Transat 1ère saison : de Fréjus aux Canaries

Transat 1ère saison : de Fréjus aux Canaries

Posté par : Olivier
26 Août 2010 à 00h
Dernière mise à jour 27 Novembre 2014 à 14h
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097.jpgC'est le grand jour ! Ce samedi 31 juillet, l'émotion est au rendez-vous quand les amarres sont larguées de Port-Fréjus pour un voyage qui va durer un an.

Nous sommes quatre pour cette première partie de transat, un parcours de 1700 milles nautiques (3200 km) jusqu'aux îles Canaries : Denis et Maya qui connaissent déjà le bateau, André juste débarqué du Chili, et moi qui vise, peut-être avec présomption, le titre de capitaine transatlantique...

Programme : îles Baléares, côte espagnole, détroit de Gibraltar, côte marocaine puis un sprint final dans l'atlantique jusqu'à l'île Gran Canaria.


 

Prologue

L'aventure a bien failli finir avant même d'avoir commencé. La veille du départ, je suis affairé aux derniers préparatifs dans le bateau quand j'entends dehors des vociférations et un énorme bruit de moteur. Je monte sur le pont, juste pour voir un gros motor-yacht au pilote complètement affolé venir percuter MON bateau par bâbord avant. Sous mes hurlements, son ancre enfonce mes filières et mes chandeliers et s'attaque au rail de fargue ! Il s'arrête juste avant d'ouvrir la coque en deux, ce dont un engin d'une telle puissance aurait certainement été capable.

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Ma fureur mêlée de désespoir est contenue grâce à l'aide immédiate que m'apporte l'équipe, vraiment formidable, de Planète Yachting : en moins d'une heure, les filières sont réparées et des chandeliers de secours sont posés. Il reste le rail de fargue tordu et quelques rayures sur la coque mais je peux naviguer en sécurité. Le temps encore passé en formalités d'assurance aura une conséquence : je n'aurai pas pu finir la toilette du bateau ! Mon équipage, qui embarque la veille du départ, va pallier cette carence (c'est pour le mettre dans l'ambiance !) et finalement tout sera prêt à temps.

Le bateau a son équipement complet de grand voyage. La DuoGen est réparée et j'ai plusieurs pièces de rechange. L'approvisionnement en méthanol pour la pile à combustible a été problématique mais livré in extremis, en prévoyant toute la traversée jusqu'aux Antilles car je n'en trouverai pas aux Canaries. La cartographie papier et électronique a été complétée et mise à niveau. Pour la sécurité et la météo, j'ai installé l'Iridium et la connexion internet par satellite et pris les abonnements nécessaires, dont Navimail de Météo-France qui s'avèrera extrêmement fiable. J'ai eu juste le temps de tester cette installation ainsi que la balise Inmarsat pour le tracking. Le moteur a été vidangé et tous les filtres changés. Il a fallu prendre une nouvelle assurance chez Groupama, April Marine ne couvrant pas la zone atlantique-Caraïbes. Les coussins du carré ont été démontés et lavés, propres comme neufs. Les inox du pont ont été traités à l'anti-rouille. J'ai changé l'horloge et le baromètre du carré et monté, non sans mal, la nouvelle table de cockpit juste livrée. J'ai acheté diverses pièces, un appareil photo étanche et le pavillon marocain qui manquait à ma collection. Enfin j'ai eu confirmation des réservations demandées depuis plus de 6 mois, sur le parcours et à destination, surtout dans les lieux particulièrement fréquentés.

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Le samedi, après méga-avitaillement et courses diverses, Teles avec ses légères cicatrices peut embouquer la sortie du port à 18 heures, cap sur Minorque.

 

Fréjus-Fornells (Minorque) - 245 nautiques

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Partis sous 11 nœuds de vent de face, nous arrondissons au près serré vers l'est. Ce vent faiblit rapidement et dès minuit nous faisons route au moteur. Cinq fois sur cette traversée nous alternerons entre route au moteur et sous voiles pour tirer parti d'un vent de travers sud-est qui ne dépasse pas 9 nœuds.

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Le code zéro est hissé à deux reprises.

Avec ces manœuvres répétées, l'équipage est bien occupé et prend ses marques. Repères principaux : l'apéro du soir, les repas, les quarts.

002Tout se met en place rondement, l'équipage trouve son équilibre.

Au milieu d'un déjeuner, je vois brusquement émerger derrière Denis, à une trentaine de mètres, une grande masse sombre surmontée d'un immense aileron : un rorqual commun, une des plus grandes baleines existantes. Elle refait surface fugitivement avant de disparaître sous le bateau avec nonchalance. Trop bref pour prendre des photos mais quel spectacle !

Denis a amené un équipement de pêche dernier cri, mais il va s'avérer défectueux.

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Un thon de 15 kg est pris, mais s'échappe.

Après quelques nouvelles tentatives et des échanges téléphoniques musclés avec le vendeur, le matériel est remisé et nos espoirs de poisson frais s'envolent.

Après la seconde nuit, l'île de Minorque est en vue.

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004.jpgJe commence à connaître : c'est la 3ème fois que je fais ce parcours en un an. Nous entrons dans la baie de Fornells, très encombrée mais j'ai réservé une bouée qui nous attend comme prévu.











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007Mise à l'eau de l'annexe et débarquement : la magie du lieu opère toujours.

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Bien qu'en haute saison, il y a du monde mais pas de horde touristique.

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Nous avions prévu une halte d'une nuit mais la météo annonce force 6 à 7 de face sur la route de notre prochaine étape, le minuscule archipel de Colombrettes entre Minorque et la côte espagnole. Nous restons donc un jour de plus à Fornells en attendant que ça se calme. En raison du mauvais temps, le bateau qui a réservé notre bouée la nuit suivante ne viendra pas, tant mieux pour nous ! Et le programme est modifié en conséquence : nous allons directement rejoindre Majorque, non sans un dernier pèlerinage au restaurant El Pescador qui nous régale encore une fois.

Le dernier soir nous réserve une mauvaise surprise : la cuve à eaux noires est pleine ! Faute de se retenir tout à fait jusqu'au lendemain, on va ... se débrouiller !

 

Fornells-Alcudia (Majorque) - 53 nautiques

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4 août. La passe de sortie de la rade est encore très agitée. Les creux font 2 bons mètres. Ce ne serait pas un problème s'il n'y avait cette cuvette débordante des toilettes que j'imagine gicler à chaque vague.

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Le bateau escalade puis chute brutalement dans une danse effrénée. A peine la passe franchie, nous ouvrons vite la vanne, en espérant que ce remue-ménage va tout diluer rapidement avant d'atteindre la zone de mouillage. Heureusement, pas de dégât à l'intérieur.

Le vent dépasse 20 nœuds, nous progressons rapidement vers l'ouest de Minorque sous 2 ris, sous un ciel plombé puis franchement pluvieux. La mer reste agitée jusqu'à midi puis nous sortons de la perturbation venue du nord (il y a force 8 au même moment sur Lion et Provence) et tout fléchit en moins de 30 minutes. Les ris sont largués alors que l'île de Majorque émerge de la brume, et nous avons la visite de trois grands dauphins.

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A 13 heures il n'y a plus que 4 nœuds de vent. Cela tombe bien, il fallait mettre le moteur en route pour activer le dessalinisateur car nos réserves en eau douce sont basses. 200 litres d'eau douce sont récupérés en deux heures, juste au moment où nous retrouvons un peu de vent qui nous permet de finir la traversée sous voiles : excellent timing !

Nous entrons dans la vaste baie d'Alcudia où j'avais prévu un mouillage de repli. En vue d'Alcudia, la pluie cesse enfin. D'abord le plein de carburant, puis nous jetons l'ancre dans une zone large et peu encombrée au sud du port.

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Si on oublie la frange hôtelière peu esthétique, le cadre est vraiment joli et le mouillage excellent en tenue et en qualité d'abri : à retenir.

Nous débarquons le lendemain matin pour un petit tour de ville. Celle-ci offre peu d'intérêt : station balnéaire parfaitement banale, norias de cars pleins de vacanciers rose vif, groupes braillards, concours de rôtissage sur la plage. Mais le paysage est superbe.

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Graisse marine...

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Il y a aussi un élégant port de plaisance avec Club Nautico Real (en Espagne tous les yacht-clubs ont le qualificatif de royal) de grand standing.

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Quant à nous, nous regagnons notre modeste barque pour partir après déjeuner.

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Alcudia-Formentera - 53 nautiques

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5 août. Il faut contourner Majorque pour mettre le cap sur Formentera, petite île au sud d'Ibiza. Le vent sera soutenu, de nord puis d'est. Nous avons le choix entre la côte ouest, où nous aurons le dévent du relief, et la côte est, qui débute par un long bord avec vent de face et rallonge la route de 15 milles. Entre deux inconvénients... je choisis la route ouest.

Eh bien nous allons souffrir ! Nous partons sous un petit force 5 très agréable au portant, qui nous mène rapidement à l'extrémité nord de Majorque.

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Nous virons le cap Formentor, et entrons dans l'enfer en redescendant cette côte nord-ouest.

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Le vent est à l'est comme prévu, mais le relief est vertigineux, avec des falaises de plusieurs centaines de mètres de haut (le Puig Mayor, point culminant de l'île à 1445 m, n'est qu'à 5 milles de la côte) et des vallées traîtresses où le vent s'engouffre pour dévaler sur la mer comme d'une turbine. On a des zones de masquage total du vent, avec une mer très agitée qui secoue le gréement en tous sens alors que le bateau n'a plus de vitesse pour manœuvrer, et de brusques rafales où le vent peut prendre n'importe quelle direction en passant de 6 à 22 nœuds en quelques secondes.

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Nous avions pris une route à plus de 5 nautiques de la côte, mais cela ne suffit visiblement pas. Nous aurons beau tenter de nous éloigner encore, nous ne trouvons aucune zone de relative stabilisation en compensation du rallongement de route. Empannages successifs, route au moteur ou sous voiles, voire les deux en même temps, écoutes bordées ou choquées en urgence selon les caprices du vent, tout ce chahut alors que la nuit tombe. Les secousses font claquer dangereusement la grand-voile, mais l'affaler ne ferait qu'augmenter le roulis. Un filoir de retenue de bôme casse. Plus grave, un winch se dévisse lors d'un empannage : on rattrape les morceaux de justesse et on remonte l'engin à la lampe-torche.
En guise de morale de ce parcours, je déconseille fortement la pratique de la voile sans vent, qui use le matériel et les nerfs de l'équipage plus sûrement qu'un force 6 bien géré. Et morale nautique : cette côte, déconseillée dans les guides comme dangereuse par vent d'ouest, est à proscrire également par vent d'est, donc à peu près tout le temps !

A 2 heures du matin nous atteignons enfin le cap de la Mola, extrémité ouest de Majorque. Là tout change : le vent d'est à 17 nœuds nous atteint désormais sans obstacle et va nous pousser comme sur des rails le reste de la nuit vers Ibiza.

017Puerto Ibiza

10 heures plus tard, nous passons au large de la Mecque de la fiesta et obliquons au sud vers l'île de Formentera.

Cette île est une extension d'Ibiza à laquelle la relie un chapelet d'îlots. C'est très construit, très fréquenté, y compris par les beaufs sur canot à moteur, dont un qui nous est passé sous le nez et aurait accroché notre étrave si je n'avais pas donné un brusque coup de barre. Je n'ai pas eu le temps de demander à André comment on dit "connard" en espagnol, mais le butor à la barre a bien entendu mes insultes.

018Notre bouée est réservée dans la Cala S'Oli

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Nous débarquons l'après-midi pour une petite promenade sur cette terre assez sauvage près de notre mouillage.

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Il y a une grande lagune derrière, bondée de petits bateaux.

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Formentera-Carthagène - 150 nautiques

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7 août. Petit vent d'est bien stable à 10-11 nœuds, toute la journée sous spi.

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A l'heure de l'apéro, comme toujours, visite d'une grande famille de dauphins qui jouent dans l'étrave pendant de longues minutes. Photos, vidéos, ils posent de bonne grâce !

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La nuit est tranquille, spi affalé et 3 heures de vent faible où il faut du moteur. Dès 6 heures du matin nous faisons route sous voiles. Le spi est de nouveau hissé jusqu'à Carthagène que nous atteignons dans l'après-midi.

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L'entrée dans ce golfe est grandiose. Nous retrouvons les traces d'Hamilcar Barca qui a fondé cette base navale pour la gloire de Carthage au 3è siècle avant notre ère.

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Notre place est réservée, mais le port est loin d'être plein : sous ces latitudes, on ne connaît pas la cohue et la pénurie de places qui sévissent sur la Côte d'Azur ! L'accueil est excellent, la zone est fermée et gardée.

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Les sanitaires sont bien tenus avec une grande laverie

Ce n'est pas très calme : il y a un grand port de commerce juste à côté, et d'énormes chantiers tout autour, mais la gêne reste supportable et ne nous empêche pas de dormir.

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Les bateaux en transit viennent ou vont loin : côte atlantique, Europe du nord, Amérique, transats...

 

Escale à Carthagène

Nous restons deux jours sur place pour visiter la ville. L'escale vaut la peine, le patrimoine historique est riche et bien mis en valeur par des efforts récents, bien qu'il y ait très peu de touristes.

028Le centre ville

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Vestiges de l'ancien rempart carthaginois

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Accès à la citadelle médiévale par ascenseur géant

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032Vidéos et reconstitutions

033La vue est imprenable

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Nous faisons un avitaillement complet et bon marché. En revanche, le shipchandler du port n'a à peu près rien, en tout cas pas les quelques pièces dont j'ai besoin, heureusement non vitales.

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Les jeunes pêcheurs assiègent Maya

Point météo : on annonce sur Gibraltar du force 8 pour le 15 août, jour prévu pour la traversée du détroit. Nous devons passer avant le 14 : nous allons donc sauter l'étape prévue à Almeria pour mettre le cap direct sur Gibraltar, une longue navigation de plus de 250 milles.

 

Carthagène-Gibraltar - 267 nautiques

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10 août. Le petit vent de sud-est du départ ne dure pas plus de 30 minutes. Le spi d'abord hissé est vite affalé. Pendant deux jours entiers, nous aurons un vent faible de face.

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Nous faisons route principalement au moteur avec quelques moments sous voiles qui nous font beaucoup dévier de la route.

Au matin du 11 août, nous entrons dans une nappe de brouillard dense.

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C'est le moment d'activer le radar.

Le soir, l'approche de l'atlantique est sensible. La mer prend une teinte verte, l'odeur particulière de l'océan est nette. Nous naviguons entre la côte et le rail des cargos remontant la côte espagnole. Le trafic est dense mais ne nous gêne pas, étant parallèle à notre route. Apéro agrémenté de nombreux dauphins, comme presque chaque soir.

A la fin de la seconde nuit, le moteur tourne imperturbablement depuis quarante heures. Nous sommes presque dans l'axe du détroit et le vent, toujours de face, monte rapidement. Il s'y ajoute un courant contraire d'1,5 nœud au moins. Notre vitesse baisse et le bateau peine à dépasser les 3 nœuds malgré un régime moteur constant. Quand le vent atteint 16 nœuds, il me semble suffisant pour louvoyer sous voiles avec une efficacité au moins équivalente à celle du moteur : en effet, après arrêt du moulin et remise sous voiles, le VMG reste à 3 nœuds malgré l'écart de route et la forte dérive due au courant - plus de 20°.

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A 14 heures nous sommes au travers du rocher de Gibraltar.

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J'ai de face le vent qui flirte avec force 6, le courant portant à l'est qui dépasse 2 nœuds, et tout autour des cargos en attente, faisant des ronds dans l'eau.

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Teles va devoir se surpasser ! Je croise le rail principal, finassant avec 3 cargos dont les routes sont droit sur nous (et vive l'AIS !), puis virement de bord et remontée au près serré sous 2 ris.

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Nous avons failli passer la Punta Europa, à l'extrémité du rocher, mais c'est encore un peu court et un monstrueux porte-containers (363 m de long !) nous barre le passage.

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Nouveau bord en retraversant le rail, puis remontée à la limite extrême du près serré, rail de fargue dans l'eau, équipage au rappel : ça passe, vent à 24 nœuds à l'entrée de la baie d'Algésiras.

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Je peux enfin abattre et filer à 8 nœuds plein nord.

Nous côtoyons de nombreux cargos ancrés, chacun flanqué de son petit pétrolier nourricier : c'est la station-service des super-gros, source de revenus importante pour Gibraltar.

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Nous dépassons le rocher mythique pour aller jeter l'ancre dans l'avant-port de La Linea, en zone espagnole au ras de la frontière britannique. L'apéro dans un décor aussi symbolique a ce soir-là quelque chose d'exceptionnel.

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La météo s'est un peu améliorée pour les jours suivants : nous pourrons passer le détroit le 14 août dès la renverse du vent qui restera de force 5 à 6, et dans le bon sens. Cela nous laisse un jour de relâche pour visiter Gibraltar.

 

Escale à Gibraltar

13 août. L'annexe nous amène au port de La Linea, sur un ponton au hasard. Nous découvrons une immense marina flambant neuve et quasi-déserte. Il y a bien 500 places, qu'occupent tout au plus 40 bateaux.

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Rêve de plaisancier azuréen !

Il est conseillé de passer la frontière à pied.

043La file de voitures s'étire sur des kilomètres.

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André, tout à son insouciance, n'a pas son passeport. Il exhibe cartes d'identité, certificats, cartes de visite (non, là c'est nous qui le charrions un peu)...! Mais la très sexy douanière britannique reste intraitable et il est refoulé. Il va retourner au bateau et nous rejoindra plus tard.

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L'accès au rocher est singulier : on traverse les pistes de l'aéroport.

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Plus loin, on pénètre par une ancienne poterne et deux tunnels à travers les fortifications qui datent de Charles Quint.

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Le centre-ville s'étire sur deux ou trois rues bondées, sans autre intérêt que le shopping : photo et informatique, parfums, fringues, alcools.

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Souvenir de la bataille de Trafalgar

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Une modeste statue de l'amiral Nelson

L'énorme port n'est pas facilement accessible. Il faut traverser le mur d'enceinte puis des boulevards encombrés, et trouver un passage entre les entrepôts et les hangars.

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La plus grande marina, Queensway Quay ("The Quay" quand on est dans le ton), est enserrée entre des résidences de luxe très exclusives, à l'abri de la piétaille du duty-free...

A Marina Bay, où nous avons fait le plein de carburant le lendemain (pas vraiment moins cher qu'ailleurs), on annonce la couleur : pas de visiteurs !

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Nous avons résisté au fish and chips londonien proposé partout, et trouvé un sympathique restaurant marocain aux rafraîchissements bienvenus : il fait très chaud et très soif. Notre journée sera rythmée par les haltes bière (pas mal !) et eau minérale (beaucoup !).

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Retour à La Linea, petit avitaillement dans une improbable supérette cachée dans les HLM locales, et nous récupérons l'annexe qui n'a été ni volée, ni perforée comme je l'avais lu ici et là en préparant le voyage. Dans cette marina fermée et surveillée, cela serait vraiment étonnant mais ces infrastructures sont nouvelles et même inachevées. Il a pu en aller autrement dans un passé récent. Malgré l'étude attentive des récits de navigation, il reste toujours une part d'inconnu et c'est tant mieux.

Retour au bateau où nous attendent silence (relatif), baignade (vitale) et apéro (de rigueur). Un "pêcheur fou" va nous amuser un moment : un énergumène sur une barque crachotante jette un immense filet tout autour du mouillage, passant entre les bateaux au mépris des ancres et des chaînes dont la nôtre. Cet individu doit détester les plaisanciers...

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Il revient heureusement lever tout ça en début de nuit.

 

Gibraltar-Rabat - 194 nautiques

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14 août. C'est le moment de vérité, l'épreuve attendue depuis le départ : passer le détroit de Gibraltar, de méditerranée en atlantique et du même coup d'Europe en Afrique - frontière est-ouest et nord-sud, frontière aussi dans la tête du navigateur !

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Premier bord sous 13 nœuds de vent de nord-est, voile haute au grand largue contre un fort courant portant à l'est à 2,5 nœuds au milieu du détroit. Empannage pour revenir vers la côte espagnole, croisement de nombreux cargos. Le courant est moins fort mais le vent monte : 15, 18, 22 nœuds. Vent contre courant, la mer devient très agitée.

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Ça remue les entrailles...

059Sous 2 ris en vue de Tarifa, la pointe à l'extrême sud de l'Espagne

Nouvel empannage en évitant un cargo qui peine contre le courant ; celui-ci diminue nettement dès que nous avons dépassé Tarifa et la mer devient moins agitée.

Nous sommes au centre du détroit, où la profondeur est faible et la faune très concentrée.

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Nous observons encore des dauphins et, beaucoup plus rares, quelques globicéphales de 7 à 8 mètres. Nous progressons de nouveau vers l'Afrique, et en nous approchant de la côte marocaine nous sommes pris dans un nouveau courant, portant à l'ouest cette fois et très puissant : 2,5 à 3 nœuds. Avec ce courant et le vent dans le bon sens, nous avons à la fois une dérive énorme de 40° et une vitesse fond approchant les 9 nœuds en avançant complètement en crabe !

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En utilisant ces éléments à notre profit, nous croisons à toute allure (jusqu'à 10 nœuds) le cap Malabata et rejoignons Tanger en moins de 7 heures malgré l'important louvoyage qui a ajouté 7 milles à cette distance de 30 milles. Ça y est, nous l'avons fait !

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La baie de Tanger est très exposée au vent d'est et nous avons toujours 18 nœuds de vent en pénétrant dans le port. Changement complet d'univers : des foules de gens sont massées sur les quais autour des bateaux de pêche qui vendent leur poisson.

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Les bateaux sont sur plusieurs rangs à couple, des amarres sont tendues à travers le port, des dizaines de gamins s'amusent à sauter dans l'eau.

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Je dirige le bateau avec précaution à travers cette masse mouvante vers le fond du port, où se trouve le club nautique. Nous voyons des bateaux amassés autour de pontons saturés, sans aucune place visible. Depuis l'entrée du port j'ai appelé en vain à la VHF sur toutes les fréquences habituelles mais personne ne répond. Denis tente un appel téléphonique au numéro indiqué sur le guide nautique, qui s'avère être un numéro de fax. Je tente d'accoster sur un ponton à l'écart vers l'entrée, mais c'est celui de la Marine, et nous sommes vite dissuadés d'approcher... Cette errance dangereuse au milieu des bateaux entrant et sortant, des baigneurs, des militaires et toujours par 18 nœuds de vent, ne peut durer. Le mouillage à l'est du port semble peu engageant par ce temps et nous décidons purement et simplement de repartir et de poursuivre notre route vers Rabat.

Teles entre ainsi plus tôt que prévu dans l'atlantique. Au début, ce n'est pas une révolution : il y a de l'eau salée, des vagues et du vent ! Mais une fois passé le cap Espartel, la découverte est nette. Cette eau verte est animée d'une houle régulière, avec un vent qui ne bouge pratiquement pas pendant des heures. Les voiles sont réglées pour la journée, on n'a pas à être aux aguets des sautes d'humeur constantes de la météo comme là-bas derrière ! Autre nouveauté : la marée, dès la prochaine escale.

061Le cap Espartel

Après avoir quitté le détroit de Gibraltar et obliqué vers le sud, je suis une route parallèle à la côte à 20 milles de distance, principalement pour éviter filets et pêcheurs signalés comme nombreux.

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En fait on en rencontre même au-delà et il faut être vigilant. Plus loin, des cargos croisent à 25 milles de la côte, nous restons donc entre les deux pour la nuit.

15 août. Notre départ anticipé de Tanger modifie mes plans d'arrivée à Rabat, notamment en tenant compte des marées. Il faudrait arriver le lendemain en cours de matinée, donc traîner un peu en route... Mais rien n'y fait : il y a un peu plus de vent que prévu, Teles refuse de descendre en-dessous de 6 nœuds - avouons que les conditions sont tellement bonnes que ce serait du gâchis de ne pas en profiter. A 17 heures, les calculs donnent une estimation d'arrivée vers 22 heures. Je ne m'engagerai pas de nuit dans le chenal fluvial qui mène au port de Rabat-Salé, mais nous pouvons mouiller à l'entrée en attendant le jour et la marée. Je quitte donc notre rail virtuel et mets le cap droit sur Rabat.

Il faut quand même du moteur les deux dernières heures, où nous progressons de nuit entre des dizaines de petits bateaux de pêche peu éclairés, que je suis au radar avec les équipiers en vigie à l'avant. L'horizon est barré par un sabre de lumière : l'arrivée sur Rabat est assez impressionnante.

Nous sommes enfin devant l'embouchure du Bouregreg, le fleuve qui sépare Rabat de Salé. Je me positionne sur la zone de mouillage repérée sur la carte. Nous allons jeter l'ancre quand surgit un semi-rigide qui vient droit sur nous : "nous sommes de la marina, suivez-nous !"

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Je savais que l'entrée au port se faisait ainsi avec assistance d'un pilote, mais au beau milieu de la nuit et sans nous être signalés, c'est une heureuse surprise.

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Nous passons sous les fortifications de la kasbah des Oudayas, puis au milieu des barques de pêcheurs et de passeurs d'une rive à l'autre. Sur les quais, une fête foraine bat son plein, c'est noir de monde. Nous allons bientôt comprendre pourquoi.

On nous conduit à un ponton au pied des bâtiments administratifs à l'entrée de la marina. Nous sommes attendus. Police, douane, capitainerie nous accueillent avec le sourire et nous apprennent deux choses : l'horloge est avancée d'une heure (soit UTC alors que nous étions à UTC+1 normalement au Maroc), et la raison en est ... le ramadan ! Ainsi s'expliquent la fête et la foule dehors, mais cela va aussi compliquer notre séjour.

Les formalités sont accomplies sans difficultés, y compris la visite d'un adorable labrador noir de la brigade des stups. On nous conduit à notre place dans la marina : beaucoup de places libres en vérité, pontons flottants avec catways, eau et électricité, sanitaires, gardiennage, rien ne manque. A un bon kilomètre de la mer, l'abri est total. Nous arrivons en limite de la marée descendante, le marnage est de 2 mètres. Que de chemin, pas seulement en milles, depuis Gibraltar !

 

Escale à Rabat

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16 août. Les parties anciennes comprennent trois quartiers entourés de murs d'enceinte : la kasbah des Oudayas sur la mer, la médina de Rabat au sud du fleuve, un peu visitée, et la médina de Salé au nord, pas du tout touristique. Autour, la ville moderne s'étend à perte de vue : tours, chantiers partout, circulation dense. Ambiance sonore "orientale"...

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Pendant deux jours nous sillonnons à pied les quartiers intéressants, en nous imprégnant des couleurs, des odeurs (variées !).

064Remparts de la kasbah des Oudayas

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066L'embouchure du Bouregreg

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La médina de Rabat

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La période du ramadan va nous poser une série de problèmes : beaucoup de magasins sont fermés, et tous les restaurants pendant la journée. Nous finissons par en trouver un, El Bahia sur la médina de Rabat, réputé par ce fait qu'il est ouvert même à midi. Ce doit être le seul à Rabat !

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071En plus on y mange bien

A midi, un seul serveur "volontaire" nous offre une carte réduite mais suffisante, en réclamant courtoisement 10% de supplément pour ce service : parfaitement légitime, et nous laisserons même volontiers un peu plus.

L'avitaillement est problématique. Il n'y a rien à proximité du port à part quelques conserves chez le shipchandler (pour le matériel bateau il n'a à peu près rien). On nous indique un supermarché assez loin : "Label Vie" (sic) de l'autre côté de la médina de Rabat. Il nous permet de nous fournir en fruits et légumes, pâtes, boissons, rares conserves. Horreur : aucun alcool, et nous n'avons plus de vin ! Les viandes proposées nous semblent hautement suspectes, pas besoin de s'offrir une dysenterie en pleine mer... Nous prenons ce que nous trouvons, complété par du pain frais. Pendant la prochaine traversée nous allons en quelque sorte faire, nous aussi, ramadan !

 

Rabat-La Graciosa - 474 nautiques


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18 août. La plus longue étape du parcours : quatre jours de mer pour atteindre l'extrémité nord de l'archipel des Canaries.

La météo est correcte : du portant avec vent constant de secteur nord, force 5 à 6 au début, 4 à la fin. Le secteur des Canaries est agité avec force 7 depuis le début de notre croisière. Ça devrait s'arranger pour notre arrivée.

En retraversant la zone côtière à la sortie de Rabat, nous voyons un tapis de casiers et filets, juste signalés par une bouteille en plastique à peu près invisible. Les barques de pêcheurs sont partout. Nous faisons le slalom entre tous ces obstacles - l'autre nuit, nous avions foncé dans le tas sans rien voir, hélice en marche qui plus est !

Dès les premières heures, nous avons 15 à 18 nœuds en travers, nous filons à 8 nœuds. Houle de nord-ouest progressivement croissante. Les 3/4 de l'équipage sont malades...

La nuit il faut ouvrir l'œil : des pêcheurs encore et encore, des cargos (destination Conakry, Dakar...), et, dernière friandise, des filets dérivants que nous avons longés pas vraiment loin. Tout cela ne va pas aider le développement de la plaisance ici...

19 août. Vent de nord 16 nœuds, houle 1,50 m, temps ensoleillé, température 26°C. Équipage malade à 50%. Des avaries : la manille du rail d'écoute casse une fois de plus. Je répare en songeant sérieusement à changer cette pièce, la seule qui reste, ou à peu près, de l'accastillage d'origine. Léger souci également réparé sur le circuit électrique : probablement un faux contact qui empêchait la recharge des batteries.

Le soir, le vent fraîchit jusqu'à 23 nœuds, les vagues atteignent et dépassent parfois 2 mètres. Après nouveau point météo, je modifie la route pour nous éloigner d'une zone de coup de vent sur Agadir. Au surf, le bateau trace plusieurs fois jusqu'à 13 nœuds ! Vu les fortes secousses, les repas sont réduits à leur plus simple expression : même assis on se tient difficilement et l'ouverture des équipets déclenche la chute de tout leur contenu dans un torrent de jurons plus ou moins sonores selon l'acteur du drame. Nous piochons dans un plat à même le sol, retour à une convivialité primitive... Pour la nuit, nous laissons travailler le pilote : à part quelques fortes embardées sur les plus grosses vagues, il mène le bateau sans état d'âme et les quarts sont tranquilles. Nous n'avons rencontré aucun bateau depuis 24 heures.

20 août. Temps gris, 27°C. La force du vent diminue lentement. Les deux ris sont largués et nous rattrapons la route au grand largue. Le bateau est beaucoup moins secoué et l'équipage reprend des couleurs.

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On peut de nouveau s'attabler pour les repas, au prix de quelques verres renversés sur les genoux.

On croise quelques rares cargos, et un grand voilier au moteur nous dépasse dans la nuit.

21 août. Temps couvert, 25.5°C. Vent poussif 8 à 9 nœuds.

072On hisse le spi

073Scènes de la vie ordinaire en navigation

Dans l'après-midi nous retrouvons un bon vent de 11-12 nœuds. Toujours sous spi, nous filons à 7 nœuds. La première terre est visible à 18 heures.

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L'île Alegranza, première des Canaries par le nord

Le vent se renforce à l'approche des îles : 14, 15 nœuds. Le spi est affalé et nous commençons à la nuit tombante à louvoyer entre les îles. A minuit pile nous sommes au sud de La Graciosa où est prévu notre mouillage. L'endroit est truffé de hauts fonds et de brisants, et il fait un noir d'encre. J'ai l'œil rivé au sondeur, au GPS et au radar, avec mes équipiers en éclaireurs à l'avant. L'ancre jetée dans la première crique, Bahia del Salado, rencontre du rocher et chasse immédiatement. Nous allons plus loin, à Playa Francesa, où se trouvent 3 ou 4 autres bateaux. Je stoppe à bonne distance de la côte par 10 mètres de fond. L'ancre tient bien sous 15 nœuds de vent. Avec une demi-journée d'avance sur la route prévue, nous sommes arrivés aux Canaries !

 

Escale à La Graciosa

22 août. Nous découvrons le décor au réveil : nous sommes au pied d'un volcan, trois autres cratères s'alignent au nord.

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Débarquement : l'annexe une fois de plus en service

La Graciosa est une petite île volcanique de 9 km x 3 km. Les quatre cratères s'élèvent au milieu de dunes de sable semées d'une maigre végétation épineuse. Des chemins de randonnée font le tour de l'île et l'ascension des volcans ; ils sont praticables à pied, en VTT ou en 4x4, dans une nature totalement sauvage, à l'écart du tourisme de masse qui sévit beaucoup aux Canaries. Les longues plages de sable fin sont quasi-désertes.

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A l'est, les hautes falaises de Lanzarote

Le tourisme familial est limité et se concentre sur le port, où le petit commerce local assure l'essentiel. Nombreuses navettes pour l'île de Lanzarote qui n'est séparée de La Graciosa que par un détroit d'1 km de large.

081Le port Caleta del Sebo

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Halte gastronomique

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Sur le port, la plage et le village de vacances

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Nous laissons à regret cette île si préservée, respirant la sérénité et les grands espaces malgré sa petite superficie.

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La Graciosa-Playa Blanca (Lanzarote) - 36 nautiques


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23 août. Temps très gris, nous levons l'ancre sous 15 nœuds de vent toujours nord-nord-est. Pour contourner l'île de Lanzarote, nous n'allons pas rééditer la galère de Majorque et nous prenons sous 1 ris la route directe au vent, c'est à dire la côte ouest.

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Après les hautes falaises un peu sinistres de la partie nord, on longe une chaîne volcanique où les cratères s'alignent au milieu de vastes champs de lave noire. Les coulées vont jusqu'à la mer. Aucune végétation dans cette désolation, on aperçoit quelques pistes et de rares villages isolés.

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En tournant l'extrémité sud, le vent fraîchit jusqu'à 22 nœuds. Nous prenons un deuxième ris. Les creux dépassent 2 mètres et nous offrent quelques départs au lof. Nous filons entre 7 et 8 nœuds et arrivons après 6 petites heures de navigation à Playa Blanca, à l'extrémité sud de Lazarote.

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Nous entrons dans Marina Rubicon, port de plaisance de grand standing et très touristique. Entretemps, le ciel s'est éclairci et la température monte rapidement à 29°C juste pour notre entrée au port.

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Après accueil à la capitainerie par une affolante créature (les mâles de l'équipage étaient tout retournés !), nous relâchons pour une nuit avant notre dernière étape.

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Playa Blanca-Pasito Blanco (Gran Canaria) - 118 nautiques

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24 août. L'ultime étape !

Quelques émotions dès le départ : nous prévoyions une survente au passage de la Punta Pechiguera, au sud de Lanzarote, mais elle a été particulièrement violente : de 5 à 16 nœuds en quelques secondes, puis 22 nœuds la minute suivante. Nous prenons un puis deux ris, secoués dans des creux de 2 mètres. La 2ème bosse de ris n'a rien trouvé de mieux que de se coincer, nécessitant des acrobaties de Denis en bout de bôme. En quelques minutes le bateau est stabilisé et nous filons à 8 nœuds. Il y a une longue houle qui nous fait embarder de temps en temps. Temps nuageux, assez frais.

Comme pour Lanzarote la veille, nous suivons de loin la côte ouest de Fuerteventura : même style de chaîne volcanique qui disparaît bientôt à l'horizon.

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Le vent est stable à 20 nœuds, nous tenons 7 nœuds de moyenne, tout va bien...

25 août. 1h30 du matin : Denis est de quart, le sommeil me fuit un peu et le bateau s'agite. Je monte le rejoindre. Toute la côte de Gran Canaria est illuminée et la pleine lune a fini par avoir raison des nuages : magnifique spectacle !

Nous suivons les évolutions d'un cargo qui a déclenché une alerte de collision à l'AIS, mais il croise à plus d'un mille devant nous.

Selon le dernier point météo, il y aura un fraîchissement du vent sur notre route entre les îles : 24 nœuds sont prévus. Cette prévision tient compte apparemment des reliefs, jusqu'ici nous n'avons pas eu de surprise. Oui mais c'est différent : ce sont nos dernières heures, il nous faut un souvenir inoubliable...

En effet, dans la zone concernée, les 24 nœuds sont atteints. Mais la barre est vraiment dure, le pilote n'arrive plus à contrer les autolofées : pour la première fois nous allons mettre le 3ème ris.

Tiens, 26 nœuds de vent, 3 mètres de creux... Teles commence une série de surfs en dépassant allègrement 10 et même 11 nœuds. Mais ça continue : 28, 29 nœuds de vent. A la barre, tout change : malgré la vitesse du bateau à plus de 9 nœuds, on sent un souffle puissant par l'arrière. Le bateau va aussi vite que les vagues, d'où des surfs prolongés comme s'il volait. L'eau n'adhère plus au safran qui devient très lâche. L'ordinateur enregistre jusqu'à 32 nœuds de vent apparent (on a donc tâté du force 8 réel : 36, 38 nœuds peut-être), et jusqu'à 14,5 nœuds de vitesse fond ! Cette course durera plus de 2 heures. Du stress et des sensations fortes, en tout cas du jamais vécu par Teles jusqu'ici.

Une fois arrivés au sud de l'île, l'énorme relief de Gran Canaria nous dévente complètement et le vent tombe brusquement à moins de 5 nœuds. Nous en sommes réduits à terminer au moteur pour les 6 milles qui restent.

Entrée nocturne dans le port de Pasito Blanco. Ce n'est pas reluisant : installations vieillottes, amarrage sur pendilles malgré la marée (2 m de marnage moyen). Nous prenons un amarrage provisoire à la station carburant.

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A 8 heures la capitainerie nous indique notre emplacement définitif, entre deux bateaux hors d'âge qui ne doivent pas sortir souvent. J'aurais rêvé mieux pour mon fier Teles qui nous a si bien menés sur ce parcours exceptionnel. J'espère qu'il sera ici en sécurité jusqu'en décembre.

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Quelques chiffres :

Distance parcourue : 1728 nautiques, soit 3200 km.
Nombre de jours en navigation : 20.
Nombre de nuits en mer : 12.
Consommations : gazole 215 l, méthanol (pour la pile à combustible) 25 l.

Lien utile :

Réservation de mouillage aux Baléares : Balearslifeposidonia

Merci à Denis pour ses contributions en photos.

A suivre ici

Emplacement

Bon il ne me reste plus qu'a consoler le capitaine qui va être très triste si loin de son bateau . Enfin un job a ma mesure.

Waouh !!!! Quelle traversée ... renversant ... comme si on y était !!! Bravo aux loups de mer et bravo aux photos et commentaires qui nous ont tenus en haleine. Amitiés Roland et Thuan

Super la navigation. Je m'interesse au Duogen. Quel bilan peux tu faire de ce matériel et quelle pièces de rechange sont nécessaires. Bonne continuation Pascal

Pour Olivier Trouvé : Bravo! Que votre projet et rêve se passent dans les meilleures conditions. Merci pour ce récit et ces belles photos. Amicales pensées. Catherine "En souvenir de Chrysalide"

Bravo & merci Capitaine pour ces récits toujours aussi éloquents ! (je ronge mon frein, d'autant qu'après les tests d'effort mon cardio me préconise de consulter vers Décembre !) Bien à vous, edouard

Bonjour, et bravo pour votre périple et les renseignements de ce blog Pouvez vous me conseiller sur le port de Pasito Blanco ... tarifs, comment réserver, etc ... ? Merci Michel MASIERI Bretagne 06 09 25 82 79

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