Capitaine sauveteur - Jean Bulot - Editions des Ragosses

Capitaine sauveteur - Jean Bulot - Editions des Ragosses

Posté par : LIVRES DE MER
26 Novembre 2013 à 12h
Dernière mise à jour 02 Décembre 2016 à 12h
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Les marins de plaisance ne connaissent pas toujours très bien la diversité des métiers de la mer. Celui de capitaine de remorqueur de haute mer est à l’inverse de la pratique du plaisancier : quand le vent dépasse force 8 et que la mer d’Iroise hésite entre très grosse et énorme, le remorqueur de haute mer va se poster au large alors que les voiliers ont déjà regagné d’urgence leur ponton préféré. Comment un enfant de l’île d’Arz, fils de capitaine au long cours mais se reconnaissant plutôt parmi les cancres au collège des jésuites de Vannes, est-il devenu le commandant de l’Abeille Flandre en gravissant tous les échelons de la marine marchande ? Maintenant retraité, il s’est trouvé une passion pour l’écriture et il faut reconnaître qu’il a, comme on dit, une belle plume.

Ce livre se lit comme une BD, dont il a le format et la concision. Se lit ou plutôt se dévore, au rythme des récits de sauvetage qui sont écrits avec la sobriété d'un journal de bord, ou la discrétion d'un breton taiseux, c'est tout comme. Au lecteur époustouflé par les exploits surhumains évoqués en quelques paragraphes, d'imaginer le détail et la somme des performances individuelles et collectives : la compétence et l'habileté, les risques pris et la résistance, le courage et l'audace, à chaque pas de l'action, quand le moindre loupé peut causer immédiatement une catastrophe vitale. Chaque intervention montre la maîtrise extraordinaire que possède Jean Bulot dans la conduite des opérations, son sang froid qui lui permet d’anticiper les réactions tant des hommes que des navires en perdition. Son livre décrit d’abord le début de carrière comme pilotin sur un liberty ship puis assez rapidement comme lieutenant puis capitaine dans la compagnie de remorquage bien connue des Abeilles. S’enchaînent alors ce que le marin ordinaire considérerait comme des exploits et qui n’ont été pour lui et son équipage que du travail bien fait.

Le livre commence comme un album souvenir qui permet à Jean Bulot de se situer dans sa lignée de marins de l'île d'Arz. C'est dans cette seule partie que l'on trouve des portraits brièvement tracés, quelques photos de personnes, et des traces d'introspection. Pour le reste de l'ouvrage, les images sont là pour le souvenir et l'illustration dramatique, plus que pour la qualité technique et artistique. Les acteurs, héros au quotidien, ne sont qu'évoqués, collectivement, dans un hommage (d'une sobriété toute militaire cette fois) du commandant à ses hommes, dont il nous dit simplement qu'ils sont à la hauteur de leur mission - et tout est dit.

Chaque récit prend le lecteur aux tripes et le laisse admiratif devant l’engagement total de ce grand commandant des remorqueurs de haute mer. Quelques « incidents » décrits dans ce livre font froid dans le dos : comment un capitaine de cargo danois en détresse peut-il, avec les instruments modernes, se tromper sur sa position ? Comment un navire secouru peut-il larguer son remorqueur dés qu’il est sorti du danger pour ne pas avoir à payer la facture ? Comment des vagues très fortes peuvent-elles couper en deux un pétrolier chargé de 27000 tonnes de fuel lourd ? Comment un porte-container peut-il s’échouer à Sein en se croyant à Ouessant ? Comment un cargo (sans pilote ?) peut-il aborder une barge remorquée sur le « rail » en mer du Nord avant de passer sur la remorque ? Quelle est la responsabilité du capitaine, de l’armateur, de l’assureur… dans nombre de « fortunes de mer », et l’on pense bien sûr à l’Amoco Cadiz refusant les secours?

Certains sauvetages font pourtant rêver à des contes de fées, telle l’histoire de ce marin malgache du Tanio dont le premier épisode est décrit dans le livre ; dans son navire coupé en deux que remorquera Jean Bulot, il sera hélitreuillé et rapatrié sain et sauf sur Brest comme tout l’équipage. Quelques années plus tard (et cette belle histoire a échappé au livre de Bulot), ce même matelot malgache se trouvait dans les mers australes sur le Marion Dufresne lorsqu’il participa au sauvetage de l’équipage d’un hélicoptère de la marine, piloté par celui-là même qui l’avait sauvé de l’épave du Tanio.

Un très beau livre de mer, qui donne à réfléchir tant sur la force de l’océan que sur le courage et l’expérience des équipages de sauvetage, à opposer hélas à l’incompétence et l’irresponsabilité de quelques-uns. Les photos sont impressionnantes et, si certaines peuvent paraître un peu floues, il suffit de s’imaginer, appareil à la main, en train de tenter de faire « la » photo entre deux vagues de plus de 10m de haut sur un navire roulant bord sur bord !

Jean-Michel Sautter, Jacques Rey et Jacques de Certaines pour la commission des Livres de Mer
 

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