Les 1000 milles du Jasmin

Les 1000 milles du Jasmin

Posté par : Olivier
26 Août 2008 à 00h
Dernière mise à jour 27 Novembre 2014 à 14h
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.IMG_0363_s.jpgLigeia est inscrit avec 61 autres bateaux pour la course-croisière de la Route du Jasmin : un parcours de plus de 1000 milles en 3 semaines, par la Sardaigne et jusqu'en Sicile.

 

 

 


1er août 2008 : avitaillement, préparation, vérifications, dernières réparations, tout a été contrôlé depuis plusieurs jours. Nous nous retrouvons, Guy, Jean-Claude et moi avec nos épouses pour un dîner d'adieu (!) à Port-Fréjus. A 21 heures nous larguons les amarres, direction La Seyne sur Mer où a lieu le rassemblement avant départ.


Il y a du vent, mais en plein de face. Au fur et à mesure que nous contournons le cap de St Tropez, il tourne pour se retrouver toujours devant nous. Nous tirons un bord pendant la nuit au large de l'Ile du Levant, espérant revenir le lendemain par vent travers d'ouest. Las ! Ce vent vicieux tourne au NW et nous n'avançons toujours pas. Il fraîchit en plus, pas d'autre solution que de mettre le moteur si nous voulons arriver à l'heure au rassemblement. En vue de la rade de Toulon... panne de carburant !! Le jerrycan de secours est chargé, puis nos prières pour que le moteur ne soit pas désamorcé sont suffisamment ferventes : il redémarre ! Nous entrons dans le port de Toulon avec un vent de 20 nœuds qui va sérieusement nous compliquer l'amarrage à la station-service. Après plusieurs approches, nous sommes à quai et remplissons réservoir et jerrycan. Notre consommation calculée sur les dernières heures, en raison du vent de face et d'un régime un peu élevé pour rattraper le temps perdu, a été presque doublée par rapport à la normale : d'où cette panne-surprise (non, Ligeia n'a pas de jauge... merci Hanse !).


Nous rejoignons ensuite la darse de La Seyne sur Mer, sur les anciens chantiers navals, où les 60 bateaux sont déjà presque tous arrivés. Je retrouve avec plaisir la famille Gremillet sur son fabuleux Wauquiez Centurion, Christian et Brigitte Maisonneuve, grands prêtres de Mahon en mai.

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Le quai est loin et haut : Guy tombe dans l'eau en s'égratignant méchamment en de multiples endroits. Il va émarger à la pharmacie du bord tous les jours suivants, mais heureusement pas de problème grave.
Dîner sur les quais, discours de bienvenue, danseuses affolantes... Rien ne manque, c'est de l'organisation pro ! 

 

3 août : "premier bord", régate en rade de Toulon. Les 62 bateaux sont sur le départ. Un peu d'embouteillage aux bouées du parcours-banane... Nous finissons en position honorable, sans erreur commise, puis directement cap vers la Sardaigne. Première grande traversée d'environ 220 nautiques, vers le golfe d'Oristano au milieu de la côte occidentale de l'île. Vent d'ouest modéré en travers : on n'est pas fortiches, on se traîne. Notre petite avance à l'issue de la régate fond rapidement, nous sommes dépassés par de nombreux bateaux. Vers le soir, le vent vient au largue, nous trouvons notre allure et enfin pouvons hisser le spi.

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Pour autant, ce n'est pas de la grande vitesse. Après la première nuit de quarts, l'équipage s'ennuie, certains mettraient bien le moteur... Mais nous sommes inscrits en course, donc le parcours doit s'effectuer à la voile sous peine de déclassement. Le spi nous tire toute la nuit, mais doit être affalé quand le vent devient trop faible pour le porter. Nous le hissons et affalons plusieurs fois. La seconde nuit est aussi sous spi, nous approchons de la côte qu'on distingue au petit matin. Nous devons franchir la ligne d'arrivée avant 18 heures : après avoir fait et refait les calculs au GPS, c'est jouable avec une marge de 2 heures.

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L'entrée du golfe d'Oristano est barrée par un chapelet d'îlots et de hauts fonds dont la principale île porte le doux nom de Isola Mal di Ventre...!! Après un repérage précis sur la carte et report au GPS, nous entrons dans une passe sinueuse. L'équipage est mobilisé : un œil sur le sondeur, un autre sur le GPS, un autre sur la carte, et surtout deux yeux sur la mer elle-même, nous progressons avec prudence et finalement sans encombre. Une demi-douzaine de dauphins de bonne taille nous escorte à la fin de la passe, comme pour nous guider ! Nous passons la ligne d'arrivée comme prévu, après un parcours de 52 heures. Peu importe le classement (pas mauvais avec le handicap), nous sommes surtout heureux d'avoir gagné le pari d'un parcours sans moteur avec un vent dans l'ensemble peu généreux. Nous mouillons sur ancre dans une vaste zone où la plupart des bateaux sont arrivés.

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Déconvenue : on ne nous a pas attendus pour la visite du site phénicien de Tharros en bordure du mouillage.

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6 août : le vent se lève au matin, notre mouillage sur fond de posidonies tient mal et nous chassons. En remontant l'ancre, le guindeau fait des siennes : il chauffe et se bloque, restent 2 m de chaîne à remonter à la main... Pas trop grave sur le moment mais s'il y a d'autres mouillages ?? En attendant nous allons nous amarrer à la poupe de Fetia Ura, la goélette de 33 m qui héberge le comité de course.

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Nous comptions avitailler au port de Cabras, à quelques milles au fond du golfe, mais il n'y a pas d'eau disponible. Avec nos 100 litres de réserve déjà bien entamés, nous n'irons pas loin mais pas le choix. Pour le gazole ça ira, nous avons très peu consommé. Le rationnement en eau devra être renforcé ...

Puis c'est la 2ème étape : beau départ groupé de toute la flottille qui emplit la baie.

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Dès les premières heures le vent faiblit. Le spi, hissé à tout hasard, ne tient pas. Cette étape de 110 nautiques à couvrir en 24 heures ne pourra être achevée sans le moteur et nous mettons Yanmar en route avant la nuit. La suite nous donnera raison : seuls 3 bateaux passeront la ligne d'arrivée dans les temps à la voile (avec des remontées au près fulgurantes parfois aux dires de certains... mais c'est du mauvais esprit !!! ). Nous en profitons pour jouir de la superbe côte sarde : reliefs étirés, moins abrupts qu'en Corse mais plus massifs, paysages sauvages, quelques rares villages et des calanques accueillantes qui retiennent quelques bateaux de la course.

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Nous arrivons au crépuscule dans le canal San Pietro, passage de faible profondeur entre la côte et plusieurs îlots à la pointe sud-ouest de la Sardaigne. J'ai soigneusement préparé la route et nous laissons le pilote, branché en navigation sur le GPS, faire le parcours. La sonde remonte jusqu'à 6 m par endroits. Le passage est magique entre les lumières des deux rives, un complexe industriel côté Sardaigne, des bacs qui traversent, les feux de balisage noyés dans les éclairages publics et les phares de voitures... Il fait encore chaud, sans vent ou presque, la mer est plate. Après une bonne heure et plusieurs tronçons de route, nous atteignons l'extrémité sud du canal, pour longer ensuite la côte sud de Sardaigne. On reprend les quarts...

Au petit matin, nous trouvons un vent d'est après le contournement de la côte sud, et tentons quelques bords. Mais le vent suit les reliefs et reste de face, nous contraignant à des bords carrés qui n'avancent à rien. On remet le moteur. Par estimation, il est temps de faire le plein et le jerrycan est chargé quand nous entrons dans le golfe de Cagliari. Les heures au moteur nous laissent un peu de marge pour tirer encore quelques bords en remontant vers le port au fond du golfe : îlots, calanques, tours génoises, un complexe pétrolier, et enfin Cagliari avec sa citadelle visible de loin.

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Après 115 nautiques couvertes en juste 24 heures, il est temps d'arriver : nous n'avons plus d'eau douce depuis la veille (il reste juste quelques bouteilles d'eau de boisson), et plus de réserve de gazole. Nous avons cette fois un appontement, un peu serré mais qui permet enfin de débarquer.

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L'eau est disponible à profusion : enfin une bonne douche ! L'électricité sera disponible une heure ou deux, puis le branchement simultané des 60 bateaux fait sauter tout le port : plus de courant, et il n 'y en aura plus jusqu'au prochain départ. Adieu tous les chargeurs qui réclamaient leur pitance : téléphones, VHF portables, caméras, rasoirs... Pour nous pas trop de gêne, nous avons tellement économisé qu'il reste un peu de marge. La station de carburant est à l'autre extrémité du port commercial : loin, et surtout les amarrages sont entrecroisés au point que nous sommes bloqués derrière 6 bateaux qui nous interdisent la sortie. Comme beaucoup d'autres, nous allons transporter à pied des jerrycans jusqu'à une station-service distante d'un petit kilomètre. Par la chaleur du sud Sardaigne... on dépasse largement les 36° dans la journée.

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La Lega Navale de Cagliari nous accueille le soir pour un "dîner de gala"... : entrée - 10 pâtes dans un fond d'assiette, plat - 1 merguez 1/2, vin - genre débouche-lavabo, pas de dessert... Avec quelques autres dîneurs, nous faussons compagnie à ce festin pour chercher des gelati dans la vieille ville.

Le lendemain, visite rapide de la ville : le centre historique semble intéressant mais il faudrait plus de temps et moins de degrés au thermomètre...

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Nos besoins de fraîcheur vont s'assouvir dans une coopérative vinicole : visite et dégustation en pièce climatisée. Nous goûtons assidument... !

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9 août : beaucoup de vent dans le port, le Comité de course retarde le départ vers la Sicile. Nous avons avitaillé à partir d'un supermarché voisin, les pleins sont faits, on attend...

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Ce n'est qu'à 17h30 que le signal du départ est donné. Les bateaux quittent le port en bon ordre, en démêlant avec art pendilles et aussières enchevêtrées. Il y a pas mal de mer à la sortie du port. Pour les concurrents en course, la ligne de départ est déplacée de l'autre côté d'un promontoire, face à de vastes salines.

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De l'avis unanime, le départ de l'étape Sardaigne-Sicile, donné à 20h30, est un moment inoubliable : la vingtaine de bateaux en course franchissent la ligne en groupe serré, voiles arisées au portant par 25 nœuds de vent, les embruns éclairés par le soleil couchant sur les montagnes alentour. Nous savourons ce spectacle, dont nous sommes humblement acteurs, avec une joie intense. Une houle puissante nous porte et notre vitesse monte. A la barre, je vois incrédule la vitesse GPS dépasser 8 puis 9 nœuds. A 21h30, Ligeia tient plusieurs secondes à 10,1 nœuds, record absolu, très au-delà de la vitesse de coque du bateau par la grâce d'un surf grisant !

La nuit qui vient va hélas ternir ce bonheur...

A 22 heures je laisse la barre à Jean-Claude. Le doublement du cap Carbonara, au sud-est de la Sardaigne, s'annonce musclé avec ce vent qui reste établi entre 25 et 30 nœuds, et je prévois de remonter dans une heure pour ce passage. A 23 heures, je remonte... une minute trop tard : un empannage sauvage s'est produit, le bateau est hors contrôle. Guy et moi tentons d'atteindre la barre, alors que le cockpit est balayé par l'écoute de grand-voile une nouvelle fois, me plaquant au sol. Guy parvient à la barre, débranche le pilote et redresse le bateau. La mer est agitée, le bateau roule violemment, puis se stabilise. Le cap n'était pas encore passé, les conditions vont rester dures pendant 2 heures. Nous nous relayons pour des durées courtes car la barre est fatigante.

Dans l'obscurité, nous faisons un premier bilan des dégâts : la manette de l'inverseur du moteur a été arrachée, des capots de répétiteurs se sont envolés et ont disparu, il y a du jeu dans la colonne de barre. Les embardées ont dû être fortes car la salle d'eau est inondée. Nous vérifions l'intégrité des transmissions après avoir démonté le dessous du plancher. Aucun organe vital n'a été touché dans la direction et je range la barre franche de secours que j'avais sortie dès l'accident. Les manœuvres de barre restent normales et le pilote fonctionne. Surtout il n'y a pas de blessures, à part un gros hématome sur ma cuisse. Nous appelons le comité de course pour signaler nos difficultés et demander par avance une assistance à l'arrivée, mais nous ne demandons pas d'aide immédiate. A la VHF, nous avons des nouvelles d'autres bateaux qui ont souffert. L'un d'eux a coincé sa grand-voile dans l'enrouleur de mât et est en panne de moteur : après échanges avec le comité, il est décidé d'appeler les sauveteurs sardes pour un remorquage vers le port le plus proche. Fini pour lui...

Une fois passé le cap Carbonara, la mer se calme franchement, et même trop. Très vite se pose le problème de l'utilisation du moteur. A 4 heures du matin, nous tentons un démarrage alors que nous n'avons plus de commande. Le moteur démarre sans difficulté et nous permet au moins la recharge des batteries. Quand le jour se lève, nous avons largué les ris et avançons par un vent retombé sous 10 nœuds et faiblissant d'heure en heure. Dans la matinée, après avoir récupéré du sommeil et du moral (les deux ont été durement touchés...), nous démontons le mécanisme d'inverseur. Les câbles de commande peuvent être actionnés à la main, difficilement mais au moins on peut embrayer et faire route au moteur. Vu les circonstances, mon objectif est de rallier sans tarder la Sicile et de réparer dès que possible.

Les heures s'écoulent dans une chaleur écrasante. Nous vidons nos réserves d'eau par litres. A 14 heures nous croisons une grande tortue en surface. Toute la journée, la nuit, le jour suivant, alterneront les heures sous voiles et au moteur, au gré du vent mollasson qui rechigne à nous pousser. Au matin du 11 août, les îles Egades et les côtes de Sicile sont bien visibles.

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A 13 heures, nous doublons le cap Solanto au nord ouest de la Sicile et nous nous offrons le luxe d'un dernier bord sous spi avant l'arrivée.

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Nous aurons parcouru les 207 nautiques de cette étape en 45 heures. Nous sommes à 16h30 devant l'entrée du port de Castellamare di Golfo, joli port dédié à la pêche et à la petite plaisance au moteur. Très peu de voiles, mais l'arrivée de la flottille du Jasmin va quelque peu bouleverser cet équilibre.

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Après contact par VHF, le comité de course nous envoie une équipe sur Zodiac pour nous aider à nous amarrer. A ce moment, le bateau peut avancer au moteur, mais n'a ni point mort ni marche arrière. Après nous être mis à couple du Zodiac, je ne peux que couper le moteur et nous nous laissons déhaler vers notre place, choisie pour sa facilité d'accès en bout de ponton.

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Nous demandons un mécanicien qui arrive dans la demi-heure. Après avoir identifié la pièce à remplacer, il repart en assurant de son retour le lendemain.Le bateau est en sécurité, les problèmes sont identifiés et ne devraient plus être bientôt qu'un (mauvais) souvenir. Comme pour saluer cette arrivée, Guy se casse la figure une nouvelle fois entre le quai et le bateau !

Je reste à bord toute la journée du lendemain, manquant ainsi l'excursion-phare de la croisière sur le site phénicien de Sélinonte... Personne ne viendra ! Je m'occupe au rangement du bateau, à de menues réparations, des manilles à resserrer, du nettoyage... Vers le soir, je décide de m'attaquer au mécanisme d'inverseur qui, à l'évidence, ne sera pas réparé. Les 2 câbles de commande, l'un pour l'embrayage, l'autre pour les gaz, peuvent être manœuvrés à la main mais la prise est difficile. Après avoir fixé à leur extrémité un démanilleur et un manche de clé à bougie, l'opération est nettement plus commode. Avec Guy, le système sera amélioré en remettant une partie des pièces démontées qui permettent d'immobiliser les gaines des câbles. Nous faisons quelques tests à quai : le système fonctionne !

C'est en guise de revanche que nous allons participer à la régate du 13 août, parcours-banane devant la longue plage adjacente au port. Bon départ malgré l'indiscipline de Jean-Claude qui prend des photos au lieu de border son écoute... Les deux bords par vent travers, sans histoire. Les bateaux rapides sont devant et nous derrière, l'ordre est respecté ! Mais nous n'avons pas démérité et nous nous en sortons tout à fait honorablement : manière de confirmer que, à part la commande moteur, le bateau est indemne et avance parfaitement.

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Le retour au port va nous offrir un épisode de plus dans notre suite d'infortunes : nous faisons le plein de gazole et regagnons notre place. Avec notre montage sur la commande moteur, les manœuvres au port se passent assez bien... jusqu'à l'amarrage : une des pendilles, complètement pourrie, se rompt, laisse filer le bateau en travers... et va bien entendu se prendre dans l'hélice !! Après avoir assuré le bateau avec mes bonnes amarres à moi, j'ai donc droit à une plongée sous le bateau. Il y a 3 tours, heureusement pas trop serrés, dont j'aurai raison après plusieurs descentes en apnée (on se croirait dans une BD par moments...!).

 

14 août : briefing spécial du comité de course. Les prévisions météo sont mauvaises : avis de fort coup de vent sur la zone ouest Sicile et sud Sardaigne. Le départ est retardé jusqu'à nouvel ordre. Pour nous ce seront 2 jours de plus à passer à Castellamare di Golfo, charmante cité de 20.000 habitants mais aux ressources un peu limitées pour le visiteur...

Pour le comité de la Route du Jasmin, c'est le casse-tête redouté des changements de programme : les propriétaires des places que nous occupons demandent à les récupérer, certains pontons ne sont pas sûrs face à la houle du large qui s'annonce et il va falloir déplacer les bateaux, l'étape suivante en Sardaigne est bouleversée. Toute la journée, des bateaux quittent leur place pour aller s'abriter derrière l'énorme digue en construction à l'ouest du port. Situation peu enviable : le quai n'est pas équipé, pas d'eau ni d'électricité, pas d'accès non plus sinon en annexe. Le mur titanesque coupe la brise du large et rend la chaleur insupportable. Nous avons eu la chance de rester au milieu du port et de garder un peu d'air... Le vent du sud va souffler, portant la température jusqu'à 38° à l'ombre ! Quelques sorties avaient été prévues vers les mouillages de la côte proche, des promenades à pied : rien de tout cela, les équipages sont terrassés sur leurs bateaux, cuisant doucement en attendant le passage de la tempête sous un ciel plombé...

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Entretemps nous aurons eu droit à un (somptueux, cette fois) dîner de clôture avec la remise des prix, le classement étant établi à ce point du parcours car il ne restera pas assez de temps à l'ultime étape pour ce cérémonial. Nous avons de quoi nous réjouir : Ligeia est classé 6ème sur 14 dans sa catégorie, et 23ème sur 62 au général.

Au bout de ces 4 jours sur place, les cafés et restaurants fréquentés par les Palermitains en goguette (Palerme est à une heure de route) n'ont plus de secret pour nous. Nous avitaillons en fruits (un incroyable marché presque oriental avec des melons verts énormes, des pêches succulentes, pour une poignée d'euros), en vins de Sicile, et surtout en eau vu notre consommation passée : transformés en ânes de bât sous la chaleur, nous chargeons 60 litres d'eau en bouteilles ...

 

16 août : le signal du départ est enfin donné pour la fin de matinée. Nous n'attendons pas la mise en place de la ligne de départ et quittons le port à 11 heures. Nous trouvons une mer encore bien formée avec une houle résiduelle et un vent de NW de 9 nœuds que nous prenons par un premier bord plein nord au près. Ce vent va bien vite faiblir, et nous remettons le moteur dès 16 heures. Toute cette étape va osciller entre des bords sous voiles par vent faible prenant toutes les directions, et de longues heures au moteur avec des moments d'authentique pétole.

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Nous atteignons La Caletta, au nord est de la Sardaigne, le 18 août à 14h. Ce parcours de 221 milles nous aura pris 51 heures, dont 34 au moteur. Le port est vite rempli par ce qui reste de la flottille : plus de 20 bateaux ont abandonné depuis le début de l'expédition.

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L'escale à La Caletta sera courte : bref avitaillement, discours de clôture... Les élus locaux, pour compenser un peu les festivités prévues et annulées, tiennent le micro plus d'une heure en rivalisant de formules convenues poliment applaudies par des équipages affamés. Le buffet un peu indigent nous lasse vite et nous nous rabattons sur une excellente trattoria en ville avant notre dernière nuit en terre italienne.

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19 août : la Route du Jasmin 2008 est terminée. Pourtant le parcours qui nous reste sera certainement le plus beau et le plus intéressant en navigation. D'une traite, nous longerons la côte nord est de la Sardaigne, nous passerons par l'archipel de La Maddalena puis les Bouches de Bonifacio avant de suivre la côte occidentale de la Corse, enfin la traversée jusqu'aux côtes varoises : environ 230 nautiques que nos prévoyons de couvrir en 52 heures.

Départ à 10h et première bonne nouvelle : il y a du vent,maintenant que la course est terminée... Par vent travers, voire au largue, dès la sortie du port nous avançons à bonne vitesse. La seconde bonne nouvelle est l'absolue beauté de cette portion de la côte sarde, découpée en calanques et îlots abrupts qui se succèdent en lames parallèles jusqu'au nord. Beaucoup de bateaux, de nombreux ports entre La Caletta et Porto Cervo.

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Nous atteignons le cap Ferro à 17 heures et entrons dans le canal qui traverse les nombreuses îles de la côte nord, éparpillées autour de La Maddalena. Le vent fraîchit un peu dans ce goulet et devient assez instable, obligeant à une grande vigilance à la barre. J'ai tracé la route au GPS et nous la suivons avec précision. Le chapelet d'îles et de canaux luisant dans la lumière rasante de la fin de journée offre un magnifique spectacle.

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Mais bientôt l'atmosphère change : le soir tranquille se métamorphose par l'arrivée de vagues serrées de canots à moteur. Par dizaines, centaines peut-être, ils convergent par files dignes des périphériques urbains aux heures de pointe, faisant vrombir des moteurs monstrueux qui soulèvent d'énormes vagues dans l'étroit passage : Venise en 10 fois pire...

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Dans les cockpits capitonnés de cuir beurre frais, les pilotes furieux, tétanisés sur la manette des gaz, s'appliquent à ressembler à leur propre caricature pendant que d'étourdissantes créatures au bikini millimétrique poussent en cadence des petits cris de terreur. Cette horde de Huns maritimes, après une dure journée baignade-bronzage, est visiblement convoquée d'urgence dans les marinas chics du coin pour les indispensables cocktails des aventuriers de l'écran total.

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Nous qui revenons quasiment d'un tour du monde, mal rasés, le cuir tanné et fleurant la saumure, affichons notre serein mépris pour cet univers futile...

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Le gréement n'en peut plus de ce remue-ménage qui ôte toute efficacité aux voiles, et nous voila contraints de faire allégeance, nous aussi, au dieu moteur. Heureusement nous quittons bientôt ces boulevards et leurs torrents de bruit, passant devant le port de La Maddalena et continuant à l'ouest vers les Bouches de Bonifacio.

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Nous passons les Bouches à la tombée de la nuit, en trouvant comme on pouvait le prévoir un fort vent d'est qui nous fait filer à 7,5 nœuds. Là encore, ce passage est magique, à égale distance des côtes corses et sardes qui scintillent de tous leurs feux, dans des conditions météo idéales. Une fois ce tableau derrière nous, nous reprenons les quarts de nuit. Le vent tombe progressivement et le moteur est remis en marche jusqu'au matin.

Nous longeons la côte ouest de la Corse toute la journée du 20 août : la baie de Propriano, puis Ajaccio et les îles Sanguinaires. Plus loin au fur et à mesure que nous progressons au nord ouest, Cargèse, Porto, la Scandola se noient dans la brume...

A 17 heures, aucune côte n'est plus en vue et nous touchons à l'évidence une "queue de mistral", bien conforme aux prévisions météo : vent de force 5 à 6, restant au NW qui nous permet de rester assez proche de notre route au près. Ce qui n'était pas prévu, c'est la mer qui monte, monte... Après avoir pris 2 ris, je débranche le pilote pour négocier les vagues courtes et effilées qui soulèvent le bateau et le font retomber en tapant dur. Je reste ainsi à la barre 2 bonnes heures dans des conditions encore assez confortables. Mais la mer grossit encore, la houle atteint largement les 2 mètres et reste très serrée. Nous réduisons le génois, la grand-voile est un peu débordée, rien ne traîne sur le pont, tous les panneaux et la descente sont fermés et les rangements intérieurs vérifiés. Le bateau est très secoué (et nous avec !) mais reste sur sa route.

A 19 heures, les vagues sont verticales et grossissent encore. Je vois arriver une première déferlante qui domine entièrement le bateau et tombe en inondant le cockpit : la douche pour nous, 10 cm d'eau qui s'évacue en torrent par l'arrière... Le bruit est infernal : sifflement du vent dans la voilure, impacts rythmiques des drisses, chocs de l'étrave du bateau à chaque vague, et ce grondement énorme de la mer qui avance sur nous sans relâche... La nuit est tombée et la situation devient franchement inconfortable à la barre. Il n'est plus possible d'éviter les chocs de l'étrave, tant les vagues se succèdent à grande vitesse avec des creux désormais supérieurs à 3m50. Je règle le pilote sur une bande morte minimale et un gain maximal. Le moteur est mis en marche pour assurer l'équilibre du bateau et parer à toute défaillance des batteries : on ne l'entend pas démarrer au milieu du tapage ambiant, mais sa vibration régulière nous assure de son bon fonctionnement. La grand-voile reste arisée à 2 ris et le génois enroulé en tourmentin. L'agitation est à son comble, on se croirait dans une machine à laver ! Le pilote conduit le bateau sans faiblir à l'assaut de chaque vague l'une après l'autre. Nous prenons encore plusieurs déferlantes qui abattent des hectolitres d'eau verte, vite évacuée par la plage arrière. Le bateau reste au près en prenant les vagues en oblique, sous le contrôle du pilote qui lofe et abat par petites touches précises en cliquetant sans relâche. Le vent reste autour de 25 nœuds, au NW et toujours au près. Nous maintenons une vitesse de 4,5 à 5 nœuds. Après avoir changé mes vêtements entièrement trempés, Guy de quart abrité par la capote, je me coince entre la table du carré et le sac de spi au milieu de ce chahut, éprouvant les mouvements cycliques du bateau : montée vigoureuse pendant 3 à 4 secondes, suspension en l'air presque sans mouvement à part un léger basculement, puis chute verticale dans un fracas d'éclaboussures, de bruits de coque et de résonance des réservoirs... C'est presque une ivresse : ainsi immobilisé, j'arrive à dormir une bonne heure !!

Les quarts se succèdent... Après 1 heure du matin, on observe un début d'accalmie. On sort du couloir de mistral, et assez vite la mer devient simplement agitée, sans plus. Il n'y a plus de déferlantes ni de vagues de plus de 2 mètres. Le vent refuse et se retrouve face à notre route. Les voiles ne servent plus guère qu'à stabiliser le bateau : génois enroulé, c'est désormais le moteur qui nous pousse. Il reste une trentaine de milles et nous finirons ainsi le parcours. La "grosse tannée" aura duré 7 heures, sans erreur ni dégât cette fois.

 

21 août : avant le lever du jour, c'est comme toujours le phare de Camarat qui est le premier feu visible. Nous passons au large de Cannes, du Drammont... tout est désormais tranquille, il n'y a plus que 5 nœuds de vent qui permettent une manœuvre de port sans difficulté. Nous sommes à quai à Port-Fréjus à 8h30. La traversée Corse-continent nous a un peu retardés : plus qu'une réduction de vitesse, nous avons subi une nette dérive à l'est que montre le tracé enregistré sur le GPS. Malgré tout, nous avons couvert ce trajet de retour de 228 nautiques en 46 heures, nettement plus vite que prévu. Des images plein les yeux, des sensations plutôt fortes... n'étaient les blessures du bateau qui restent, il y aurait tout lieu d'être totalement heureux quand nous posons le pied sur la terre ferme.

 

Epilogue :  la Route du Jasmin est à juste titre une véritable institution dans l'univers des courses-croisières méditerranéennes. Bien qu'amputée de son étape tunisienne cette année, elle nous a conduits sur un parcours bien conçu, menée par une équipe aguerrie et souvent admirable. Un bémol : la longueur et le nombre des étapes obligent à rallier les escales dans un temps limité. Vu le climat dans la zone en août, le manque fréquent de vent a obligé à beaucoup naviguer au moteur (plus de 100 heures sur l'ensemble de la course), ce qui est frustrant pour une course à la voile.

Un bateau tel que Ligeia montre ses limites sur ce genre de parcours : problèmes d'autonomie sur les longues distances (surtout quand les avitaillements prévus sont défaillants !), performances en rapport avec la taille et donc pénalisées dans le petit temps dominant, confort évidemment minimal dans les conditions météo "musclées", inévitables sur un itinéraire aussi long. Malgré ces restrictions, et malgré les avaries subies, le bateau s'est pourtant très bien comporté et a prouvé ses qualités de navigation et de sécurité.

A refaire... dans quelques années peut-être !

Liens utiles :
Route du Jasmin
Fetia Ura

 

Emplacement

Félicitations, Joli résumé, 2 ans après notre participation, je retrouve des impressions et une envie de repartir...... La mienne est sur mon blog. (http://aromate.sport.fr ) Cordialement

Cet article est très intéressant, c'est une réussite formidable, bonne continuation.

Ce post m'a paru très intéressant, c'est une réussite, félicitations.

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