TRANS-PACIFIQUE 1/3. Le pot au noir

Quel bonheur de naviguer!
Et quand tous les instruments et appareils fonctionnent si bien, de se consacrer à la voile!
Donc 2ème départ!
Nous sommes mi-avril, sans fenêtre correcte portante vers le Sud, dans la quinzaine à venir. Nous « y allons » quand même car il n’est pas recommandé de traîner dans le Pacifique-Est à partir de fin mai/début juin.
Et le pot au noir nous accueille!
La zone de convergence des alizés de l’hémisphère Nord et de ceux l’hémisphère Sud est remontée bien au dessus de l’équateur, pratiquement jusqu’à l’entrée du golfe de Panama.
Débouchant de l’isthme panaméen (entre les 2 océans) quelques piètres alizés de l’Atlantique poussent quand même Croix du Sud des 9èmes jusqu’aux 6èmes parallèles, 200 NM (Nautical Miles, environ 400 km)
Après, soit 36 heures après notre départ notre catamaran rencontre 8- 10 noeuds de sud, donc de face. Ce sont quelques alizés de l’hémisphère Sud redressés en vent du Sud par la côte de l’Amérique du Sud. Nous préfèrerions qu’ils reprennent leur direction naturelle d’Est en Ouest!
Comme notre cap est le Sud/Sud-Ouest (au 220°) Nous « faisons avec » alternant du louvoyage et du moteur.
Une atmosphère fascinante !
Cette météo équatoriale avec ses alternances d’atmosphère laiteuse ou sombre se révèle fascinante.
Au mieux laiteuse, parce que le soleil ou la lune y sont voilés, au pire sombre « comme l’intérieur-d’un-pot-de- suie » tellement la couche nuageuse est épaisse.
L’immobilité ambiante est traversée ponctuellement de masses noires chargées de vent puissants et de pluies chaudes « les grains ».
Le grain, de jour, se voit de loin. Sous un immense nuage bien sombre, des raies de pluie frappent la mer l’ourlant d’une barre noire. Nous apprenons: Quand cette barre devient nette, le grain est à 5-6 NM. Il est temps d’agir.
Une semaine physique
C’est moi , capelée, qui vais au pied de mât pour réduire la voilure.
Patrick, capelé aussi, ajuste le cap au mieux pour que les voiles se prêtent à la manœuvre. Il surveille notamment l’arrière de la bôme où les cordages (les 3 bosses de ris et la balancine) peuvent se prendre quelque part ou coincer . Et va les décoincer si besoin.
Les grains rythmèrent notre vie pendant cette semaine pascale. Réduire 1 ris, 2 ris, 3 ris, voir souvent réduire à sec de toile, puis en sens inverse, renvoyer avec le retour de la pétole … Recommencer avec la menace d’un nouveau grain. Ces entraînements « décrassèrent » après des semaines d’inactivité sportive et nourrirent mon besoin de sécurité.
De plus, l’entraînement fut plaisant parce que « par mer plate ».
Précieux radar
Le radar neuf Quantum Raymarine acquis avant le départ détecte les grains avec activité électrique, leur direction et leur vitesse stupéfiante à l’intérieur de la spirale de vent qui peut passer de 10 noeuds à plusieurs dizaines.(120noeuds) bref, se comporter comme des mini et très brefs cyclones.
Nous ajustons notre direction pour l’éviter.
Selon sa force intérieure nous réduisons ou affalons « à sec de toile »
Grâce au radar, seuls 2 grains nous ont rattrapé un à 35 noeuds, l’autre avec un vent négligeable.
Comme la nuit le contrôle visuel est quasi impossible dans ce pot-plein-de-suie, nous avons fait une nuit « à sec de toile » et une autre avec 3 ris, pendant les 72 heures critiques.
Le fait que la mer reste peu agitée est un vrai réconfort physique et moral.
La faune
Les oiseaux sont nombreux plus variés que lors de notre transatlantique.
Je regrette de ne pouvoir tous les nommer je les admire quand ils planent en couple ou en groupe et surtout en remontant face au vent.
Parfois un petit fatigué vient se mettre à l’abri à bord en choisissant soigneusement l’endroit d’où il pourra nous surveiller du coin de l’œil Là, il sèche consciencieusement son plumage.
Un seul poisson volant a fini sa vie dans les marches du cockpit, un gros; Ça salit bien! Des petits calamars aussi sur les trampolines.
Les dauphins sont présents évidemment, un enchantement, une vraie présence joueuse qui fait chaud au cœur.
Le décompte de la latitude et l’île de Malpelo
C’est la première fois que les chiffres abscons du GPS m’intéressent autant; sans doute le challenge du passage de l’équateur!
Pour être bref partant du Panama, nous avions à finir de descendre les 9èmes parallèles (8°30, 8°29…8°00) puis descendre les 8èmes (7°59, 7°58…7°00), …
Nous achevâmes les 4èmes parallèles à proximité de l’île de Malpelo, haut lieu de la plongée sous-marine et de la recherche scientifique.
Ce petit cailloux volcanique de 3,5 km2 ( et ses 11 rochers) est le centre de la 9ème zone sous-marine protégée au monde 8757km2. Haut de 320m, en dessous 4000m.
Situé à 379 km de la côte colombienne, la marine nationale colombienne veille en permanence: seuls les scientifiques et les plongeurs confirmés y ont accès. Pas moins de 8 courants balayent ses eaux.
Faune et flore sous-marine y sont particulièrement riches comme ses « voisines » l’ île Cocos costaricienne et les îles Galápagos équatoriennes.
Passage de l’équateur à 20H44, le dimanche de Pâques
Pour la première fois de notre vie, nous entrâmes en naviguant dans l’Hémisphère sud!
L’Instant du franchissement de la plus grande circonférence de notre planète bleue est fugace si l’on s’en tient aux chiffres qui défilent sur le cadran du GPS.
Pour forcer le trait, au propre et au figuré, de multiples petits rituels d’adoubement sympathiques fleurissent donc sur les bateaux (flibustiers déguisés ou non) pour invoquer la clémence du Neptune romain et du Poséidon grec dans ces (ses) eaux.
Pour la circonstance nous ouvrîmes une bonne bouteille dès le coucher du soleil… et la partageâmes (un peu) avec les divinités « sus-évoquées » à l’heure dite.
Après quelques verres, et puisque la terre tourne sur son axe à 300km/heures, l’occasion fut toute trouvée d’évoquer la vitesse de Croix du Sud à l’équateur : 1600 km/heures soit 40 000 km2 par jour (que nous n’avions pas remarquée bien sûr !)
Pour vous en France métropolitaine elle n’est que de 1100 km/ heure. « C’est pour cela qu’on y court tout le temps! » dit Patrick.
Notre rythme se cale progressivement
A cette latitude (12 heures de jour, 12 heures de nuit), le soleil se couche à 18H et se lève à 6H.
Le plus souvent, je dors (5h) de 20H à 1H du mat et Patrick (5h) dort de 1H à 6H. Mais l’amour fait que nous allongeons les plages de sommeil si besoin.
Avant et après ces quarts de nuit 2 inspections minutieuse du bateau, voiles, gréements pour corriger ajuster, améliorer de-ci delà, éviter usure et ragage.
Ainsi de 18H à 20H nous changeons la voilure de jour pour celle de nuit, savourons le brumeux coucher du soleil (quand il existe) dînons lavons et rangeons la vaisselle bien calée (au-cas-où), vérifions la météo (Starlink) et les options.
Le matin, de 6 à 8, c’est l’inverse.
Nous augmentons la surface de la grand voile en larguant le ou les ris. (Il y en a 3: bleuN°1, blancN°2, rougeN°3).
A l’avant, quand l’angle du vent le permet (le permettra car nous sommes encore au près!) nous remplaçons les 39m2 de foc auto vireur par les 110 m2 de gennaker.
A deux, en amoureux
Comme vous l’avez compris, nous naviguons en amoureux, comme pour notre transatlantique.
Notre équipier breton n’a pas souhaité continuer. C’est la vie de marin: autour de nous les équipages se font et se défont. La proximité, dans un espace aussi restreint, et les exigences ne souffrent pas de compromis.
Domi, notre correspondant à terre (que nous remercions encore et toujours de sa veille attentive) résume les 3 causes classiques des débarquements « Humeur incompatible? Réalité dépassant le rêve? Imprévu de dernière heure? » Nous lui avons répondu « nous votons pour les 2 premiers en ballottage ».
Une autre temporalité
Ce fut l’occasion d’affiner notre réflexion. Nous réalisons la différence d’esprit entre le grand voyage où la « protection » du bateau (notre chez nous)est omniprésente et l’« utilisation » du bateau pour réaliser un »projet-rêve » comme une transAtlantique ou une transPacifique.
A côté de nous, une équipière efficace vient également de débarquer: le catamaran doit être immobilisé pour travaux non prévus. Malgré la bonne entente avec les propriétaires, elle cherche un nouvel embarquement pour Tahiti.
Très rares sont les équipiers qui transforment leur rêve en participation aux réparations, ce que les propriétaires comprennent très bien. Jean-Claude (ami de longue date) notre équipier du départ de Port saint Louis du Rhône l’avait fait quand nous avons eu notre avarie en novembre 21 jusqu’au printemps 22; nous devions le déposer au Cap Vert pour Noël…
Ces 3 premières années Croix du Sud, catamaran d’occasion, fut pour nous une école de renoncement des destinations rêvées, le temps de changer ce qui ne pouvait être réparé. Nous avons découvert les fruits d’une autre temporalité.
C’est dire combien nous savourons ces premiers jours de voile de notre 2ème départ où tout fonctionne à la perfection et combien nous prenons soin de notre trésor.
Voilà chers amis nos premiers 10 jours. 1200 NM effectués sur 3900 théoriques environ (2400km/ 8000km)Les seniors des Flots à bord de Croix du Sud vous embrassent du Pacifique.
Prochaine étape: Avec les alizés de l’hémisphère sud. Ce sera le fil conducteur de notre prochain billet: Trans-Pacifique 2/3
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