui porte les bateaux, mais le sel joue un rôle non négligeable. La fricassée fut vite dégustée, plus rien ne pouvait
attendre.
Quelques minutes plus tard, le Pandora sortait du port.
Et voilà, ça y est ! J?y suis enfin, face à ce Bosphore, véritable avenue maritime de 30 Km qui relie la Mer Noire à la Mer
de Marmara puis à la Mer Egée (par les Dardanelles) et enfin à la Méditerranéen. J?y suis, et pour la première fois, je vais
l?emprunter en voilier et entrer dans Istanbul comme un navigateur !
Quelle émotion, quel grand moment pour moi (et pour Francine et François bien sûr !), moi qui suis déjà venu plus de 20 fois
à Istanbul : en auto-stop, en 4 L, en Renault 16, en motor-home, en avion. Moi qui ai débarqué sur les rives du Bosphore la
première fois en 1968. À cette époque, pas de pont, tout le trafic routier passait par les ferries alignés à hauteur de la
gare ferroviaire d?Eminönü, celle de l?Orient express et de l?inspecteur Poirot. Ces ferries qui reliaient toutes les 15
minutes les deux rives et réunissaient ainsi le continent européen à l?Asie Mineure dans un ballet nautique permanent, 24
heures sur 24.
L?entrée du Bosphore est très large et la houle de la Mer Noire, calmée durant la nuit, subsiste néanmoins et porte le
Pandora vers le sud. Un vent léger mais régulier gonfle le génois, François arbore un large sourire, mon c?ur bat très
fort. Fièrement, le bateau se glisse dans le passage et au loin, droit devant, j?aperçois déjà les premiers grands cargos
qui viennent en sens inverse.
Ici, tout est exceptionnel, unique ! L?eau de la Mer Noire étant moins salée, donc moins dense que celle de la Mer de
Marmara, de nombreux courants perturbent la navigation et il est fréquent que des navires heurtent un rivage. Il faut dire
que la traversée du Bosphore devient de plus en plus périlleuse d?autant que 45 000 cargos le parcourent actuellement chaque
année : cargos transportant des containeurs, du bois mais aussi du pétrole, du gaz, des produits chimiques, des déchets
radioactifs. La disparition de l?URSS et la fin de la guerre froide ont bien changé la donne, si le trafic des bateaux de
guerre et des sous-marins a diminué, celui du fret marchant a décuplé suite à l?accord économique régional, sorte de marché
commun des pays de la Mer Noire initié par la Turquie. La Turquie, dont la ville la plus peuplée ? 16 à 20 millions
d?habitants ? borde ce chenal, est tenue de respecter l?Accord de Montreux de 1936 sur la liberté de passage des navires et
ne peut imposer la présence d?un pilote sur chaque cargo ! Seule la navigation des bâtiments de guerre est « contrôlée » et
que les sous-marins doivent passer en surface suite à la pose de filets par l?OTAN, dont la Turquie est un des membres et
partenaires privilégiés, pour ne pas dire « le bon élève ».
Et cependant, en ce début de traversée, c?est le calme et la sérénité qui prédominent en ce lieu mythique et grandiose !
Trois kilomètres de large et plus de 60 m de profondeur entre les collines verdoyantes des deux rives très semblables à
l?entrée, peu de constructions, uniquement les ruines d?une forteresse byzantine sur le côté asiatique.
Il est 10 h 30 en ce lundi 1er juillet et la dernière étape du périple débute. À droite, une crique et une petite plage
longues de 100 m, une terrasse et un restaurant sur pilotis, déjà des baigneurs, les stambouliotes profitent des heures de
la matinée. À hauteur du premier village de la rive asiatique, Anadolu Kavagi, les premiers dauphins nous accueillent et au
loin ? très loin - on distingue les premiers gratte-ciel du quartier moderne de la rive occidentale ainsi que la masse grise
de l?hôtel de Tarabya qui barre très inélégamment l?entrée de la petite baie. Deux grands cargos nous croisent et les
premiers « vapurs » apparaissent. Les « vapurs », ces bateaux-mouches ou ferries qui sillonnent le Bosphore de toutes parts
et en tout sens, chargés de passagers qui se rendent le plus souvent à leur boulot, parfois sur une plage ou en visite
familiale. Incroyable ! Je n?en crois pas mes yeux?..fixés sur l?écran de l?ordinateur de François, le point jaune, là au
milieu de l?écran, ou plus exactement au milieu du Bosphore, c?est le Pandora ! Grâce à Google Earth et au GPS, nous pouvons
suivre notre progression en direct sur l?écran de l?ordinateur portable !
Rumeli Kavagi, le premier village de pêcheurs de la rive occidentale est à notre hauteur, village de pêcheurs avec ses
restaurants de poissons et les premières constructions de bois puis c?est Sariyer, le port le plus important du détroit,
d?abord dissimulé dans un recoin, il apparaît dans toute sa splendeur avec ses dizaines de restaurants à poissons et les
premiers « yali », grandes maisons de bois à plusieurs étages. Mais on se rapproche de Tarabya, situé au premier tiers du
trajet, Tarabya qui évoque chez moi l?amitié et des soirées gastronomiques avec André et Aydin, mes amis de la convivialité
de Liège et d?Istanbul.
André ou le Turc comme l?appellent beaucoup de Liégeois, fait du business en Turquie depuis plus de 30 ans dans le secteur
du textile, quant à Aydin, c?est le Turc devenu liégeois par amour d?une liégeoise et qui, après des années passées dans la
diplomatie (Représentant diplomatique du Gouvernement wallon à Ankara), termine sa carrière en mettant son expérience
professionnelle au service d?une grande multinationale européenne. Mais Tarabya me rappelle aussi que j?ai couru le marathon
d?Istanbul en tête durant environ 500 mètres ! Ceci demande une explication. Début des années nonante, je suis chez André
qui habite sur les hauteurs de ce petit port et je décide de m?offrir un jogging d?une heure d?entraînement au bord du
Bosphore. Arrivé à pied d??uvre en voiture, je suis stoppé par la police qui bloque toute circulation le long de l?eau. Qu?à
cela ne tienne, je ne suis pas venu faire une balade en voiture et je l?abandonne pour me lancer tel un « Zatopek ». Et me
voici tout heureux et fier de jogger dans cette belle matinée sur les trottoirs bordant la chaussée vide de tous véhicules,
persuadé qu?un cortège officiel, peut-être présidentiel, va passer. Le léger vent du Bosphore rend le jogge plaisant,
néanmoins je suis interpellé par le regard rieur de plusieurs badauds postés sur les trottoirs. Cinq cents mètres plus loin,
j?arrive à hauteur d?un poste de ravitaillement pour des sportifs et c?est à ce moment que je suis dépassé ? presque laissé
sur place - par la voiture qui ouvre une course et les premiers coureurs. Point de cortège présidentiel, la police fermait
simplement la route pour protéger le Marathon d?Istanbul que je venais de « courir en tête » sur quelques centaines de mètres !
Mais revenons à nos moutons ou du moins revenons à bord du Pandora et à mon projet de déjeuner dans le restaurant « Garaj »,
celui-là même qui m?a souvent rassasié en compagnie d?André et Aydin. Mezze avec ses dix plateaux d?entrées diverses et
salades, anchois grillés ou à l?huile, caviar d?aubergines, purées de tomates fraîches avec du yaourt, börek, cacik (comme
le tzatziki grec), friture de petits poissons et en plat la brochette d?espadon, le bar ou le turbot grillé : que de festins
et de joies au « Garaj », avec ou sans raki ! Hélas, le port est complet et il est totalement impossible de s?y ancrer.
Passé Tarabya, les rives du Bosphore sont de plus en plus bâties, y subsistent cependant de nombreux et très larges espaces
boisés. Palais, pavillons de chasse, kiosques, mosquées, et « yali » apparaissent pour rappeler la richesse et le prestige
du passé. Les sultans ottomans, de nombreux chefs d?Etat étrangers, les ambassades des pays les plus riches, tous ont fait
construire ces bâtisses et monuments qui parsèment la grande avenue maritime conduisant à Constantinople. Ému et excité,
l?appareil photo en main, je cherche du regard tous ces prestigieux édifices et en particulier les « yali », maisons en bois
peints et sculptés, de plusieurs étages, hérissés de pignons et d?encorbellement, ces « yali » rénovés et acquis pour des
fortunes par les grands de ce monde ou par des multinationales.
Et le premier pont surgit au loin ! Le pont Mehmet Fatih construit en 1988 enjambe le détroit en son point le plus étroit
(700 m) à une hauteur de 64 m. Ouf, dirait l?autre, quel trafic là- haut, des milliers de véhicules et de camions à l?heure
! Mais je ne suis que modérément impressionné, la ville est passée de moins d?un million d?habitants lors de mes premières
visites, et aujourd?hui, elle dépasserait les 16 ou 18 millions ! Cela m?impressionne beaucoup plus en termes d?organisation
de l?espace, de la mobilité, de l?approvisionnement, de l?hygiène et de la lutte contre la pollution. Et nous voici à
hauteur des murailles d?un fort, celui que l?on appelle souvent « le petit Carcassonne », il s?agit des fortifications
construites par le sultan Mehmet Fatih (le mec qui a donné son nom au pont) quelques mois avant la conquête de
Constantinople. Un fort bâti en trois mois !
Le Pandora, le génois gonflé par le vent, poursuit sa traversée souvent saluée par les autres bateaux, il faut dire que si
le Bosphore, et ses centaines de bateaux qui évoluent en tous sens en permanence, constitue un véritable et exceptionnel
spectacle, le Pandora et son génois, bientôt remplacé par le spi, rendent bien la monnaie ! Eux aussi contribuent à la fête
et au spectacle ! Mais cela ne suffit pas, il est près de 13 heures et la faim commence à tenailler l?équipage. Les
différentes tentatives pour s?ancrer ayant échoué, il faudra bien casser la croûte à bord et Francine sortira des réserves
(du ventre du bateau càd des cales) de la Fêta et une conserve de thon aux lentilles que le pain acheté le matin
accompagnera avec bonheur, grâce notamment à la dernière bouteille de vin rouge roumain.
François est aux anges, non seulement il parcourt une des avenues maritimes les plus grandioses, mais il mange du thon en
boîte ! Curieusement m?a expliqué Francine, les navigateurs ne peuvent envisager leur vie sans réserves et stocks en
conserves de toutes sortes : du thon, des sardines et des pilchards ! Toute traversée quelle qu?elle soit, doit à un moment
ou un autre, être ponctuée par « une dégustation » de poissons en conserve ! Cette règle sera donc respectée et l?équipage
en rira à volonté.
Mais voici déjà que se pointe à l?horizon le second pont, celui qui fut construit le premier, en 1973 déjà. Faut-il insister
sur le fait que la tension monte à bord : le trafic augmente et les « courants de la mort » sont de plus en plus forts
(c?est ici que le Bosphore atteint sa profondeur maximale avec 100 m), comme pour nous rappeler qu?Istanbul est bien là.
Nous y sommes ! C?est ça, on commence à distinguer au loin les minarets des grandes mosquées, la tour de Galata et bien sûr
la colline abritant le palais de Topkapi ! Bientôt sur la droite, après la mosquée d?Ortaköy, s?étendant sur des centaines
de mètres, voici le grand palais de Dolmabahçe (lire « De la part de la princesse morte ») et ses façades et jardins au
niveau de l?eau. Oui, je le disais, la tension monte, le spi gonflant le torse entraîne le Pandora à 6 n?uds ? 6 n?uds ! ?
et le spectacle est total. Je regarde partout, tout autour de moi, ne sachant où jeter mon regard « d?adolescent ». Puis je
la fixe, comme un phare ou un totem, la tour de Galata me renvoie à mes aventures, mes découvertes, mes amitiés, cette tour
de Galata qui surplombe la Corne d?Or et le pont du même nom. Le pont de Galata !
Jean-Pierre ? l?ami de toujours rencontré en 1970 sur la route de Kabul ? m?a dit cent fois : «Pour moi, le séjour à
Istanbul commence avec la brochette d?espadon sous le pont de Galata ». C?est à lui que je pense en ce moment, lui avec qui
j?ai parcouru tant de mondes en Asie, en Afrique, dans le Sahara, à Paris ! Tant bu de Champagne, tant raconté d?histoires,
tant vécu de rêves ! Mais le pont de Galata, c?est aussi pour moi l?initiation, le début des vies d?orient, le point de
passage obligé de tant de vies, de tant de « nouvelles vies » ! Et c?est évidemment dans un resto du pont de Galata que
j?inviterai Francine et François demain pour un repas de poissons et de remerciements pour ce moment d?émotions à bord du
Pandora.
Mes yeux cherchent ensuite le Bazar égyptien, qui abrite le marché aux épices, caché par la « Yeni Cami » (Mosquée Neuve) et
ses nombreux pigeons, puis les « vapurs » focalisent mon regard et je me mets en quête de la barque sur laquelle sont cuits
en friture les poissons qui garniront tel le dog du « hot dog » les pains vendus aux travailleurs rentrant chez eux après
une journée de labeur. Et se bousculent alors dans ma tête des centaines d?images et de saynètes : les vieilles voitures
américaines qui servaient de taxis collectifs ou « dolmus » dans les années 60, les marchands d?eau et le chant de leurs
soucoupes de métal, les porteurs et les charrettes à bras ou tirées par des chevaux qui animaient les rues en pentes jusque
dans les années 70, les marchands de « simit » ou de maïs grillés ou cuit à l?eau, les gamins - cireurs de chausseurs,
vendeurs de lacets ou de peignes ? et l?arrivée des grands bateaux blancs déversant les passagers russes ou ukrainiens
chargés de caviar et de cigares cubains dans l?année qui suivait la chute de l?URSS. Que d?images, que de souvenirs, de
bruits et de parfums : j?entends toujours Marc Aryan et Dario Moreno chanter Istanbul et je me vois encore devant les
kiosques à musique entendre Sandra Kim crier avec joie « J?aime j?aime la vie » en turc.
Le Pandora vire maintenant à gauche et laisse le pont de Galata et la Corne d?Or sur sa droite pour longer la colline du
Topkapi et de ses palais et harems. Comment ne pas y voir James Bond dans « Bons baisers de Russie », comment ne pas
repenser au vol de la dague incrustée de diamants dans la salle aux trésors du Topkapi dans le très bon film de Jules
Dassin, et pourquoi ne pas songer aux romans d?Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006 ? À hauteur des murailles, celles
qui ont arrêté et brisé tant d?invasions : celles des Huns, des Perses, des Arabes et des Tatars, apparaît maintenant
l?entrée de la Mer de Marmara ainsi que les grues et stations de pompage du chantier du futur tunnel ferroviaire qui
permettra de supprimer la rupture de charge entre les deux continents. Un tunnel sous le Bosphore long de 3 Km, prouesse
technique exceptionnelle lorsque l?on sait que les secousses sismiques et les tremblements de terre sont fréquents et de
grandes amplitudes !
Mais pendant ce temps, le Pandora, calme et serein, poursuit son périple et arbore toujours son spi jaune et noir, gonflé
comme la gorge du coq alors que François et Francine n?ont d?yeux que pour les six minarets de la Mosquée Bleue qui apparaît
derrière les bâtiments des cuisines du Palais des Sultans. Puis c?est Sainte-Sophie qui sort des arbres et se dresse devant
nous ! Ce symbole de l?Empire byzantin inauguré en 537 a été durant dix siècles le plus grand monument religieux de la
chrétienté (la basilique Saint-Pierre de Rome ne fut commencée qu?au XV siècle). N?oublions pas qu?Istanbul a été la Byzance
des Grecs et la Constantinople de l?Empire romain d?Orient, durant neuf siècles, elle a été le centre du monde vers où
convergeaient les artistes, les philosophes, les architectes et tout ce que l?Occident comptait de personnalités, de
puissants et de « stars », oui, durant neuf siècles !
Suite : 1er août à Liège.
Me voilà au bout de mon voyage, au bout de ce périple sur le Pandora, qui m?aura transporté du Nord de la Roumanie ?
c?est-à-dire à la frontière de l?Ukraine ? jusqu?à Istanbul, la « Ville des Villes » comme la nommait déjà les Chinois il y
a 1000 ans, cette ville qui m?attire, m?émeut et me rend heureux !
Et le Pandora, que va-t-il devenir, quel sera son parcours ? Selon les projets de Francine et François, le Pandora hivernera
en calle sèche du côté de Bodrum et l?année prochaine et suivantes, il naviguera en Méditerranée, puis un jour, il passera
Gibraltar et remontera les côtes du Portugal, de l?Espagne, de France et reviendra à son point de départ : le port des
yachts de Liège.
Bravo et merci au Pandora, à son capitaine, à son équipage.
Quelques livres à lire ou à relire :
Pour mieux comprendre la Turquie d?aujourd?hui : « La Turquie en marche » ou les grandes mutations depuis 1980 par
Jean-François Pérouse aux Editions de la Martinière.
Pour vivre Constantinople mais surtout pour se préparer à répondre aux questions qui se posent à nous Européens : il est
utile de savoir que depuis deux mille ans, l?ancienne capitale de ce pays, quand il s?appelle Empire romain, Empire byzantin
ou Empire ottoman est au c?ur des destinées de notre continent européen. Lire « Le Roman de Constantinople » par Gilles
Martin-Chauffier aux Editions du Rocher.
Pour vivre avec la dernière sultane dans les palais d?Istanbul dans les années 1915, lire le roman «De la part de la
princesse morte » de Kénizé Mourad (Livre de Poche n° 6565).
On peut lire aussi (moi je pense qu?on doit lire) « Le livre noir », « Le Château blanc » et « Neige », d?Orhan Pamuk, prix
Médicis en 2005 et Prix Nobel de Littérature en 2006.