Amazonie : de Bélem à Manaus
Samedi 8 mars 2014, 6h du matin, sacs au dos nous traversons à pied Jacaré pour aller prendre le petit train qui nous emmène à João Pessoa où nous embarquons à bord d'un bus « couchettes » climatisé pour 40 heures de route jusqu'à Bélem, point de départ de notre périple amazonien. Quelque peu fourbus après plus de 2000 kms de routes brésiliennes, nos nous installons à l'hôtel « Massilia » pour profiter d'un peu de confort pour récupérer. Les deux jours suivants nous visitons Bélem, porte d'entrée de l'Amazonie et capitale du Para, le second plus grand état du Brésil. Située sur un bras du gigantesque estuaire de l'Amazone, avec près d'un million et demi d'habitants, c'est un port à l'activité incessante. Nous parcourrons avec ravissements ses quais au bout des quels se trouve un incroyable marché où les odeurs de poissons frais ou séchés se mêlent aux parfums d'épices, les senteurs de fruits et légumes aux fumets des étales de cuisine locale ( Ah ! Le canard au tucupi...), les couleurs des amulettes aux nuances des liqueurs, les saveurs des jus de fruits à la succulence des fruits secs. Quelques rares bâtiments rappellent la splendeur coloniale de cette ville dont les jardins et les rues ombragés de manguiers nous font déjà présager du foisonnement végétale qui l'entoure.
Le 12 mars, nous embarquons pour Santarem. Nous avons pris la veille nos billets sur un de ces bateaux qui remontent le fleuve jusqu'à Manaus. Sur les conseils du vendeur, nous arrivons trois heures avant l'heure prévue pour le départ. Le premier pont est déjà couvert de dizaines de hamacs, mais, au milieu du second pont (donc pas trop près des moteurs) il reste encore quelques places pour accrocher les deux hamacs que nous avions achetés avant de partir. Le pont supérieur sert de bar. Nous faisons rapidement connaissance de nos voisins brésiliens et c'est dans une ambiance très bon enfant que notre ferry largue les amarres pour 4 jours et 3 nuits de voyage. Il se faufile dans un invraisemblable dédale de bras plus ou moins larges, un inextricable labyrinthe d'îles et îlots, pour rejoindre le cours principale de l'Amazone. Outre trois voitures et deux motos, les cales et le pont inférieur débordent de légumes, de vivres, de palettes de bières qui seront débarqués aux escales que nous ferons en cours de route. Ces escales sont l'occasion d'améliorer la cambuse du bord (bœuf, riz, haricots rouges ou haricots rouges, riz, poulet !) grâce aux petits vendeurs qui proposent fruits et pâtisseries aux passagers. Pour éviter un trop fort courant, voire bénéficier de contre-courants, le bateau longe les bords du fleuve, parfois à seulement quelques mètres et nous avons tout loisir de découvrir maisons (le plus souvent en bois) et villages sur pilotis qui abritent une population vivant de pêche et d'élevage (chevaux, zébus et buffles). De temps à autre, au risque d'une périlleuse manœuvre, une barque vient s'accrocher quelques instants au bastingage pour vendre quelques bananes ou de délicieuses crevettes d'eau douce.
Quelques beaux orages nocturnes, des berges couvertes d'une végétation dense, une température agréable (même un peu fraîche la nuit), barques de pêcheurs, trains de barges, ferrys en tous genres qui naviguent dans des eaux limoneuses et jaunâtres encombrées de quantité de déchets végétaux (lianes, troncs, bandes de terre...) : nos yeux n'en reviennent pas. Comme de surcroît nous sommes en pleine saison des pluies, le fleuve est en crue et s'étend sur des kilomètres de large sous un ciel souvent chargé de nuages impressionnants. À bord, peu de touristes : deux babas australiens, un canadien en moto, un chilien, une israélienne fan de capoeira, et deux parisiens ; la vie s'organise avec nonchalance.
Arrivés à Santarem, nous rejoignons en bus l'Auberge de la Forêt, à Alter de Chão, charmante petite localité en amont sur le Rio Tapajos, bien connue pour ses plages de sable blanc mais nous n'en apercevons que quelques unes : elles sont en grande partie couvertes par la montée des eaux. Qu'en sera-t-il si, comme le craignent les scientifiques, une crue exceptionnelle va affecter le bassin de l'Amazone dans les prochains mois (lire ici) ? Une journée et demie de repos et nous repartons sur la barque de Bata, guide indien, qui, après 3 heures de remontée du rio, nous héberge quatre jours dans sa famille (14 enfants !) établie dans une partie de forêt protégée et attribuée aux seuls indiens. Malgré les étranges bruits nocturnes (hurlements de singes, croassements de grenouilles, cris d'oiseaux nocturnes... rendent les nuits plus bruyantes que les jours !), nous dormons comme des bébés dans nos hamacs après des journées bien remplies : vadrouille et pêche en pirogue dans des paysages lacustres à la recherche de singes, de toucans, de perroquets et autres oiseaux inconnus ; balade nocturne à la recherche des petits caïmans ; virée de près de six heures en forêt primaire à la découverte d'un enchevêtrement et d'une prolifération végétale inimaginables, d'arbres gigantesques multi-centenaires, au milieu desquels Bata nous dénichait d'énormes araignées (genre mygale), d'incroyables scarabées, de paisibles serpents ou encore de bruyants macaques. Nous avons aimé les moments partagés avec ces gens simples qui, ne pouvant plus vivre de la récolte du latex, trouvent quelques revenus dans le tourisme en communiquant leurs connaissances et leur respect de la fabuleuse nature qui les entourent.
À notre retour, nous séjournons deux jours à Santarem, très sympathique petite ville (moins de 300000 habitants)peu touristique qui vit essentiellement de commerce, d'agriculture (dont, hélas, la culture du soja Ogm dans des zones gagnées sur la forêt) et de pêche. Et nous embarquons de nouveau pour rejoindre, 2 nuits et 3 jours plus tard, Manaus, capitale de près de deux millions d'habitants du plus grand état brésilien.
Au petit matin du 24 mars, à quelques heures de l 'arrivée, nous sommes stupéfaits par le phénoménale spectacle de la rencontre des eaux du Rio Negro avec l'Amazone : sur plusieurs kilomètres les eaux noires et acides du premier côtoient sans se mélanger les eaux jaunâtres du second. Arrivé à la mer, à près de 8000km de sa source, l'Amazone débite en moyenne plus de 200000 mètres cubes d'eau à la seconde (5 fois plus que le Congo, second fleuve mondial en débit) et déverse ainsi dans l'océan 20% des apports d'eau douce continentale mondiale.
Puis nous voilà au terme de notre ultime étape Manaus qui fût à la fin du XIXème siècle, la capitale mondiale du latex, matériau de base du caoutchouc. Quelques immeubles et monuments, notamment un incroyable opéra datant de 1896 (que vous avez peut-être vu dans le film Fitzcarraldo), témoignent encore du luxe inouï dans lequel vécurent les propriétaires de plantation dont certains, dit-on, envoyaient laver leur linge à... Paris ! Les plantations asiatiques puis l'arrivée du néoprène plongent la ville dans un marasme économique dont elle ne se relève que depuis quelques dizaines d'années grâce à la création d'une zone franche qui a attiré nombres d'industriels. Nous remontons nettement la moyenne d'âge de l'auberge de jeunesse internationale où nous séjournons, non loin du port flottant (la hauteur de l'Amazone peut varier de 10 mètres entre la saison sèche et la saison des pluies) et du marché municipal construit dans le style Eiffel : les quantités de poissons, légumes et viandes y sont phénoménales ! Hélas une grève des personnels des musées nous prive de visites sûrement instructives. Nous avons aperçu mais pas non plus visiter le nouveau stade de 44000 places construit (mais pas encore tout à fait terminé) pour la modique somme de 200 millions d'euros et qui, après la coupe du monde, pourrait être transformé en... prison !
Trois semaines après notre départ, il ne nous faut que 24h d'avion, de bus et de train pour rejoindre Spip qui nous attend bien sagement à Jacaré. Nous, nous sommes enchantés de notre périple de plus de 7000kms, même si nous n'avons aperçu qu'un tout petit bout, entrevu que quelques uns des problèmes socio-économiques de cette immense région essentielle à l'écologie de notre planète menacée par le réchauffement.
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