Vendée-Globe : les chroniques de Jean-Yves Chauve !
L'eau à la bouche
Le soleil des tropiques vient à peine de se lever qu’il tape déjà durement. Plus un souffle d’air. Après avoir longuement hésité, le bateau s’est arrêté. Le Pot au Noir, on y est. Plus qu’à attendre.
On dirait qu’il s’est posé là, sur cette mer lisse où les relents d’une houle venue du nord ondulent en reflets argentés. Les voiles, vides d’air, ballottent, lamentablement.
Et puis le silence. Un silence lourd, épais, étrange, un silence si présent qu’il en devient assourdissant. On dit que le silence repose, mais ici, au milieu de nulle part, il fatigue et inquiète. Car depuis le départ, le bruit était tellement présent qu’il était devenu compagnon, un compagnon souvent trop envahissant mais qui voulait dire vitesse, stratégie, action. Plus c’est fort, plus c’est vite. Qui pourrait s’en plaindre ?
De temps en temps, le choc de l’écoute qui se tend sur la poulie ou le froissement des voiles rompent cette parenthèse muette. Impression d’être ailleurs, englué dans un autre monde, dans un désert immobile où le temps s’est arrêté, pour toujours. Lugubre.
La course au large : école de la patience
La chape de plomb brûlante au-dessus de la tête va bien finir par se déplacer. La course au large c’est l’école de la patience, de l’humilité et de la frustration. On se dit qu’il faut être le dernier des imbéciles pour être venu se fourrer dans cet endroit. Les autres ont du vent, eux, c’est sûr. Rien de plus énervant.
On tourne en rond, un tour sur l’ordinateur et les fichiers météo, un tour sur le pont. Solaires vissées aux yeux, casquette plaquée sur le front, on scrute l’horizon. Pas une voile, mais là-bas, des cumulus. Le rideau de pluie qui tombe de leur base sombre est promesse de rafales musclées. Mais comment aller les rejoindre ? Leur direction incertaine oblige à naviguer à la fortune du Pot et sans broyer du noir. Pas simple. D’après les fichiers, cette Zone de Convergence Inter Tropicale communément appelée Pot au Noir semble étroite et peu active. Y croire. Un manque de Pot qui serait un vrai coup de chance.
Sous ce soleil vertical et implacable, la chaleur est intense, lourde, difficile à supporter. Vous aimeriez bien dormir un peu, mais à l’intérieur, dans cette cabine en carbone sans isolation ni aération, la température avoisine les 50°. Fournaise irrespirable. Un courant d’air serait le bienvenu, mais il faut l’oublier. La cabine doit rester étanche, panneaux verrouillés. Sous un grain, une vague vicieuse aurait vite fait de s’y faufiler avant de finir sa course en cataracte sur les instruments.
Vous avez bien essayé le cockpit mais il est trop encombré pour y être à l’aise. Et désormais, il est couvert en prévision des déferlantes du sud. Un plus qui ici est un moins. Les quelques ouvertures ne suffisent pas a évacuer le trop-plein de chaleur. Le sauna qui y règne vaut bien celui de l’intérieur.
Un décalage climatique lourde contrainte pour l'organisme
Avec la transpiration, la peau est moite et collante. Tout à l’heure, la douche d’eau de mer n’a apporté qu’une fraîcheur éphémère. Une fois évaporée, reste le sel qui brûle et démange. Il va falloir se rincer à l’eau douce, au minimum, à l’économie.
Tout comme le décalage horaire, le décalage climatique est une lourde contrainte pour l’organisme. Il suffit de se souvenir d’un voyage dans les Tropiques. Dès la descente de l’avion, la chaleur vous agresse, vous êtes en sueur, suffoquant, mal à l’aise. Le terrien homéotherme qui, depuis des milliers d’années, s’est déplacé à la vitesse de ses pas, n’est pas conçu pour s’adapter à ces changements rapides de température. L’acclimatation est lente, bien plus lente que l’accoutumance au changement d’heure. Elle demande au moins une dizaine de jours. Mais ici, dans cette descente rapide vers le sud, vous aurez juste le temps de vous sentir bien avant que cette fièvre tropicale ne soit balayée par les premières bouffées glaciales venues de l’Antarctique !
Pour l’instant, il faut s’adapter et le système de climatisation du corps est soumis à rude épreuve. Il doit maintenir la température centrale à 37°C, coûte que coûte. 3 degrés de plus et la machine s’enraille. Les neurones tout d’abord. Ils ne supportent pas la surchauffe. Au-delà de 40°C, ils dysfonctionnent. Fatigue incoercible, hallucinations, convulsions, perte de connaissance voire décès si l’excès de chaleur augmente ou se prolonge.
Mais la grande difficulté tient dans le fait que notre système de climatisation n’est pas très efficace à produire du froid. En fait, il en est incapable. Il se contente d’évacuer le trop-plein de chaleur. Tout repose sur la transpiration avec des gouttelettes d’eau secrétées par deux millions de glandes sudoripares réparties sur près de 2 mètres carrés de surface de peau. C’est l’évaporation de cette eau qui chasse les calories en trop. Et pour que cette chaleur interne atteigne la surface cutanée, les vaisseaux sanguins se dilatent. La peau devient rouge, chaude, gonflée. C’est près de 15 litres de sang qui circulent ainsi à chaque minute en périphérie de notre corps. Autant de sang en moins pour les muscles et les neurones. A la clé, des crampes pendant les manœuvres et même parfois des vertiges ou des malaises.
5 litres d'eau : boisson quoditienne pour performer
Composé à plus de 70% d’eau, notre corps ne peut survivre très longtemps sans l’apport de ce précieux liquide. Il faut donc impérativement compenser les pertes en eau induites par la transpiration. Car une déshydratation, même légère, n’est pas sans conséquences. Un manque d’eau de 2 % soit environ 1,5 litre entraine une chute de 20% des performances physiques et mentales. Avec 4%, la perte s’élève à 40% ! Autant dire qu’il faut boire pour éviter les déboires.
Dans ces conditions, la consommation d’eau de boisson quotidienne peut dépasser allègrement les 5 litres. Le dessalinisateur tourne à plein régime, pas question qu’il tombe en panne. Mais l’eau douce ainsi extraite de la mer n’a pas beaucoup de saveur, elle est trop pauvre en sels minéraux. Ces éléments nutritifs indispensables sont fournis par les aliments. De crainte d’un déficit, certains prennent chaque jour un comprimé ou une gélule pour une supplémentation minérale associée à des oligo-éléments et à des vitamines.
Le gros nuage s’est rapproché. En voici les premières risées. Du vent, enfin. Et ce petit clapot vous l’annonce, le Pot au Noir est derrière vous. Le Sud vous attend, vous en avez déjà l’eau à la bouche.
Dr Jean-Yves CHAUVE