Gambie - deuxième partie

Gambie - deuxième partie

Posté par : Tanguy
30 Junio 2014 à 02h
Última actualización 31 Diciembre 2014 à 12h
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Après notre séjour dans les environs de Banjul, nous entamons notre remontée du fleuve, et faisons une première étape à James Island, une île plantée en son milieu sur laquelle trônent, au milieu de quelques baobabs, les ruines d'un fort construit par les esclavagistes pour protéger leur commerce et entasser le bois d'ébène avant son départ vers le nouveau monde. Si le lieu est intéressant pour la place qu'il tient dans l'histoire du pays et de l'humanité, c'est, le soir venu et une fois les touristes partis, l'arrivée d'innombrables pélicans et autres grandes aigrettes sur fond de soleil couchant qui fait de ce lieu un endroit magique, et un peu oublier la noirceur de son passé.


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Cap ensuite sur un bolong en face du village de Kemoto. Deux jours à se promener en annexe au milieu d'une nature luxuriante et à jouer autour du bateau. Pas encore d'hippopotame, mais quelques traces de crocodiles et des tas crabes avec une drôle de grande pince blanche. Et puis surtout il y a les oiseaux, bien trop nombreux pour les nommer tous. Quel changement par rapport au Cap-Vert! On ne sait pas où donner de la tête! Des pélicans volent en escadrille au ras de l'eau, comme des canadairs prêts à écoper, avant d'effectuer une brève ressource et d'atteindre la branche de palétuvier sur laquelle ils passeront la nuit. Des vautours nous survolent, haut dans le ciel, tournoyant lentement pour profiter des ascendances, parfois à plusieurs dizaines d'individus. Aigrettes, martins pêcheurs, cormorans, oiseaux-serpent, ibis, hérons, vautours, aigles et autres milans se succèdent autour et au-dessus de nous, nous offrant un spectacle sans cesse renouvelé, tant pour les yeux que pour les oreilles. Face à tant de variété et de couleurs, il est difficile de ne pas se sentir l'âme d'un ornithologue, et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous parcourons le guide acheté à Fajara.

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Nous nous arrêtons ensuite à Kemoto, juste en face, nous ne pouvions pas ne pas nous y arrêter. Quel accueil! Nous y resterons près d'une semaine, durant laquelle nous avons visité l'école, soigné quelques bobos, essayé de réparer l'unique pompe à eau du village en panne depuis bon nombre d'années, joué et nagé avec les enfants, cuisiné, dansé, fait de la musique et partagé de longs moments avec nos hôtes à l'ombre des manguiers ployant sous le poids des fruits. Des mangues sucrées gorgées de soleil, en veux-tu? Eh bien en voilà … après crumbles, compotes, confitures, salades, nous voilà rassurés quant à notre apport en fibres et vitamines. Assez étonnamment, les Gambiens ne les mangent que telles quelles: aucune transformation n'est opérée avec les fruits qui ne sont pas consommés frais, ils sont laissés au babouins. Dommage car il y a de quoi faire. Sans compter les crevettes qui servent également de monnaie d'échange pour services rendus.

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Le village ayant eu le mauvais goût de ne pas voter pour le bon candidat il y a deux élections présidentielles, il est un des rares à ne pas disposer de robinet d'eau douce. Dur, dur, parce que contrairement à presque toutes les autres agglomérations de Gambie, dans lesquels il suffit de creuser un peu pour trouver la nappe phréatique et donc de l'eau douce à volonté, ici, c'est de l'eau salée qu'on puise. Pour pouvoir se ravitailler en eau potable, les villageois doivent donc quitter le village pour se rendre à un puits, à une quinzaine de minutes à pied. Il est situé au milieu d'un grand potager où des rangs d'oignons, tomates et d'aubergines sont cultivés en rangs serrés à l'ombre des anacardiers. Au sujet du frais, fin de la saison sèche oblige, les légumes et fruits dans les villages deviennent rares, sauf les mangues dont c'est la saison; nous accommodons donc oignons, chou blanc, aubergines, tomates et pommes de terre – on ne trouve quasiment rien d'autre – comme nous le pouvons. Pour étancher notre soif, nous avons découvert le jus de bissap, un jus de fleurs rouges délicieux et très rafraîchissant.

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Au fur et à mesure que nous remontons la rivière, le paysage change, l'eau salée faisant place à de l'eau saumâtre, puis douce. La végétation des berges évolue, tout comme la topologie des lieux. La mangrove fait peu à peu place aux roseaux et aux rizières, les baobabs se rapprochent de l'eau, les palmiers se font plus nombreux. La plaine alluviale du début montre de plus en plus de relief, et des collines rouges surplombent le rideau de flore luxuriante qui nous cache la savane ou les forêts de l'arrière-pays.

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Passer par la rivière a le grand avantage de nous offrir de l'eau douce à volonté! Même si, contrairement aux locaux, on préfère ne pas la boire, elle permet de rincer enfin un bateau qui n'a vu que de l'eau de mer depuis les Canaries. On a pu donner un grand coup sur le pont, rincer annexe, cordages, fonds, moteurs et voiles, on voit de nouveau au travers des hublots, et, bonheur suprême, on se sent vraiment propre après s'être baigné dans le jaccuzi naturel créé par le courant à l'arrière du bateau.

Par contre, remonter le fleuve a aussi ses désavantages. Au fur et à mesure que nous avançons, la température en journée et début de nuit augmente, au point de devenir handicapante. Nous limitons nos sorties à terre au début de la matinée et au début de la soirée. A partir de midi, tout ce qui est exposé au soleil est brûlant. Que ce soit le sable, la vase séchée, le pont, l'annexe, le teck ou les coussins du cockpit, il n'est plus possible d'y poser le pied nu. Les semelles des sandales se décollent, les joints en silicone faiblissent, même l'eau qui nous entoure et pourrait nous offrir un peu de fraîcheur est parfois tellement chaude que ce n'est que quand on en ressort, et pour autant qu'il y ait un peu de vent, qu'on peut enfin se rafraîchir. Heureusement le taud remplit son rôle, et en l'arrosant de temps à autres, on arrive à maintenir une atmosphère supportable. Les débuts de soirée sont suffocants. Le soleil n'est plus là, mais c'est la terre et le bateau qui restituent alors la chaleur emmagasinée toute la journée. Et la fabrication du pain, tous les trois-quatre jours n'aide pas... L'isolation du pont ne fait que retarder l'échéance, et ce n'est finalement qu'en milieu de nuit que la température revient à un niveau qui permet de dormir convenablement, mais ce sont alors les moustiques qui commencent leur sarabande autour des moustiquaires... En journée, la météo nous annonce 45 degrés. L'eau est à 36,5. Dans le bateau, ce n'est qu'après minuit qu'on repasse sous la barre des 37 degrés...

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Se succèdent Bird Island, Kau-Ur, Kuntaur, Baboon Island, des îles et villages avec rizières, singes et familles d'hippopotames que nous avons eu la chance de voir de près et d'entendre le soir tout près de nous. Les navigations se feront la plupart du temps à la voile, et au portant! On aura même l'occasion de gréer chacun des spis et de faire nos premières expériences avec le tangon. Surprise, le spi symétrique est beaucoup plus petit que prévu. En soi, c'est plutôt une bonne nouvelle, on hésitera moins à le gréer en mer. La navigation est plutôt facile, les haut-fonds sont rares et on a la plupart du temps plus de 5 m d'eau. Ce qui ne nous a pas empêchés de polir quelques fois le bas de la quille dans la vase...

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Après 3 semaines de remontée, nous arrivons à Janjanbureh. Nous ne pouvons pas aller plus loin, un câble électrique suspendu trop bas au-dessus du fleuve fait office de barrage. Le mât est sans doute trop haut, nous ne voulons pas aller vérifier. Janjanbureh, anciennement Georgetown et seconde ville de Gambie après Banjul est loin d'être plaisante… nous ne cessons pas d'être interpellés pour donner “Toubab, toubab, give me ...”... Comme d'ailleurs dans toutes les villes ou villages dans lesquelles le tourisme 'à la semaine' a fait des ravages. Un tourisme fait de voyageurs ignorants des réalités locales, donnant à tort et à travers aux enfants comme aux adultes, peut-être pour tenter de se défaire d'un sentiment de culpabilité sur lequel beaucoup de Gambiens savent très bien jouer. Le résultat est évident: à vivre d'aumônes, ceux-là n'ont appris qu'à demander. Et qui pourrait les blâmer? C'est tellement plus facile de recevoir un euro d'un étranger après avoir fait des yeux de chien battu pendant cinq minutes, que de fournir la demi-journée de travail nécessaire à le gagner... C'est aussi tellement facile, pour le touriste, de se soulager la conscience en donnant une somme pour lui dérisoire et qui pourtant signifie tant pour les Gambiens: le kilo de riz est à 60 cents, avec deux euros un adulte accède gratuitement au dispensaire pendant un an...

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Et là viennent les grands questionnements: faut-il donner? Comment aider? Faut-il aider? Est-ce que ça a du sens? Ici, personne n'a réellement faim, les plus démunis sont soutenus par la famille, à la fois filet de sécurité et boulet anesthésiant. Des besoins qui nous semblent essentiels ont l'air d'être accessoires. D'autres ont l'air d'être importants, mais le lien entre leur satisfaction et la nécessité de s'en donner les moyens n'est pas fait. Une espèce de fatalisme inhibe toute tentative de se créer une source de revenus réguliers. Des centaines, des milliers d'hectares de terre fertile sont laissé en jachère pendant la majorité de l'année, alors que l'eau nécessaire à leur irrigation est à quelques mètres de profondeur et que la main-d'oeuvre et les outils sont disponibles pour effectuer plusieurs récoltes par an! Mais ça nécessite de clôturer, de créer un système d'irrigation, de creuser des puits,... Les propriétaires, suffisamment nantis, n'y voient pas d'intérêt et se bornent à laisser les autres les cultiver exclusivement à la saison des pluies, ce qui évite tout travaux d'envergure. Rares sont ceux qui prennent l'initiative de vraiment développer leur bien. Pourtant tout pousse: des oignons au maïs, des anacardiers aux cucurbitacées, l'abondance du soleil et la disponibilité de l'eau font que les efforts des courageux sont presqu'immédiatement récompensés.

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Résultat des courses: les villageois cultivent un peu, pour couvrir leur propre consommation, rarement suffisamment pour vendre et dégager quelque revenu, les épiceries regorgent de produits importés, y compris de Belgique, comme des confitures ou des conserves de légumes, et nombre de Gambiens rêvent de rejoindre l'Europe via Lampedusa. Un comble pour un pays qui paraît si fertile! Les initiatives, y compris gouvernementales, visant à changer le cours des choses ne manquent pourtant pas, mais rien n'est plus difficile à faire évoluer que les mentalités... Quoi qu'il en soit, nous avons finalement décidé de ne plus rien donner. Ni argent, ni nourriture, ni vêtements, ni matériel – même scolaire – ni rien du tout. Par contre, nous n'hésitons pas à acheter tout ce qui est produit localement, légumes, fruits, djembés, éventails, vêtements... et nous prenons le temps d'expliquer les raisons de ce choix. Est-ce réellement compris? Bonne question.

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S'il est par contre un sujet qui ne fait pas polémique, c'est celui de la sécurité. A aucun moment nous n'avons ressenti quelque agressivité. Nous n'avons ni subi, ni entendu parler, d'aucun vol. Que ce soit à Banjul, à Lamin Lodge ou sur le fleuve, les habitants nous ont toujours reçus avec bonhommie, gentillesse, et ont toujours pris soin de nous et de nos affaires. Les renseignements intérieurs gambiens sont particulièrement efficaces, dit-on. Ceci pourrait expliquer cela...IMG_9113cor.JPGNous aurons aussi connu les septs plaies de Gambie: les invasions des abeilles, des mouchettes, des mouches, des moustiques, des taons, la chaleur étouffante et “les bumsters” … Qu'est-ce? Ou plutôt qui sont-ils? Des hommes entre 20 et 40 ans qui cherchent à gagner leur vie au dépens des toubabs en leur proposant de les guider, accompagner, faire visiter et plus si affinité mais toujours moyennant finances. Et ce n'est pas gratuit, ils n'ont pas peur d'annoncer des montants exorbitants à la fin de tout service rendu, même le fait d'ouvrir la porte du taxi peut être payant... Le savoir-vivre se monnaie cher. Les plus habiles écument les plages des hôtels de luxe, à la recherche d'un coeur occidental à prendre, dans l'espoir de pouvoir arriver en Europe par la grande porte.IMG_0279cor.JPGNous quittons donc la Gambie avec des sentiments très partagés: le soulagement de nous diriger vers des cieux plus frais, bien sûr, surtout que la saison des pluies débute – nous verrons notre première vraie averse depuis... Nazaré, au Portugal –, mais aussi l'immense satisfaction d'avoir découvert une réalité à laquelle rien, et surtout pas les clichés véhiculés en Europe, ne nous avait préparés, la frustration de beaucoup de questions restées sans réponse, notamment sur la nécessité et la pertinence d'une aide qui nous paraît indispensable mais dont il est difficile de définir les contours, l'étonnement quant à l'intensité de la pression que la communauté peut exercer sur ses membres, et l'enrichissement extraordinaire apporté par les contacts les plus profonds que nous ayons pu nouer jusqu'à présent avec une population locale. Ce séjour en Gambie restera un des moments forts de ce voyage.

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Ubicación

merci. Vous aurez vu un pays qui vous a frappé par la découverte de la vie africaine , et de la chaleur

Merci pour ce beau et tres ineressant reportage ! Et dire que vous avez supporte cette chaleur pendant plusieurs jours je vous admire , je n'aurais pu. Avotre place .... Et puis les mouches et les moustiques et tout et tout oh lala lala tres peu pour bibi!!!! Gros bisous a vous tous .

Superbe reportage, on se croirait dans Thalassa tellement le récit est fluide et intéressant... ça donne envie d'être avec vous...

Merci beaucoup de nous partager votre périple; je suis édifiée par la richesse du vocabulaire de l'auteur; et que devenez-vous? je me demande car n'ai pas encore rencontré Anne Sophie et les enfants. De toute manière je vous souhaite le meilleur et vous embrasse de tout coeur. jacqueline.

Nous vous avons perdu pendant 4 mois.Reportage fabuleux à tous points de vue.Avons de vos nouvelles récentes par Maman/Marie Nous nous réjouissons de vous revoir Philippe et Régine

Nous vous avons perdu pendant 4 mois!!!Heureux de vous retrouver et de constater que les commentaires sont toujours aussi fabukeux. Refélicitations au rédavcteur. Maman/Marie nous a mis au courant des derniers développements Nous nous réjouissons de vous revoir Philippe et Régine

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