Journal de BALOU
JOURNAL DE BALOU ( 2009)
Chapitre I
Vous n’allez pas croire que je puisse écrire un journal et vous avez raison c’est A qui l’écrit sous ma dictée. J’ai eu beaucoup de mal à le convaincre. Il a finalement accepté en disant que ça serait rigolo. Je ne trouve pas. Il dit que je suis rouspéteur. Il y a de quoi ! Tout un hiver il m’a laissé dans un affreux chantier, celui de M qui ne fait que m’effrayer avec ses grues. Car j’ai très peur des grues, j’aime mieux les Travel Lift ou les chariots sur lesquels on vous installe dans l’eau et qui remontent lentement sur une rampe. Mais ce que je préfère est de naviguer, glisser dans la mer avec une coque bien propre et voir du pays.
Jai donc vieilli et rouillé encore un peu sur ce chantier. J’ai même fait un beau pâté de rouille dans mes fonds bâbords. Il n’a pas aimé, A, et c’est bien fait. Il vieilli aussi et a respiré plein de poussière avec ses grattoirs électriques. Fais plein de bêtises, oublie de mettre un masque et ne sais pas le fixer correctement. Tousse. Ne fera pas de vieux os. Fini le bon temps où l’on me sablait, me protégeait d’une première couche, me mastiquait bien lisse et me peignait tout neuf. Il a eu beau gratter le pont et de le peindre mais avec des restes de vieille peintures, ce n’est qu’à peine acceptable et quelques tâches reviennent déjà. Mais je suis content du dessous. Ca glisse bien et nous avons fait une belle traversée. Ca oui ! Ne parlons pas du départ ni de l’arrivée, j’ai honte. M a eu du mal à me mettre à l’eau, coincé entre plusieurs coques et un réservoir vide. C’est vrai qu’il est habile, M, mais il m’a quand même touché mon radar avec son horrible cadre à crochets. J’aurais préféré la très haute grue de Corbières avec ses seules sangles. Il ma mis au quai la poupe au vent et vers la sortie si bien que j’ai été poussé contre les autres plus petits bateaux et que tout le monde du chantier s’est mis au travail pour me dégager et me tourner dans la bonne direction avec les amarres, ce que A aurait dû faire avant au lieu de vouloir bêtement tout faire avec le moteur surtout qu’il est maintenant aidé de G pour la croisière.
Avant de traverser l’Adriatique, pas très loin, je me suis trouvé dans un petit port, TRANI où j’ai fait bonne figure aussi bien à l’arrivé qu’au départ et j’ai même été photographié. De loin on ne voit pas que ma peinture est imparfaite et je fais encore de l’effet.
Je suis content aussi de mon nouveau compas monté dans le corps de l’ancien. Mais la chaîne, quel malheur, c’est un tas de rouille. Elle sali mon pont et même la mer à chaque fois.
L’arrivée a été la pire de ma carrière. Tout ça par ce qu’A perd la mémoire. Pour ne pas oublier il écrit tout ce qu’il se souvient de devoir faire dans un cahier, le cahier BALOU, c’est mon nom. Vous parlez d’un nom, c’est celui d’un ours. Un ours de dessins animés pour enfants, parfois en pluche même ! Il vaut tout de même mieux que celui d’avant Belique qui était un nom de Société Anonyme, Belique SA. Mais ceci est une autre histoire. Revenons à nos moutons ou plutôt à notre arrivée catastrophique. Donc A qui écrit tout dans son cahier, comme il perd sa mémoire, découvre ce qu’il doit faire en le relisant, mais comme il oublie tout, il oublie d’y écrire qu’il fallait changer les filtres à Gas-oil, qu’il avait pourtant approvisionnés. Vous allez me dire - Pourquoi ne le lui as-tu pas dit ?- C’est que moi aussi je rouille et je vieilli, et puis ne m’embrouillez pas. Donc lorsque presque arrivés de l’autre coté, de l’Adriatique bien sur, et après que mon Radar se soit arrêté et aussi mon GPS, mais cela s’est arrangé facilement par la suite, donc à une heure environ de l’entrée de Vela Luka – c’est le nom de la baie – et qu’il fallait remonter le vent voilà que mon moteur cale, filtres encrassés comme jamais, bouchés ! Nous voici donc avec deux ris dans ma Grand-voile et un tout petit bout de Génois, celui qu’il ne pouvait plus enrouler de l’arrière – pas bien réglé la manœuvre de l’enrouleur – dans un vent contraire de 30 à 40 nœuds, sans ma trinquette que j’aurais bien aimé porter à ce moment, entrain de vouloir rentrer au port à la voile, chose impossible, donc de louvoyer sans cesse devant la baie de Vela Luka, entre un Îlot et une pointe.
Soyons bref. Il a fallu nous remorquer, ceci pour la première fois de ma carrière et avec toutes les conséquences que je ne vous dis pas ! Mais que je ferais dicter plus tard car j’en ai plein les écoutilles.
Chapitre II
Ils m’ont amené à Split, à la Marina et dans la lagune aux châteaux sans aucun vent du tout. Mon moteur ronronne maintenant comme il faut et ils essayent, A et G de me faire oublier mes mésaventures de Vela Luka. Je vais en effet pouvoir en parler plus calmement.
Donc voyant qu’on n’y arriverait pas sans aide A a commencé à parler poliment à la radio pour expliquer notre situation et que l’on vienne nous tracter gentiment. Au bout d’un certain temps un bateau de promenade, pas plus gros que nous est sorti du port vers nous. Il nous a fait comprendre qu’il fallait préparer une amarre ce que A a fait. Mais comme il n’a pas de veine il l’a laissé échapper et elle s’est prise sous la coque tout en étant attachée devant. Alors il a pris la longue bleue, celle achetée à Martigues quand il a fallu manœuvrer sans moteur à notre remise à l’eau. Mais cela est une autre histoire. A ce moment le promène touriste – voyez comme je suis calme et poli – s’en est retourné chez lui.
G, voyant que l’on nous laissait tomber, saisi d’une grande frayeur a carrément appelé May Day ce qui a obligé les autorités a réagir. Après beaucoup de bavardage à la radio, l’aide sérieuse est arrivé sous la forme d’un petit bateau à gros moteur piloté par Carlos, un policier Croate-Canadien parlant Français et connaissant son affaire. C’est lui qui nous a amené au quai mais à la vitesse incroyable de 8 nœuds avec comme conséquence de grosses éclaboussures et un effroyable faseyement de mon bout de génois mal enroulé.
Les éclaboussures ont trempé A et G de la tête aux pieds ce qui est bien fait pour eux. Mais plus grave, m’ont abimé mon module de commande ST6000 et le faseyement, le gousset du nerf de chute de mon Génois sur deux bons mètres ! Comme punition ils ont dû le recoudre pendant toute une matinée quelques jours plus tard.
Ils me promènent donc dans la lagune aux châteaux. Un de ceux-là a été transformé en Marina et de vielles coques y rouillent sur une aire de stockage. A m’a ramené la photo de l’un d’eux.. On y voit une belle coque toute en forme, effilée à la proue et à la poupe et qui se raccorde harmonieusement à une quille longue. J’en suis jaloux ! J’ai ouïe dire que de telles coques vont bien dans les mers du Sud. J’en rêve. Ainsi faites elles maintiennent leur route parmi les grosses vagues rugissantes et mugissantes qui ne parviennent pas à les faire pivoter.
Vu de dessous je ne suis pas moche. Ma quille courte est inclinée vers la proue qui elle-même pointe vers l’avant et mes bouchains me donnent une forme arrondie. Sur le coté une bande bleue essaye de faire oublier que le franc bord est plat. On voit que je ne suis pas en formes.
Cette belle coque abandonnée donc, attend peut-être que quelqu’un en tombe amoureux et décide de la restaurer ? Comme le premier plaisancier qui décida de naviguer pour son plaisir après avoir vu sur une plage, la coque merveilleuse, épave d’une barque, en bois - le fer rouille et le bois pourri - dont il construisit la réplique. Muni d’un mat et de deux voiles en lin, il fit le tour des mers du Sud pendant que le monde accomplissait sa première guerre mondiale. Qui aujourd’hui ferait cela ?
Je vois passer tellement de bateaux , en plastic, qui semblent tous sortis d’un même moule. Ils sont partout, stockés dans les mouillages transformés en Marinas. Certains naviguent.
Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont- t’il des âmes ?
Chapitre III
G est un professionnel. Il a passé des jours à remettre mon moteur en marche. D’abord après mon remorquage en le purgeant après avoir bien sur changé les maudits filtres, le mettant en charge gravitationnelle aux moyen de tuyaux et d’entonnoirs, puis avec un Banjo spécialement équipé d’une pompette. Et lorsqu’il a brouté, mon moteur, dans la Marina de Split, il en a trouvé la cause : le seul et unique petit Durit non changé aux Accores, fuyait. Aussitôt changé il ronronne comme neuf, mon moteur. Quand A s’est terriblement inquiété au contrôle du niveau d’huile, voyant, pour la première fois, de la mousse d’eau dans la gauge, il a calmement dit que ce n’était que de la condensation car la jauge était un peu soulevée.
Maintenant il a repeint en blanc mon nouveau compas de route et ajouté un petit ruban jaune pour masquer la partie gênante de l’éclairage de nuit. Il va être photographié, mon compas et montré partout.
J’ai failli être échoué.
Nous avons eu des jours de pluie et de mauvais vent et mon équipage ne voyait plus bien de loin avec mes jumelles. Buée, condensation, saleté ? A. les a un peu démontées et nettoyées avec le spray pour les vitres et les verres. Mais ce produit est gras. Alors c’était pire. Pour dégraisser il a démonté un peu plus sauf les prismes et trempé, rincé au produit vaisselle. La graisse est restée sur et entre les prismes. Il fallait donc démonter encore.
Le premier jour de mauvais temps c’est très bien passé. Nous étions seuls sur l’eau, à la voile et passé en revue toutes les allures et même utilisé la trinquette. Voyant venir l’orage ils m’ont dirigé vers un mouillage abrité devant nous. Il y en a partout ici, des mouillages. Puis la pluie est venue et l’on n’y voyait rien. Alors mon radar a très bien marché et l’ancre aussi a bien tenu dans ce mouillage alors que le vent sifflait par dessus. 20 à 30 nœuds dedans, le mouillage. Pas question de débarquer. Alors le premier jour de mauvais temps c’est passé en musique et en lectures. Le second jour ca allait mieux. Petite pluie et moins de vent. Ils m’ont amené en face dans un lieu appelé les 7 bouches avec un grand choix de mouillages, choisi le plus facile, marqué dans le guide : Soline En effet très sympas car pas de touristes. Mais la seule épicerie, dans un café, était fermée car dimanche. Alors promenade et toujours mes lunettes-jumelles en réparation. Cela a tellement occupé A. qu’il n’a pas vu arriver mon deuxième dérapage, G. oui. On avait dû remouiller une première fois déjà avant la promenade. Alors ils ont été remouiller pour la troisième fois mais avec deux ancres et toute la chaîne. Dans la nuit le vent a légèrement tourné vert le Nord ( il était NE c’est à dire Bora). Ce mouillage soit disant de bonne tenue est dit aussi intenable par vent de NW, le Maestrale, le plus agréable. C’est pour cela qu’il n’y a pas de tourisme et que les gens sont sympas.
Tard dans la nuit, A. entendait dans son sommeil un curieux clapot sur l’arrière et G. une cloche sonner. Quand A. est allé regarder dehors il a vu au lever du jour le quai à deux mètres ! Moteur, relevé des deux ancres et direction un meilleur mouillage. Adieux les commissions et les gens sympas. Ils en ont vu un qui construisait la maquette d’une frégate américaine très belle avec tous ses mats ses cordages et les détails. Une pièce de musée.
Le temps s’est éclairci et on a continué à faire des mouillages. Dans le dernier, le plus au Nord, celui de hier, ils sont partis aller trainer leurs pieds en ville, Losinj. J’ai poiroté toute une journée, abandonné dans le mouillage. Mais aujourd’hui je suis content. Depuis ce matin je porte toutes mes voiles y compris celle d’étai et trois dauphins et une tortue sont venu me voir. La tortue a eu peur, elle a plongé, mais les dauphins ont joué avec moi devant l’étrave.
Nous retournons vers le Sud.
En redescendant vers le Sud au moteur cette fois, mon moteur a fait des siennes. Il a changé de régime et s’est arrêté. G et A ont décidé qu’il ne fallait plus l’utiliser et rentrer à la voile à Bari pour réparer le joint de sa culasse car de l’eau de mer s’était mélangée à son huile. Alors j’ai navigué à la voile par petit temps car c’était souvent pétole, en suivant les risées. C’était très calme, trop même. Sans frigo ni même rien pour garder un peu de jus dans mes batteries. Ils ont mangé toutes les réserves de conserves pendant trois jours et là à Bari j’ai vu le mécanicien à l’œuvre. Pendant une semaine il a fait faire des expériences à A. pour savoir d’où l’eau entrait. Il ne voulait pas imaginer que c’était la pompe attelée qu’il avait lui même démontée et remontée pour lui changer les rotors par précaution. C’était pourtant bien cela.
Alors il a modifié la pompe et elle va bien. Mais il y avait un très grand danger pour mon moteur dans les ressorts de soupapes cassés. D’un instant à l’autre ils pouvaient faire tomber une tige de soupape et mon moteur aurait été perdu pour toujours et mes rêves de croisière aussi. Alors il s’est démené pour en trouver d’autres, des ressorts, les adapter et les remonter un par un avec beaucoup de patience et d’adresse pour ne pas perdre les petits morceaux.
J’ai poussé un grand ouf quand le dernier, il y en avait huit, à été remonté. Mon moteur est sauvé et je peut repartir.
Entretemps Romana l’épouse de A. et ma deuxième patronne est arrivée ainsi que leurs amis et ils ne sont pas pressés de me faire naviguer, car disent t’ils, il y a trop de vent, il faut visiter la ville, aller au bal etc… etc… Je prend mon mal en patience et me fait bichonner par A. qui pendant qu’ils étaient tous à la plage il m’a bien nettoyé.
Chapitre IV
J’autre jour j’ai reçu pour la première fois un courrier pour moi tout seul. C’est Marion qui m’a écrit. Elle me connaît bien puisque c’était ma patronne avec Serge quand ils ont voulu me faire faire le tour du monde avec les enfants tout petits.
C’est tout une histoire et c’est pourquoi je commence un nouveau chapitre.
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