C'est parti !
Le « grand départ » ?
Nous sommes donc restés « vissés » à Morgat le temps de prendre un repos réparateur, de laisser passer une belle dépression et d’apercevoir sympathiquement un cousin et son fils, habitués des lieux. Mais cependant nous rongeons notre frein, et renouveler chaque jour notre place au port sans pouvoir indiquer de date de départ est un peu déprimant. Mais il est sage d’attendre que le temps s’améliore et que la forte houle s’apaise dans le Golfe de Gascogne.
Car nous avons pour projet de traverser directement vers Gijón au départ de Morgat : une étape préalable à Audierne aurait été bienvenue, mais d’une part il n’est pas simple de passer le Raz de Sein et de rejoindre Audierne durant la même marée, et d’autre part nous ne sommes pas prêts à la seule période favorable (juste avant le passage de la perturbation). L’anticyclone devant s’étendre ensuite sur le Golfe, nous voulons éviter les calmes qui s'annoncent sur la seconde moitié du parcours, au nord des côtes Espagnoles.
Aussi, la météo et la houle prévue allant s’adoucissant, le baromètre remontant, nous décidons de partir, sachant que ce ne serait encore pas par un « temps de demoiselles ». Nous larguons donc, un peu inquiets tout de même. Séquence émotion.
Et, à la mi-journée c’est le départ (Pointe du Kador), immortalisé par Jean-Pierre, venu larguer nos amarres.
Belle rencontre : le Belem sous voiles arrive à Morgat lorsque nous en partons
Du vent dans les voiles
Voilà, nous y sommes. Sous deux ris (dans la grand voile) et trinquette (petite voile d’avant), par une bonne vingtaine de nœuds, nous nous dégageons de l’abri du Cap de la Chèvre et tirons des bords contre le flot (courant de marée montante) pour arriver au Raz de Sein en début de jusant (marée descendante) et de jour.
Contrairement aux prévisions le vent, toujours d’ouest, forcit à 25 puis 30 nœuds. La mer est agitée, mais Petrel se comporte remarquablement bien. Il faut dire que nous n’affrontons pas une mer croisée et qu’elle reste assez organisée. Il serait cependant exagéré de dire que la vie à bord est confortable : les mouvements du bateaux, qui ne « tape » cependant pas du tout, sont assez brutaux et la gite importante. En outre Christine lutte contre un mal de mer tenace.
Le Raz de Sein passé nous devrions trouver du répit, une houle plus ample au large, et voir le vent se calmer progressivement.
Et le voilà, ce Raz de Sein que nous avons toujours passé par beau temps jusqu’ici. Nous nous y engageons, toujours au près, par 25 à 30 nœuds, toujours sous deux ris car Petrel a besoin de puissance. Un autre voilier passe aussi, arrivant du Nord, ainsi qu’une frégate de la Marine.
Et puis - merci M. Murphy pour votre loi - alors que, courant aidant, nous arrivons à tirer un bord au ras de la Vieille, un grain nous envoie 40 nœuds de vent. Surtoilé, Petrel encaisse cependant, ainsi que le pilote qui fait un travail remarquable, sans départ au lof trop prononcé. Il n’est pas possible d’envisager de prendre le troisième ris ici, au vent des cailloux. Les quelques dizaines de minutes nécessaires pour se dégager du Raz et laisser le grain s’éloigner seront longues. Mais sans bobo d’aucune sorte … à part le mal de mer qui annihile Christine.
Ou l’on évoque le bassin du Luxembourg
A nous le Golfe de Gascogne ! Cap au sud, vent et houle de travers.
La nuit s’installe. Et nous essayons de dormir un peu à tour de rôle. J’arrive à dormir une ou deux heures, par deux fois au cours de ces 36 heures. Christine moins, mais elle arrive courageusement à assurer la veille pendant que je dors. Au petit matin nous traversons une flottille de pêche espagnole, premiers bateaux rencontrés depuis pas mal de temps. Nous nous sentons moins isolés mais obligés de veiller très attentivement. Comme par deux fois le niveau des batteries a baissé jusqu’au seuil d’alerte (le pilote consomme), nous avons dû démarrer le moteur durant une heure pour les recharger. L’éolienne, au moins, nous manque.
Connaissez-vous l’histoire – que mon grand-père m’a raconté enfant – de l’homme qui avait parié de traverser pieds nus le grand bassin gelé du Luxembourg, à Paris ? Il s’est élancé et, arrivé au milieu, a fait demi-tour en disant : « c’est trop froid, je renonce ». Eh bien, quand nous avons décidé – à un tiers du parcours environ – de mettre le cap sur Belle-Île, j’ai pensé à mon grand-père…
Mais la décision était sage : le vent ne faiblissait pas, la houle restait forte : 4 mètres peut-être, Christine « voulait descendre, que l’on s’arrête », je commençais à cruellement manquer de sommeil et à me faire mal (chute dans le cockpit), et le manque d’électricité posait problème.
Nos mettrons une quinzaine d’heure à rejoindre Sauzon, au mouillage. Soulagés, mais un peu déçus tout de même.
Relâche
Nous y passerons deux nuits, récupérons un peu, puis passerons deux autres nuits au mouillage dans l’anse de Herlin, derrière la pointe de Grand Village. C’est un peu le paradis et enfin un peu de vacances…
Réflexion faite, il nous semble idiot de garder notre nouvelle éolienne dans un carton faute de support rehaussé. Mais pour agir, de nos jours, il faut du réseau téléphonique. Pour capter la météo aussi, d’ailleurs. Et cela fait plusieurs jours que nous n’en avons pratiquement pas (un tout petit peu, à terre à Sauzon). Donc direction Le Palais où nous nous amarrerons quelques heures à un coffre devant la petite plage de Ramonette, par mer plate et juste ce qu’il faut comme vent, pour identifier un soudeur disponible. Après recherche ce sera au Crouesty, dès le lendemain. Nous mettons donc à la voile et au terme d’une encore bien jolie navigation nous entrons dans cet immense parking.
Le point de vue de Christine :
Bien, résumons.
Après quelques semaines à Roscoff dans un froid hivernal pour compléter et finaliser quelques travaux.
Après attente du beau temps qui ne vient pas.
Après avoir compris que les britanniques, sous prétexte de Covid, ne voulaient pas de nous (envoi de mails aux Scilly et à Portsmouth, prise d’informations diverses, pour finir par un avis comme quoi les Européens et les Américains sont à nouveau acceptés à entrer sur le territoire grand breton… sauf les Français), nous changeons notre fusil d’épaule et décidons de partir au sud, direction l’Espagne.
Quelques stops charmants jusqu’à Morgat, où là encore nous attendons une éclaircie qui se fait attendre.
Plus vaillants ou plus fous que les autres qui resteront tous au port ce jour-là, nous décidons de décoller à l’occasion d’une petite amélioration météo qui devrait durer quelques jours et nous permettre de descendre d’une traite, mais qui arrive juste après un coup de vent.
Nous partons donc le 7 août à 12h30 pour passage du Raz de Sein et route vers l’Espagne en 4 jours et nuits théoriques.
Baie de Douarnenez : beau temps, houle moyenne environ 1m50, vent à 20/25 nœuds. Nous sortons sous trinquette et 2 ris dans la grand’voile, de façon très convenable.
Nous arrivons enfin au Raz de Sein par 25/30 nœuds de vent, toujours sous même configuration. Je commence à mal supporter la houle qui grossit (3-4 m).
Et là, juste lorsque nous sommes à côté de La Vieille, dehors face aux instruments, je vois l’anémomètre grimper à 30, 32, 35, 38 puis afficher 40 nœuds.
La rafale durera environ 10 minutes pour redescendre à 28-30 nœuds puis un peu moins.
Nous sommes lancés, mais hélas je suis pour la première fois de ma vie, malade du mal de mer.
Yves prétend que le mal de mer a pour origine l’un des 4 F : fatigue, faim, froid, frousse. Ou plusieurs cumulés.
Avec le recul, il me parait évident que la frousse au Raz de Sein cumulée avec la mer forte qui ne va plus lâcher pendant 24 h et m’empêche d’assurer un minimum de cuisine et de prendre un minimum de repos auront eu raison de cette capacité jusque-là jamais démentie à ne pas être malade.
On fera une très belle navigation pendant 24 heures à 25-28 nœuds qui nous amènera à environ le tiers du parcours. Nous serions donc arrivés plus vite que prévu.
Mais Yves, qui s’est fait mal au dos, ne peut clairement pas assurer 3 jours et 3 nuits tout seul, même si j’arrive à assurer quelques quarts pour lui permettre de se reposer. Trop de houle et de vagues. A quoi se rajoute le problème que nous craignions et qui se confirme : notre installation électrique actuelle ne tient pas la nuit avec le pilote. Les batteries se vident et il faut mettre du moteur pour les recharger.
Tout ça cumulé, nous décidons de faire un quasi demi-tour direction Belle-Ile pour nous arrêter, récupérer et réfléchir à l’organisation de la suite.
Entre-temps, c’est-à-dire déjà à Morgat, puis à Belle-Ile, nous découvrons qu’une bande d’orques s’amusent à effrayer les navigateurs qui se rendent en Espagne : petites poussées sur l’arrière des bateaux, grignotage des gouvernails, de telle sorte que nous apprenons que le maire de La Corogne a décidé d’interdire la navigation aux petits bateaux de plaisance jusqu’à nouvel ordre, pour « la sauvegarde des orques » et la sécurité des marins.
Le destin nous enverrait-il des messages et si oui lesquels ?
En tout cas, cette première tentative de traversée un peu longue aura été pleine d’enseignements et Petrel s’est vraiment bien comporté !
A suivre…
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