Destination Açores ! - 5. Retour solo en Bretagne

Destination Açores ! - 5. Retour solo en Bretagne

Posté par : Christine et Yves
29 December 2023 à 18h
Last updated 28 February 2024 à 12h
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Vu par Christine


Départ demain matin...

Encore une fois, je regarde partir Pétrel. La sortie du port se fait doucement, Yves prend son temps pour hisser les voiles. Le temps n’est pas très beau, plutôt gris, la mer bouge. Il sait que les deux premiers jours vont être un peu pénibles.

Me trouvant à nouveau sans logement, je déambule dans les rues de la ville en attendant l’heure d’aller à l’aéroport.

Pas vraiment envie de prendre Ryanair, mais c’est quand même le plus pratique. Arrivée sans encombre à Porto, correspondance OK et arrivée à Bordeaux à l’heure prévue, soit aux environs de 22 h.

Là, j’hésite entre la navette, le tram et le taxi pour aller récupérer ma voiture. C’est trop tard pour la navette et le tram n’a pas l’air de fonctionner, je me rabats donc sur le taxi. Et là j’apprends par le chauffeur que tous les trams sont arrêtés depuis plusieurs heures, qu’il y a des émeutes en ville et que rien ne fonctionne.

C’est ça aussi la mer. Le plaisir de débrancher des turpitudes de la civilisation. Nous sommes passés à côté de l’assassinat d’un jeune homme par les policiers, qui a déclenché des émeutes dans toute la France.
C’est donc dans une toute autre ambiance que je prends la route pour arriver à la maison vers minuit, rebrancher dare-dare l’ordinateur et la box et me connecter sur les logiciels de tracking

 

 

Vu par Yves

PONTA DELGADA – MORGAT

   

Jeudi 29 juin 2023
(Ecrit samedi 1er juillet)

Nous y voilà.

Ça fait plusieurs jours – au grand dam de Christine – que j’essaye d’être prêt pour ce retour, tant dans ma tête que sur le plan matériel ou du sommeil. Mais rien n’y fait. Pourtant Christine se décarcasse. Cependant, entre ses problèmes de réservations, la soudaine panne de l’écran du RPi4 qui m’a vainement fait traverser la ville en tous sens pour tenter de le réparer ou de lui trouver un remplaçant, et la distraction – bien sympathique – apportée par Mireille et Pierre-Benoit (Oswaldo) que nous voyons quasi-quotidiennement autour d’une bière (ou de cidre !), je n’arrive pas à me « rassembler ».

Retarder le départ de 24h a pour cela été une bonne chose, au moins au plan du sommeil. Je suis un peu moins tendu, voire anxieux, avec l’impression que la traversée aller – déjà lointaine – ne m’a, en fait, pas du tout préparé au retour qui se profile…

J’avais dit 09:00 - 10:00 aux autorités.
Et c’est à 09:30 tapante que Pétrel et moi quittons le ponton de Ponta Delgada (Ilha de São Miguel).
Traversée de la rade au moteur, à vitesse minimale, le temps de rassembler les aussières, ranger les pare-battages.

Alors qu’au port, battu par un ressac spectaculaire, on ne se sentait guère protégé du vent d’Est (9 kn au départ), nous trouvons à l’extérieur une vingtaine de nœuds de vent, une faible houle et un peu de clapot. Ce qui m’incite finalement à prendre un ris dans la grand-voile alors que j‘y avais renoncé au port. Puis à dérouler le génois avec « un ris » (quelques tours, repérés par un point près de l’amure) pour le bord de portant le long de São Miguel. Puis séquence « rangement » (amarres, drisses, bosses de ris, …). Puis empannage (en roulant le génois pour lui faire passer l’étai de trinquette). Et ce n’est que vers 11:15 que je peux enfin me poser. Le vent faiblit, à l’abri de la côte. Après échange de sms avec Christine, je m’empresse de me faire chauffer à manger, pressentant la suite…

Effectivement, vers 13:15, alors que nous quittons, au près, l’abri de la côte, c’est une claque à 30 kn qui nous accueille. « A rouler le génois, prendre le deuxième ris dans la GV, puis hisser la trinquette ! ». Le bateau bouge beaucoup, sur les hauts fonds. Puis la soirée et la nuit verront le vent d’ENE se stabiliser autour de 25 kn (± 5 kn) et enfin mollir un peu en tournant à l’Est.

Je suis épuisé par toute cette agitation et l’AIS étant désert, j’arrive à dormir plusieurs fois, 1heure environ.
Je me sens un peu nauséeux, malgré les forts mouvements du bateau ressentis à Ponta Delgada, qui ne m’ont visiblement guère amariné.

   

Vendredi 30 juin 2023

Il y a longtemps que je n’ai fait autant de près. Surtout sur une mer un peu « clapoteuse ». Le bateau peine à avancer. Ses mouvements sont brusques et fort inclinés ! Il faut en permanence se tenir des deux mains, ce qui amène à regretter une fois encore de n’en avoir pas plus !

Pétrel se comporte cependant admirablement bien, même si nous n’avançons pas beaucoup (4, voire 3 kn) mais il garde son cap (pilote à gain 4 pour limiter la consommation d’électricité). Il reste relativement confortable, même s’il ne me sera plus possible d’affirmer ne jamais l’avoir vu « taper ». Mais cependant fort peu, vu les conditions.

Conformément aux prévisions, le vent se calme durant la matinée, autour de 15 à 18 kn. Je largue un ris à 09:15. En 24 heures nous avons tout de même parcouru 110 milles. Les 24 prochaines devraient en compter bien moins car nous avançons, selon les moments, entre 2,5 et 5 kn au speedomètre (qui me semble cependant plutôt pessimiste). Les surventes, sous les cumulus, se font plus rares et le ciel se dégage.
Le soleil apparait enfin. J’hésite cependant à renvoyer le génois, que je n’aime pas utiliser partiellement roulé, surtout au près. J’aimerais pourtant détendre la bastaque – indispensable sous trinquette – car sa poulie grince terriblement et gâche la toute relative quiétude de mes retrouvailles avec la haute mer.

Et voilà. J’ai pris mon courage à deux mains (mais comment se tenir, alors ?) et ai échangé trinquette et génois. La vitesse a doublé. Ça gite, mais on sent que ça pousse ! Pourvu que ça ne forcisse pas trop…

Les puffins– car mes « petits albatros » de la traversée aller n’étaient pas des mouettes tridactyles– sont réapparus. Des puffins cendrés, plus exactement. Ceux qui occupent tout l’espace sonore nocturne des îles de l’Atlantique et de Velas en particulier (les cagarros !) durant leur nidification au début de l’été et que je n’ai, à part là, pu observer qu’en haute mer. En m’éloignant hier de São Miguel j’en ai même vu une douzaine posés sur l’eau. Ça leur arrive donc. Reste à les voir pêcher…

   

Samedi 1er juillet 2023

Couché « avec les poules » à la nuit (vers 21:30), après avoir largué le dernier ris de la grand-voile, le vent s’étant stabilisé autour de 15 kn et Pétrel demandant de la puissance pour passer le clapot au près. J’ai décidé de régler le minuteur-réveil de mon téléphone sur 1h30, l’écran de l’AIS étant vierge à 25nm.
Mais je me suis toujours réveillé spontanément entre ½ h et ¾ h avant qu’il sonne.

Cette fois ne fait pas exception. A mon réveil, deux cargos arrivent de l’ouest alors que Pétrel fait cap au nord. L’un passe largement derrière nous, mais le second fait route de rencontre (TCPA de l’ordre de 1h30). Je ne peux envisager de me rendormir. Alors j’explore à nouveau les menus de l’AIS et découvre enfin le paramétrage des alarmes. Je règle donc la CPA (distance du point de croisement prévu) à 5,0 nm et la TCPA (durée prévue avant croisement des routes) à 15 mn. Voilà qui devrait me tranquilliser et m’aider à dormir  !

La tablette aussi pourrait me prévenir (les alarmes sonores de SailGrib WR me réveilleraient sans aucun doute  !). Mais elle ne se connecte au réseau NMEA du bord (donc au GPS et à l’AIS), via la nouvelle « box wifi nke », que de façon intermittente et apparemment aléatoire. Pas fiable en l’état.

 Sea Puma (c’est le nom du cargo) – merci à lui – se déroute pour passer derrière nous  ! « Solo Sailor » accolé au nom de Pétrel sur l’AIS y serait-il pour quelque chose ? Je l’espère.

Après deux ou trois quarts d’heure de sommeil, je suis réveillé par le calme des éléments et l’agitation du pilote, qui ne semble savoir où donner de la tête. Et je ne suis pas réveillé depuis 5 mn que son alarme retentit  : barre à fond… C’est le calme plat. Même les voiles ne battent pas. Sous la lune, apparue un moment entre les nuages, le panorama est magnifique. Magique. Voire mystique.

Puis un léger souffle se relève et nous nous retrouvons "à la cape", génois « à contre ». J’en profite pour me faire chauffer une boisson puis, très lentement, barre en main, je nous fais empanner et revenir au près dans 6 kn de vent. Nouvelle « tranche de sommeil ». A 04:30, le vent, remonté à 9 kn sur une mer toujours calme, me permet de reprendre quelques degrés : 4,5 kn à 45° du vent. Mieux que le routage ! Et à 05:00 comme indiqué par ce dernier, nous virons, cap à l’Est. Route qui devrait s’incurver au NE dans les jours à venir. A 09:30, 48 h après le départ, nous avons 220 nm au compteur. C’est plutôt une bonne surprise, ayant navigué au près ces dernières 24 h. Je doute que cela se renouvelle aujourd’hui  : le vent va mollissant.

Je devrais séjourner plus dans le cockpit car, même avec le pilote en mode « vent », il faut souvent reprendre les réglages. Au près, par 5 ou 6 kn de vent, des voiles réglées pour 10 kn se trouvent « blindées ». En 10 mn dans le cockpit j’ai pu faire passer à 3 kn, voire plus, une vitesse tombée à 1,2 kn. Mais ça demanderait un équipage « de course », en permanence attentif… Et puis, un peu de quiétude est tellement bienvenue ! Cela dit nous prenons maintenant du retard sur les routages, probablement calculés pour des voiles de petit temps. Peut-être le payerons-nous par du vent fort au large du Cap Finisterre.

Dommage que le « fond de l’air » reste frais. Car il fait soleil et rester dans le cockpit serait sympa.
A l’instant (environ 18:00) il y faisait bien bon, dans une « molle » où le pilote a bien failli virer.
Vitesse  : 0 kn. Et puis cela repart : 3 kn maintenant. Si cette nuit le vent tombe encore à moins de 5 ou 6 kn, j’envisagerai quelques heures de moteur. Les batteries approchent les 93 % malgré le soleil un peu voilé, et l’éolienne qui tourne même par petit temps au près. Mais produit-elle ?

Rebelote : le génois masque, le pilote s’acharne, la vitesse tombe à 0…

J’ai eu Christine au téléphone tout-à-l’heure. Quelque peu déprimée, je crois  : à la maison il pleut et elle regarde des séries… mais je me trompe peut-être.
En tous cas ces échanges, outre qu’ils prouvent que je vais bien - leur but premier - ne m’apportent rien de bon : pas possible d’être spontané, car il est nécessaire de respecter un « blanc » pour ne pas se « parler dessus » et rendre l’échange inintelligible. Finalement on en dit plus, et mieux, par sms. C’est un peu triste. Encore une fois cet Iridium GO!, dont je ne conteste bien sûr pas l’utilité par ailleurs, gomme par sa simple présence tout sentiment d’isolement. Tant que tout va bien, évidemment. Il efface les distances et donc le temps, prédit l’avenir (au moins pour la météo, mais les routages suivent) et permet des interactions avec le monde extérieur. Je dois me répéter, mais je ne me relis pas. Finalement je me suis senti plus isolé… à pied autour du cratère (la Caldeira) de Faial, malgré mon smartphone (autrement plus efficace que l’Iridium GO!), avec Christine, tout en croisant quelques randonneurs et à moins de 2 h d’une voiture !

Evidemment, la présence rassurante du cocon bien équipé qu’est Pétrel, pourvu en vêtements secs, nourriture, boissons, etc., y est pour beaucoup ! Merci à lui (à elle, diraient les anglo-saxons…). Il est en effet vraisemblable que, même avec l’Iridium GO!, dans le radeau mon sentiment d’isolement croîtrait nettement !

J’y reviens : passer plus de temps sur le pont me ferait du bien. Je viens de prendre la barre une dizaine de minutes et je me sens apaisé. Seuls soucis : être assez couvert, voir les instruments et trouver une position confortable.
Car Pétrel a bien des qualités. Essentielles (et c’est pour ça qu’on l’aime). Mais toute médaille a paraît-il son revers (bien que M. Möbius ait conçu un objet géométrique à une seule face…) : l’ergonomie du cockpit de Pétrel est clairement insuffisante. On ne peut guère s’y installer confortablement, l’abri de la capote est limité par la barre d’écoute de GV et - comme sur la plupart des croiseurs - les positions au winch peuvent devenir un peu acrobatiques. Mais ces inconvénients sont aussi la contrepartie d’un volume et d’une organisation intérieure remarquables.

   

Dimanche 2 juillet 2023

Alors là, j’ai été servi. Toute la nuit et une bonne partie de la journée, nous avons eu des alternances entre « risées » (2 à 7 kn, environ) et « molles » (0 à 2 kn). Difficile d’avancer dans les deux cas, mais surtout lors du passage, assez brusque, des unes aux autres, lorsque le génois, à peine gonflé « masque » et fait virer le bateau. A 0,Ɛ kn, le pilote s’affole mais ne peut rien faire. Gouvernail à fond il se met en défaut et déclenche l’alarme, en général quelques minutes après que j’ai enfin pu me glisser dans mon sac de couchage  !
Ah, Murphy

Bref : pas fermé l’œil.

Le niveau de charge des batteries baissant, j’en profite pour avancer une heure au moteur. Mais je trouve que la « qualité » de ces charges, pourtant à 100 %, obtenues parfois en quelques minutes, ne vaut pas celle du chargeur de quai (avec ses trois régimes) : j'ai l'impression que la décharge ensuite est beaucoup plus rapide.

Avant l’aube, épuisé, je décide de laisser le bateau à la cape. J’allume le feu de mouillage en plus des feux de route (ce qui ne rime pas à grand-chose à ma connaissance, mais peut attirer l’attention). Et je m’offre 1h30 de vrai sommeil. Enfin !

La matinée et la fin d’après-midi sont similaires. Entre les deux, quelques heures avec un peu d’air (8 à 10 kn) instable en direction nous permettent d’avancer de quelques milles. Autant la nuit et la matinée auront été couvertes voire fraiches, autant l’après-midi se révèle dégagé et ensoleillé. J’en profite pour une grande toilette/bain de soleil dans le cockpit.

J’ai aussi réussi à dormir deux fois 1 h dans la matinée. Ça va mieux. Mais quelque chose (les gribs ?) me dit que cette séquence de vents faibles n’est pas terminée. Rien ne sert de s’en faire, on avisera, mais je commence à me demander si, le 15, je serai bien à Morgat, comme prévu. Pétrel devra cravacher dès le vent portant retrouvé. A partir de jeudi 6, si nous sommes à leur rendez-vous…

Peu de vie autour du bateau. Visible, je veux dire. A part un ou deux puffins solitaires.
Je regrette un peu de n’avoir pas le goût (ni le besoin) de pêcher. Pour une fois notre vitesse le permettrait.

C’était l’anniversaire de Maoli, aujourd’hui. Je lui ai envoyé un sms depuis « quelque part sur l’Atlantique ».

Tout-à-l’heure, un cargo – un tanker chargé (gaz de Pschitt ? comme disait un collègue) je pense – nous a dépassé à 7,5 nm. Son « château » blanc et noir accrochait la lumière. Un immeuble en mer. Car sa coque, sous l’horizon n’était pas visible du cockpit de Pétrel (de son mât, certainement). La mer est (bien) ronde . Merci Jean Merrien pour la trouvaille!

   

Lundi 3 juillet 2023

Les nuits se suivent… et se ressemblent : Stop’n Go ! Décrochages et alarme du pilote, capes, empannages et reprises du cap, au près, à 45 ou 50° du vent – mode vent pour le pilote – alors qu’il faudrait le serrer bien plus pour suivre les routages. Car ces derniers supposent des vents de NW alors que nous n’avons encore que du NNE. Et les modèles sont d’accord là-dessus depuis hier au moins. « No  comprendo ! ».

Autour de minuit je roule le génois et lance le moteur, pour recharger les batteries, mais aussi pour essayer de rattraper un peu du temps perdu : les routages avancent deux fois plus vite que nous et je commence à m’inquiéter pour notre date d’arrivée à Morgat.

Le moteur aussi m’inquiète. Outre son manque d’entrain au démarrage alors qu’il est jusqu’à présent toujours parti au ¼ de tour, il émet un sifflement insupportable durant plusieurs minutes jusqu’à ce que s’enclenche le compte-tour, ainsi que l’a constaté Christine aux Açores. J’espère que nous n’allons pas au-devant d’un gros pépin.

J’arrive maintenant à dormir entre 45 mn et 1 h lors de la plupart de mes « siestes », 4 parfois 5 fois par jour, alors que je règle le minuteur de mon téléphone sur 1h30, maintenant. Mais je me réveille toujours avant qu’il sonne, soit spontanément, soit sur une injonction de Pétrel.

Au petit matin, sur une mer calme et avec 5 kn de vent de NNE, le bateau « fonçant » à 1 kn environ, à 50° du vent, j’ai eu une « panne d’oreiller » et n’ai été réveillé que vers 06:00 par un nième décrochage du pilote. J’ai dû dormir près de 3h !

Vers 08:00 le vent ayant encore diminué et un cargo s’étant annoncé à l’AIS mais surtout s’étant fait entendre (machine ou hélice. Par moi. Incroyable !) alors qu’il était encore à plus de 20 nm et que j’attaquais mon petit-déjeuner, je n’en crois pas les instruments : un vent de NNW s’est levé ! Enfin ! Pas bien réveillé non plus puisqu’il ne souffle qu’à 4 kn.
A 09:00 je tangonne le génois (plus vite écrit que fait !) et le vent de 6 kn maintenant nous pousse à 3. Il ira croissant jusqu’en début d’après-midi et se stabilisera autour de 11 kn. Ce qui nous permettra d’avancer.

La journée est chaude. Hier déjà mais nettement plus aujourd’hui. Je reste le plus possible dans le cockpit. J’arrive même à y somnoler un peu. Du coup ça a été sandwich à midi pour finir (enfin !) le paquet de jambon. Et j’ai failli ouvrir une bière ! Mais avec un tangon dehors, je ne veux rien avoir à me reprocher.

Et j’ai plongé dans un bouquin de M. Bussi, « Le temps est assassin ». Déjà lu, je crois, bien que je n’en ai aucun souvenir. 
Je tarde à dîner (il va faire nuit) et j’ai tardé aussi à faire ma page d’écriture.
J’ai dé-tangonné, pour la nuit, mais aussi parce que le temps revient au SSE… Pas clair.  Au bon plein nous avançons tout de même à près de 5 kn.

   

Mardi 4 juillet 2023

Décidément, lire m’empêche d’écrire.
Pourtant il y en aurait à raconter, aujourd’hui.

Petit temps et pilote erratique, encore cette nuit, mais moins. J’ai à peu près dormi, pas assez mais plus que d’habitude. 1h30 au moteur pour charger les batteries et avancer un peu, malgré le calme.
Au matin je trouve des messages : Philippe m’alerte sur le passage de fronts actifs jeudi et m’engage à les prendre au sérieux. Je lui réponds, en substance « Merci. Oui bien sûr ! ». Et me plonge dans les gribs du jour. Christine, alertée par Philippe me demande de l’appeler. Ce que je fais.

Ce mauvais temps – plus que prévu : force 8 au moins – me turlupine et je passe pas mal de temps sur les gribs à envisager des stratégies. En fait, à ce stade, la meilleure stratégie consisterait à dormir pour tenir le coup et prendre, le moment venu, les bonnes décisions. Mais je n’y arrive pas et je bouquine, pour penser à autre chose. M. Bussi est un grand malade, manipulateur. On le savait. Mais en plus, son écriture, extraordinairement efficace, arrive à rendre tolérable la construction très systématique de son récit : on  déteste mais on est en haleine…

Pour le reste, rien de spécial. Vent instable en direction, 8 à 13 kn, m’obligeant à de fréquents réglages. Des voiles un peu, de pilote surtout. Les routages étant tous d’accord (modèles GFS et ECMWF), je décide de les suivre plutôt que de tirer au plus court comme à l’aller, stratégie qui s’était révélée simple et efficace. Mais aujourd’hui c’est plus compliqué. J’ai pris depuis le début le parti de ne pas me rapprocher du Cap Finisterre et donc du Golfe de Gascogne, qui peuvent être « piégeux ». Les routages, qui m’envoient tous très au nord puis à l’est-nord-est vers la Bretagne, me conviennent de ce point de vue.

Depuis peu, les victuailles « fraiches » (jambon ouvert, pâtes et pommes de terre cuites, ananas, …) se terminent. Je commence donc à regarder de plus près les plats préparés, que nous ne consommerons probablement guère à la maison : les lyophilisés, dont les délais de péremption sont de l’ordre de quelques semaines ou mois. Pour l’instant (je le note par ailleurs) ce n’est pas trop mal et copieux. Pas super, mais « ça le fait » parfaitement.

J’ai aussi croisé de près un cargo lège, le W-Sky (!), à 1,1 nm. L’AIS a bien sonné à 5 nm : je peux dormir confiant.

Le grib GFS de 12:00 que je viens de charger est moins pessimiste. Le coup de vent prévu semble moins violent. On verra bien. En attendant, les lignes de grains qui s’amoncelaient à l’horizon se rapprochent. La nuit pourrait être mouvementée !

    

Mercredi 5 juillet 2023

Ben non. J’ai gardé le ris par précaution mais il n’a pas été nécessaire.
Un peu avant minuit, comme nous nous trainions, j’ai déroulé le « ris » du génois. Sans grand progrès. Donc, une fois de plus – ça devient une habitude – moteur, pour avancer un peu et pour recharger les batteries.
Le vent se relève progressivement, mais la charge des batteries se fait lentement, et ce n’est qu’à 02:00 que je peux couper le moteur, batteries enfin à 100 % … et nous nous trouvons au «  bon plein », avec une quinzaine de nœuds de NW alors que les gribs nous prédisent de l’W depuis un moment déjà. Ce n’est que vers midi qu’il s’établit enfin. Et la nuit se termine tranquillement. J’arrive à dormir environ 4h en trois périodes. Un record ! D’autant que je ferai une sieste de 45 mn environ en milieu d’après-midi.

Au matin je largue le ris. Et je reste perplexe devant les gribs. Certains routages nous font encore monter très nord, peut-être pour minimiser les effets de la dépression qui s’annonce (?), d’autres proposent des routes plus directes. Dans le doute, j’opte pour une route aussi directe que possible, ayant maintenant dépassé la latitude du  Cap Finisterre, à 400 milles dans notre est. Mais surtout  Pétrel, au portant dérive haute, marche bien mieux qu’au près, surtout avec le clapot. Nous abattons donc de 20° au lieu de lofer d’autant.

Très belle journée. Les panneaux photovoltaïques font enfin leur boulot : vers 17:30 la charge des batteries était remontée à 100 %. Soleil, douce chaleur, bronzette (un peu) et grande toilette. Peut-être la dernière possible dans ce genre de conditions ?! Je crois être aujourd’hui le plus « au large » de ce périple : à la louche à 600 nm de la Bretagne, 550 de l’Irlande, 500 des Açores et 400 du Cap Finisterre. Une sorte de « Point Nemo » local.


Fin d'une superbe journée

Nous sommes convenus avec Christine qu’elle essaierait d’appeler vers 21:00 (19:00 UTC), pour tester l’appel dans ce sens. C’est vrai que l’abonnement  Iridium  se termine dans une dizaine de jours. (Mais dans ce sens l’appel est coûteux !).

J’ai enfin terminé le bouquin de Bussi. Bien écrit et bien conduit. Mais décidément je trouve l’intrigue « capillotractée » et souvent malsaine. Je crois que je vais attendre avant d’en ouvrir un autre, au moins d’avoir fini de traverser le mauvais temps qui s’annonce. J’espère que la mer ne sera pas trop dure  ... et que les précipitations seront massives car Pétrel est couvert d’une croute de sel, et particulièrement sale. Je ne comprends pas bien pourquoi son pont est constellé de traces noires. Ai-je quitté les Açores avec ?
La canicule ne semble pas (encore ?) d’actualité en Bretagne, mais les restrictions d’eau peut-être.

   

Jeudi 6 juillet 2023

Comme la soirée, la nuit a été rythmée par les claquements du génois. La pleine lune (plus tout-à-fait, déjà) a superbement illuminé un ciel changeant, tour à tour bouché ou dégagé, alors que le vent hésitait entre SW et SSW, avec une quinzaine de nœuds à l’anémomètre. Pétrel avance bien dans ces conditions, entre 5 et 6 kn. Je n’ai finalement qu’assez peu dormi (moins de 2h30 ou 3h cumulées) à cause de ce génois et de fréquents changements de cap et de réglages, pour tenter de l’assagir.

La perturbation attendue se confirme au fil des gribs (GFS, ECMWF, Arôme)… et mon « in-quiétude » aussi. Je ne sais trop comment définir simplement cette dernière. Mais elle tient certainement :

  • Du « trouillomètre à zéro » : « Qu’est-ce qui va (m’)arriver ? Une catastrophe ? »
  • D’une interrogation/excitation : « Serais-je capable d’assurer ? » Car c’est au pied du mur… que la réalité rejoint, sinon la fiction, du moins les multiples récits de navigateurs, souvent solitaires, lus depuis mon adolescence…
  • D’une épreuve de passage « initiatique » : « Puis-je m’autoriser à me considérer comme un marin ? En suis-je bien digne ? »
  • De la crainte d’une sanction : « Etait-il sage et raisonnable de se risquer ainsi, au grand large, avec un bien vieux bateau qui mériterait un « refit » ? En ai-je fait assez pour le sécuriser ? »
  • D’une réaction que je connais bien : nier la réalité en m’enfermant dans la lecture ou une activité prenante. D’où ma volonté de ne pas ouvrir un autre roman.
  • D’un excès (?) de confiance dans le monde extérieur – une sorte de fatalisme des vrais pessimistes : advienne que pourra. Je mets ma confiance et mon destin entre les mains de mon (bon) bateau et je le laisse se débrouiller ! Facile. Mais mon fatalisme n’a rien d’une foi.

Bon. Je vais tout de même essayer de l’aider, mon bon Pétrel !!!

Au fil des heures la tension monte quand même. Je fais mon possible pour que, matériellement, les choses (pont, intérieur,…) soient en ordre.
Et je devrais dormir plus (1/2h de sieste maxi, cet après-midi).

Pour l’instant les gribs me donnent à peu près ça pour la soirée, la journée et la nuit de demain  (vent moyen / rafales moyennes)    :

Jeudi 06/07 – soirée : 20/28kn - SSW

Vendredi 07/07 (UTC) :

00:00 – 21 / 28 kn - SSW
09:00– 27 / 39 kn - S
12:00 –29 / 42 kn - S
15:00 –23 / 32 kn - SW
18:00 – 22/ 34 kn - SW
24:00 – 25 / 23 kn - NW (?!)

Samedi 08/07 : 12/17kn - SW à W

Deux moments forts en vue :
  - Demain midi et après-midi : arrivée et passage du front (chaud, je suppose). Pluies vraisemblables.
  - Demain soir : passage du front froid en fin de journée, se traduisant par une rotation de SW à NW, laquelle pourrait être brutale et se traduire également par une mer croisée, difficile (je suppose aussi).

J’envisage, en fin de soirée, de prendre le 3ème ris. Et au lever du jour, de rester sous trinquette seule si elle apporte la puissance nécessaire pour garder une vitesse suffisante, de 5 kn par exemple. A suivre. Vraisemblablement les 4 ou 5 prochains repas seront difficiles à préparer voire à avaler. Je vais recenser de quoi manger froid ou lyophilisé.

C’est étrange : le sentiment de tension croissante semble aussi corrélé à l’absence de vie autour de nous. Autant nous avons été « joyeusement » accompagnés par les dauphins, à plusieurs reprises, lors de la traversée aller, autant l’océan est désert à présent. Même mes « albatros nains » (puffins cendrés) sont absents depuis plusieurs jours. Il est vrai qu’ils semblaient chasser sur les mêmes bancs que les dauphins. Mais pas d’individus isolés, slalomant entre les vagues sans un battement d’aile, comme j’avais pris l’habitude d’en voir autour de nous.

Et puis, pas de cargo depuis longtemps – même hors de vue – ni surtout de voilier. La fenêtre météo n’aurait-elle guère eu de succès ?

Echange de messages avec Christine (extraits) :

Yves 14:20
Me voilà (presque) désœuvré ! Après une matinée commencée vers 05:00 et quelques, à essayer d’empêcher le génois de battre. Réglages, cap, rien n’y fait vraiment. A 06:30 la trinquette l’avait remplacé.
Comme, depuis hier soir, le baro était tranquillement descendu d’environ 1 hPa/h, ça devenait prudent.
Demi-petit déj’ et, à 08:00 il y avait deux ris pris dans la GV.
Puis empanné pour rester proche de la route directe, ne comprenant pas pourquoi les routages m’expédient aussi au nord…
Bref prudent mais … quelque peu sous-toilé, avec moins de 20kn de WSW.
Autre demi-petit déj’. Vaisselle.
Plus rien ne traine vraiment, ni sur le pont ni dedans…
Repos (pas pu dormir). Pluie. Et puis soleil. Et Mingus (AH UM) qui colle magnifiquement à l’ambiance, avec maintenant 6kn au speedo, 22 aux fesses et des moutons tout autour !
Ca mollit un peu et … c’est la trinquette qui bat. L (…)

Christine 14:24
OK. Je reste dispo les 24 prochaines heures à n’importe quelle heure.
(…)

Christine 19:59
Ton tracking fonctionne ?
Je ne l’ai pas capté depuis 11:53 UTC alors que t’as envoyé un message à 13:16 UTC. Ça fonctionne indépendamment ?

Yves 20:11
‘lo
Oui il fonctionne (…)
Sinon, TVBAB. On a 25kn de SSW en ce moment. La mer est magnifique, sous le soleil.
J’espère en dire autant des 24 prochaines heures.
Je pense prendre le 3e ris pour la nuit.

Yves 20 :15
Dernier routage en date : c’est tout droit !
(…)

Christine 22:30
Selon les modèles c’est demain la journée mouvementée. Toute la journée de vendredi a priori. Prend du sommeil d’avance si tu peux.

Yves 22:33
Ben… oui.
Juste un mot : 3e ris pris. 25kn.
C’est le confort. Dîner 3*.
Manquait une bière !    ;)

Yves 02:11
Coucou de minuit… UTC.
J’ai évidemment un cargo en route de rencontre… Merci Murphy !

      

Vendredi 7 juillet 2023


Lever du jour comme je n'en ai encore jamais vu, je crois.  Magnifique ... et inquiétant !

     

Samedi 8 juillet 2023

Hier je n’ai rien écrit. Et pour cause.
A part se tenir solidement à deux mains ou rester couché, pas grand-chose de possible. Même manger a été difficile ! Reprenons :

Jusque vers 23:00 jeudi, le vent est resté sous les 25 kn, soit Force 6 sur l’échelle de Beaufort. Voyant baisser le baromètre (1010 hPa la nuit précédente, 1000 à 23:00, 988 en fin de matinée hier) j’ai pris le 3ème ris avant que ça ne bouge trop. Puis la force du vent augmente à 32, puis rapidement 35 kn (début de Force 8). Heureusement, la mer n’est pas trop formée et j’arrive à surveiller un cargo panaméen de 250 m, Salmurari, avec qui nous faisons route de rencontre.

A minuit et quelques, je décide d’affaler complètement la GV : le bateau reste assez manœuvrant sous trinquette seule. Au portant, en tous cas, nous l’avons déjà expérimenté. A 00:40, c’est terminé. A 01:00 il faut se rendre à l’évidence : le cargo ne déviera pas.
A moins de 1 nm de lui, et toujours en route de rencontre, nous nous déroutons donc. Il me faut abattre de plus de 50° pour rester à distance. Y avait-il quelqu’un à la passerelle ? A 01:15, je vois le cargo s’éloigner et nous pouvons reprendre notre cap initial. L’AIS est une bien belle invention…

Heureusement, durant cet épisode, le vent est retombé à moins de 30 kn. Mais il reprend de plus belle, la mer grossissant aussi.
Je ne sais hélas pas bien évaluer la hauteur des vagues, surtout de nuit.


En fuite, sous trinquette seule

A 07:00 il me faut démarrer le moteur, pour maintenir la charge des batteries (le pilote fait un travail remarquable, mais il consomme…).

Je l’arrêterai vers 10:45, ce qui coïncide avec le paroxysme de la tempête. Car c’est bien son qualificatif : le vent est établi entre 45 et 50 kn (soit fort coup de vent, F9, à tempête, F10) et j’ai vu l’anémomètre afficher 55 kn. Comme il faut ouvrir le capot pour le lire, je n’ai pu qu’entendre une rafale encore plus puissante, que j’estime à 60 kn environ. Impressionnant. D’autant que la mer s’est creusée et que des vagues isolées se transforment en « lames » qui viennent frapper le bateau latéralement (fréquence moyenne entre 5 et 10 mn). Parmi celles-ci quelques-unes – rares heureusement – sont assez hautes pour coiffer Pétrel et déverser des tonnes d’eau sur le pont et dans le cockpit. Pétrel s’en sort admirablement et je n’ai jamais eu de véritable crainte pour notre sécurité (on y pense, forcément et le « grab bag » est paré). Par contre tous les interstices, même minimes et habituellement « étanches » laissent passer de l’eau de mer sous pression ! A commencer par le jour de quelques millimètres entre le panneau de descente et le capot… C’est l’inondation au pied de l’échelle, sur la table et les banquettes… où se trouve mon duvet. Là, je me sens soudain misérable, serpillères, serviettes et torchons en main pour limiter les dégâts. Je scotche un torchon en haut du panneau de descente pour faire joint avec le capot. Mais tout l’habitacle « dégoutte ».

C’est dans cette ambiance que je passe une demi-heure à me vêtir (ciré, bottes, …), me harnacher puis me déharnacher et me dévêtir, afin de, simplement (!) sortir dans le cockpit tourner la clé (à moins de 2 m de la descente) pour arrêter le moteur… Je découvre aussi une dizaine de litres d’eau de mer sous le plancher du poste avant. N’étant pas certain de sa provenance, je m’efforce de l’évacuer. Pas question de retourner dans le cockpit chercher un seau et la pompe à main. Je me débrouille avec un bol et une cuvette. Difficile de ne pas inonder la coursive au passage… Je lève le doute que j’avais quant à l’étanchéité des capteurs du speedomètre et du sondeur : ce doit être l’écubier (passage de la chaîne d’ancre) qui a laissé entrer une partie de l’eau qui a certainement rempli à maintes reprises la baille à mouillage. Il faudra éponger et dessaler dès que possible.
Ayant ainsi paré au plus pressé, je ressens comme… un coup de pompe ! J’aimerais assez que tout cela se termine. Bien, autant que possible !

Durant encore 3 ou 4 heures, le vent se maintient à plus de 40 nœuds (début de Force 9) et une grande houle s’installe. Vers 14:00 un rayon de soleil apparait et je constate un frémissement – à la hausse ! – du baromètre. Le front serait-il passé ? La réponse est oui et, progressivement, le vent « faiblit ». Pas la mer.
Il repassera sous les 30 kn aux petites heures ce matin. Mais le « shaker », lui, reste d’actualité. Pas possible de faire autre chose que surveiller. Peu dormi (un peu quand même), peu mangé (sandwiches), peu bu (un Coca).
A propos, un oubli : au milieu de la « panique » j’ai découvert une cannette de Coca explosée au fond de la glacière… Nettoyage sommaire, tête en bas. Difficile !

Et puis, progressivement, « retour à la normale » avec la remontée du baromètre, à part un court épisode à 36 kn vers 17:40 lors de la bascule du vent de WSW à W. La « bascule » suivante prévue, au NW ne se concrétisera pas. Tant mieux. Et je comprends mieux la corrélation entre les passages de fronts supposés (chaud puis froid) et la réalité vécue. J’en profite pour empanner la trinquette, qui a vaillamment résisté.

L’épisode aura duré 24 heures environ à plus de 35kn. Dont environ 6 à plus de 40 et au moins une à plus de 45...

Finalement ce coup de vent, certes assez violent, n’aura guère duré, même s’il m’a paru bien long. Heureusement, la mer n’a pas eu assez de temps pour se former et est restée en deçà de « la mer du vent ».
Qui sait comment nous nous en serions alors sortis ?

Au grand largue, maintenant plutôt sous-toilé (j’assume fatigue et crainte de nouveaux grains, nous ne sommes pas en course) le roulis est fort. Très fort. Pétrel n’a plus la puissance nécessaire, avec cette houle.
Matinée fraiche mais après-midi superbe – capot ouvert ! – avec encore une belle houle. Un peu dormi : une sieste de 1h30, enfin, en début d’après-midi.

Quelques messages échangés :

Yves 16:23
C’est pas fini, mais je crois qu’on a passé le plus fort du vent, qui est enfin passé au SSW. Restent les vagues, qui vont maintenant croiser… et que j’espère calmées pour aborder le plateau continental dans la nuit de demain à dimanche.
Un peu trop d’eau (de mer) dans le bateau mais pour le reste TVBAB.

Yves 16:27
Reste quand même l’autre front (peut-être plus violent) avec la rotation à l’W voire au NW ce soir. Soyons pas trop optimistes !

Christine 16:27
J’espère que ça va continuer à se calmer vite. Elle est rentrée comment, l’eau ? Avec tes allées et venues ?

Yves 16:31
Pas du tout. Sous pression, par toutes les inétanchéités, mais surtout entre la porte et le capot… Banquettes trempées, duvet itou, etc.

Christine 16:31
Selon les modèles, effectivement tu l’as ou pas. Pas trop crevé pour être vigilant ?

Yves 16:36
Pas beaucoup dormi, en effet (p… de cargo !). Je rêve d’un mouillage tranquille, au soleil, où faire sécher beaucoup de choses … et roupiller !

Christine 18:45
Combien tu as eu maxi de vent ?

Yves 18:52
J’ai vu 55 kn à l’anémo. Mais à l’oreille je dirais rafales à 60… Pas envie de prendre une vague dans le bateau donc pas ouvert le capot.
Ici le vent a tourné au SW.
Encore 32 kn. La bascule à l’W devrait avoir lieu vers 20h. On verra bien.

Christine 18:58
Je croise les doigts. C’était quand les rafales à 60 ? Pas récemment ?

Yves 18:59
Vers 11:00… Un peu avant les très grosses vagues.

Christine 19:00
Pas eu trop la trouille ?

Yves 19:04
Oui et non. Mouillé partout mais a priori sans souci réel de sécurité.
Mais un peu misérable…
(…)

Christine 22:09
Je ne veux pas vendre la peau de l’ours mai apparemment tu as effectivement passé le plus dur. J’espère que tu vas pouvoir (prendre) du repos.

Yves 22:25
C’est gentil. On a encore 35 kn, d’W maintenant. La mer est compliquée et le pilote fait ce qu’il peut. Le bateau bouge bcp et souvent se balance énormément. Tout le contenu des rangements passe d’un bord à l’autre toutes les 3 à 4 secondes : bonjour le shaker !
Le contenu de la table à cartes… je ne te raconte pas.
Mais je vais tout de même essayer de dormir, évidemment. Quoi qu’il y ait un peu plus de cargos, par ici. Et ça va croître en s’approchant de la pointe Bretagne.
De toute façon Pétrel va me réveiller : les conditions changent tout le temps.
(…)

Christine 08:28
Salut Capitaine. Le vent est tombé mais les vagues doivent continuer à secouer. T’arrives à te reposer ? Pas trop de dégâts ?

Yves 09:08
Hello,
Après n’avoir guère dormi because roulis incroyable : je glissais d’un côté à l’autre de la banquette (mais bien entre 01:30 et 03:00 UTC) j’ai commencé par empanner la trinquette. Retour tribord amure.
Et puis détacher les restes du prélart bâbord qui pendait lamentablement. Une vague l’a eu.
Puis petit déj’. J’avais besoin de boire et manger ! Avec presque 90° de roulis, c’était sportif.
Voilà. Je peux donc te répondre : oui il y a des vagues… et beaucoup moins de vent : 18 kn.
Faut que j’aille renvoyer de la toile. La trinquette a drôlement bien travaillé mais là, on sort de son domaine.

   

Dimanche 9 juillet 2023

La fin de journée d’hier s’est passée avec globalement plus de 20 kn, toujours presque arrière, voile d’avant (trinquette) masquant au rythme de la houle, toujours très présente et générant des embardées difficiles à contrôler par le pilote. Les modes sans « contre-barre » (gain 1, 2 et 3) fonctionnent plutôt mieux que les autres. A discuter avec TEEM ? C’est surtout lorsque le vent faiblit que le problème (roulis et ses conséquences) est sensible. La fin de nuit se passe dans cette ambiance, fort bruyante, à la recherche de réglages ou de petites variations de cap qui pourraient atténuer le roulis, avec un vent variable d’une quinzaine de nœuds.

Vers 08:30, après avoir largué le dernier ris dans la GV, nous abordons le « rail » avec un cargo « montant » (à contre-sens ?) en lisière du flux en provenance de la Manche. J’ai choisi de traverser le « périph’» au niveau de la remontée des fonds, avant le plateau continental où je supposais que la houle, bien qu’un peu calmée, serait plus sensible. Finalement, rien ne permet de valider (ou pas) ce choix.

Toute la journée, belle heureusement avec toujours une quinzaine de nœuds de vent d’WSW puis de SW, s’est passée à veiller aux cargos et à manœuvrer pour les parer lorsque nous faisions route de rencontre : rouler le génois, abattre ou lofer pour s’en écarter, le temps d’assurer le croisement, … et recommencer plus loin. Harassant et ne laissant pas place à la sieste ! Ni à la cuisine, d’ailleurs.

J’ai choisi de revenir à l’heure « locale » (UTC+2) en passant ce « périphérique ». C’est donc à 17:25 que j’estime en être sorti et … démarre le moteur (batteries à 90 %, niveau que j’ai adopté comme seuil bas). J’en profite pour « longer le périph’ », cap compas 45° pour mettre autant de nord que possible dans notre route et espérer nous écarter, la nuit prochaine, du plein vent arrière annoncé (SSW). Puis sieste (une vingtaine de minutes, tout au plus) « contre » le moteur, en espérant pouvoir entendre une éventuelle alarme AIS. Qui n’a pas retenti. Son écran est, de façon amusante, divisé en deux parties : foule à bâbord, personne à tribord ! Demain, l’aube devrait nous voir longer la Chaussée de Sein.


Etonnant, non    ?

Et Ar Men ? J’espère apercevoir ce phare fameux…

Destination ? Il serait temps d’y penser. Morgat en principe, où l’urgence serait une bonne douche !
Mais j’aspire aussi à un mouillage tranquille où je pourrai (d’abord ?) dormir tout mon saoul. Du moins je l’espère. A décider au dernier moment, en fonction de la météo et des possibilités de mouillage, surtout si j’arrive à trouver du « réseau ». A ce stade, j’estime que l’Internet est peut-être ce qui m’aura le plus manqué, finalement.

     

Lundi 10 juillet 2023

J’ai arrêté le moteur à 20:20 (batteries à 100 %). Avec 13 kn de SSW, cap au 75°, Pétrel file 5,5 kn. Toujours pas mal de bateaux à l’AIS. Pas de repos possible. A 22:30 nous croisons (à vue, dans le crépuscule) Ecce Homo, pêcheur espagnol. Et à 23:30, sur une mer devenue « calme » depuis environ une heure, avec 15 kn de vent, toujours grand largue, Pétrel, tout dessus, file 5,6 kn. Conditions parfaites. Aux petites heures du matin le vent forcit et nous embardons un peu trop. Je fais des essais de réglage du pilote, pas très concluants, faute de bien comprendre sur quels paramètres physiques j’agis à travers les menus.

Le Gain concerne la puissance d’action hydraulique. Mais les gains, de 1 à 3 excluent aussi la Contre-barre, laquelle me paraît plutôt inutile, voire pénalisante dans ces conditions : difficile de rejoindre le cap de consigne car la contre-barre agit visiblement trop tôt et la pompe hydraulique, toujours en action, est source de consommations électriques inutiles, j’imagine, mais aussi de nuisances sonores permanentes.
Je porte donc le Coefficient de barre (le terme proportionnel, a priori) à 12, puis 20 pour ne pas constater grand changement ! (Conseil de TEEM : 7. A creuser avec eux ?).

TERRE ! La Chaussée de Sein est là. A 04:25 nous sommes à 1 nm au N de la bouée du même nom. Puis le vent tourne, au S puis au SSE en se calmant et je déroule le « ris » pris 1h30 plus tôt dans le génois. A 05:40 nous sommes à 2,4 nm dans le N du phare d’Ar Men.


De gauche à droite   :   Le phare d'Ar Men,  la lune et la bouée "Chaussée de Sein". Un peu elliptique, mais grand moment tout de même  !

L’aube point, mais nous ne verrons hélas guère que les éclats de ce phare mythique. Dommage.
Il en va de même, une petite heure plus tard à 3,4nm au N de l’Ile de Sein : on distingue à peine la tour de son phare. A 07:00, par contre, on voit fort bien Tévennec, à 1,9 nm. Bref, Pétrel marche trop vite et nous sommes arrivés trop tôt. La faute aux heures de moteur ?

Par contre, le timing est parfait du point de vue des courants, puisque nous longeons la Chaussée de Sein avec le début du flot – qui nous en éloignera, en cas de problème – et nous poussera ensuite dans la Baie de Douarnenez. Arrivé au milieu de cette dernière, je constate que les éventuels mouillages (Baie de Brézellec sur sa rive sud ou, plus tard, Anse de Saint-Hernot sur la côte Est du Cap de la Chèvre) sont trop exposés. Ils sont d’ailleurs non fréquentés, en plein mois de juillet, ce qui peut aussi être un signe. Je confirme donc Morgat (port de Crozon) comme point « d’atterrissage ».

Mais il est à peine 08:00 local et les bureaux du port n’ouvrent qu’à 09:00. J’affale donc la GV et, sous génois seul, abats vers le Cap de la Chèvre, puis à 08:50 vers Morgat. J’essaie ensuite de joindre le port par téléphone, mais n’obtiens qu’un répondeur préconisant l’usage de la VHF à l’arrivée. Je prépare donc – longuement – le bateau (serrer la GV sur la bôme faute de Lazy Jacks, préparer amarres et pare-battages, sortir la tablette, etc.) et en vue du port appelle donc par VHF pour demander que l’on me désigne un poste d’amarrage et que, étant seul à bord, l’on m’assiste pour l’arrivée au ponton et l’amarrage.
La personne qui me répond m’explique qu’il n’est pas sûr d’être « revenu » (?!). « Allez au ponton Visiteurs  et – en substance – débrouillez-vous pour le reste ! ». Super, l’accueil.

Je roule donc le génois, lance le moteur et entre lentement dans le port où un gros pneumatique d’un club de plongée occupe la place indiquée sur le ponton Visiteurs. Après échange avec son responsable je fais un tour dans le port pendant qu’ils quittent aimablement la place. Et je peux aborder. Des voisins de ponton prennent efficacement les amarres de Pétrel. Chaleureux.

Je suis arrivé.
Il est 10:00 tout rond.
Priorités : appeler Christine, aller au Bureau du Port, prendre une douche, enfin ! Et dodo, après avoir avalé quelque chose.

 

(à suivre ?)

 

Post Scriptum  (août 2023)  :

Je n’avais pas encore relu une seule ligne de ce « Complément au Livre de Bord », rédigé plus pour mémoire que pour ce blog.
Il me faudra comprendre pourquoi SailGrib WR m’a autant envoyé vers le nord, dans la dépression, plutôt que de faire cap à l’est pour m’en éloigner.
Et puis démêler les motivations qui m’ont amenées là… s’il ne me faut pas pour cela une vie entière sur un divan ! Ces motivations découlent, je suppose pour l’essentiel, de l’imaginaire « Arthaud Ed. », transmis par mon père et que j’ai fait croitre et fructifier par la suite, notamment en partageant les bancs de terminale avec Jean-Marie Arthaud, fils du fameux éditeur et marin passionné, quelques mois avant la Whitbread... voilà déjà 50 ans. Elles se sont fortifiées en encadrant durant près de 10 ans aux Glénans dans les années ‘70. Peut-être aussi du fait des frustrations liées à l’abandon d’un « rêve » de tour du monde en famille, en 1983. Puis par le « manque » de vraies croisières durant les… 40 années suivantes !
Elles se traduisent donc par la tentation, avec Pétrel, de rattraper le temps perdu.

Christine a pour sa part des projets profondément « terriens », que je respecte.
Elle a eu très peur pour moi (et pour Pétrel) durant mes traversées.
J’avoue ne pas savoir quel « gentlemen’s agreement » lui proposer à l’avenir.

 

PS 2 (septembre 2023)  :

A la relecture des pages précédentes je constate n’avoir guère abordé certains des sujets que je comptais évoquer. Difficile de le faire a posteriori. Il s’agit de   :

La musique   :
Elle tient une place importante dans mon imaginaire marin, même si elle a été assez peu présente cet été. Le vacarme dans le bateau, doublé de l’inquiétude de ne pas entendre une alarme ou la manifestation d’un problème, m’ont retenu.
En prévision de périodes de calme ( !), j’avais emporté une guitare « en plastique » ou presque, afin de ne pas risquer à bord un bel instrument et de minimiser ses possibilités d’oxydation. J’ai pu travailler un peu (m’y remettre en fait) lors de la traversée aller surtout.

Les affaires du monde   :
Il est incroyable et exceptionnel dans le monde moderne de se trouver aussi à l’écart de l’actualité. Je suppose que Christine, le reste de ma famille ou des amis capables de me joindre l’auraient fait en cas de nécessité impérieuse ou d’actualité extraordinaire. Je ne m’en suis donc guère inquiété et – à part les émeutes (révolte   ?) liées à la mort de Nahel, fin juin – n’ai pas le sentiment d’avoir raté grand-chose qui ne puisse être différé … mais l’avenir seul le confirmera.
J’imagine que l’irruption quasi-inévitable de l’Internet au large, par satellite, supprimera inéluctablement cette quiétude « en toute bonne conscience »…

Le silence des réseaux  :
Anecdotique et lié au précédent thème, j’ai été frappé par l’angoissante question, rémanente, de la mise à jour de l’antivirus de mon équipement informatique (d'ailleurs peu sollicité, sinon pour y charger les images de mon téléphone ou de la GoPro)  : j’ai reçu moult notifications dramatiques … qui prêtaient à sourire largement   !
Par contre, ce qui m’a peut-être manqué touche surtout à la navigation, avec la difficulté à recevoir des données météo en quantité suffisantes (même si ce que l’on peut obtenir est déjà pas mal) alors que le GPS et l’AIS fonctionnent de façon "banale", donc quasi-miraculeuse  !

 

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